La fin de l’étiquette “gauche”

Montage comparant l’esprit des campagnes de 2012 et de 2017.

Non plus « rassembler la gauche » mais « fédérer le peuple » : tel fut le principal mouvement stratégique de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Comparé au discours hamoniste, attaché à l’étiquette « gauche » comme au premier des talismans, le slogan de la France Insoumise semble avoir porté ses fruits et convaincu un électorat jeune et populaire jusqu’alors inaccessible. Compte tenu du point de départ de 2012 et de la primeur du tournant « populiste », ces résultats sont remarquables. Toutefois, ils n’ont pas suffi pour l’emporter. L’une des raisons de cet échec réside probablement dans l’incapacité de la campagne de Mélenchon à s’être complètement émancipée du qualificatif “gauche”.  Sans abdiquer une seule idée, il est temps, une bonne fois pour toutes, d’abandonner une imagerie et un terme confus et éculé. 

« Vive la République, et que demain vive la gauche ! ». Ainsi Benoit Hamon a-t-il conclu son discours après l’annonce des résultats du premier tour. La mention, onze fois répétée, du mot « gauche » dans cette intervention de quatre minutes est à l’image d’une campagne dont le principal leitmotiv fut de justifier une identité mise à mal par le quinquennat de François Hollande et de rassembler les morceaux déchirés d’une vieille photo de famille, dont d’aucuns crurent que le nom portait encore un sens après maints divorces et enterrements. La grande illusion de Benoit Hamon fut de croire que la « gauche » pouvait être sauvée, que le souvenir de « ceux qui ont lutté pour la gauche dans l’histoire », combiné à un discours innovant en matières écologiques et sociales suffiraient à sauver les meubles et rassembler les troupes. Il s’est trompé. Les résultats, dans leur évidente crudité, sont là pour en témoigner.

Benoit Hamon lors du lancement du M1717 ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

Cependant, l’illusion de Benoit Hamon tient moins de l’héroïsme historique des derniers carrés que du retard piteux du Maréchal Grouchy. Car, à vrai dire, une campagne menée à coups d’appels au cœur immaculé d’une certaine gauche de combat et étayée par des propositions innovantes, à même de renouveler l’idéal socialiste par un programme écologiquement rigoureux, n’est pas une première en France. Ce fut déjà la forme et le contenu de la campagne de Mélenchon en 2012, dont les trois mois de gesticulations hamonistes n’ont été que la pâle et retardataire copie.

De la « vraie gauche » au Peuple

« Le drapeau rouge et le rouge du drapeau », tels furent, selon les mots de Mélenchon, les emblèmes de la campagne de 2012. Le poing levé, les paroles de l’Internationale, les hardis faubourgs et « l’usine » des Lilas, le souvenir des barricades et des vieilles gloires révolutionnaires, l’enthousiasme pour une France rouge un temps perdue et enfin retrouvée : telle fut la geste de 2012. Elle réunit quatre millions de voix. Inouï, après 23 ans d’une défaite historique, dont on croyait, depuis 1989, qu’elle avait à jamais enterré l’avenir d’une gauche digne de ce nom, le score de 2012 reflétait toutefois bien plus la réunion d’une vieille famille qu’une véritable capacité à prendre le pouvoir. A l’évidence, les nouvelles idées éco-socialistes du Front de Gauche, qui avaient enfin renouvelé le corps idéologique de la gauche radicale, avaient échoué à convaincre le grand nombre. Seuls 16% des jeunes, 14% des ouvriers et 12% des employés s’y étaient montrés sensibles, contre respectivement 18%, 29% et 21% pour Marine Le Pen.

En ce sens, la campagne de 2012 fut une campagne identitaire. Son objectif historique fut moins de l’emporter aux élections, but qui semblait au demeurant inaccessible, que de démontrer la vivacité d’une gauche de combat, capable de regarder droit dans les yeux le siècle à venir et le siècle passé. De ce point de vue, elle fut une réussite.

Cependant, la réussite indiquait immédiatement une limite : la « vraie gauche » avait gagné des couleurs mais pas de victoire. Les élections qui suivirent devaient le rappeler avec une cruelle insistance. Le mot « gauche », répété avec une véhémence jalouse aux élections municipales et régionales, s’éreintait au fur et à mesure que la cristallisation identitaire de 2012 s’émoussait et que Hollande trahissait.

Vint alors le tournant stratégique que l’on connaît. Les reniements de Tsipras éloignaient le modèle du cartel de parti et la naissance de Podemos inspirait la création d’une organisation plus souple ainsi que la diffusion d’un message à la fois radical et transversal, c’est-à-dire sans étiquette. Ne pas rassembler la gauche mais « fédérer le peuple » : le mot d’ordre fut lancé pour la première fois le 24 aout 2014, lors de l’université d’été du Parti de Gauche.

Cette nouvelle stratégie signait la fin de la démarche identitaire du Front de Gauche. Le temps était venu de parler à tout le monde, au Peuple, et de transformer l’identité minoritaire de 2012, celle de la « vraie gauche enfin rassemblée », au mouvement à vocation majoritaire du « Peuple insoumis », en lutte contre l’oligarchie et ses petits maitres.

Une étiquette inutile

Le pari a en grande partie fonctionné. Le programme radical « L’Avenir en Commun », qui, sur le fond, est resté comparable à celui de 2012, « L’Humain d’abord », a su convaincre bien au-delà des rangs originels du Front de Gauche. Cela peut s’expliquer par la capacité de la France Insoumise à avoir remplacé la tautologie identitaire (« ce programme est vraiment de gauche car nous sommes la vraie gauche ») par une tautologie majoritaire (« ce programme est populaire car nous sommes le peuple »). De la même manière qu’il est absurde de sous-titrer un film joué dans sa langue natale, il n’a pas été nécessaire d’égrener le chapelet de la « gauche » pour que les bons s’y retrouvent. 80% des électeurs du Front de Gauche en 2012 et 24% des électeurs de Hollande se sont reportés sur la candidature de la France Insoumise. Par ailleurs, l’abandon de la posture identitaire a permis à des groupes sociaux pour lesquels la « gauche » inspirait de l’indifférence — sinon du mépris — de trouver une fraîcheur et une ouverture inédites dans le discours de Mélenchon. Ainsi, 30% des jeunes, 24% des ouvriers et 25% des foyers en-dessous de 1250 euros de revenu, soit près du double de 2012, se sont déclarés en état d’insoumission.

Alors que Benoît Hamon chantait la gloire et l’union de la « gauche », la campagne de Mélenchon a réalisé une trouée historique sans précédent pour une force radicale de transformation institutionnelle et sociale en France depuis le score de Jacques Duclos en 1969 (21.2%). Aucun drapeau rouge, aucune Internationale,  aucun poing levé ne fut pourtant fondamental pour la réalisation d’une telle prouesse. En revanche, l’adhésion au tricolore, l’incarnation par Jean-Luc Mélenchon de l’autorité morale de l’Etat et le refus intégral de tout mépris à l’égard de ceux qui ne partageaient pas les codes historiques de la France rouge y contribuèrent de façon essentielle.

Voici donc l’une des grandes leçons de la campagne de 2017 : la revendication du terme « gauche » et de ses oripeaux historico-culturels sont devenus inutiles à la progression d’un programme de transformation sociale.

Une étiquette encombrante

Plus problématique, en revanche, est cette deuxième leçon : non seulement le mot « gauche » est devenu inutile, mais, tout au long de la campagne, il s’est révélé piégeur et encombrant.

Alors que Jean-Luc Mélenchon avait laissé de côté le mot et les symboles associés à la « gauche », ses adversaires politiques, ainsi que les médias dominants, n’ont pas manqué de lui recoller l’étiquette dans le dos sitôt qu’il l’eut arrachée de son front. D’abord présenté comme le candidat de « la gauche de la gauche », puis simplement comme celui de « la gauche », Mélenchon fut pêle-mêle accusé de tous les excès révolutionnaires et des impasses du réformisme. Ses adversaires avaient bien compris que l’objectif du tribun n’était plus d’incarner la gauche mais le Peuple. Des procès en castrisme jusqu’en mitterrandisme, tout fut donc entrepris pour qu’il retournât à la case départ. Il fallait que, comme en 2012, Mélenchon clamât le drapeau rouge et la révolution bolivarienne ; il fallait qu’il reperdît son temps à distinguer Robespierre de Staline et 1981 de 1983 ; il fallait qu’il retombât dans le piège identitaire de la « gauche » et de la « vraie gauche ».

Mélenchon sur fond rouge. Montage réalisé par l’émission C à vous le 10 avril 2017.

Mélenchon tint bon, mais le mal fut fait. Dans la dernière semaine de la campagne, l’effort de transversalité populiste, accompli avec maestria lors des débats télévisés, fut rabougri par l’identification externe, imposée par les médias, du candidat de la France Insoumise à la seule « gauche ». Au final, le piège de l’étiquette « gauche » fut en grande partie responsable de la défaite. 

Arracher l’étiquette 

Pour préparer l’avenir il est désormais nécessaire d’immuniser la stratégie “populiste” à vocation majoritaire, mise au jour par la France Insoumise, contre l’étiquetage médiatique et les retours de la gauche identitaire.  De la même manière que le Front National critique en permanence l’utilisation des termes « extrême-droite » (ou même, simplement, « droite ») à son endroit, bien qu’il conserve un programme fondamentalement xénophobe et anti-lumière, les héritiers de la campagne de Jean-Luc Mélenchon devront désormais arracher les étiquettes « gauche » et « gauche de la gauche » partout où ils les trouveront sans pour autant renoncer à la moindre lettre de leur programme.

Associé aux trahisons récentes du réformisme et à l’image ternie des révolutions du XXème siècle, le mot « gauche » n’a, pour l’heure, plus rien de bon à apporter à ceux-là mêmes qui ont grandi en le chérissant. Tout juste apte à qualifier et à comparer objectivement des propositions programmatiques, le terme doit être abandonné comme référent sentimental et identificateur.

 Vers une identité nouvelle

Cela ne veut pas dire, toutefois, qu’il faut se priver des signes, des symboles et de la sensibilité lyrique apportée par la construction d’une identité politique radicale et progressiste. Bien au contraire, si la France Insoumise et ses héritiers parviennent à arracher l’étiquette « gauche », ils seront en bien meilleure position que le Front National pour construire une hégémonie « nationale-populaire », celle que Gramsci voyait comme préalable nécessaire à toute “guerre de mouvement” victorieuse pour les forces du progrès social.

En effet, Marine Le Pen (qu’elle accède ou non au pouvoir) sera toujours en peine d’unifier un peuple français que son programme cherche précisément à diviser. Contrairement aux idées reçues, la xénophobie contient en germe une propension à la guerre civile qui est incompatible avec une véritable stratégie populiste. La désignation d’un ennemi que chacun, chaque jour, peux rencontrer dans la rue ne conduit pas à la construction d’un peuple mais à sa division en partis et en tribus. A l’inverse, la dénonciation d’un adversaire rare, dont la nocivité est bien réelle, dont les adresses sont connues, mais dont les visages ne font pas partie du quotidien de 99% de la population, semble bien plus propice à la cristallisation des affects communs en un mouvement de contestation majoritaire. Cela implique toutefois de dénoncer l’oligarchie non plus comme l’adversaire des seuls « humanistes de gauche » mais comme l’adversaire combiné du Peuple, de la République, de la Nation et de l’Etat.

Jean-Luc Mélenchon lors du meeting du 18 mars place de la République. ©Benjamin Polge

Ces quatre termes peuvent former le noyau de l’identité nouvelle qui fleurira sur les ruines de la « gauche » telle que nous l’avons connue. Le « Peuple » et la « République » furent déjà au coeur de la campagne de Mélenchon. En revanche, la défense de la « Nation » et l’aptitude à diriger « l’Etat » méritent encore d’être mieux revendiqués. Il appartiendra à la France Insoumise d’approfondir l’effort d’incarnation morale, souveraine et régalienne associée à l’exercice du pouvoir. Contre un Front National empêtré dans une définition étriquée du Peuple, et contre un Emmanuel Macron qui ne saurait incarner un Etat qu’il s’apprête à détricoter, il faudra donc ajouter à la tautologie majoritaire de la campagne de 2017 une tautologie nationale (« ce programme est français car nous sommes la France ») et une proposition souveraine (« ce programme est applicable car nous sommes l’Etat »).

Rien ne sert de réveiller les fusillés du Père-Lachaise pour remettre leurs idées au goût du jour. Ce qui compte désormais, dès les législatives, c’est que les continuateurs de la Commune et des « jours heureux » cessent de rappeler le nom de leurs pères et s’attèlent à occuper le centre de gravité du pays — à mi-chemin entre la Bastille et la République, le Panthéon et les Invalides, l’Assemblée nationale et la Concorde.

 

SOURCES :

http://lepeuplebreton.bzh/2015/11/20/n%CA%BCy-a-t-il-aucune-reponse-de-gauche-a-la-lutte-contre-le-terrorisme/
http://www.lejdd.fr/Politique/Qu-est-ce-qui-a-change-entre-le-Melenchon-de-2012-et-celui-de-2017-859433
https://www.youtube.com/watch?v=ncmlXhKlJzc [impression d’écran]
http://img.20mn.fr/0hsVS33DSVOBntlBIeu_8w/2048×1536-fit_benoit-hamon-vainqueur-primaire-organisee-ps-alliees-29-janvier-2017- paris.jpg

Poursuivre la bataille culturelle

Le second tour de l’élection présidentielle verra s’affronter Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les résultats définitifs du premier tour étant désormais connus, il convient de tirer les premiers enseignements de ce scrutin : un mouvement de fond est en cours à gauche. Il s’agit désormais d’amplifier et de poursuivre la bataille culturelle qui a été engagée.

Les acquis de la campagne

Pour justifier le résultat désastreux, mais tout à fait logique, de leur candidat, un certain nombre de responsables socialistes ont mis en avant une campagne où l’on aurait pas parlé du fond, où les affaires auraient primé sur le reste et sur les questions cruciales pour le peuple français. S’il est certain que les affaires ont occupé une partie du débat, il n’en reste pas moins que d’autres thèmes ont été abordés, et que cette campagne a permis de poser, à gauche, des enjeux nouveaux et structurants pour l’avenir.

D’une part, les affaires sont un thème de campagne aussi important que les autres, dans la mesure où elles ont permis de mettre dans le débat public un sentiment partagé depuis longtemps par un certain nombre de Français : la classe dirigeante est corrompue, milieux d’affaires et élites politiques s’entendant systématiquement sur le dos d’un peuple qui voit ses conditions de vie se dégrader peu à peu. L’affaire Fillon, mais aussi les nombreuses sorties indignes de Macron ainsi que les agissements frauduleux du Front National au Parlement Européen ont permis de montrer ce que chacun savait depuis un moment : de gauche ou de droite, les hommes politiques qui nous gouvernent sont avant tout mus par l’appât du gain.

D’autre part, cela a pleinement justifié le tournant populiste opéré par Jean-Luc Mélenchon et son mouvement, la France Insoumise. Toute sa communication reposait sur le fait d’opposer un « nous », le peuple qui trime, à un « eux », une caste corrompue qui s’accroche désespérément au pouvoir. Loin de renier les marqueurs historiques de la gauche, il s’agissait de les adapter à un contexte de nouveau, où les marqueurs sociaux sont de plus en plus flous et où la classe moyenne disparaît. De ce point de vue, le tournant populiste est une réussite au moins partielle : en manque de repères depuis l’affaiblissement du PCF, une partie des classes populaires a pu s’approprier une grille de lecture nouvelle pour penser les antagonismes qui traversent notre société. Le score élevé de Jean-Luc Mélenchon en témoigne, ainsi que celui de Marine Le Pen, mais pour d’autres raisons.

Mais l’autre enjeu structurant qui a émergé au cours de la campagne est celui de la souveraineté nationale et populaire, à travers la question européenne. Les médias dominants, dans leur bienveillance habituelle à l’égard des candidats qui leur déplaisent, ont vivement critiqué l’émergence d’un pôle « europhobe » constitué par Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan et Asselineau. Outre le fait que rassembler ces candidats sous une même étiquette n’a aucun sens puisqu’ils développent des visions bien différentes de la souveraineté et de la Nation (civique pour la France Insoumise, plus ethnique et essentialiste pour la droite et l’extrême-droite), ce prétendu pôle rassemble, d’après les résultats du premier tour, près d’un électeur sur deux. Si le rejet de l’UE prôné par le Front National n’est pas une nouveauté, l’aspect qui nous intéresse ici est la vision européenne portée par la gauche radicale. En effet, on a vu réémerger au cours de la campagne un euroscepticisme de gauche, porté par la France Insoumise, là où là nécessaire reconquête de la souveraineté nationale pour mener une politique de progrès social était devenue, depuis les années 90, un véritable tabou pour une grande partie des mouvements à gauche du PS. Avec le Plan B pour une sortie de l’UE, la parole s’est libérée à gauche, et les idées de souveraineté recommencent à y émerger : c’est le point de départ essentiel d’une lutte efficace pour enrayer la montée de l’extrême-droite.

Quelles perspectives au second tour ?

Pour les électeurs de la gauche dite radicale, les résultats du premier tour ont fait émerger des sentiments contradictoires. D’abord une certaine joie, dans la mesure où Mélenchon a réalisé un score très élevé et semble en passe de réussir à précipiter le PS dans l’abîme. Mais aussi, dans un second temps, une certaine amertume : portés par les sondages, un certain nombre de militants espéraient voir leur candidat et surtout leurs idées au second tour de l’élection présidentielle. Il n’en fut rien. Dès lors, que faire dans un second tour où deux candidats obsédés par l’argent, l’un ultra-libéral et l’autre ultra-réactionnaire, se disputent la première place ?

La réaction de Mélenchon et de la France Insoumise semble saine et juste. En effet, ils n’ont pas cédé aux sirènes usées du front républicain, conscients qu’un appel à voter Macron serait un reniement total de tous leurs engagements passés. Mais ils n’ont pas non plus renvoyé dos à dos Macron et Le Pen : il s’agissait seulement d’affirmer que soutenir le premier favorisait la victoire de la seconde en 2022. Dès lors, les électeurs de Mélenchon sont libres, et seront appelés à se prononcer sur le site internet du mouvement. Toutefois, au-delà des consignes de vote éventuelles que le mouvement pourra donner, un sentiment domine chez ces électeurs : la volonté de ne pas voter Macron, ni Le Pen, afin que le candidat d’En Marche dispose de la légitimité populaire la plus faible possible. Il s’agit donc, par l’abstention ou le vote blanc, d’entamer la lutte et de poser des jalons pour l’après-présidentielle, a fortiori dans la perspective d’élections législatives qui s’annoncent très incertaines.

Les élections législatives seront en effet l’enjeu central des prochaines semaines : de ce point de vue, il s’agira pour la gauche radicale de transformer l’essai, ce qui s’annonce difficile entre un PS en décomposition, un FN en pleine ascension, une droite aux abois et des partisans de Macron qui seront présents partout et portés par le bon score de leur candidat. Sans agiter la vieille marotte de l’unité à tout prix, il faudra toutefois que les diverses forces en présence discutent et parviennent à s’entendre : candidats portés par la France Insoumise, militants communistes, socialistes en rupture avec le PS, sans rien renier des particularités de chacun. C’est à cette condition, en conciliant la dynamique de la France Insoumise et l’ancrage territorial encore fort des communistes, que l’Assemblée Nationale pourra se doter d’un pôle radicalement de gauche, qui pourra faire face aux projets funestes de Macron.

A plus long terme, la nécessité de poursuivre la bataille culturelle

On l’a vu, le logiciel d’une partie de la gauche radicale s’est profondément renouvelé à l’occasion de l’élection, et cela a permis une clarification nette : le Parti Socialiste n’est plus l’élément central de la gauche française, et il va désormais falloir amplifier la bataille pour que les idées de souveraineté, d’anticapitalisme et d’écologie s’imposent définitivement dans l’espace laissé vacant. L’existence d’une gauche forte, sûre d’elle tant sur le plan programmatique que militant sera indispensable dans la nouvelle période politique qui s’ouvre. En effet, la géographie électorale du premier tour montre que la percée de Jean-Luc Mélenchon se fait surtout dans les territoires urbanisés et partiellement dans les quartiers populaires. En parallèle, le FN confirme son ancrage dans les zones périurbaines, plus rurales, et progresse dans une partie des quartiers populaires. Pour reprendre la grille d’analyse proposée par le géographe Christophe Guilluy, on peut dire que la France périphérique reste en partie acquise au Front national, même si Mélenchon semble y avoir progressé.

Il s’agira donc de mettre fin à l’hégémonie idéologique et culturelle du FN dans ces territoires. Pour ce faire, la campagne du premier tour a tracé des pistes qu’il faudra continuer à explorer et à approfondir pour renouer avec tous ceux d’en bas face à la classe dirigeante, y compris dans les territoires ruraux. Il s’agira de continuer à développer une vision de gauche de la République, de l’universalisme, de la laïcité, de poursuivre le travail d’argumentation pour une sortie de l’UE par la gauche, mais aussi de poursuivre les analyses et les propositions en faveur de la ruralité et de l’agriculture. Des chantiers vastes, nombreux, complexes, pour une bataille au sein de laquelle lvsl.fr entend modestement contribuer. C’est à ce prix que l’on fera chuter le libéralisme et l’extrême-droite, pas en allant voter Macron dans deux semaines.

Crédit photo:

https://fr.news.yahoo.com/carte-election-pr%C3%A9sidentielle-d%C3%A9couvrez-r%C3%A9sultats-premier-tour-commune-200402455.html

Election présidentielle : Quel candidat pour les droits des femmes ?

Le premier tour des élections présidentielles arrivant à grand pas, un point sur les propositions des principaux candidats dans le domaine du droit des femmes s’impose. Alors qui propose quoi ?

Ceux qui régressent :

Marine Le Pen – Candidate FN

La citation qui fait mal : « Je n’ai jamais changé de discours sur la question du voile. J’ai dit et je redis que le voile n’a pas sa place dans la sphère publique en France. »

Depuis quelques mois, Marine Lepen ne cesse de prôner un intérêt particulier pour les droits des femmes. Prendrait-elle les féministes à ce point pour des idiotes ? Zoom sur les propositions et les petites manies du FN :

Le FN a pour habitude de ne pas prendre trop au sérieux les violences contre les femmes, ou l’égalité femmes-hommes de façon générale : vote contre les lois sur le harcèlement sexuel, contre la loi proposant des mesures assurant la bonne santé sexuelle des adolescents et adultes, vote contre la loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui, entre autre, incitait les pères à prendre des congés parentaux… Rappelons-nous ensuite du rejet du parti face au droit à l’avortement ; Marion Maréchal Le Pen qui souhaite couper les subventions des plannings familiaux, sa tante qui insiste sur un déremboursement des frais d’IVG, etc. Ainsi, les femmes ayant les moyens pourraient avorter mais les plus précaires seraient condamnées à subir une grossesse qu’elles ne souhaitent pas. La candidate et sa nièce parlent « d’avortement de confort » ; expression abjecte laissant entendre que les femmes seraient des irresponsables qui prennent l’avortement pour une simple contraception. Aymeric Chauperade, ayant quitté le FN depuis, est même allé jusqu’à parler de l’avortement comme d’une « arme de destruction massive contre la démographie européenne ».

Dernièrement, Marine Le Pen tentait de modérer ses propos sur le sujet, mais nous n’avons pas la mémoire courte. En 2015, le FN votait contre le projet de modernisation du système de santé, qui consistait à renforcer le droit à l’avortement et supprimer le délai de réflexion de sept jours précédant l’IVG.

Qu’en est-il du programme du FN pour 2017 ?
La « grande proposition » de ce programme concernant le sujet, est celle du salaire maternel. Il s’agirait là d’un revenu que l’on accorderait aux femmes qui restent au foyer pour s’occuper de leurs enfants. Ainsi, le message est clair : dans un pays qui connaît un fort taux de chômage, un retour des femmes dans leurs maisons libérerait de l’emploi. Après tout, leur place n’est-elle pas auprès de leurs enfants, à s’occuper des tâches ménagères et de la cuisine ?

Le programme du Front National s’oppose aussi fortement à la parité, considérée comme une forme de « discrimination inversée ». Le parti et sa candidate assènent régulièrement que la principale menace pour les droits des femmes est la présence de musulmans radicaux en France. Ainsi, on peut facilement deviner que derrière un soudain intérêt pour l’égalité femmes-hommes, en incohérence totale avec les propositions du programme et les habitudes du parti, se cache en réalité une volonté de réprimer le port du voile et, de manière plus générale – ce qui se rapporte à la religion musulmane.

Pour finir, remarquons que beaucoup de sujets ne sont ni abordés ni développés ; c’est le cas, pour ne citer qu’eux, du harcèlement sexuel, des violences conjugales, des possibilités d’hébergements pour les femmes qui en sont victimes, de l’éducation des enfants à l’égalité des genres… Mais qui cela étonne-t-il vraiment ?

François Fillon – candidat Les Républicains

La citation qui fait mal : « […] la France n’est pas un pays à prendre comme une femme ».

Les droits des femmes englobent bon nombre de sujets, mais l’un des premiers qui vient à l’esprit est le droit à disposer de son corps. Quand François Fillon s’exprime sur l’avortement, il est bien difficile d’en dégager une position claire et affirmée. D’abord, il avait dit être « choqué » du terme « droit fondamental » en parlant du droit à l’avortement, puis avait déclaré qu’il ne reviendrait pas dessus, en ajoutant cependant que sa foi et ses convictions personnelles le poussaient à désapprouver un tel droit. Il affirme ne pas vouloir remettre en question le droit avortement mais – à titre personnel – en condamne le recours. Une position ambiguë.
Comme si ça ne suffisait pas, Madeleine de Jessey, secrétaire nationale de LR, et membre de son équipe de campagne, exprime un soutien clair à la Marche Pour la Vie (manifestation qui porte mal son nom quand on connaît le nombre de décès qui suivent un avortement illégal)…

Tweet de François Fillon après les diverses agressions sexuelles de Cologne

Marine Le Pen n’est pas la seule a instrumentaliser les droits des femmes pour mieux attaquer les musulmans. En effet, l’été dernier, Fillon s’était placé en fervent défenseur des droits des femmes pour pouvoir prôner l’interdiction du burkini, vêtement qui a plus été aperçu dans les journaux que sur les plages.
Depuis quand la libération des femmes se fait elle par l’interdiction ? Que l’on puisse considérer que le voile est un outil d’asservissement des femmes est compréhensible – et que l’on lutte pour empêcher l’obligation de le porter dans les pays où elles n’ont pas leur mot à dire est juste – mais nous n’avons encore jamais vu François Fillon lutter contre le port de la minijupe, l’épilation, ou le maquillage, qui sont pourtant aussi des formes de contrôle du corps et d’asservissement des femmes.

Le programme de Fillon pour 2017 comporte la mention d’un « renforcement des dispositifs de signalement du harcèlement sexuel dans les entreprises », qui n’est cependant détaillé nulle part. Si le candidat de Les Républicains semble accorder un minimum d’importances aux violences contre les femmes, il reste difficile de croire en un homme qui promettait, lorsqu’il était encore premier ministre, plus de structures d’accueils pour les femmes victimes de violences… lesquelles n’ont jamais vu le jour.

Celui qui parle pour ne rien dire :

Emmanuel Macron – candidat En Marche

La citation qui fait mal : « Il y a dans cette société [en parlant des abattoirs Gad] une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »

Macron reste particulièrement énigmatique dans l’ensemble de son programme. Mais entre les fillonistes dégoûtés du Penelope-Gate, et les sympathisants de Valls – qui ne voteront pas Hamon – il est déjà bien placé dans la course. Alors pourquoi parler de programme quand on peut si bien profiter d’un concours de circonstances ?
Cela dit, depuis le début de sa campagne le candidat ne cesse de parler de féminisme, d’égalité, et surtout de parité : il énonce par exemple l’importance d’un gouvernement qui respecterait la parité et songe même à donner la place de Premier Ministre à une femme. Néanmoins, on remarquera que les femmes ne se bousculent pas autour de Macron… à part Brigitte Trogneux – son épouse – il n’est entouré presque uniquement que par des hommes. Tout cela ressemble surtout à un « coup de com’ ». Par ailleurs, l’idée de parité existe déjà depuis 1999. Macron voudrait-il donc qu’on l’applaudisse parce qu’il propose de respecter la loi ? Enfin, il ne présente aucune analyse des raisons pour lesquelles la parité puisse être difficile à respecter (éducation des enfants, difficulté pour les femmes d’accéder à des études ou métiers considérés comme techniques, mauvaise répartition des tâches ménagères au sein du couple – qui laisse plus de temps libres aux hommes qu’aux femmes…).

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, il a dit dans son discours : « je crois en l’altérité », cherchant ainsi à glorifier les femmes pour leurs différences, selon l’idée qui veut qu’hommes et femmes soient des êtres qui se complètent. Macron devait être trop occupé à crier au monde son amour pour le féminisme pour effectuer quelques recherches sur la question et s’apercevoir que la différenciation est le premier pas vers la discrimination (qui n’a jamais entendu que, les femmes et les hommes étant différents, il était normal qu’ils aient des droits différents ?). Alors, à son histoire d’altérité et de complétude, répondons lui que les femmes ne veulent compléter personne. Nous ne sommes pas là pour mettre en avant les hommes et rester dans l’ombre !
Gardons aussi en mémoire que la loi Macron, promulguée en août 2015, s’attaque – entre autre – au travail du dimanche, faisant ainsi des femmes (qui occupent majoritairement les emplois concernés) les premières victimes de sa politique. Ainsi, quand Macron nous parle de parité à tort et à travers et s’autoproclame féministe, on a le droit d’être un peu sceptique. 

Ceux qui veulent avancer :

Benoît Hamon – candidat PS

La citation qui fait du bien : « Si une femme décide de porter le voile librement, et bien au nom de la Loi 1905, elle est libre de le faire ».

Avant tout, notons que le bilan du PS en matière de droit des femmes est assez maigre.
Malgré quelques tentatives d’amélioration (les victimes de violences conjugales peuvent conserver le logement même s’il n’est pas à leur nom, l’allongement de l’ordonnance de protection…), le parti a plutôt laissé à l’abandon ce domaine. On peut légitimement se demander comment faire confiance à un homme politique qui porte l’étiquette d’un parti qui a montré peu d’intérêt pour les droits des femmes.

Cependant, Hamon réussi à se démarquer – aussi bien par son attitude que par son programme. On se retrouve enfin face à un candidat qui ne surfe pas sur le féminisme pour légitimer des idéologies anti-musulmanes. L’intérêt de Benoit Hamon pour les droits des femmes s’est noté, par exemple, lorsqu’il s’est prononcé en faveur de la libération de Jacqueline Sauvage.

Son programme, clair et cohérent, prend très au sérieux les violences contre les femmes. En effet, il suggère la création de 4 500 places d’hébergements spécialisés pour les victimes de violences, souhaite que les poursuites soient systématiques, les jugements plus rapides, et veut augmenter le délai de prescription du viol. Pour ce faire, il compte « doubler le budget du ministère des Droits des femmes », annonce-t-il sur Twitter.
Face aux difficultés d’accès à la contraception, Hamon veut multiplier les plannings familiaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le programme semble vouloir répondre aux revendications féministes. En revanche, notons que Benoît Hamon, le 27 juin dernier, était absent lors du vote concernant l’amendement permettant de rendre inéligibles les députés accusés de violences contre les femmes. Il a expliqué cette absence en disant qu’il n’était pas au courant et en accusant les associations féministes de ne pas l’avoir prévenu… N’était-il pas censé se tenir au courant lui-même ?

Enfin, bien qu’il y’ait une volonté de redonner de l’importance aux questions qui concernent les femmes, certaines propositions économiques pourraient – même si ce n’est pas le but recherché – s’attaquer aux femmes. Loin du salaire maternel que propose le FN, le revenu universel pourrait tout de même précariser les femmes et les maintenir dans un rôle de mère au foyer.

Jean-Luc Mélenchon – candidat France Insoumise

La citation qui fait du bien : « il faut que chacun sache qu’il y’a des héros – ça on connaît – mais aussi des héroïnes, auxquelles on peut s’identifier. Vous les garçons, vous pouvez tous vous identifier mais mettez vous dans la tête d’une fille. Elle s’identifie à qui ? Blanche-neige ? »

Les positions de Jean-luc Mélenchon sur le féminisme ne manquent pas de précision ! Lors de son dernier meeting à Rennes, le candidat de la France Insoumise parlait de la représentation des femmes dans la littérature et du manque de personnages féminins. En tant que député européen, il a voté pour un grand nombre de propositions visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes (dont, entre autre, le plan d’action sur l’émancipation des jeunes filles par l’éducation dans l’Union Européenne, la résolution sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes)… Son engagement féministe ne date visiblement pas d’hier, mais qu’en dit le programme de la France Insoumise ?

Avant toute chose, Mélenchon insiste sur la nécessité, face aux régulières remises en question du droit à l’avortement, de l’inscrire dans la Constitution. En réalité, c’est même un peu plus que ça. Il s’agit de constitutionnaliser le droit de disposer de son corps, ainsi que sa non-marchandisation. De cette façon, il réaffirme en plus l’interdiction de la GPA. Aussi, en réponse aux problèmes d’inégalités salariales, il propose d’augmenter les sanctions pour les entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale. Mais Mélenchon ne s’arrête pas là. Il aborde aussi des thèmes nouveaux – en tout cas, en comparaison avec les autres programmes – comme sa volonté de diffuser de manière égale à la télévision les sports féminins et masculins, ou de réaffirmer les droits des femmes qui accouchent sous X à garder le secret de leur identité (ce qui est fréquemment remis en question). Enfin, le candidat souligne l’importance d’un changement d’état civil libre et gratuit. En effet, ce droit est revendiqué principalement par les femmes transgenres, trop souvent oubliées dans les luttes féministes.

Cependant on peut lui reprocher certains propos, comme lorsqu’il affirmait à la télévision qu’il savait lire dans les cerveaux des hommes alors que ceux des femmes sont inaccessibles. Cette idée perpétue l’éternel cliché de la femme qui ne sait pas ce qu’elle veut, qui a une attitude en incohérence avec ses propos. Un cliché très dangereux puisqu’il laisse entendre que les femmes ont besoin que d’autres prennent les décisions pour elles, ou que leur comportement déclenche des choses qu’elles ne veulent pas.

Il est indéniable que Mélenchon cherche à réserver une place importante aux droits des femmes, et son programme novateur le démontre.

Seuls deux candidats parmi les cinq principaux ont tenté d’accorder de la valeur au féminisme. Si le programme de Hamon et de Mélenchon semblent présenter de grandes similitudes dans ce domaine précis, on peut noter que celui de La France Insoumise ne se contente pas de mesures immédiates mais s’intéresse également à la façon dont les mentalités pourraient évoluer – notamment d’un point de vue social et culturel.

Crédits photo :

François Fillon: alnas.fr

L’extrême droite allemande (AFD) enlève son masque

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© Robin Krahl 

Lors d’une conférence donnée le jeudi 9 mars à Berlin, le nouveau parti d’extrême droite a dévoilé son programme politique. Les leaders de l’AfD ont annoncé les mesures dont le parti sera le porte-parole lors des prochaines élections qui auront lieu en septembre prochain. Sans grande surprise, celles-ci ne sont pas sans rappeler les propositions du Front National. Pour l’AFD, c’est un revirement par rapport aux propositions présentées lors du lancement du parti en 2013.

La sortie de l’Union Européenne 

La conférence a démarré sur ce postulat : « l’Allemagne n’est pas une démocratie ». L’idée majeure de l’AFD est de proposer la sortie de l’UE votée par les Allemands à l’aide d´un référendum afin que l’Allemagne « retrouve sa souveraineté ». A ses débuts, le parti s’était tout de même prétendu favorable à une intégration européenne dans le cadre des nations en se déclarant uniquement opposé à l’euro… tout en souhaitant conserver un marché commun. Le parti propose aussi d’introduire plus de référendums populaires sur le modèle suisse, ainsi qu’une regrettable réforme des institutions, ouvrant la porte aux interrogations : l’élection du Bundespräsident au suffrage direct par les citoyens, ainsi que la réduction des prérogatives des députés et du Chancelier. Actuellement, le Bundespräsident est élu par le Parlement et son rôle est celui d’un garant de la stabilité et de la continuité de l’Etat. Le système politique allemand a été décidé ainsi après la seconde guerre mondiale afin de prévenir toute nouvelle dérive d’un pouvoir trop personnel. La loi fondamentale (Grundgesetz) limite les pouvoirs du Président et les pouvoirs des députés du Bundestag et du Bundesrat. Que recherche réellement l’AFD en proposant cette réforme ? Il s’agit certainement d’une composante invariable de ce que les Allemands nomment le Rechtpopulismus, le populisme de droite qui revendique l’idée d’une personnalité forte à la tête de l’Etat.

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Frauke Petry, leader de l’AFP © Harald Bischoff

L’exclusion comme moteur politique et idéologique

De même que les frontistes français, les réactionnaires allemands prônent une politique dure et injuste envers les immigrés, et se font les chantres de la fermeture des frontières comme moyen de « protéger le pays » et d’« empêcher une invasion massive du système social ». La fermeture des frontières figure en tête de la liste du programme, le but de l’AfD étant de passer en dessous des 200.000 migrants par an (et une immigration basée sur des critères sélectifs), ainsi que d’interdire les regroupements familiaux pour les réfugiés. Alors que l’Allemagne a accueilli 890 000 réfugiés en 2015 et 280 000 en 2016, l’AfD propose de mettre fin à cette politique et souhaite diminuer l’accès au droit d’asile. En tant que proposition phare, figure aussi la reconduction à la frontière des criminels étrangers qui devront ainsi être emprisonnés dans le pays d’origine. Une dernière mesure phare concerne la déchéance de nationalité pour les immigrés binationaux coupables de crime. De plus, le parti songe à l’étendre aux Allemands ayant « des origines étrangères » sans apporter plus de précisions.

La question de l’Islam a aussi été longuement évoquée, l’AfD souhaitant interdire les cursus d’études universitaires sur l’Islam ou la théologie islamique (à l’instar des Gender Studies), ainsi que le port du voile dans les lieux publics, à l’école et à l’université. Marine Le Pen avait, elle aussi, fait part d’intentions allant dans le même sens. Selon l’AfD, l’intégration consiste à « plus qu’apprendre l’allemand », l’apprentissage et la promotion de la langue allemande occupant tout de même une grande place dans le programme politique, celle-ci étant définie comme le « centre de l’identité [allemande] ». Depuis ses débuts, le parti s’oppose radicalement au multiculturalisme et donne à la Leitkultur (voir l’article paru à ce sujet sur LVSLhttp://lvsl.fr/allemands-a-recherche-dune-identite-perdue) une définition se rapprochant du nationalisme exclusif. Il se positionne ainsi sur la même ligne que certains universitaires proches de la CSU et de la branche conservatrice de la CDU. Pour rappel, l’ex-CDU Friedrich Merz  avait expliqué que la culture de référence allemande (Leitkultur) devait “représenter un contre-poids” à la société multiculturelle. Position qui semble avoir été reprise par l’AfD. La communication du parti utilise aussi les même codes simplifiés et grossiers que le FN en France, en affublant certaines personnalités d’une burqa (représentation préférée des partis populistes de droite du “totalitarisme de l’Islam”) ou bien en éditant des tracts relatant des chiffres gonflés et établissant des parallèles douteux avec l’immigration et le chômage ou bien le terrorisme.

Et que vive l’armée !

En matière de défense, la restauration du service militaire pour « la protection et la puissance de la patrie » est proposée. D’une façon assez surprenante, l’AfD souhaite que les Etats-Unis restent un allié important et que l’OTAN reste une alliance de défense effective tout en refusant que les soldats allemands soient envoyés en mission pour les intérêts des « pays amis ». Ils doivent cependant pouvoir être mobilisés sous mandat de l’ONU. À ce méli-mélo incohérent s’ajoute la volonté dun « meilleur comportement » envers la Russie. L’AfD espère ainsi s’assurer la protection de l’Allemagne par des forces alliées étrangères, étant consciente de la faiblesse relative de la Bundeswehr qu’elle souhaite d’ailleurs « renforcer ». L’armée allemande est en effet peu dotée en effectifs et le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale reste un obstacle à toute tentative d’intervention militaire majeure (l’armée est totalement contrôlée par le Bundestag). Les récents exercices d’entraînement entre la police fédérale allemande et la Bundeswehr en cas d’attaque terroriste sont d’ailleurs largement relatés dans les journaux nationaux. Précisons aussi que l’AfD s’oppose à la construction d’une Europe de la Défense.

«L’Allemagne doit être fière de son passé»

Et si le pire était pour la fin ? Alors que le Front National – et la droite française en général – se plaisent à évoquer les « aspects positifs du colonialisme », l’AfD déclare, sans crainte, vouloir en finir avec la politique actuelle de mémoire du national-socialisme et « ouvrir l’histoire à de nouvelles possibilités » qui permettraient d’évoquer… les « aspects positifs de l’histoire allemande ». Il est assez douteux, de la part du parti d’extrême droite, de regrouper sous un même thème la critique de la mémoire du national-socialisme et la volonté de parler des points positifs de l’histoire allemande. Surtout lorsque cela figure sur un programme électoral. Mais encore récemment, il est possible d’entendre certaines personnes parler d’un ton naïf des « progrès en matière de transports sous Hitler, notamment pour les autoroutes ». Gruselig (effrayant), comme on dit en allemand. L’AfD n’est pas un parti “nazi” en tant que tel, mais parmi ses soutiens, certains le sont. Intervient alors le conflit entre la mémoire d’un fait ou d’une période historique, et de son utilisation dans la politique.

Une critique du monde post-idéologique ? 

La fin des idéologies – voire celle de l’Histoire – semble belle et bien n’être qu’une chimère. Car l’AfD, à l’instar du Front National, manœuvre et porte aussi un discours destinant à casser le clivage gauche-droite pour définir une nouvelle opposition entre les nationalistes et les pro-UE. La crise des réfugiés est à ce titre un motif concret prêtant à la construction d’une ligne idéologique correspondant à celle qui vient d’être détaillée est qui constitue le programme électoral de l’AfD. Merkel, en prétendant vouloir uniquement décider des mesures en ne faisant usage que du sacro-saint pragmatisme, donne en fait un sens idéologique à l’ouverture des frontières et du contenant à ce qu’est aujourd’hui l'”européisme” dont l’extrême-droite se sert pour se donner un contenu politique en “contre”. Et pour en terminer avec les idées reçues, l’AfD n’est ni un parti social, ni un parti qui se situerait “ni à droite, ni à gauche” de l’échiquier politique : ses idées sont réellement celles d’un renouveau du nationalisme allemand sur le modèle des autres partis nationalistes européens.

Pour retrouver le programme complet de l´’AfD : https://www.alternativefuer.de/programm/

Pour en savoir plus sur le système politique allemand : http://elections-en-europe.net/institutions/systeme-politique-allemand/

Crédits :

© Robin Krahl https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2015-01-17_3545_Landesparteitag_AfD_Baden-Württemberg.jpg

© Harald Bischoff https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frauke_Petry_5187.jpg