Gustavo Petro : la gauche a-t-elle ses chances en Colombie ?

Brésil, Colombie, Costa Rica, Cuba, Mexique, Venezuela. L’Amérique latine ne manque pas d’élections présidentielles cette année. Parmi elles, les élections colombiennes du 27 mai et du 15 juin pourraient être celles d’un possible changement politique. A l’approche du premier tour de la présidentielle, retour sur la candidature de Gustavo Petro, seul candidat de gauche à l’élection présidentielle dans un pays depuis longtemps acquis à la droite conservatrice et libérale.

Un pays traditionnellement de droite libérale-conservatrice

Difficile pour la gauche institutionnelle de se faire une place dans le paysage politique colombien : elle n’a jamais été au pouvoir et le terme de « gauche » a systématiquement été associé aux guérillas armées révolutionnaires. Suite à la démocratisation du pays dans les années 1950, le Parti conservateur et le Parti libéral ont monopolisé le pouvoir sans interruption dans la seconde moitié du 20ème siècle. Cette monopolisation s’est incarnée notamment dans la création du Frente National (1956), coalition qui organisait des alternances pour la présidence jusqu’en 1974. Si cet accord s’est arrêté à cette date, la mainmise de ces deux partis sur le pays a continué jusqu’en 2002. Contrairement à la vague progressiste touchant l’Amérique Latine dans les années 2000, après dix ans de politiques néolibérales sur la majorité du continent, la première décennie du siècle en Colombie a été celle de l’approfondissement de la logique de marché et de politiques sécuritaires.

C’est ainsi qu’Alvaro Velez Uribe arrive au pouvoir en 2002 en se présentant en tant que candidat indépendant après son retrait du Parti libéral. Grand propriétaire terrien et multimillionnaire, il met alors en place pendant deux mandats une politique à la fois néolibérale et sécuritaire. Pro-américain et ennemi juré de son homologue Hugo Chavez, Uribe s’oppose à la politique du Venezuela en maintenant avec Caracas des relations particulièrement tendues.

Il lance sur le plan économique une série de réformes de flexibilisation du travail, privatisations d’entreprises publiques (Banques, télécommunications, énergie) et signe en 2006 le Traité de Libre Commerce (TLC) avec les États-Unis. Les « années Uribe » sont également marquées par son programme de « sécurité démocratique », visant à mettre fin à la guérilla par une lutte répressive. Adulé par une partie des Colombiens pour lesquels il est l’homme qui a affaibli considérablement la guérilla, il est haï par une autre pour ses scandales de corruption et sa proximité avec les paramilitaires.

En 2010, Juan Manuel Santos, ministre de la défense d’Uribe et ancien ministre du commerce extérieur de César Gaviria pendant l’ouverture économique des années 90, prend le pouvoir avec le soutien d’une coalition de centre-droit. Il poursuit la ligne économique libérale de son prédécesseur en menant une politique en faveur des plus riches. Pendant son mandat, de nombreuses entreprises publiques sont vendues à des multinationales : 308 exactement, selon le ministère du logement et du crédit public, vendues au privé entre 1986 et 2016. De plus, les réformes mises en place augmentent l’imposition indirecte touchant directement les plus pauvres ou facilitent l’extractivisme minier, pilier économique de la stratégie de croissance du gouvernent Santos.

Juan Manuel Santos s’est fait néanmoins plus pacifiste que son prédécesseur dans son rapport avec la guérilla en entamant le processus de négociations avec les FARC menant à l’Accord de la Havane de 2015. Celui-ci met fin à plus de 50 ans de guerre civile, inclut le désarmement de la guérilla et la possibilité pour elle de se reconvertir en parti politique et de se présenter aux élections. L’accord est alors dénoncé par la droite uribiste qui y voit un laxisme envers la guérilla et souhaite, en cas de victoire aux prochaines présidentielles, « le modifier structurellement ».

Après deux mandats de Santos, les prochaines élections présidentielles du 27 mai s’annoncent comme déterminantes pour l’Accord de paix qui polarise le pays. Après diverses primaires internes et alliances entre partis, cinq candidats principaux sont en lice pour l’élection : Ivan Duque, (Centro democratico d’Alvaro Uribe et soutenu par le Partido Conservador, « ultradroite »), Gustavo Petro (Colombia Humana, gauche), Sergio Fajardo (Coalición Colombia, centre), German Vargas Lleras (Mejor Vargas Lleras, ex vice-président de Santos, droite libérale-conservatrice) et Humberto de la Calle (Partido Liberal, droite libérale).

Gustavo Petro, un espoir pour la gauche

Aujourd’hui, dans un pays parmi les plus inégalitaire de la planète, il semblerait qu’un candidat de gauche, Gustavo Petro, ait une chance d’arriver au pouvoir. Économiste de formation, guérillero du M-19 dans les années 80 et aujourd’hui à la tête de la coalition Colombia Humana, il se place actuellement deuxième parmi les intentions de votes des derniers sondages.

Auparavant membre et candidat en 2010 (il obtient alors 9,14% des votes) du principal parti de gauche institutionnel, le POLO, il s’en écarte et crée le Mouvement Progressiste en 2011. Il pourrait cette fois réussir à passer au second tour en étant actuellement le seul candidat de gauche en lice à la présidentielle colombienne avec le soutien du Parti communiste colombien, de l’Alliance Sociale Indépendante et du Mouvement Alternatif Indigène et Social. Ce monopole de Gustavo Petro à gauche s’explique principalement par deux facteurs : l’absence de candidat des partis de gauche et le retrait des FARC de la campagne présidentielle.  Le POLO et les Verts, qui rassemblaient les votes de gauche lors des dernières élections, se sont ralliés à la coalition centriste de Sergio Fajardo, jugée plus à même de rassembler. Quant aux FARC, ils avaient lancé leur campagne pour la présidentielle mais s’en sont retirés suite à des perturbations fréquentes lors de leurs réunions publiques et des problèmes de santé de leur leader Timochenko.

Idéologiquement, Gustavo Petro se déclare progressiste de gauche mais non marxiste et n’a pas caché son admiration par le passé pour Hugo Chavez, tout en condamnant actuellement la politique de Nicolas Maduro au Venezuela. Il se dit aujourd’hui plus proche des idées de Pepe Mujica.

On lui reconnaît des compétences de bon orateur, dont la technique se base sur un discours populiste, antisystème et anti-establishment. Dans un pays où la défiance envers une classe politique corrompue est source d’une abstention électorale monumentale, il a, comme on peut le lire dans El Pais « su canaliser, du moins pour le moment, un mécontentement allant au-delà des divergences relatives à l’accord avec la guérilla, un des facteurs ayant dominé la politique colombienne pendant les dernières années. Petro développe un discours qui séduit particulièrement les jeunes, les habitants de la capitale et ceux de la côte caraïbe (région dont il est lui-même originaire).

Petro est en Colombie clairement situé à gauche dans le paysage politique et réussit, dans un pays libéral-conservateur, à se démarquer par sa volonté d’un service de santé et d’une éducation publique. Il prône une économie se détachant des industries pétrolières et minières dans une optique de baisser l’impact sur le changement climatique. Il s’engage à s’attaquer aux problèmes fonciers du pays où de grands espaces possiblement productifs appartiennent à de grands propriétaires terriens. Pour cela, il propose de les taxer fortement pour les inciter à vendre leur terre, que l’État pourrait racheter et revendre à des paysans. Il cherche par ailleurs à reconnaître des droits aux minorités tels que les indigènes ou LGBT.

De plus, Gustavo Petro peut compter également sur un contexte actuel plus favorable à la gauche. Selon José Fernando Flórez, docteur en sciences politiques « L’oscillation dans le spectre idéologique des préférences politiques des Colombiens lors des dix dernières années montre que les postures de gauche sont apparues en crescendo par rapport à celles de droite qui ont diminué ». Le politiste s’appuie notamment sur une étude du LatinoBaromètre de 2016 selon laquelle 19,7% des Colombiens s’identifiaient de gauche en 2007, alors qu’ils étaient 30,7% en 2016.

Une droite apeurée par le « castrochavisme »

La possibilité d’une victoire de Gustavo Petro fait pourtant débat. Ivan Duque, celui que Daniel Pecault, politiste spécialiste de la Colombie, nomme « la créature d’Uribe », pointe en tête des sondages. Ne pouvant se représenter en vertu de la Constitution colombienne, l’ancien président Uribe actuellement sénateur garde une grande popularité et conserve son influence médiatique dans le pays. La coalition menée par Duque et Uribe est farouchement opposée à l’Accord de paix et défend un programme pro-marché et sécuritaire soutenu par les élites économiques. Rappelons que cette dernière a raflé les sièges lors des législatives du 11 mars dernier. Par conséquent, le pouvoir législatif est un des plus à droite de l’histoire colombienne, malgré l’éclatement partisan en œuvre depuis une décennie. Dans la dynamique de ces résultats, Ivan Duque apparaît sans conteste comme le favori de la prochaine élection.

Le combat de l’ultradroite contre Petro s’effectue par une dénonciation médiatique de l’ancien guérillero « proche des soviétiques » et de son programme « castro-chaviste » (terme inventé par Uribe) car celui-ci mènerait la Colombie à un « second Venezuela ». Dans un contexte d’entrée massive en Colombie de migrants vénézuéliens, ces propos provoquent une stigmatisation claire et sont repris par la plupart des opposants de Petro et par les grands médias qui occultent la plupart des sujets que le candidat de Colombia Humana présente. La campagne présidentielle du côté de la droite se fait donc principalement en prônant les dangers d’une victoire adverse.

Quelles perspectives pour l’élection ?

Si la Colombie s’est démarquée dans les années 2000 en Amérique Latine par l’absence d’élection d’un candidat de gauche, on pourrait aujourd’hui espérer y voir une victoire progressiste dans un contexte de retour en force conservateur en Amérique Latine lors des dernières années (Sebastian Piñera au Chili, Mauricio Macri en Argentine, Michel Temer au Brésil).

Mais les chances de victoire de la gauche soutenant Petro sont pourtant minces tant Ivan Duque apparait comme favori. Une autre surprise pourrait être celle de la présence au second tour face à Duque du candidat centriste Sergio Fajardo, beaucoup moins clivant que Petro et considéré comme plus à même de vaincre la droite dure.

En supposant de sa présence au second tour, le candidat de Colombia Humana devra alors réussir à rallier les votes obtenus par Fajardo au premier tour dans une logique de maintien de l’accord de paix. Mais cela risquerait encore d’être insuffisant pour remporter la tête de l’exécutif.

Même en cas de victoire de Gustavo Petro à l’élection présidentielle, la mise en place effective de son programme reste hypothétique. Il devrait faire face à un combat contre la droite dure détenant le pouvoir législatif, les élites économiques du pays et la presse qui feront certainement tout pour l’empêcher d’appliquer ses propositions. N’ayant personne sur sa gauche à qui se rallier et ne bénéficiant pas d’un parti politique structuré, le risque serait alors de tomber dans les méandres de la social-démocratie européenne si prompte à abandonner tout progrès social pour une dose de libéralisme économique. Cependant, dans un pays où les mouvements sociaux d’ampleur peinent à prendre forme, il semble aujourd’hui que seul Gustavo Petro puisse être capable de provoquer une avancée sociale.

Malo Jan.

Élections russes : Vladimir contre Poutine ?

http://en.kremlin.ru/events/president/news/51716

Le 18 Mars 2018 aura lieu l’élection présidentielle de la Fédération de Russie. Vladimir Poutine, tour à tour Président de la Fédération de Russie (2001-2008/2012-…) et Premier Ministre (2008-2012), concourt à sa réélection. S’il semble presque acquis que l’ancien agent du KGB ne devrait pas faire face à une concurrence trop rude, d’autres candidats sont en lice.


 

Le Parti Communiste de la Fédération de Russie, deuxième parti du pays par son poids électoral, n’enverra pas comme depuis les années 90 son secrétaire général Guennadi Ziouganov mais laissera cette opportunité à Pavel Groudinine. Ex-ingénieur et ancien membre de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, sa candidature est en outre soutenue par le Front de Gauche de Serguei Oudalstov, fraîchement sorti de prison. Sera également présent le vieux leader du Parti Libéral Démocrate, Vladimir Jirinovski, ultra-nationaliste qui avait connu son heure de gloire grâce à d’importants succès électoraux durant l’ère Eltsine.

Si ces trois partis forment un triptyque assez traditionnel de la politique russe, certains visages sont plus neufs : c’est le cas de Ksenia Sobtchak, une jeune femme ayant fait fortune à la chute de l’Union soviétique et surnommée “la Paris Hilton russe” en raison de sa richesse et de ses liens avec l’univers de la télé-réalité. Notons par ailleurs que la candidature d’Aleksey Navalny, opposant « anti-corruption » à Vladimir Poutine, n’a pas pu être validée en raison de ses condamnations judiciaires. Il est également accusé d’antisémitisme ainsi que d’entretenir des liens troubles avec l’extrême-droite. Navalny accuse quant à lui Ksenia Sobtchak d’être une marionnette du pouvoir chargée d’incarner une caricature de candidate libérale…

“Poutine a recréé un clivage ancien en Russie entre conservateurs, orthodoxes et nationalistes d’un côté, libéraux politiques et économiques de l’autre.”

La stratégie politique de Vladimir Poutine – qui, cela est presque certain, sera réélu – mérite d’être analysée. Poutine a recréé un clivage ancien en Russie entre conservateurs, orthodoxes et nationalistes d’un côté, libéraux politiques et économiques de l’autre. Vladimir Poutine entretient des liens très forts avec l’Église orthodoxe russe, porte-étendard des valeurs nationales aux yeux du Kremlin, orthodoxie qu’il conjugue volontiers avec l’expression d’une forme de nostalgie pour l’Union soviétique, encore très forte en Russie. Bien que cette alliance des valeurs-ennemies d’hier puisse sembler incongrue, elle témoigne de la volonté de Poutine de s’inscrire dans la continuité de l’Histoire russe. Histoire russe qui est en grande partie marquée par l’hostilité à l’égard de « l’Occident », d’abord pour ses valeurs libérales et révolutionnaires du temps des Tsars, ensuite pour son économie de marché à l’ère soviétique.

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Ksenia Sobtchak | ©Evgeniy Isaev

 

“Le choix des citoyens de la Fédération de  Russie, dans la conception poutinienne, serait celui-ci : l’autoritarisme, l’oligarchie ou le chaos.”

Cette volonté d’incarner l’Histoire russe trouve ses racines dans le traumatisme de la crise des années 1990.  Suite à la chute de l’Union soviétique, la Russie s’est retrouvée dans une situation d’effondrement généralisé à tous les niveaux. Le vieux système soviétique a laissé la place à une Russie gangrenée par la misère, le chômage, la délinquance et la corruption. Une Russie qui semblait en plus affaiblie dans le concert des nations ; en témoigne le soutien timide apporté par l’administration Eltsine à son allié serbe pendant les conflits d’ex-Yougoslavie et du Kosovo.  Poutine, par son autoritarisme, réussit le tour de force d’incarner le retour d’une Russie forte, dans l’esprit des Russes. Il le fait en réhabilitant l’Union soviétique et ses symboles, en prônant un soft power basé sur le conservatisme et le nationalisme. L’incarnation de ces valeurs s’accompagne d’une pratique du pouvoir de plus en plus personnelle. Les années 90 servent d’épouvantail selon le principe : « Poutine ou le chaos ». Les candidats libéraux incarnent, dans l’imaginaire poutinien, le retour des oligarques au pouvoir. Les candidats communistes et ultra-nationalistes incarnent eux aussi une importante source d’instabilité : entre les positions chocs de Jirinovski (qui propose d’étendre l’emprise de la Russie sur l’ensemble des anciennes républiques soviétiques) et la volonté de « restaliniser la Russie » portée par le KPRF (Parti Communiste de la Fédération de Russie), le choix des citoyens de la Fédération de  Russie – dans le récit poutinien – serait celui-ci : l’autoritarisme, l’oligarchie ou le chaos.  

“Pour contrebalancer l’influence de la Chine, la Russie veut intégrer ses alliés européens dans l’Union européenne (la Serbie et le Monténégro notamment) afin qu’ils servent de courroie de transmission aux intérêts moscovites”

Poutine sait bien qu’il s’agit ici d’une mise en scène politicienne. La Russie ne peut se contenter d’un projet impérial, eurasiste et conservateur.  Son économie basée sur le parc énergétique gazier ne peut se permettre de se couper de l’économie européenne, à l’heure où la Chine affiche ses ambitions commerciales au grand jour et multiplie les échanges avec l’Union européenne. Les ambitions chinoises se manifestent sous la forme d’une « nouvelle route de la soie » reliant la Chine à l’Union européenne et passant par l’Asie centrale, ère d’influence russe dans l’esprit de Poutine. Une opposition trop ferme aux intérêts de l’UE conduirait la Russie à abandonner son ère d’influence à la Chine, ruinant par la même occasion le projet eurasien de coopération entre la Russie et les puissances régionales d’Asie centrale. Ce jeu d’échecs permet de comprendre pourquoi la Russie veut voir intégrer ses alliés européens dans l’Union européenne (la Serbie et le Monténégro notamment) : leur fonction est de servir de courroie de transmission aux intérêts moscovites.

Ces élections démontrent que la situation russe est loin d’être aussi binaire que la stratégie politique de Poutine voudrait le laisser penser. D’un côté, Vladimir Poutine se porte garant des valeurs russes en opposition à l’Occident libéral, de l’autre il ne peut se passer de l’Union européenne de crainte d’une concurrence trop rude avec la Chine, puissance émergente dont l’économie connaît une croissance bien plus importante que celle de la Fédération de Russie. Ces élections sont celles d’une grande puissance qui a besoin d’affirmer son soft power mais qui se retrouve concurrencée par des alliés importants.

 

Crédits photos : http://en.kremlin.ru/events/president/news/51716

Cambodge : chronique d’une dictature annoncée

portrait Hun Sen, ©T. Ehrmann, Flickr

À l’approche des élections qui se tiendront en juillet 2018, les dernières répressions au Cambodge semblent avoir eu raison de la liberté d’expression. Journalistes condamnés, médias fermés, opposants assassinés… Dans un rapport de 26 pages paru cette semaine, l’ONG Reporters sans frontières alerte la communauté internationale. Depuis des années, le pays bascule toujours plus vers l’autocratie, de manière exponentielle ces derniers mois avec un musèlement total de l’opposition. Après une ère de semblant de démocratie, le temps d’une génération, la partie est finie. À la fois dans l’ombre et la lumière, Samdech Hun Sen avance. Depuis plus de 30 ans, c’est lui qui mène la danse, le pays dans ses pas. ONG et médias l’augurent, il est aujourd’hui prêt à tout pour rester en place.


Depuis six mois, le pouvoir entend bien éteindre les quelques dernières voix médiatiques qui s’élevaient contre sa politique. Pour ce faire, il n’hésite pas à élever un arsenal législatif afin de paralyser les médias d’opposition. Des pressions financières ubuesques poussent de grands journaux et radios à la faillite. En septembre 2017, le journal The Cambodia Daily mettait la clé sous la porte, contraint de payer une taxe de 6,3 millions de dollars. Une facture que le titre conteste. Deborah Krisher-Steele, la fille du fondateur et directrice du journal, explique n’avoir reçu aucun avertissement avant la présentation de ce qu’elle nomme un « faux avis de taxation ». D’après elle, le pouvoir « vise à intimider et à harceler The Cambodia Daily et ceux qui osent dire la vérité ». Aucune échappatoire, « Descente en pleine dictature » sera leur dernière une. La chute en enfer du journal indépendant est rapidement suivie par celle de Radio Free Asia, le même mois. En quelques jours, ce sont plus de trente radios cambodgiennes qui cessent d’émettre sur les ondes.

Un avertissement brutal au spectre médiatique cambodgien

Lors d’une conférence de presse, quelques mois auparavant, le premier ministre n’avait pas hésité à déclarer à deux journalistes : « Maintenant, vous deux… Qui travaillez pour Radio Free Asia et The Cambodia Daily… Notez bien ce que je vous dis. Vous pourrez vous en souvenir. Inutile de chercher plus loin quelles sont les bêtes noires du pouvoir ». À l’échelle nationale comme à l’internationale, Hun Sen est habitué aux déclarations mordantes. Malheureusement, ses paroles sont souvent suivies par des actes.

Le 3 et le 4 septembre 2016, deux journalistes du Cambodia Daily sont arrêtés à Phnom Penh, dont le premier lors d’un raid de la police en pleine nuit.

La dernière une du Cambodia Daily, “Descente en pleine dictature”.

Accusés d’incitations au crime, d’espionnage mais aussi, par Hun Sen lui-même, de participer à une machination américaine pour renverser l’État. Une charge que le premier ministre réitérera contre des opposants politiques. Pour cette raison, il a fait adopter au parlement un amendement permettant au gouvernement de dissoudre ses rivaux politiques. En outre, au moins 3 opposants politiques ont été arrêtés ; d’autres sont partis en exil, à l’image de Sam Rainsy, ancien président du parti d’opposition Parti du Sauvetage National et actuellement réfugié en France.

Le premier ministre et chef du Parti du Peuple Cambodgien n’hésitera pas à se justifier au sujet de ces nouvelles mesures lors de son discours pour l’anniversaire de la chute des Khmers rouges, le 7 janvier 2018 : pour celui qui est au pouvoir depuis 33 ans, cette politique vise tout simplement à « protéger la démocratie ». Dès novembre 2017, face au risque de sanctions internationales, Hun Sen rend visite à son plus gros donateur, la Chine. Il faut savoir que le Cambodge est un des pays qui reçoit le plus d’aides au développement ; mais que ces dernières années, ce pays encore pauvre malgré une croissance toujours plus forte (+7 %) s’est détourné de ses donateurs historiques (la France et les États-Unis). Un virage économique qui s’accompagne d’un alignement sur la politique internationale menée par Pékin, notamment dans le dossier sensible des mers méridionales.

Pour Samdech Hun Sen, qui est de plus en plus souvent surnommé « Sadam Hun Sen » en référence au dictateur irakien, l’opposition populaire grandissante est un problème non négligeable qui exige des solutions radicales. En juillet 2016, le commentateur politique Kem Ley, opposant politique au Parti du Peuple Cambodgien, est tué de deux balles dans une station-service à Phnom Penh. Un assassinat politique qui générera un grand émoi à travers le pays, des dizaines de milliers de personnes participant à une grande marche. Un marcheur interviewé par le Phnom Penh Post dira :

« Kem Ley était l’homme le plus important du Cambodge car il parlait de ce qui était noir et de ce qui était blanc. La liberté, c’est quand les gens s’expriment, et il était un exemple pour nous. »

Depuis 2000, trois activistes ont été assassinés au Cambodge, dont un activiste écologique et un leader syndicaliste.

En 2017, 40 % du peuple khmer s’informait via Facebook. Dans ce pays où la moitié de la population a moins de 20 ans, l’information a toujours trouvé un chemin grâce aux réseaux sociaux. Des pages et médias alternatifs ont émergé, leur salut revenant notamment aux journalistes-citoyens qui offraient un regard neuf et indépendant. Mais, pour des raisons bassement lucratives, ces outils de libération sont aujourd’hui devenus les garde-fous du régime autoritaire.

Facebook est-il conscient de faire le jeu des dictatures ?

Lors d’un test à travers 5 autres pays (Bolivie, Guatemala, Serbie, Slovaquie et Sri Lanka), la plateforme a décidé d’instaurer la fonctionnalité « Explore ». Sur le fil d’actualité principal, seuls les organes officiels et sponsorisés persistent, reléguant les contenus d’information indépendante dans un espace dédié et peu accessible, une sorte de « second fil d’actualité ». Une véritable catastrophe pour la presse libre. Ainsi, depuis l’arrivée d’Explore, le Phnom Penh Post, dernier média indépendant du pays, a perdu 45 % de ses lecteurs et vu son trafic baisser de 35 %. Le journal parle de « mauvaise nouvelle pour le Cambodge »,

Cette fonctionnalité va « pénaliser les ONG et journaux indépendants même si on les like (…) alors que les élections approchent »

Ainsi, pour avoir accès à la même audience qu’avant, il faut dépenser de grosses sommes d’argent, ce qui est impossible pour un média indépendant. Résultat : 85 % des lecteurs de journaux cambodgiens sont aujourd’hui aspirés par quatre titres, dont les dirigeants sont tous affiliés au clan Hun Sen.

Malgré les effets d’annonce, la mise à jour de Facebook ne semble pas non plus lutter contre les faux comptes. En 2018, la page du premier ministre cambodgien a généré près de 60 millions de clics avec des pics de like à 10 millions, ce qui le place en troisième position mondiale derrière Donald Trump et le premier ministre indien Narendra Modi. Une popularité forcément factice puisque le petit pays ne rassemble que 15 millions d’habitants, et que l’accès à internet concerne surtout les jeunes. Afin de prouver que Hun Sen a acheté des millions de « j’aime » à des fermes à clics en vue des élections, l’ancien chef de l’opposition a déposé un recours au tribunal fédéral de San Francisco contre Facebook.

Le Cambodge est au 132ème rang sur 180 pour la liberté de la presse, selon le classement de RSF en 2017. Une place qui devrait fortement reculer cette année (voir le rapport ici). Au pouvoir depuis 1985, l’ancien soldat khmer rouge a placé sa famille à la tête des plus grandes entreprises publiques et privées du pays. Ainsi, sa fille Hun Mana règne sur 22 firmes et détient un capital évalué à 66 millions de dollars en 2015 selon le Phnom Penh Post. Alors que dans le pays on estime à 50% la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté (1 $ par jour), la famille Hun Sen est officiellement à la tête d’un empire capitalisant au moins 200 millions de dollars. Pour le journal, il ne s’agit que de la partie émergente de l’iceberg, car elle disposerait de nombreux prête-noms.

Des chiffres qui indignent le peuple : Manifestations fortement réprimées, contestation grandissante, la jeunesse s’organise

« Est-ce que quelqu’un oserait lancer une révolution de couleur avec moi ? Un jour, dans un futur proche, je lancerai une révolution de couleur pour changer ce régime vulgaire. Même si je suis emprisonné ou si je meurs, je dois le faire », avait écrit un étudiant cambodgien sur Facebook. Il sera condamné à 1 an et demi de prison ferme. D’autres, étudiants eux aussi pour la plupart, subiront le même sort pour leurs publications sur des réseaux sociaux. Les plus jeunes sont particulièrement visés : en 2013, ils avaient voté majoritairement en faveur de l’opposition aux législatives. Élections remportées frauduleusement par le parti de Hun Sen selon cette même opposition.  En 2016, un sénateur cambodgien issu de ses rangs a écopé de sept ans de prison pour avoir publié sur Facebook un faux document sur la frontière entre le Cambodge et le Vietnam, dont les limites restent aujourd’hui encore controversées. Hong Sok Hour, qui est aussi citoyen français, a été condamné pour « falsification de documents publics, utilisation de faux documents et incitation au chaos ».

Le Roi est mort, vive le premier ministre !

2012 reste dans l’histoire du pays l’année de décès du monarque Norodom Sihanouk, figure charismatique qui représentait le Cambodge depuis plus de 50 ans à l’international. Pour certains historiens, ce qui le liait au premier ministre était une alliance politique : Hun Sen dirigeait le pays, Sihanouk siégeait sur le trône. À la mort de ce dernier, le fils Sihamoni est rentré de France où il était ambassadeur a l’UNESCO, son père ayant abdiqué quelques années avant de mourir. Totalement apolitique, passionné de danse et nostalgique du Marais, c’est à contrecœur que le nouveau monarque Sihamoni siège aujourd’hui dans le Palais. Pour David Chandler, historien spécialiste du Cambodge,

« Sihamoni n’a aucune liberté d’action (…) Il est admirable et astucieux mais sans ambition. Il n’a jamais voulu être roi. Hun Sen, par précaution, l’a grosso modo enfermé dans une boîte ».

Et Virak, président du Centre cambodgien pour les droits de l’Homme (CCHR), souligne : « Hun Sen est maintenant plus puissant que jamais ». Selon l’historien Hugues Tertrais, « Hun Sen pourrait être une sorte de Sihanouk sans titre. Il a résisté à toutes les époques et toutes les transformations ». Une démarche royaliste que le premier ministre assume : il n’hésite pas à se faire représenter par un de ses deux fils à certains événements politiques. Car avec ces derniers, pour Hun Sen, la relève est assurée (Hun Manet est général et Hun Mani est député). Le premier ministre avait déjà annoncé que le pays allait sombrer en guerre civile s’il n’était pas réélu, aujourd’hui il espère encore rester au moins une dizaine d’années au pouvoir, et ensuite imposer sa dynastie.

Dans ce petit pays d’Asie où tous les intellectuels ont été massacrés par les Khmers rouges, l’espoir démocratique n’aura pas longtemps survécu. Missionnaire du peuple et contre le peuple, Samdech Hun Sen avance. Avec pour meilleur allié politique la Chine et pour plus fidèle serviteur Facebook. Les médias en laisse, il n’a rien à craindre. Au Cambodge, le monarque absolu, c’est lui.

Crédits photos : portrait Hun Sen, ©T. Ehrmann, Flickr

 

Chili : le Frente Amplio rebat les cartes du jeu politique

Chili, Valparaíso, le 19 novembre à 20h, QG de Revolución Democrática, l’une des principales composantes de la coalition de Gauche radicale Frente Amplio. Alors que les premières estimations laissaient présager un ticket d’entrée au second tour pour la candidate du Frente Amplio Beatriz Sánchez, le candidat de la Nueva Mayoría Alejandro Guiller, coalition chapeautée par le Partido socialista avec l’appui du Partido communista, creuse l’écart à mesure que progressent les dépouillements. Avec 22,7% des voix, c’est lui qui affrontera le milliardaire et ancien Président de Droite Sebastian Piñera au second tour. Les visages se crispent. Débute désormais l’attente d’autres résultats tant attendus en ce jour de quadruples élections : celles du Président de la République, des députés, des sénateurs et des conseillers régionaux.

20h30, à la surprise générale, les résultats annoncent que Juan Latorre, candidat de Revolución Democrática pour le Frente Amplio, est élu sénateur dans la région de Valparaíso. A deux pas du QG, un point presse est improvisé devant le Congrès. La joie des militants résonne aux abords du vaste monument érigé sous la dictature. Juan Latorre ne tarde pas à se remettre en ordre de marche pour une première prise de parole face aux médias. Certes, Beatriz Sánchez n’est pas au second tour, mais en à peine 11 mois d’existence, le Frente Amplio est parvenu à arracher une troisième place confortable avec 20% des voix, mettant fin à un bipartisme qui n’avait rien d’une fatalité. En décrochant plusieurs élus dans l’ensemble du pays, le tout jeune mouvement gagne une visibilité politique inespérée. Aux côtés du nouveau sénateur, le candidat député Jorge Brito prend à son tour la parole. Il ne sait pas encore qui de lui ou de Jorge Rauld, candidat du Movimiento Autonomista pour le Frente Amplio, sera élu, mais peu importe. Le message à faire passer ce soir est celui d’une victoire commune qui dépasse les intérêts particuliers des différentes organisations qui composent le mouvement.

Point presse des candidats de Revolución democratique pour le Frente amplio, Juan Latorre (élu sénateur) et Jorge Brito (élu député)

Alors qu’il commence à se faire tard, les tendances ne laissent plus de doutes, Jorge Brito est élu député. Dans le QG on laisse exploser la joie, ce ne sont pas moins de 20 députés et un sénateur que le Frente Amplio remporte ce soir.

Jorge Brito élu député

Quelques rues plus loin, dans le QG de Jorge Rauld, l’ambiance est morose : lui ne sera pas élu député. Si on ressent la tristesse dans le ton, il rappelle face à ses camarades que l’horizon politique qui s’ouvre ce soir est une opportunité inédite pour enraciner le mouvement et faire gagner la justice sociale au Chili. Au loin, des klaxons résonnent, une partie du Frente Amplio et de Revolución Democrática se réunissent sur la Plaza Victoria pour fêter la victoire. A cette heure tardive un dimanche soir la place est déserte, mais qu’importe.

Jorge Brito, Juan Latorre, le mime Tuga et les militants-es du Frente Amplio après leur victoire

« Cette élection va changer le visage du Chili à tout jamais » clamait encore la veille Jorge Sharp. Le jeune maire de Valparaíso, créateur du Movimiento Autonomista et membre du Frente Amplio, a joué un rôle de premier ordre dans la campagne. Bien que la course à la Moneda s’arrête au premier tour pour Beatriz Sánchez, un événement politique majeur vient de se jouer ce soir. La brèche ouverte en 2016 par l’élection d’une mairie citoyenne à Valparaíso s’est aujourd’hui élargie à l’ensemble du pays. Les perspectives sont ouvertes et les militants du Frente Amplio entendent bien devenir la principale alternative politique au prochain Président, se tenant prêts à gouverner à tout moment.

Les militants-es de Revolución democratica, organisation membre du Frente amplio, fête la victoire Plaza Victoria

En attendant le 17 décembre prochain et le second tour, le Frente Amplio compte se faire entendre auprès de Guillier si ce dernier souhaite recevoir son soutien. La campagne de la Nueva Mayoría n’a pas brillé par sa clarté politique et programmatique, et s’il est clair pour le mouvement qu’il faut participer à la défaite de la droite conservatrice de Piñera, il ne saurait donner un blanc-seing au candidat socialiste. Les cartes sont à nouveau battues, le Frente amplio tire son épingle du jeu, désormais il faudra compter avec lui.

D’autres images de la journée ici

Par Jim Delémont.

Élections régionales au Venezuela : discrétion et embarras dans la presse française

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Alors que l’élection de l’Assemblée nationale constituante en juillet dernier avait fait l’objet d’une intense couverture médiatique pendant plusieurs jours en France, les élections régionales qui se sont tenues la semaine dernière n’ont pas fait les gros titres de la presse hexagonale cette fois-ci. Est-ce parce que l’opposition y a largement participé et que la campagne et les élections se sont déroulées dans le calme, la thèse de la « dictature chaviste » se voyant ainsi invalidée ? Ou bien est-ce parce que la victoire de la coalition au pouvoir contredit le récit médiatique majoritaire d’un peuple tout entier dressé contre Maduro ? Éléments de réponse.

A la surexposition médiatique, succède le strict minimum journalistique

Rétrospectivement, la couverture médiatique de l’élection de l’Assemblée constituante était d’une toute autre intensité. Avalanche de dépêches, reportages court, moyen et long format, « éclairages » et débats en plateau, titres choc en manchette, interviews, articles de décryptage, photos reportage, tweets enragés d’ « intellectuels engagés » … Le Venezuela et sa constituante auront l’honneur de faire la une de Libération. Tout y est passé pour une couverture médiatique maximale de l’élection de l’Assemblée nationale constituante. L’instrumentalisation du Venezuela à des fins de politique intérieure était à son comble du Front national jusqu’à l’Elysée : il s’agissait de faire d’une pierre, deux coups en diabolisant le Venezuela bolivarien et la gauche de transformation sociale en France (FI, PCF). Un phénomène que l’on a pu observer également en Angleterre avec Corbyn, en Espagne avec Unidos-Podemos, etc. Il faut dire que la frange la plus radicale de la droite vénézuélienne avait alors renoué avec la stratégie insurrectionnelle des « guarimbas ». Une flambée de violence dont les médias, dans leur grande majorité, imputaient la responsabilité au gouvernement accusé d’organiser la répression contre ce qui était présenté comme une insurrection populaire. En réalité, une stratégie de violence d’extrême-droite qui n’avait rien de spontané et qui suscitait alors l’indulgence de la presse hexagonale comme nous l’avions illustré dans un précédent article à relire ici.

 

Nous pouvions donc raisonnablement nous attendre à ce que les médias de masse accordent au moins la même attention aux élections régionales au Venezuela. Un pays accusé d’être une dictature qui organise des élections régionales auxquelles l’opposition, dans son immense majorité, participe : en voilà un scénario qui aurait de quoi susciter l’intérêt d’éditorialistes et de journalistes si soucieux des droits de l’homme et de la démocratie. N’ont-ils pas à cœur de vérifier la validité de leurs thèses sur la dictature vénézuélienne et de répondre à ceux qui, « idéologiquement aveuglés », les contestent ? Où sont donc passés les Enthoven, Naulleau et autres chevaliers blancs du tweet ?

Une élection reléguée au second plan dans les médias français

Bien entendu, la plupart des grands quotidiens et hebdomadaires ont relayé les résultats des élections régionales et la victoire de la coalition chaviste qui remporte 18 gouvernorats sur 23. Cependant, les articles consacrés à l’événement électoral sont souvent des reprises de dépêches AFP ou Reuters ou, tout du moins, ils en adoptent le ton très factuel. Nous sommes loin des unes, des manchettes et des articles exhaustifs de l’été dernier. Pas de reportages non plus sur les chaînes d’information suite aux élections. Des reportages ont en revanche été diffusés par certains journaux télévisés et chaines d’information un peu avant la tenue des élections afin de rappeler à leur manière les enjeux du scrutin. La veille du vote, le présentateur de BFM TV introduit un reportage intitulé « Au pays du chaos » par ces mots : « La dictature ou la démocratie, c’est pour résumer l’enjeu de l’élection de demain au Venezuela. » Même ton pour le JT de 13 heures de TF1 qui consacre un reportage au système D dans le pays caribéen le même jour. L’élection passée, les téléspectateurs devront se contenter des bandeaux d’alerte info en bas de leur écran pour savoir si le Venezuela a fini par basculer dans la dictature ou non. Jean-Luc Mélenchon invité au 20h de TF1 le lendemain des élections n’a pas été interrogé sur le sujet. Ni les autres représentants de la France Insoumise ou du PCF invités dans les médias dans le même laps de temps. Etrange … Les députés de la FI avaient dû faire face à de nombreuses injonctions médiatiques à condamner le « régime» vénézuélien l’été dernier. Décidément, la couverture médiatique des élections régionales n’est pas de la même ampleur.

L’information mise en avant : l’opposition conteste les résultats

Cartographie des résultats officiels publiés par le Conseil National Electoral (CNE) : le PSUV et ses alliés réunis au sein du Gran Polo Patriotico (GPP) remportent 18 Etats ; la coalition de droite (Mesa de Unidad Democratica – MUD) en remporte 5. Source : site internet du PSUV

Les articles insistent presque tous sur le fait que la coalition d’opposition (MUD) conteste les résultats et ce, jusque dans leurs titres. Libération titre sur « la victoire et des soupçons pour Maduro ». Pour l’inénarrable Paulo Paranagua  du Monde, « le pouvoir s’attribue la victoire aux élections régionales, l’opposition conteste ». Pour Courrier international, c’est une victoire écrasante mais contestée du parti au pouvoir. Même son de cloche pour LCI et ainsi de suite.  Ce que ces articles taisent, c’est qu’en 18 ans de révolution bolivarienne, l’opposition a contesté tous les résultats des élections … qui lui étaient défavorables. A l’instar de Laidys Gomez, nouvelle gouverneure d’opposition de l’Etat du Táchira, qui s’était empressée de reconnaitre sa très large victoire face au gouverneur chaviste sortant pour ensuite contester les résultats dans le reste du pays. C’est « le folklore habituel destiné aux médias internationaux et aux chancelleries » juge, tranchant, Benito Perez dans les colonnes du quotidien suisse le Courrier (classé à la « gauche de la gauche »).

Un florilège de titres que l’on pouvait lire dans la presse française au lendemain des élections.

Les chavistes ont, quant à eux, tout de suite reconnu leur défaite dans tous les Etats remportés par l’opposition incluant des zones stratégiques comme le Táchira, frontalier avec la Colombie. Par ailleurs, Henri Falcon, gouverneur d’opposition sortant en quête d’une réélection dans l’Etat de Lara a reconnu sa défaite en dépit de la position officielle adoptée par la MUD. Même scénario dans l’Etat de Carabobo où le candidat de droite a reconnu la victoire de son adversaire chaviste. Ce qui a bien moins été relayé également, c’est l’avis rendu par le CEELA (Conseil des Experts Electoraux Latino-Américains) et ses 1300 observateurs déployés dans tous les pays pour suivre l’élection, par la voix de son président lors de la conférence de presse de présentation du rapport final de leur mission d’accompagnement : « les élections se sont déroulées dans le calme et dans des conditions en tout point normales, aucun incident n’est à déplorer et le vote reflète en conséquence la volonté des citoyens vénézuéliens. » Le président du CEELA, Nicanor Moscoso, a en outre précisé qu’au terme des 12 audits de chacune des phases du processus électoral auxquels les représentants de tous les partis politiques en lice étaient étroitement associés, le document final a été signé par tous les partis de la coalition chaviste (GPP) et de la coalition d’opposition (MUD), le jugeant donc conforme.

En outre, les articles proposant une véritable analyse des raisons d’un tel résultat ou à défaut avançant ne serait-ce que quelques éléments, ne sont pas légion. Ainsi, pour les Echos, reprenant Reuters, les chavistes remportent l’élection « par surprise ». Surprise, magie, hasard sont rarement les ingrédients d’une élection … Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique Latine qui nous avait accordé un long entretien sur le pays caribéen, avance, quant à lui, quelques éléments d’analyse, d’abord sur les réseaux sociaux puis dans un entretien sur le site de l’IRIS : « Comme en 2015 pour le chavisme (lors élections législatives), l’opposition vient de connaître un « trou » électoral parmi ses électeurs. Une bonne partie des classes moyennes et supérieures urbaines s’est abstenue. […] Cette tendance semble indiquer que le vote est venu sanctionner les événements de l’année et leurs responsables. […] Ils invalident les stratégies de la tension et de la violence développées ces derniers mois. » Peut-être qu’une analyse approfondie des résultats du scrutin s’apparenterait alors à une remise en question pour tous ces médias qui ont depuis longtemps pris fait et cause pour l’opposition vénézuélienne, y compris pour sa frange la plus radicale. Peut-être aussi que la presse française dominante aurait été plus loquace si l’issue de l’élection avait été favorable à l’opposition. Jack Dion, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, livre ses réflexions sur son compte Facebook : « Une présumée dictature qui organise des élections avec des opposants en lice, c’est déjà une surprise. Une opposition battue alors que tous les médias la donnaient archi favorite, c’est encore plus étrange. Moralité : la réalité du Venezuela est plus complexe que les raccourcis en vogue, d’où qu’ils viennent. » A méditer …

La droite vénézuélienne est aujourd’hui profondément divisée quant à l’attitude à adopter entre ceux qui, à l’instar des quatre nouveaux gouverneurs du parti Acción Democratica qui ont prêté serment devant l’Assemblée nationale constituante puis ont rendu visite à Nicolás Maduro à sa résidence officielle de Miraflores, semblent jouer l’apaisement et le dialogue, ne serait-ce que temporairement, et d’autres qui prônent la ligne dure comme Henrique Capriles qui a décidé de quitter la coalition en dénonçant la « trahison » d’Acción Democratica, la grande gagnante de ce scrutin au sein du camp antichaviste. La presse française standardisée se montre assez peu diserte sur les dissensions de l’opposition comme Libération qui se contente de relayer une dépêche AFP qui explique en creux que pour comprendre les échecs et les fractures de la droite vénézuélienne, c’est du côté des chavistes et de leur « plan d’accaparer le pouvoir pour toujours » qu’il faut chercher. Sur les ondes de France Inter, Anthony Bellanger, l’ex-directeur de l’information de Courrier international aujourd’hui chroniqueur éditorialiste aux Inrocks,à BFM TV et à France Inter, livre à peu près la même analyse : « On n’est plus à l’époque soviétique où les dictateurs remportaient 99,8% des voix. On gagne les élections, il ne faut pas exagérer, mais on perd un peu de terrain, pour ne pas être ridicules. » Si dictature il y a, celle-ci n’aurait aucun intérêt à livrer à l’opposition des Etats aussi stratégiques que le Táchira, le Mérida ou le Zulia, principale zone pétrolière du pays, à la frontière avec la Colombie et ayant manifesté par le passé des velléités sécessionnistes comme le rappelle le journaliste indépendant Maurice Lemoine spécialiste de l’Amérique Latine et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique dans un article publié par Mémoire des Luttes. Juan Pablo Guanipa, élu gouverneur du Zulia est le seul nouvel élu à avoir refusé de prêter serment devant l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ; il n’a par conséquent pas pu prendre ses fonctions, contrairement à ses quatre autres collègues de l’opposition, et de nouvelles élections seront organisées en décembre. En tout cas, aucune remise en cause conséquente de l’opposition vénézuélienne, de sa stratégie et de sa rhétorique, malgré le désaveu électoral et les profondes divisions, ne semble vraiment à l’ordre du jour dans les salles de rédaction parisiennes.

Qu’est-ce que ce traitement médiatique en dents de scie révèle des relations que la presse française dominante entretient avec le Venezuela ? Loin de vouloir réellement informer sur la situation du pays caribéen, loin de se soucier des droits de l’homme et de la démocratie à Caracas, cette presse proclame inlassablement le mot d’ordre TINA (« There is no alternative – il n’y a pas d’alternative ») et fait le procès sous toutes les latitudes d’une gauche de transformation sociale un peu trop gesticulante à son goût. Toute information en provenance de Caracas qui ne donnerait pas de grain à moudre pas à ce discours ne sera pas mise en avant. C’est manifestement le cas des élections régionales. On préfèrera insister sur le fait que l’opposition conteste les résultats, en omettant qu’elle agit ainsi à chaque défaite électorale depuis 18 ans, plutôt que d’analyser les raisons d’un résultat favorable au chavisme malgré une profonde déstabilisation économique, sociale, politique et géopolitique depuis 3 ans. Et on préfèrera surtout vite passer à une autre « actualité ». Comme, par exemple, la décision du Parlement Européen dominé par la droite de décerner le prix Sakharov à « l’opposition démocratique vénézuélienne » en décembre.

 

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Veillée d’armes au Royaume-Uni : Entretien avec Olivier Tonneau

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Olivier Tonneau, candidat LFI de la 3ème circonscription FAE

Le 19 avril 2017, Theresa May, Première Ministre conservatrice du Royaume-Uni a convoqué une élection anticipée du Parlement britannique pour le 8 juin dans l’espoir de profiter des faiblesses du Labour pour renforcer sa majorité post-Brexit. Cependant, d’après les derniers sondages, Jeremy Corbyn, le leader du Labour, aurait réussi à réduire son écart avec les conservateurs de 19 à 3% en moins d’un mois. Alors que la situation britannique est incertaine, LVSL a rencontré Olivier Tonneau, maître de conférence à l’université de Cambrige et candidat de La France Insoumise dans la 3ème circonscription (Europe du Nord) des Français Etablis Hors de France. Dans cet entretien, il revient sur la situation politique britannique depuis le Brexit et donne son analyse de la campagne électorale en cours.

 

LVSL : Pour commencer, Olivier Tonneau, que pensez-vous du bilan de Theresa May et de sa gestion du Brexit depuis son arrivée au pouvoir en juillet 2016 ?   

Olivier Tonneau : C’est chaotique. J’ai l’impression que personne ne comprend vraiment ce qui se passe autour du Brexit, à commencer par les gouvernants eux-mêmes qui se trouvent plongés dans l’écheveau des négociations européennes sans savoir ni où elles commencent ni où elles s’arrêtent. Pour moi l’analyse est difficile. Si on lit le mémorandum des négociations de l’UE, c’est-à-dire le contenu du mandat donné par l’UE à Michel Barnier pour conduire les négociations autour du Brexit, on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. C’est la même chose du côté de Theresa May dont l’objectif, hormis celui de payer moins d’argent, reste vague.

Le problème c’est que le Brexit est en train de devenir un enjeu central de la campagne des législatives britanniques alors que personne ne contrôle vraiment ce qui se passe. C’est un faux-enjeu sur lequel tout le monde fait des grandes déclarations dépourvues de sens. C’est également un problème que nous —les candidats de la 3ème circonscription des Français Etablis Hors de France—  avons lorsque nous tendons à approcher la question du Brexit comme relevant de notre domaine de compétence alors qu’en réalité tout se joue au niveau européen.

Peut-on dire que le Brexit, en tant que rupture avec le modèle néolibéral européen, a conduit le parti de Theresa May à rompre avec certains éléments libre-échangistes et dérégulationnistes de son héritage Thatchérien ?

La thèse que j’ai soutenue, avant même la tenue du référendum, c’est que le Brexit est l’aboutissement de la logique libre-échangiste de l’UE. En entrant dans l’UE les pays sont poussés à se battre les uns contre les autres en allant vers le moins disant fiscal et le moins de régulation possible. En sortant de l’UE, Theresa May n’a aucune envie d’en finir avec cela. Au contraire les conservateurs voient dans le Brexit la possibilité d’en finir avec les quelques régulations qui pesaient encore sur l’Angleterre. La sortie de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la fin de toute réglementation pesant sur la City et la minimisation des taxes constituent l’agenda post-Brexit des Conservateurs.  Theresa May est donc encore tout à fait dans une approche libre-échangiste.

« Le Brexit est l’aboutissement de la logique libre-échangiste de l’UE »

Le seul aspect où elle semble se démarquer du libre-échangisme c’est sur l’immigration —étant donné que le libre-échange de la main œuvre est aussi un aspect essentiel du libre-échangisme. Mais là encore j’ai du mal à y croire. On voit déjà de nombreuses poussées de la part des entreprises anglaises —notamment dans la restauration—qui menacent de ne plus pouvoir s’en sortir si elles ne peuvent plus exploiter une main d’œuvre bon marché issue de l’immigration. Ça m’étonnerait beaucoup que May aille plus loin dans ce domaine.

De son côté Jeremy Corbyn a entériné, il y a quelques mois, la décision du peuple britannique concernant la sortie de l’Union Européenne. Cette décision, qui a été critiquée au sein du Labour, porte-elle ses fruits aujourd’hui, une semaine avant le vote ?

J’ai peur que non. Le problème du Labour c’est que sa position a été trop ambiguë. Corbyn a hésité entre plusieurs positions. Je connais beaucoup de gens en Angleterre qui étaient pour un « lexit »  [ndlr : un Left-exit, autrement dit un Brexit de gauche] et je pense qu’à cause de la couverture médiatique du Brexit, le « lexit » est passé complètement inaperçu. Pourtant,  il y a beaucoup de gens qui ont voté pour sortir de l’UE sur une base de gauche. Pour ces gens-là, Corbyn était secrètement pour le « lexit », mais ne pouvait pas le dire car il était pieds et poings liés par son appareil. D’ailleurs, c’est aussi ce que pense la droite du Labour qui a reproché à Corbyn de ne pas avoir assez lutté contre le Brexit. Cependant, d’autres défendent que Corbyn était sincèrement pour rester dans l’UE. C’est assez flou. Au final, la justification que le leader travailliste donne désormais pour entériner le Brexit s’appuie sur le « respect de la démocratie ». C’est une justification  fragile parce que  le respect des résultats du vote n’empêche pas de critiquer les conditions dans lesquelles le vote s’est déroulé.  Cela le conduit à occuper une position très faible et mal assumée alors que la campagne actuelle mériterait d’être menée dans la carté.

« Il fallait empêcher l’extrême-droite de récupérer le Brexit […] si Corbyn avait été plus clair sur la question […] aujourd’hui ça porterait ses fruits. »

L’année dernière on parlait beaucoup du Brexit avec des amis de gauche. Beaucoup prônaient le maintien dans l’UE à cause des retombées positives que le « Brexit » aurait pour l’extrême-droite.  Au contraire, pour moi,  le Brexit était une certitude compte tenu des échecs répétés de l’UE lors des consultations populaires qui avaient précédés en Europe. Ce qui importait donc, c’était d’empêcher l’extrême-droite de récupérer le Brexit. Pour cela, il fallait que Corbyn défendent un « lexit ». En fait, il fallait que la situation ressemble à ce qui s’était passé en France après le référendum de 2005 où le « non » progressiste avait permis la recomposition de la gauche. Si Corbyn avait été plus clair sur cette question, il aurait eu beaucoup de mal à l’assumer sur le moment, mais aujourd’hui ça porterait ses fruits. En plus ça aurait permis de précipiter la scission dont le Labour a absolument besoin.

Justement, alors que les derniers sondages montrent que la victoire des travaillistes entre dans le domaine du possible, quelle est la position de Corbyn au sein du Labour et vis-à-vis du vieil establishment blairiste ? Si jamais il l’emportait serait-il en mesure d’imposer son programme à la droite du parti ?

Voilà, c’est toute la question. C’est drôle, durant la campagne de l’élection française tout le monde poussait la candidature de Benoit Hamon ou de Gérard Filoche en disant « c’est le Corbyn Français ». Pour moi c’était justement la raison pour ne pas les soutenir. Mais du coup pour Corbyn, si les intentions de votes continuent de se rapprocher, il va subir une offensive absolument ignoble de la part de son propre parti. Ça risque de lui coûter la victoire. Malgré tout, si jamais il gagne, à mon avis il ne pourra pas gouverner. Les quelques fois où Corbyn a pris des positions audacieuses au Parlement (par exemple contre le programme nucléaire Trident) certains membres de son parti n’ont eu aucune difficulté à rompre les rangs. Une fois au pouvoir, ils n’auront aucun problème à recommencer.

“Corbyn va subir une offensive ignoble de la part de son propre parti.” 

C’est très difficile, bien sûr, ce que Corbyn essaie de faire. Je ne veux pas l’accabler.  Mais à un moment, après la tentative de putsch absolument grotesque qui avait été menée contre lui [ndlr : en juin 2016 la majorité des députés Labour avaient voté une motion de défiance contre Corbyn], il avait été question de profiter de la reconfiguration des circonscriptions électorales pour changer le rapport de force au sein du Labour et mettre les Corbyniens à la place des Blairistes. A mon avis, il aurait fallu faire ça. Il fallait transformer le Labour Party de l’intérieur. Certes, je ne suis pas un politicien travailliste, et peut-être que les choses ne sont pas aussi simples que ça. Enfin tout cela prouve que pour changer les choses en profondeur, il faut faire comme Mélenchon a fait pendant huit ans, c’est-à-dire y passer du temps.

Oui, d’ailleurs, la campagne actuelle de Jeremy Corbyn est-elle influencée par la campagne menée par Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle ? 

On vient déjà d’en voir un signe évident puisqu’ils viennent de sortir un jeux-vidéo, Corbyn Run, qui est un décalque de Fiscal Combat [ndlr: le jeu vidéo de la campagne de Mélenchon]. De même, en lisant le programme du Labour pour les élections, il me semble qu’il y a des idées nouvelles, proches du programme de Mélenchon, et que l’on ne trouvait pas auparavant, comme par exemple, la question de l’échelle des salaires dans les entreprises.

« C’est très bien que Corbyn s’inspire de Mélenchon, mais malheureusement il y a beaucoup de choses qu’il ne peut pas faire en deux temps trois mouvements. Il reste très fragile à plusieurs égards. […] On avait une force de frappe que Corbyn n’a pas. »

C’est très bien que Corbyn s’inspire de Mélenchon, mais malheureusement il y a beaucoup de choses qu’il ne peut pas faire en deux temps trois mouvements. Il reste très fragile à plusieurs égards. Il n’a pas la masse de matériel incroyable que la campagne de Mélenchon a su produire. Il se fait épingler à la télé sur des choses de base, comme le chiffrage de ses mesures, car il lui manque les cinq heures de chiffrages que nous avons eues. Ensuite, quand bien même son programme serait chiffré, il aurait été encore plus important de construire des canaux alternatifs de communication, comme nous avec la chaîne Youtube qui nous a permis de répondre aux attaques de la presse traditionnelle. On avait une force de frappe que Corbyn n’a pas. Sa technique et sa communication ont évolué, mais cela ne suffit pas à emporter une campagne. Prisonnier de son appareil, Corbyn n’a simplement pas eu les moyens de mettre tout ça en place et n’a pas assez travaillé sur le fond. Lors de son élection à la tête du Labour, il y  deux ans, on a parlé de « Corbynomics », d’un renouveau de la pensée économique du Labour : aujourd’hui je me demande ce qu’ils ont fait. Je connais plein d’économistes en Angleterre qui auraient pu contribuer à ce programme. Cela dit, bien sûr, il faut reconnaître que l’élection anticipée ne lui a pas laissé le temps de mettre grand-chose en place.

Sur un plan plus large, comment voyez-vous l’évolution de la situation écossaise et de la situation irlandaise dans les années à venir. L’implosion du Royaume-Uni n’est-elle plus qu’une question de temps ? La victoire du Labour ou des Conservateurs y changerait-il quelque chose ?

Oui ça changerait quelque chose. Je ne sais pas si c’est une question de temps. Quand j’étais en Ecosse il y a quelques jours, j’ai senti une certaine appréhension à gauche. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas fous, ils hésitent entre l’isolation au sein du Royaume-Uni et le massacre au sein de l’UE. Ils ont quand même tous suivis la crise grecque et ils savent que ce n’est pas une perspective réjouissante pour un petit pays de se retrouver seul face à l’UE. Pour nous, c’est des questions qui sont très intéressantes. Si je me base sur ce que disait le SNP au moment du référendum sur l’Indépendance (en Septembre 2014), quand ils imaginaient ce que serait leur stratégie indépendante dans l’UE, ils comptaient s’appuyer sur la rente pétrolière et baisser l’impôt sur les sociétés à 12%. Nous on n’a aucune envie d’avoir encore un paradis fiscal au cœur de l’Europe. Par contre, quand j’étais à Glasgow, il y avait tout un courant à gauche qui justement est critique envers la rente pétrolière et défend le développement des énergies renouvelables. Ces gens-là nous intéresseraient beaucoup plus comme partenaires dans l’UE. Je ne pense pas que l’on puisse savoir aujourd’hui quelles seront les décisions prises en Ecosse et en Irlande. Ils sont pris entre le marteau et l’enclume. Mais, au fond, l’échelle ça ne m’intéresse pas. Que ce soit l’Ecosse, le Royaume-Uni, l’Europe, ça importe peu, la seule chose qui compte c’est si on mène une politique de droite ou une politique de gauche.

Enfin, quels sont, selon vous, les leçons à tirer en France et en Europe de la situation britannique ?

C’est assez évident : il faut se rappeler que quand Mélenchon a quitté le PS en 2009, c’était parce qu’il refusait les traités européens qui mènent l’Europe à l’implosion. Le Brexit c’est l’étape numéro 1 de cette dislocation, que l’on voit s’annoncer avec la montée des extrêmes-droites partout en Europe. Par ailleurs, l’ambiguïté qui plâne autour du Brexit est intéressante.  Beaucoup de gens pensent que la xénophobie est la principale cause du Brexit et que le rejet du néolibéralisme n’a rien eu à voir avec le vote britannique. Même si c’est vrai que ce n’est pas l’Europe qui a imposé le néo-libéralisme en Angleterre puisque les Conservateurs s’en sont très bien chargés tout seuls, ça reste complètement idiot de réduire le Brexit à la xénophobie. Non seulement le dissolvant social qu’est le néolibéralisme débouche facilement sur des politiques xénophobes, mais, en outre, pour que le Royaume-Uni reste dans l’UE encore eût-il fallu que la gauche puisse défendre l’UE. C’était impossible car cette Europe néolibérale est indéfendable. Au bout du compte, la seule base sur laquelle on puisse redonner envie d’une Union en Europe c’est une base de gauche : c’est la gauche qui peut redonner envie d’Europe, mais ça ne sera pas possible si l’Europe ne change pas.

“Il existe une gauche britannique et il y aura de quoi faire avec elle pour rebâtir une Europe intéressante” 

Il y a une gauche au Royaume-Uni. Mon premier engagement de terrain ça a été dans la People’s Assembly Against Austerity, montée en 2013 par Ken Loach et Owen Jones. Ça a été un puissant mouvement de fond, que l’on retrouve aujourd’hui dans Momentum, le réseau militant de Corbyn au sein du Labour. Quoiqu’il arrive à Corbyn et quoiqu’il arrive à l’avenir, il existe une gauche britannique, et il y aura de quoi faire avec elle pour rebâtir une Europe intéressante.

Entretien réalisé par Paul Malgrati pour LVSL. 

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Sur le même sujet : 

Royaume-Uni : Corbyn joue quitte ou double le 8 juin. 

L’Ecosse, l’Europe, l’indépendance : ou comment jouer à cache-cache avec l’histoire.

 

 

La fin de l’étiquette “gauche”

Montage comparant l’esprit des campagnes de 2012 et de 2017.

Non plus « rassembler la gauche » mais « fédérer le peuple » : tel fut le principal mouvement stratégique de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Comparé au discours hamoniste, attaché à l’étiquette « gauche » comme au premier des talismans, le slogan de la France Insoumise semble avoir porté ses fruits et convaincu un électorat jeune et populaire jusqu’alors inaccessible. Compte tenu du point de départ de 2012 et de la primeur du tournant « populiste », ces résultats sont remarquables. Toutefois, ils n’ont pas suffi pour l’emporter. L’une des raisons de cet échec réside probablement dans l’incapacité de la campagne de Mélenchon à s’être complètement émancipée du qualificatif “gauche”.  Sans abdiquer une seule idée, il est temps, une bonne fois pour toutes, d’abandonner une imagerie et un terme confus et éculé. 

« Vive la République, et que demain vive la gauche ! ». Ainsi Benoit Hamon a-t-il conclu son discours après l’annonce des résultats du premier tour. La mention, onze fois répétée, du mot « gauche » dans cette intervention de quatre minutes est à l’image d’une campagne dont le principal leitmotiv fut de justifier une identité mise à mal par le quinquennat de François Hollande et de rassembler les morceaux déchirés d’une vieille photo de famille, dont d’aucuns crurent que le nom portait encore un sens après maints divorces et enterrements. La grande illusion de Benoit Hamon fut de croire que la « gauche » pouvait être sauvée, que le souvenir de « ceux qui ont lutté pour la gauche dans l’histoire », combiné à un discours innovant en matières écologiques et sociales suffiraient à sauver les meubles et rassembler les troupes. Il s’est trompé. Les résultats, dans leur évidente crudité, sont là pour en témoigner.

Benoit Hamon lors du lancement du M1717 ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

Cependant, l’illusion de Benoit Hamon tient moins de l’héroïsme historique des derniers carrés que du retard piteux du Maréchal Grouchy. Car, à vrai dire, une campagne menée à coups d’appels au cœur immaculé d’une certaine gauche de combat et étayée par des propositions innovantes, à même de renouveler l’idéal socialiste par un programme écologiquement rigoureux, n’est pas une première en France. Ce fut déjà la forme et le contenu de la campagne de Mélenchon en 2012, dont les trois mois de gesticulations hamonistes n’ont été que la pâle et retardataire copie.

De la « vraie gauche » au Peuple

« Le drapeau rouge et le rouge du drapeau », tels furent, selon les mots de Mélenchon, les emblèmes de la campagne de 2012. Le poing levé, les paroles de l’Internationale, les hardis faubourgs et « l’usine » des Lilas, le souvenir des barricades et des vieilles gloires révolutionnaires, l’enthousiasme pour une France rouge un temps perdue et enfin retrouvée : telle fut la geste de 2012. Elle réunit quatre millions de voix. Inouï, après 23 ans d’une défaite historique, dont on croyait, depuis 1989, qu’elle avait à jamais enterré l’avenir d’une gauche digne de ce nom, le score de 2012 reflétait toutefois bien plus la réunion d’une vieille famille qu’une véritable capacité à prendre le pouvoir. A l’évidence, les nouvelles idées éco-socialistes du Front de Gauche, qui avaient enfin renouvelé le corps idéologique de la gauche radicale, avaient échoué à convaincre le grand nombre. Seuls 16% des jeunes, 14% des ouvriers et 12% des employés s’y étaient montrés sensibles, contre respectivement 18%, 29% et 21% pour Marine Le Pen.

En ce sens, la campagne de 2012 fut une campagne identitaire. Son objectif historique fut moins de l’emporter aux élections, but qui semblait au demeurant inaccessible, que de démontrer la vivacité d’une gauche de combat, capable de regarder droit dans les yeux le siècle à venir et le siècle passé. De ce point de vue, elle fut une réussite.

Cependant, la réussite indiquait immédiatement une limite : la « vraie gauche » avait gagné des couleurs mais pas de victoire. Les élections qui suivirent devaient le rappeler avec une cruelle insistance. Le mot « gauche », répété avec une véhémence jalouse aux élections municipales et régionales, s’éreintait au fur et à mesure que la cristallisation identitaire de 2012 s’émoussait et que Hollande trahissait.

Vint alors le tournant stratégique que l’on connaît. Les reniements de Tsipras éloignaient le modèle du cartel de parti et la naissance de Podemos inspirait la création d’une organisation plus souple ainsi que la diffusion d’un message à la fois radical et transversal, c’est-à-dire sans étiquette. Ne pas rassembler la gauche mais « fédérer le peuple » : le mot d’ordre fut lancé pour la première fois le 24 aout 2014, lors de l’université d’été du Parti de Gauche.

Cette nouvelle stratégie signait la fin de la démarche identitaire du Front de Gauche. Le temps était venu de parler à tout le monde, au Peuple, et de transformer l’identité minoritaire de 2012, celle de la « vraie gauche enfin rassemblée », au mouvement à vocation majoritaire du « Peuple insoumis », en lutte contre l’oligarchie et ses petits maitres.

Une étiquette inutile

Le pari a en grande partie fonctionné. Le programme radical « L’Avenir en Commun », qui, sur le fond, est resté comparable à celui de 2012, « L’Humain d’abord », a su convaincre bien au-delà des rangs originels du Front de Gauche. Cela peut s’expliquer par la capacité de la France Insoumise à avoir remplacé la tautologie identitaire (« ce programme est vraiment de gauche car nous sommes la vraie gauche ») par une tautologie majoritaire (« ce programme est populaire car nous sommes le peuple »). De la même manière qu’il est absurde de sous-titrer un film joué dans sa langue natale, il n’a pas été nécessaire d’égrener le chapelet de la « gauche » pour que les bons s’y retrouvent. 80% des électeurs du Front de Gauche en 2012 et 24% des électeurs de Hollande se sont reportés sur la candidature de la France Insoumise. Par ailleurs, l’abandon de la posture identitaire a permis à des groupes sociaux pour lesquels la « gauche » inspirait de l’indifférence — sinon du mépris — de trouver une fraîcheur et une ouverture inédites dans le discours de Mélenchon. Ainsi, 30% des jeunes, 24% des ouvriers et 25% des foyers en-dessous de 1250 euros de revenu, soit près du double de 2012, se sont déclarés en état d’insoumission.

Alors que Benoît Hamon chantait la gloire et l’union de la « gauche », la campagne de Mélenchon a réalisé une trouée historique sans précédent pour une force radicale de transformation institutionnelle et sociale en France depuis le score de Jacques Duclos en 1969 (21.2%). Aucun drapeau rouge, aucune Internationale,  aucun poing levé ne fut pourtant fondamental pour la réalisation d’une telle prouesse. En revanche, l’adhésion au tricolore, l’incarnation par Jean-Luc Mélenchon de l’autorité morale de l’Etat et le refus intégral de tout mépris à l’égard de ceux qui ne partageaient pas les codes historiques de la France rouge y contribuèrent de façon essentielle.

Voici donc l’une des grandes leçons de la campagne de 2017 : la revendication du terme « gauche » et de ses oripeaux historico-culturels sont devenus inutiles à la progression d’un programme de transformation sociale.

Une étiquette encombrante

Plus problématique, en revanche, est cette deuxième leçon : non seulement le mot « gauche » est devenu inutile, mais, tout au long de la campagne, il s’est révélé piégeur et encombrant.

Alors que Jean-Luc Mélenchon avait laissé de côté le mot et les symboles associés à la « gauche », ses adversaires politiques, ainsi que les médias dominants, n’ont pas manqué de lui recoller l’étiquette dans le dos sitôt qu’il l’eut arrachée de son front. D’abord présenté comme le candidat de « la gauche de la gauche », puis simplement comme celui de « la gauche », Mélenchon fut pêle-mêle accusé de tous les excès révolutionnaires et des impasses du réformisme. Ses adversaires avaient bien compris que l’objectif du tribun n’était plus d’incarner la gauche mais le Peuple. Des procès en castrisme jusqu’en mitterrandisme, tout fut donc entrepris pour qu’il retournât à la case départ. Il fallait que, comme en 2012, Mélenchon clamât le drapeau rouge et la révolution bolivarienne ; il fallait qu’il reperdît son temps à distinguer Robespierre de Staline et 1981 de 1983 ; il fallait qu’il retombât dans le piège identitaire de la « gauche » et de la « vraie gauche ».

Mélenchon sur fond rouge. Montage réalisé par l’émission C à vous le 10 avril 2017.

Mélenchon tint bon, mais le mal fut fait. Dans la dernière semaine de la campagne, l’effort de transversalité populiste, accompli avec maestria lors des débats télévisés, fut rabougri par l’identification externe, imposée par les médias, du candidat de la France Insoumise à la seule « gauche ». Au final, le piège de l’étiquette « gauche » fut en grande partie responsable de la défaite. 

Arracher l’étiquette 

Pour préparer l’avenir il est désormais nécessaire d’immuniser la stratégie “populiste” à vocation majoritaire, mise au jour par la France Insoumise, contre l’étiquetage médiatique et les retours de la gauche identitaire.  De la même manière que le Front National critique en permanence l’utilisation des termes « extrême-droite » (ou même, simplement, « droite ») à son endroit, bien qu’il conserve un programme fondamentalement xénophobe et anti-lumière, les héritiers de la campagne de Jean-Luc Mélenchon devront désormais arracher les étiquettes « gauche » et « gauche de la gauche » partout où ils les trouveront sans pour autant renoncer à la moindre lettre de leur programme.

Associé aux trahisons récentes du réformisme et à l’image ternie des révolutions du XXème siècle, le mot « gauche » n’a, pour l’heure, plus rien de bon à apporter à ceux-là mêmes qui ont grandi en le chérissant. Tout juste apte à qualifier et à comparer objectivement des propositions programmatiques, le terme doit être abandonné comme référent sentimental et identificateur.

 Vers une identité nouvelle

Cela ne veut pas dire, toutefois, qu’il faut se priver des signes, des symboles et de la sensibilité lyrique apportée par la construction d’une identité politique radicale et progressiste. Bien au contraire, si la France Insoumise et ses héritiers parviennent à arracher l’étiquette « gauche », ils seront en bien meilleure position que le Front National pour construire une hégémonie « nationale-populaire », celle que Gramsci voyait comme préalable nécessaire à toute “guerre de mouvement” victorieuse pour les forces du progrès social.

En effet, Marine Le Pen (qu’elle accède ou non au pouvoir) sera toujours en peine d’unifier un peuple français que son programme cherche précisément à diviser. Contrairement aux idées reçues, la xénophobie contient en germe une propension à la guerre civile qui est incompatible avec une véritable stratégie populiste. La désignation d’un ennemi que chacun, chaque jour, peux rencontrer dans la rue ne conduit pas à la construction d’un peuple mais à sa division en partis et en tribus. A l’inverse, la dénonciation d’un adversaire rare, dont la nocivité est bien réelle, dont les adresses sont connues, mais dont les visages ne font pas partie du quotidien de 99% de la population, semble bien plus propice à la cristallisation des affects communs en un mouvement de contestation majoritaire. Cela implique toutefois de dénoncer l’oligarchie non plus comme l’adversaire des seuls « humanistes de gauche » mais comme l’adversaire combiné du Peuple, de la République, de la Nation et de l’Etat.

Jean-Luc Mélenchon lors du meeting du 18 mars place de la République. ©Benjamin Polge

Ces quatre termes peuvent former le noyau de l’identité nouvelle qui fleurira sur les ruines de la « gauche » telle que nous l’avons connue. Le « Peuple » et la « République » furent déjà au coeur de la campagne de Mélenchon. En revanche, la défense de la « Nation » et l’aptitude à diriger « l’Etat » méritent encore d’être mieux revendiqués. Il appartiendra à la France Insoumise d’approfondir l’effort d’incarnation morale, souveraine et régalienne associée à l’exercice du pouvoir. Contre un Front National empêtré dans une définition étriquée du Peuple, et contre un Emmanuel Macron qui ne saurait incarner un Etat qu’il s’apprête à détricoter, il faudra donc ajouter à la tautologie majoritaire de la campagne de 2017 une tautologie nationale (« ce programme est français car nous sommes la France ») et une proposition souveraine (« ce programme est applicable car nous sommes l’Etat »).

Rien ne sert de réveiller les fusillés du Père-Lachaise pour remettre leurs idées au goût du jour. Ce qui compte désormais, dès les législatives, c’est que les continuateurs de la Commune et des « jours heureux » cessent de rappeler le nom de leurs pères et s’attèlent à occuper le centre de gravité du pays — à mi-chemin entre la Bastille et la République, le Panthéon et les Invalides, l’Assemblée nationale et la Concorde.

 

SOURCES :

http://lepeuplebreton.bzh/2015/11/20/n%CA%BCy-a-t-il-aucune-reponse-de-gauche-a-la-lutte-contre-le-terrorisme/
http://www.lejdd.fr/Politique/Qu-est-ce-qui-a-change-entre-le-Melenchon-de-2012-et-celui-de-2017-859433
https://www.youtube.com/watch?v=ncmlXhKlJzc [impression d’écran]
http://img.20mn.fr/0hsVS33DSVOBntlBIeu_8w/2048×1536-fit_benoit-hamon-vainqueur-primaire-organisee-ps-alliees-29-janvier-2017- paris.jpg

Poursuivre la bataille culturelle

Le second tour de l’élection présidentielle verra s’affronter Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les résultats définitifs du premier tour étant désormais connus, il convient de tirer les premiers enseignements de ce scrutin : un mouvement de fond est en cours à gauche. Il s’agit désormais d’amplifier et de poursuivre la bataille culturelle qui a été engagée.

Les acquis de la campagne

Pour justifier le résultat désastreux, mais tout à fait logique, de leur candidat, un certain nombre de responsables socialistes ont mis en avant une campagne où l’on aurait pas parlé du fond, où les affaires auraient primé sur le reste et sur les questions cruciales pour le peuple français. S’il est certain que les affaires ont occupé une partie du débat, il n’en reste pas moins que d’autres thèmes ont été abordés, et que cette campagne a permis de poser, à gauche, des enjeux nouveaux et structurants pour l’avenir.

D’une part, les affaires sont un thème de campagne aussi important que les autres, dans la mesure où elles ont permis de mettre dans le débat public un sentiment partagé depuis longtemps par un certain nombre de Français : la classe dirigeante est corrompue, milieux d’affaires et élites politiques s’entendant systématiquement sur le dos d’un peuple qui voit ses conditions de vie se dégrader peu à peu. L’affaire Fillon, mais aussi les nombreuses sorties indignes de Macron ainsi que les agissements frauduleux du Front National au Parlement Européen ont permis de montrer ce que chacun savait depuis un moment : de gauche ou de droite, les hommes politiques qui nous gouvernent sont avant tout mus par l’appât du gain.

D’autre part, cela a pleinement justifié le tournant populiste opéré par Jean-Luc Mélenchon et son mouvement, la France Insoumise. Toute sa communication reposait sur le fait d’opposer un « nous », le peuple qui trime, à un « eux », une caste corrompue qui s’accroche désespérément au pouvoir. Loin de renier les marqueurs historiques de la gauche, il s’agissait de les adapter à un contexte de nouveau, où les marqueurs sociaux sont de plus en plus flous et où la classe moyenne disparaît. De ce point de vue, le tournant populiste est une réussite au moins partielle : en manque de repères depuis l’affaiblissement du PCF, une partie des classes populaires a pu s’approprier une grille de lecture nouvelle pour penser les antagonismes qui traversent notre société. Le score élevé de Jean-Luc Mélenchon en témoigne, ainsi que celui de Marine Le Pen, mais pour d’autres raisons.

Mais l’autre enjeu structurant qui a émergé au cours de la campagne est celui de la souveraineté nationale et populaire, à travers la question européenne. Les médias dominants, dans leur bienveillance habituelle à l’égard des candidats qui leur déplaisent, ont vivement critiqué l’émergence d’un pôle « europhobe » constitué par Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan et Asselineau. Outre le fait que rassembler ces candidats sous une même étiquette n’a aucun sens puisqu’ils développent des visions bien différentes de la souveraineté et de la Nation (civique pour la France Insoumise, plus ethnique et essentialiste pour la droite et l’extrême-droite), ce prétendu pôle rassemble, d’après les résultats du premier tour, près d’un électeur sur deux. Si le rejet de l’UE prôné par le Front National n’est pas une nouveauté, l’aspect qui nous intéresse ici est la vision européenne portée par la gauche radicale. En effet, on a vu réémerger au cours de la campagne un euroscepticisme de gauche, porté par la France Insoumise, là où là nécessaire reconquête de la souveraineté nationale pour mener une politique de progrès social était devenue, depuis les années 90, un véritable tabou pour une grande partie des mouvements à gauche du PS. Avec le Plan B pour une sortie de l’UE, la parole s’est libérée à gauche, et les idées de souveraineté recommencent à y émerger : c’est le point de départ essentiel d’une lutte efficace pour enrayer la montée de l’extrême-droite.

Quelles perspectives au second tour ?

Pour les électeurs de la gauche dite radicale, les résultats du premier tour ont fait émerger des sentiments contradictoires. D’abord une certaine joie, dans la mesure où Mélenchon a réalisé un score très élevé et semble en passe de réussir à précipiter le PS dans l’abîme. Mais aussi, dans un second temps, une certaine amertume : portés par les sondages, un certain nombre de militants espéraient voir leur candidat et surtout leurs idées au second tour de l’élection présidentielle. Il n’en fut rien. Dès lors, que faire dans un second tour où deux candidats obsédés par l’argent, l’un ultra-libéral et l’autre ultra-réactionnaire, se disputent la première place ?

La réaction de Mélenchon et de la France Insoumise semble saine et juste. En effet, ils n’ont pas cédé aux sirènes usées du front républicain, conscients qu’un appel à voter Macron serait un reniement total de tous leurs engagements passés. Mais ils n’ont pas non plus renvoyé dos à dos Macron et Le Pen : il s’agissait seulement d’affirmer que soutenir le premier favorisait la victoire de la seconde en 2022. Dès lors, les électeurs de Mélenchon sont libres, et seront appelés à se prononcer sur le site internet du mouvement. Toutefois, au-delà des consignes de vote éventuelles que le mouvement pourra donner, un sentiment domine chez ces électeurs : la volonté de ne pas voter Macron, ni Le Pen, afin que le candidat d’En Marche dispose de la légitimité populaire la plus faible possible. Il s’agit donc, par l’abstention ou le vote blanc, d’entamer la lutte et de poser des jalons pour l’après-présidentielle, a fortiori dans la perspective d’élections législatives qui s’annoncent très incertaines.

Les élections législatives seront en effet l’enjeu central des prochaines semaines : de ce point de vue, il s’agira pour la gauche radicale de transformer l’essai, ce qui s’annonce difficile entre un PS en décomposition, un FN en pleine ascension, une droite aux abois et des partisans de Macron qui seront présents partout et portés par le bon score de leur candidat. Sans agiter la vieille marotte de l’unité à tout prix, il faudra toutefois que les diverses forces en présence discutent et parviennent à s’entendre : candidats portés par la France Insoumise, militants communistes, socialistes en rupture avec le PS, sans rien renier des particularités de chacun. C’est à cette condition, en conciliant la dynamique de la France Insoumise et l’ancrage territorial encore fort des communistes, que l’Assemblée Nationale pourra se doter d’un pôle radicalement de gauche, qui pourra faire face aux projets funestes de Macron.

A plus long terme, la nécessité de poursuivre la bataille culturelle

On l’a vu, le logiciel d’une partie de la gauche radicale s’est profondément renouvelé à l’occasion de l’élection, et cela a permis une clarification nette : le Parti Socialiste n’est plus l’élément central de la gauche française, et il va désormais falloir amplifier la bataille pour que les idées de souveraineté, d’anticapitalisme et d’écologie s’imposent définitivement dans l’espace laissé vacant. L’existence d’une gauche forte, sûre d’elle tant sur le plan programmatique que militant sera indispensable dans la nouvelle période politique qui s’ouvre. En effet, la géographie électorale du premier tour montre que la percée de Jean-Luc Mélenchon se fait surtout dans les territoires urbanisés et partiellement dans les quartiers populaires. En parallèle, le FN confirme son ancrage dans les zones périurbaines, plus rurales, et progresse dans une partie des quartiers populaires. Pour reprendre la grille d’analyse proposée par le géographe Christophe Guilluy, on peut dire que la France périphérique reste en partie acquise au Front national, même si Mélenchon semble y avoir progressé.

Il s’agira donc de mettre fin à l’hégémonie idéologique et culturelle du FN dans ces territoires. Pour ce faire, la campagne du premier tour a tracé des pistes qu’il faudra continuer à explorer et à approfondir pour renouer avec tous ceux d’en bas face à la classe dirigeante, y compris dans les territoires ruraux. Il s’agira de continuer à développer une vision de gauche de la République, de l’universalisme, de la laïcité, de poursuivre le travail d’argumentation pour une sortie de l’UE par la gauche, mais aussi de poursuivre les analyses et les propositions en faveur de la ruralité et de l’agriculture. Des chantiers vastes, nombreux, complexes, pour une bataille au sein de laquelle lvsl.fr entend modestement contribuer. C’est à ce prix que l’on fera chuter le libéralisme et l’extrême-droite, pas en allant voter Macron dans deux semaines.

Crédit photo:

https://fr.news.yahoo.com/carte-election-pr%C3%A9sidentielle-d%C3%A9couvrez-r%C3%A9sultats-premier-tour-commune-200402455.html

Election présidentielle : Quel candidat pour les droits des femmes ?

Le premier tour des élections présidentielles arrivant à grand pas, un point sur les propositions des principaux candidats dans le domaine du droit des femmes s’impose. Alors qui propose quoi ?

Ceux qui régressent :

Marine Le Pen – Candidate FN

La citation qui fait mal : « Je n’ai jamais changé de discours sur la question du voile. J’ai dit et je redis que le voile n’a pas sa place dans la sphère publique en France. »

Depuis quelques mois, Marine Lepen ne cesse de prôner un intérêt particulier pour les droits des femmes. Prendrait-elle les féministes à ce point pour des idiotes ? Zoom sur les propositions et les petites manies du FN :

Le FN a pour habitude de ne pas prendre trop au sérieux les violences contre les femmes, ou l’égalité femmes-hommes de façon générale : vote contre les lois sur le harcèlement sexuel, contre la loi proposant des mesures assurant la bonne santé sexuelle des adolescents et adultes, vote contre la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui, entre autre, incitait les pères à prendre des congés parentaux… Rappelons-nous ensuite du rejet du parti face au droit à l’avortement ; Marion Maréchal Le Pen qui souhaite couper les subventions des plannings familiaux, sa tante qui insiste sur un déremboursement des frais d’IVG, etc. Ainsi, les femmes ayant les moyens pourraient avorter mais les plus précaires seraient condamnées à subir une grossesse qu’elles ne souhaitent pas. La candidate et sa nièce parlent « d’avortement de confort » ; expression abjecte laissant entendre que les femmes seraient des irresponsables qui prennent l’avortement pour une simple contraception. Aymeric Chauperade, ayant quitté le FN depuis, est même allé jusqu’à parler de l’avortement comme d’une « arme de destruction massive contre la démographie européenne ».

Dernièrement, Marine Le Pen tentait de modérer ses propos sur le sujet, mais nous n’avons pas la mémoire courte. En 2015, le FN votait contre le projet de modernisation du système de santé, qui consistait à renforcer le droit à l’avortement et supprimer le délai de réflexion de sept jours précédant l’IVG.

Qu’en est-il du programme du FN pour 2017 ?
La « grande proposition » de ce programme concernant le sujet, est celle du salaire maternel. Il s’agirait là d’un revenu que l’on accorderait aux femmes qui restent au foyer pour s’occuper de leurs enfants. Ainsi, le message est clair : dans un pays qui connaît un fort taux de chômage, un retour des femmes dans leurs maisons libérerait de l’emploi. Après tout, leur place n’est-elle pas auprès de leurs enfants, à s’occuper des tâches ménagères et de la cuisine ?

Le programme du Front National s’oppose aussi fortement à la parité, considérée comme une forme de « discrimination inversée ». Le parti et sa candidate assènent régulièrement que la principale menace pour les droits des femmes est la présence de musulmans radicaux en France. Ainsi, on peut facilement deviner que derrière un soudain intérêt pour l’égalité femmes-hommes, en incohérence totale avec les propositions du programme et les habitudes du parti, se cache en réalité une volonté de réprimer le port du voile et, de manière plus générale – ce qui se rapporte à la religion musulmane.

Pour finir, remarquons que beaucoup de sujets ne sont ni abordés ni développés ; c’est le cas, pour ne citer qu’eux, du harcèlement sexuel, des violences conjugales, des possibilités d’hébergements pour les femmes qui en sont victimes, de l’éducation des enfants à l’égalité des genres… Mais qui cela étonne-t-il vraiment ?

François Fillon – candidat Les Républicains

La citation qui fait mal : « […] la France n’est pas un pays à prendre comme une femme ».

Les droits des femmes englobent bon nombre de sujets, mais l’un des premiers qui vient à l’esprit est le droit à disposer de son corps. Quand François Fillon s’exprime sur l’avortement, il est bien difficile d’en dégager une position claire et affirmée. D’abord, il avait dit être « choqué » du terme « droit fondamental » en parlant du droit à l’avortement, puis avait déclaré qu’il ne reviendrait pas dessus, en ajoutant cependant que sa foi et ses convictions personnelles le poussaient à désapprouver un tel droit. Il affirme ne pas vouloir remettre en question le droit avortement mais – à titre personnel – en condamne le recours. Une position ambiguë.
Comme si ça ne suffisait pas, Madeleine de Jessey, secrétaire nationale de LR, et membre de son équipe de campagne, exprime un soutien clair à la Marche Pour la Vie (manifestation qui porte mal son nom quand on connaît le nombre de décès qui suivent un avortement illégal)…

Tweet de François Fillon après les diverses agressions sexuelles de Cologne

Marine Le Pen n’est pas la seule a instrumentaliser les droits des femmes pour mieux attaquer les musulmans. En effet, l’été dernier, Fillon s’était placé en fervent défenseur des droits des femmes pour pouvoir prôner l’interdiction du burkini, vêtement qui a plus été aperçu dans les journaux que sur les plages.
Depuis quand la libération des femmes se fait elle par l’interdiction ? Que l’on puisse considérer que le voile est un outil d’asservissement des femmes est compréhensible – et que l’on lutte pour empêcher l’obligation de le porter dans les pays où elles n’ont pas leur mot à dire est juste – mais nous n’avons encore jamais vu François Fillon lutter contre le port de la minijupe, l’épilation, ou le maquillage, qui sont pourtant aussi des formes de contrôle du corps et d’asservissement des femmes.

Le programme de Fillon pour 2017 comporte la mention d’un « renforcement des dispositifs de signalement du harcèlement sexuel dans les entreprises », qui n’est cependant détaillé nulle part. Si le candidat de Les Républicains semble accorder un minimum d’importances aux violences contre les femmes, il reste difficile de croire en un homme qui promettait, lorsqu’il était encore premier ministre, plus de structures d’accueils pour les femmes victimes de violences… lesquelles n’ont jamais vu le jour.

Celui qui parle pour ne rien dire :

Emmanuel Macron – candidat En Marche

La citation qui fait mal : « Il y a dans cette société [en parlant des abattoirs Gad] une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »

Macron reste particulièrement énigmatique dans l’ensemble de son programme. Mais entre les fillonistes dégoûtés du Penelope-Gate, et les sympathisants de Valls – qui ne voteront pas Hamon – il est déjà bien placé dans la course. Alors pourquoi parler de programme quand on peut si bien profiter d’un concours de circonstances ?
Cela dit, depuis le début de sa campagne le candidat ne cesse de parler de féminisme, d’égalité, et surtout de parité : il énonce par exemple l’importance d’un gouvernement qui respecterait la parité et songe même à donner la place de Premier Ministre à une femme. Néanmoins, on remarquera que les femmes ne se bousculent pas autour de Macron… à part Brigitte Trogneux – son épouse – il n’est entouré presque uniquement que par des hommes. Tout cela ressemble surtout à un « coup de com’ ». Par ailleurs, l’idée de parité existe déjà depuis 1999. Macron voudrait-il donc qu’on l’applaudisse parce qu’il propose de respecter la loi ? Enfin, il ne présente aucune analyse des raisons pour lesquelles la parité puisse être difficile à respecter (éducation des enfants, difficulté pour les femmes d’accéder à des études ou métiers considérés comme techniques, mauvaise répartition des tâches ménagères au sein du couple – qui laisse plus de temps libres aux hommes qu’aux femmes…).

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, il a dit dans son discours : « je crois en l’altérité », cherchant ainsi à glorifier les femmes pour leurs différences, selon l’idée qui veut qu’hommes et femmes soient des êtres qui se complètent. Macron devait être trop occupé à crier au monde son amour pour le féminisme pour effectuer quelques recherches sur la question et s’apercevoir que la différenciation est le premier pas vers la discrimination (qui n’a jamais entendu que, les femmes et les hommes étant différents, il était normal qu’ils aient des droits différents ?). Alors, à son histoire d’altérité et de complétude, répondons lui que les femmes ne veulent compléter personne. Nous ne sommes pas là pour mettre en avant les hommes et rester dans l’ombre !
Gardons aussi en mémoire que la loi Macron, promulguée en août 2015, s’attaque – entre autre – au travail du dimanche, faisant ainsi des femmes (qui occupent majoritairement les emplois concernés) les premières victimes de sa politique. Ainsi, quand Macron nous parle de parité à tort et à travers et s’autoproclame féministe, on a le droit d’être un peu sceptique. 

Ceux qui veulent avancer :

Benoît Hamon – candidat PS

La citation qui fait du bien : « Si une femme décide de porter le voile librement, et bien au nom de la Loi 1905, elle est libre de le faire ».

Avant tout, notons que le bilan du PS en matière de droit des femmes est assez maigre.
Malgré quelques tentatives d’amélioration (les victimes de violences conjugales peuvent conserver le logement même s’il n’est pas à leur nom, l’allongement de l’ordonnance de protection…), le parti a plutôt laissé à l’abandon ce domaine. On peut légitimement se demander comment faire confiance à un homme politique qui porte l’étiquette d’un parti qui a montré peu d’intérêt pour les droits des femmes.

Cependant, Hamon réussi à se démarquer – aussi bien par son attitude que par son programme. On se retrouve enfin face à un candidat qui ne surfe pas sur le féminisme pour légitimer des idéologies anti-musulmanes. L’intérêt de Benoit Hamon pour les droits des femmes s’est noté, par exemple, lorsqu’il s’est prononcé en faveur de la libération de Jacqueline Sauvage.

Son programme, clair et cohérent, prend très au sérieux les violences contre les femmes. En effet, il suggère la création de 4 500 places d’hébergements spécialisés pour les victimes de violences, souhaite que les poursuites soient systématiques, les jugements plus rapides, et veut augmenter le délai de prescription du viol. Pour ce faire, il compte « doubler le budget du ministère des Droits des femmes », annonce-t-il sur Twitter.
Face aux difficultés d’accès à la contraception, Hamon veut multiplier les plannings familiaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le programme semble vouloir répondre aux revendications féministes. En revanche, notons que Benoît Hamon, le 27 juin dernier, était absent lors du vote concernant l’amendement permettant de rendre inéligibles les députés accusés de violences contre les femmes. Il a expliqué cette absence en disant qu’il n’était pas au courant et en accusant les associations féministes de ne pas l’avoir prévenu… N’était-il pas censé se tenir au courant lui-même ?

Enfin, bien qu’il y’ait une volonté de redonner de l’importance aux questions qui concernent les femmes, certaines propositions économiques pourraient – même si ce n’est pas le but recherché – s’attaquer aux femmes. Loin du salaire maternel que propose le FN, le revenu universel pourrait tout de même précariser les femmes et les maintenir dans un rôle de mère au foyer.

Jean-Luc Mélenchon – candidat France Insoumise

La citation qui fait du bien : « il faut que chacun sache qu’il y’a des héros – ça on connaît – mais aussi des héroïnes, auxquelles on peut s’identifier. Vous les garçons, vous pouvez tous vous identifier mais mettez vous dans la tête d’une fille. Elle s’identifie à qui ? Blanche-neige ? »

Les positions de Jean-luc Mélenchon sur le féminisme ne manquent pas de précision ! Lors de son dernier meeting à Rennes, le candidat de la France Insoumise parlait de la représentation des femmes dans la littérature et du manque de personnages féminins. En tant que député européen, il a voté pour un grand nombre de propositions visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes (dont, entre autre, le plan d’action sur l’émancipation des jeunes filles par l’éducation dans l’Union Européenne, la résolution sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes)… Son engagement féministe ne date visiblement pas d’hier, mais qu’en dit le programme de la France Insoumise ?

Avant toute chose, Mélenchon insiste sur la nécessité, face aux régulières remises en question du droit à l’avortement, de l’inscrire dans la Constitution. En réalité, c’est même un peu plus que ça. Il s’agit de constitutionnaliser le droit de disposer de son corps, ainsi que sa non-marchandisation. De cette façon, il réaffirme en plus l’interdiction de la GPA. Aussi, en réponse aux problèmes d’inégalités salariales, il propose d’augmenter les sanctions pour les entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale. Mais Mélenchon ne s’arrête pas là. Il aborde aussi des thèmes nouveaux – en tout cas, en comparaison avec les autres programmes – comme sa volonté de diffuser de manière égale à la télévision les sports féminins et masculins, ou de réaffirmer les droits des femmes qui accouchent sous X à garder le secret de leur identité (ce qui est fréquemment remis en question). Enfin, le candidat souligne l’importance d’un changement d’état civil libre et gratuit. En effet, ce droit est revendiqué principalement par les femmes transgenres, trop souvent oubliées dans les luttes féministes.

Cependant on peut lui reprocher certains propos, comme lorsqu’il affirmait à la télévision qu’il savait lire dans les cerveaux des hommes alors que ceux des femmes sont inaccessibles. Cette idée perpétue l’éternel cliché de la femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, qui a une attitude en incohérence avec ses propos. Un cliché très dangereux puisqu’il laisse entendre que les femmes ont besoin que d’autres prennent les décisions pour elles, ou que leur comportement déclenche des choses qu’elles ne veulent pas.

Il est indéniable que Mélenchon cherche à réserver une place importante aux droits des femmes, et son programme novateur le démontre.

Seuls deux candidats parmi les cinq principaux ont tenté d’accorder de la valeur au féminisme. Si le programme de Hamon et de Mélenchon semblent présenter de grandes similitudes dans ce domaine précis, on peut noter que celui de La France Insoumise ne se contente pas de mesures immédiates mais s’intéresse également à la façon dont les mentalités pourraient évoluer – notamment d’un point de vue social et culturel.

Crédits photo :

François Fillon: alnas.fr

L’extrême droite allemande (AFD) enlève son masque

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© Robin Krahl 

Lors d’une conférence donnée le jeudi 9 mars à Berlin, le nouveau parti d’extrême droite a dévoilé son programme politique. Les leaders de l’AfD ont annoncé les mesures dont le parti sera le porte-parole lors des prochaines élections qui auront lieu en septembre prochain. Sans grande surprise, celles-ci ne sont pas sans rappeler les propositions du Front National. Pour l’AFD, c’est un revirement par rapport aux propositions présentées lors du lancement du parti en 2013.

La sortie de l’Union Européenne 

La conférence a démarré sur ce postulat : « l’Allemagne n’est pas une démocratie ». L’idée majeure de l’AFD est de proposer la sortie de l’UE votée par les Allemands à l’aide d´un référendum afin que l’Allemagne « retrouve sa souveraineté ». A ses débuts, le parti s’était tout de même prétendu favorable à une intégration européenne dans le cadre des nations en se déclarant uniquement opposé à l’euro… tout en souhaitant conserver un marché commun. Le parti propose aussi d’introduire plus de référendums populaires sur le modèle suisse, ainsi qu’une regrettable réforme des institutions, ouvrant la porte aux interrogations : l’élection du Bundespräsident au suffrage direct par les citoyens, ainsi que la réduction des prérogatives des députés et du Chancelier. Actuellement, le Bundespräsident est élu par le Parlement et son rôle est celui d’un garant de la stabilité et de la continuité de l’Etat. Le système politique allemand a été décidé ainsi après la seconde guerre mondiale afin de prévenir toute nouvelle dérive d’un pouvoir trop personnel. La loi fondamentale (Grundgesetz) limite les pouvoirs du Président et les pouvoirs des députés du Bundestag et du Bundesrat. Que recherche réellement l’AFD en proposant cette réforme ? Il s’agit certainement d’une composante invariable de ce que les Allemands nomment le Rechtpopulismus, le populisme de droite qui revendique l’idée d’une personnalité forte à la tête de l’Etat.

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Frauke Petry, leader de l’AFP © Harald Bischoff

L’exclusion comme moteur politique et idéologique

De même que les frontistes français, les réactionnaires allemands prônent une politique dure et injuste envers les immigrés, et se font les chantres de la fermeture des frontières comme moyen de « protéger le pays » et d’« empêcher une invasion massive du système social ». La fermeture des frontières figure en tête de la liste du programme, le but de l’AfD étant de passer en dessous des 200.000 migrants par an (et une immigration basée sur des critères sélectifs), ainsi que d’interdire les regroupements familiaux pour les réfugiés. Alors que l’Allemagne a accueilli 890 000 réfugiés en 2015 et 280 000 en 2016, l’AfD propose de mettre fin à cette politique et souhaite diminuer l’accès au droit d’asile. En tant que proposition phare, figure aussi la reconduction à la frontière des criminels étrangers qui devront ainsi être emprisonnés dans le pays d’origine. Une dernière mesure phare concerne la déchéance de nationalité pour les immigrés binationaux coupables de crime. De plus, le parti songe à l’étendre aux Allemands ayant « des origines étrangères » sans apporter plus de précisions.

La question de l’Islam a aussi été longuement évoquée, l’AfD souhaitant interdire les cursus d’études universitaires sur l’Islam ou la théologie islamique (à l’instar des Gender Studies), ainsi que le port du voile dans les lieux publics, à l’école et à l’université. Marine Le Pen avait, elle aussi, fait part d’intentions allant dans le même sens. Selon l’AfD, l’intégration consiste à « plus qu’apprendre l’allemand », l’apprentissage et la promotion de la langue allemande occupant tout de même une grande place dans le programme politique, celle-ci étant définie comme le « centre de l’identité [allemande] ». Depuis ses débuts, le parti s’oppose radicalement au multiculturalisme et donne à la Leitkultur (voir l’article paru à ce sujet sur LVSLhttps://lvsl.fr/allemands-a-recherche-dune-identite-perdue) une définition se rapprochant du nationalisme exclusif. Il se positionne ainsi sur la même ligne que certains universitaires proches de la CSU et de la branche conservatrice de la CDU. Pour rappel, l’ex-CDU Friedrich Merz  avait expliqué que la culture de référence allemande (Leitkultur) devait “représenter un contre-poids” à la société multiculturelle. Position qui semble avoir été reprise par l’AfD. La communication du parti utilise aussi les même codes simplifiés et grossiers que le FN en France, en affublant certaines personnalités d’une burqa (représentation préférée des partis populistes de droite du “totalitarisme de l’Islam”) ou bien en éditant des tracts relatant des chiffres gonflés et établissant des parallèles douteux avec l’immigration et le chômage ou bien le terrorisme.

Et que vive l’armée !

En matière de défense, la restauration du service militaire pour « la protection et la puissance de la patrie » est proposée. D’une façon assez surprenante, l’AfD souhaite que les Etats-Unis restent un allié important et que l’OTAN reste une alliance de défense effective tout en refusant que les soldats allemands soient envoyés en mission pour les intérêts des « pays amis ». Ils doivent cependant pouvoir être mobilisés sous mandat de l’ONU. À ce méli-mélo incohérent s’ajoute la volonté dun « meilleur comportement » envers la Russie. L’AfD espère ainsi s’assurer la protection de l’Allemagne par des forces alliées étrangères, étant consciente de la faiblesse relative de la Bundeswehr qu’elle souhaite d’ailleurs « renforcer ». L’armée allemande est en effet peu dotée en effectifs et le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale reste un obstacle à toute tentative d’intervention militaire majeure (l’armée est totalement contrôlée par le Bundestag). Les récents exercices d’entraînement entre la police fédérale allemande et la Bundeswehr en cas d’attaque terroriste sont d’ailleurs largement relatés dans les journaux nationaux. Précisons aussi que l’AfD s’oppose à la construction d’une Europe de la Défense.

«L’Allemagne doit être fière de son passé»

Et si le pire était pour la fin ? Alors que le Front National – et la droite française en général – se plaisent à évoquer les « aspects positifs du colonialisme », l’AfD déclare, sans crainte, vouloir en finir avec la politique actuelle de mémoire du national-socialisme et « ouvrir l’histoire à de nouvelles possibilités » qui permettraient d’évoquer… les « aspects positifs de l’histoire allemande ». Il est assez douteux, de la part du parti d’extrême droite, de regrouper sous un même thème la critique de la mémoire du national-socialisme et la volonté de parler des points positifs de l’histoire allemande. Surtout lorsque cela figure sur un programme électoral. Mais encore récemment, il est possible d’entendre certaines personnes parler d’un ton naïf des « progrès en matière de transports sous Hitler, notamment pour les autoroutes ». Gruselig (effrayant), comme on dit en allemand. L’AfD n’est pas un parti “nazi” en tant que tel, mais parmi ses soutiens, certains le sont. Intervient alors le conflit entre la mémoire d’un fait ou d’une période historique, et de son utilisation dans la politique.

Une critique du monde post-idéologique ? 

La fin des idéologies – voire celle de l’Histoire – semble belle et bien n’être qu’une chimère. Car l’AfD, à l’instar du Front National, manœuvre et porte aussi un discours destinant à casser le clivage gauche-droite pour définir une nouvelle opposition entre les nationalistes et les pro-UE. La crise des réfugiés est à ce titre un motif concret prêtant à la construction d’une ligne idéologique correspondant à celle qui vient d’être détaillée est qui constitue le programme électoral de l’AfD. Merkel, en prétendant vouloir uniquement décider des mesures en ne faisant usage que du sacro-saint pragmatisme, donne en fait un sens idéologique à l’ouverture des frontières et du contenant à ce qu’est aujourd’hui l'”européisme” dont l’extrême-droite se sert pour se donner un contenu politique en “contre”. Et pour en terminer avec les idées reçues, l’AfD n’est ni un parti social, ni un parti qui se situerait “ni à droite, ni à gauche” de l’échiquier politique : ses idées sont réellement celles d’un renouveau du nationalisme allemand sur le modèle des autres partis nationalistes européens.

Pour retrouver le programme complet de l´’AfD : https://www.alternativefuer.de/programm/

Pour en savoir plus sur le système politique allemand : http://elections-en-europe.net/institutions/systeme-politique-allemand/

Crédits :

© Robin Krahl https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2015-01-17_3545_Landesparteitag_AfD_Baden-Württemberg.jpg

© Harald Bischoff https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frauke_Petry_5187.jpg