Les procès en utopie, une rhétorique qui s’épuise

Un simple coup d’œil à la table des commentateurs de BFM-TV le dimanche soir du second tour de la primaire de la Belle Alliance Populaire, qui a couronné Benoît Hamon face à Manuel Valls, suffisait à montrer à quel point le club fermé de l’éditocratie télévisuelle – Brunet, Barbier, Duhamel et autres – n’avait (encore) pas prévu un tel résultat dans son logiciel bien huilé. Au-delà du réflexe anti-hamoniste primaire de ses “experts”, qui prouve qu’ils détestent ce qui les désarçonne, il est intéressant de noter leur recours à une rhétorique bien connue : le procès en utopie. Décryptage de ce non-argument, degré zéro du débat politique qui n’en est plus à une absurdité près : repeindre Hamon en héraut de la gauche radicale, par exemple…

Sur BFM, une micro-bulle éditocratique méprisante

C’est désormais devenu une sorte de rituel : à chaque événement politique son cortège d’invités sur les plateaux télé. Des « experts » politiques, véritables petits soldats du décryptage et de l’analyse, généralement éditorialistes de leur état. Parmi eux, Alain Duhamel, Christophe Barbier, l’indéboulonnable Franz-Olivier Giesbert ou encore Eric Brunet. Brunet, sur lequel cela vaut le coup de s’arrêter cinq secondes, pour le plaisir : l’homme a en effet poussé l’expertise à un très haut niveau, écrivant en 2012 avant la présidentielle un livre intitulé Pourquoi Sarko va gagner (désormais rangé au rayon « science-fiction et uchronies » chez votre libraire), et prédisant il y a quelques mois un second tour Sarkozy-Hollande en 2017. Et BFM a toujours le souci de connaître son avis, c’est prodigieux. Mais bref, ce n’est pas le sujet ici.

Le soir de la victoire de Benoît Hamon, la scène est surréaliste. Tous s’accordent à dire que la victoire du candidat Hamon est la victoire de la « gauche utopiste ». Qui a donc gagné, par supposition, face à la gauche du réel, la gauche vallsiste, la gauche sérieuse : autant dire la droite. Les commentaires ce soir-là, dont on vous passe les détails, étaient plus méprisants les uns que les autres. Estampillé idéaliste et utopique, le programme de Hamon est balayé d’un revers de main. Ici c’est le vrai monde, un peu de sérieux. Hamon, candidat du revenu universel, est loin du réel : pire encore, il est le candidat de la jeunesse. Une jeunesse qui est, dixit le présentateur de BFM ce soir-là Alain Marschall, « révoltée, on le sait, rebelle ». Oui, vraiment, quoi de plus méprisable que la jeunesse, celle qui veut le changement. La jeunesse, ce mauvais moment à passer avant l’âge adulte, la fin des “conneries”, la maturité, et le retour dans le moule de la conformité. Présenter Hamon en candidat des jeunes, dans la bouche de ces journalistes, c’est lui retirer tout crédit, le faire retomber en enfance politique, en quelque sorte.

Les idées vs. la vraie vie véritable

Cette rhétorique, c’est celle des procès en utopie. Elle cherche à écarter, sans avoir à débattre ou contre-argumenter, toutes propositions ou idées politiques qui visent à bouger les lignes. Car l’utopie, c’est le domaine du rêve, de l’impossible : bref, quelque chose qui n’arrivera jamais, donc à quoi bon prendre en compte les idéalistes, ces doux rêveurs. Plus grave encore, derrière ces procès, les utilisateurs de cette rhétorique contribuent à forger l’idée que l’ordre actuel – c’est-à-dire l’ordre capitaliste néo-libéral, qu’il avance à découvert et avec agressivité sous les traits de François Fillon, ou masqué sous une couche de social-démocratie hollandienne – n’est pas le fruit des idées. Il serait naturel, ce serait le « réel », la « vraie vie », le « sens de l’Histoire »… et tout ce qui sort de son cadre est donc par définition hors de ce réel.

Capture d'écran d'un débat sur "l'utopie" du revenu universel, sur BFM
Capture d’écran d’un débat sur “l’utopie” du revenu universel, sur BFM

C’est évidemment faux. Le système actuel n’est certainement pas tombé du ciel par la grâce de Dieu, mais est bien le produit de courants de pensées, de décisions politiques, d’accords internationaux, qui ont contribué à le mettre en place. Derrière toute décision politique, il y a une certaine idée de ce que doivent être les choses. Ce qui est en politique n’est que la conséquence du débat autour de ce qui doit être. Il est essentiel de le réaffirmer, sinon tout pluralisme est en réalité impossible : derrière l’ordre socio-économique actuel, il y a la main de l’Homme. Et ce que l’Homme a fait, il peut bien entendu le défaire. Rien n’est immuable, rien n’est inamovible, ni gravé dans le marbre. Derrière cette rhétorique, qui a pris la forme d’un anti-hamonisme idiot ce soir-là, il y a la volonté consciente ou inconsciente de naturaliser l’ordre actuel pour mieux disqualifier toute réforme qui n’irait pas dans le sens de son renforcement. C’est le propre de tout système de pensée de vouloir faire croire qu’il est un horizon indépassable, et c’est là qu’il devient le plus dangereux.

Quand la rhétorique touche à l’absurde

Surtout, là où le commentaire politique devient absurde et surréaliste, c’est quand cette rhétorique est utilisée pour décrédibiliser Benoît Hamon. A écouter les « experts » du dimanche – littéralement – on aurait vite fait de croire que ce qu’il propose est révolutionnaire, un projet fou, qui propose de redistribuer toutes les cartes. Alors qu’il a en réalité un programme de gauche, certes, mais de gauche PS : il n’y a rien de bien utopique là-dedans. La France de Hamon serait sensiblement la même qu’aujourd’hui, toujours social-libérale, toujours dans l’Union Européenne, toujours soumise au régime des retraites de Sarkozy. Niveau utopie, on reste loin de l’El Dorado de Candide, vous en conviendrez.

Le programme de Hamon selon BFM-TV
Le programme de Hamon selon BFM-TV

Ses idées neuves, comme le revenu universel, qui lui valent d’être taxé d’idéaliste, ne sont en réalité neuves que dans une perspective française. Au Canada, le revenu universel a été testé à une échelle municipale dans les années 1970. C’est vous dire si l’idée est nouvelle…

Il y a ainsi bien des façons de critiquer Benoît Hamon, et d’ouvrir un débat fondé sur son programme. Le fait que la rhétorique de l’utopie lui soit appliquée témoigne de toute la vacuité de cette dernière. Cela en dit long également sur la crispation du système. Les éditocrates cités plus haut sont les chiens de garde de ce système, qui du reste les entretient, les nourrit et leur garantit des bonnes places grassement payées à commenter du vent en brassant de l’air. Si Hamon, qui n’est pas plus anti-système qu’Emmanuel Macron, est disqualifié à leurs yeux pour cause d’idéalisme, on vous laisse imaginer le traitement réservé aux pensées réellement alternatives, qui visent non pas à légèrement bousculer les choses, mais à les renverser pour proposer du neuf

Cette rhétorique n’est assurément pas nouvelle. À chaque époque, ceux qui proposaient des idées dangereuses pour la caste au pouvoir ont été anathématisés comme des rêveurs et des utopistes. Aujourd’hui, c’est la résistance au néolibéralisme qui est criminalisée comme une idée folle ; hier, c’était la mise en place d’une République. « Ne pas être républicain à 20 ans, c’est ne pas avoir de cœur ; l’être toujours à 30 ans, c’est ne pas avoir de tête », déclarait le monarchiste François Guizot il y a près de deux siècles. Même propos, même recours à la jeunesse comme une phase à dépasser : les époques changent, les procédés argumentatifs des puissants restent les mêmes.

Qu’on se rassure, le système s’essouffle et l’usage de cette rhétorique usée en est la preuve : BFM-TV peut bien s’égosiller à défendre le prétendu monde réel, qui ne donne plus aucune gage de son efficacité et qui de fait perd chaque jour un peu plus de crédibilité ; le monde réel de demain, lui, est déjà en construction, et il se passera très bien de toute pseudo-expertise en flux continu.

Crédits photos :

http://www.karimadelli.com/index.php?rub=medias&pg=dans-la-presse&spg=&act=2016-09-19-bfm-tv-500-millions-d-europeens-le-revenu-universel-est-il-une-nouvelle-utopie

http://www.la-croix.com/France/Politique/Les-jeunes-socialistes-force-militante-Benoit-Hamon-2016-12-29-1200813462

http://fr.feedbooks.com/book/5261/l-utopie

Une : http://www.humanite.fr/un-ete-pau-un-ocean-de-poings-fleur-de-pau

Les primaires du PS ou la médiacratie en action

Capture ITélé / BFMTV

Dans un précédent article, nous expliquions que les primaires, loin de représenter une avancée démocratique comme le prétendent leurs promoteurs, remplissent avant tout une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche-droite. L’attitude des médias de masse, co-organisateurs de la campagne des primaires, s’y révèle discutable d’un point de vue démocratique. En organisant directement les débats et en relayant abondamment la campagne des primaires de LR, du PS et affiliés, le système médiatique a légitimé et alimenté la stratégie électorale de ces partis au détriment d’autres formations politiques. Dernier exemple en date : la couverture médiatique des primaires du PS et de ses satellites.

Une grand-messe politico-médiatique

Les débats des primaires ont été directement organisés par les médias de masse qui ont tous largement apporté leur pierre à l’édifice : service public et médias privés, chaines généralistes et chaines d’information en continu, presse écrite et radio.

Le dernier débat de premier tour des primaires de la Belle Alliance Populaire a par exemple été organisé conjointement par France Télévisions (service public) et Europe 1 (Lagardère) tandis que le précédent débat était assuré par iTélé (Bolloré) et BFMTV et RMC (Weill-Drahi) et le premier débat était orchestré par l’Obs (Niel-Bergé-Pigasse), RTL (Bertelsmann-Mohn) et TF1 (Bouygues).

Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat.
Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat (Capture BFMTV et iTélé)

La concurrence et la course à l’audimat ont été, le temps d’un débat, mises de côté dans une sorte de grande communion politico-médiatique. Ainsi avons-nous pu voir les deux journalistes-stars d’iTélé et de BFMTV, Laurence Ferrari et Ruth El Krief, plus complices que jamais, se réjouir de voir leurs deux équipes travailler de concert alors que, d’ordinaire, elles se concurrencent sur le créneau horaire 19-20h.

 

Une monopolisation de l’espace médiatique

Du reste, il était bien difficile pour les téléspectateurs et auditeurs de réchapper aux débats des primaires puisqu’ils étaient retransmis en direct simultanément sur plusieurs chaines de télévisions et stations radio. Ainsi, le 12 janvier, le premier débat du premier tour était retransmis par TF1, LCI, LCP et RTL ; le deuxième débat était diffusé sur iTélé et BFMTV et RMC et le dernier débat était retransmis au même moment sur France 2, LCP, LCI, Franceinfo et Europe 1. La saturation médiatique s’étend sur internet et les réseaux sociaux puisqu’on pouvait suivre les débats en streaming. S’en sont suivies des émissions de « debrief » tant sur les chaînes qui diffusaient les débats que sur d’autres chaînes et, pour les retardataires, des rediffusions des débats ont également été programmées.

En dehors des débats, les médias de masse ont suivi et relayé les meetings, les déplacements et les moindres faits et gestes des candidats Ils ont également invité les différents candidats pour des interviews individuelles par souci d’équité quand bien même les candidats issus du PS ont concentré l’attention de médias. Les 7 candidats à la primaire du PS sont avant tout 7 défenseurs et porte-paroles de la stratégie du PS bénéficiant d’un accès privilégié aux médias le temps de la campagne.

F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (BFMTV)
F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (Capture BFMTV)

Sur les plateaux de BFMTV, Ruth El Krief et Jean-Jacques Bourdin ont en effet reçu, l’ensemble des candidats à l’occasion de la campagne des primaires. C’est ce choix éditorialiste de la part de BFMTV qui explique que François de Rugy sera reçu par Bourdin alors que Bastien Faudot, pourtant candidat déclaré aux élections présidentielles de 2017 et investi par le MRC, ne connaîtra pas cet honneur. Le Parti écologiste, fondé en 2015 par François de Rugy, dispose pourtant d’un nombre d’élus à peu près équivalent voire moindre par rapport au MRC fondé en 2003. La différence majeure expliquant ce traitement médiatique inégal ? La participation à la primaire et donc leur lien avec le Parti Socialiste. La Belle Alliance Populaire avait accepté la participation du Parti écologiste à la primaire tandis qu’elle avait refusé celle du MRC ; le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis avait justifié à l’époque ce choix en arguant que la primaire du PS, « ce n’est pas open-bar ».

La rhétorique du PS abondamment relayée et légitimée

Les médias organisateurs des débats accompagnent la stratégie de légitimation du PS pour l’hégémonie à gauche, en relayant complaisamment et sans prendre le recul nécessaire, les éléments de langage du PS et de ses satellites sur la « primaire de la gauche et de l’écologie ». Dans sa bande-annonce du débat du 19 janvier, France 2, par la voix de son journaliste David Pujadas, fait ainsi la promotion du débat de « la primaire de la gauche ». Pourtant, il convient de rappeler que le PCF, EELV, la France Insoumise, par exemple, qui se revendiquent également de la gauche et de l’écologie n’ont pas souhaité y participer tandis que d’autres formations se revendiquant elles aussi de la gauche telles que le MRC ou Nouvelle Donne et souhaitant y prendre part, ont été recalées à l’entrée de la Belle Alliance Populaire. La neutralité et le pluralisme revendiqués par les médias de masse et, en particulier par le service public, ne devraient-ils pas appeler à plus de précaution dans les termes employés plutôt que de reprendre telle quelle la rhétorique des promoteurs de la Belle Alliance Populaire ?

 

La déferlante médiatique autour des primaires du PS, sous prétexte que ce sont des primaires ouvertes à tous les citoyens, est telle que l’on ne s’en émeut plus guère mais elle est tout à fait discutable d’un point de vue démocratique. On peut y voir en effet un parti-pris médiatique puisque cette couverture médiatique, abondante et déséquilibrée, légitime et accompagne la stratégie du PS qui souhaite, à travers ce mode de désignation de son candidat présidentiel, asseoir ou rasseoir son hégémonie à gauche, au détriment d’autres formations politiques qui lui disputent cette centralité dans le cadre des élections présidentielles de 2017.

Crédits photo :

Capture BFMTV / ITélé

Alliance Hamon – Jadot – Mélenchon : pourquoi il faut tourner le dos au PS

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© Benoît Prieur

Hacker la présidentielle. Mettre de côté les enjeux personnels. Présenter une candidature d’union au service de la France. Un projet qui fleure bon le printemps, là où tout est rose, tout est fleuri et merveilleux. L’idée est tentante… Mais cette alliance serait un piège stratégique qui ne ferait que redorer le blason du Parti Socialiste. Cette pétition qui commence à circuler sur les réseaux sociaux est à l’initiative d’un certain nombre de personnalités dont on connaît l’engagement pour un projet de société viable. Cet appel paré de toutes les belles intentions n’en constitue pas moins une grossière erreur de jugement. Et ceux qui, en la partageant, pensent faire preuve du meilleur sens politique, font en réalité le bonheur de tous les barons du système.

Le PS ne mérite aucun pardon

Le résultat du 2nd tour de la primaire est certes une bonne nouvelle. Il marque une étape supplémentaire dans l’effondrement du vieux monde politique. Deux présidents et deux premiers ministres ont été balayés par le piège des primaires. Moins de 15% des électeurs ont participé à celles du PS et de la droite. En faisant confiance aux chiffres surgonflés par M. Cambadélis, tout au plus 2 millions d’électeurs sur 48 potentiels à l’échelle nationale ont participé à la primaire du PS. Et plusieurs milliers sans doute, se sont précipités pour gifler une deuxième fois Manuel Valls. Pas nécessairement pour applaudir Hamon.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. N’oublions pas qu’ Hamon est l’heureux héritier du bilan Hollande. Hamon est le complice de la Loi Travail, de la Loi Macron, auxquelles il s’est opposé bien mollement. Mais il est surtout responsable, alors au gouvernement, du vote du traité budgétaire européen (TSCG) en 2012 et du CICE (40 milliards offerts gracieusement au MEDEF sans contrepartie). Quelle crédibilité possède Benoît Hamon, qui prône aujourd’hui la justice sociale après avoir été membre d’un gouvernement qui l’a niée an bloc ? Il y a quelques jours, on soupçonnait le PS de manipulation des résultats au premier tour des primaires. Peu de votants, 35 000 adhérents tout au plus et un bilan catastrophique. Et soudain, au lendemain de la victoire de Benoît Hamon, un curieux bond dans les sondages, comme pour mieux rappeler au troupeau pour qui il faut voter. Le PS n’est plus qu’une coquille vide et ne mérite pas qu’on oublie son bilan. L’idée d’une convergence sous l’égide d’Hamon est tentante. Mais quelle est sa légitimité après avoir été le fossoyeur des valeurs de la gauche ?

Crédibilité et cohérence zéro 

Impossible de s’allier quand les projets sont trop différents. La pétition entend œuvrer pour un projet écologique, social et économique au service de la France. Il s’agirait de regonfler la voile de la gauche et de faire barrage aux dangers que constituent le néo-libéralisme de Fillon et Macron et la xénophobie de Marine Le Pen. Encore une fois, les électeurs ont la mémoire courte. On se remémore encore le fameux « mon ennemi c’est la finance ! » du brave Hollande. Les déclarations d’intention des candidats ne comptent pas : seules devraient nous intéresser la crédibilité des partis et la cohérence des programmes. Or, de crédibilité et de cohérence, le parti et le programme de Hamon n’en possèdent pas.

Le PS devrait d’abord commencer par résoudre ses propres incohérences en interne. On oublie vite que Myriam El Khomri dans le 18ème et Manuel Valls à Evry  sont candidats aux législatives. Cela signifie que la ministre de la Loi Travail, et le 1er ministre du 49-3 se présentent en promettant – via Hamon – d’abroger la Loi Travail et le 49-3. Sans compter les défections en cours et à venir des ténors du PS qui rejoignent Macron la queue entre les jambes, priant pour sauver leur carrière politique ! Même inconséquence pour le programme politique de Benoît Hamon : l’ex-ministre de l’Education nationale use et abuse de la communication sur un hypothétique « revenu universel » tout en jouant les européistes béats. Mais des revendications écologiques et sociales radicales ne seront pas dissociables d’une interrogation critique vis-à-vis du projet européen. Le programme de Benoît Hamon est strictement inapplicable dans le cadre de l’Union Européenne, fer de lance des politiques néolibérales et bras armé des lobbies pollueurs. Or, de son aveu même, Benoît Hamon ne croit pas à l’idée d’un “rapport de force” avec l’Union Européenne. Quelle crédibilité, dès lors, pour son programme écologique et social ?

Diviser pour régner

L’appel du pied d’Hamon et cette pétition sont un piège. Appeler à une telle convergence à moins de trois mois de l’élection présidentielle peut donner à certains l’impression d’œuvrer pour le meilleur des mondes en dénonçant le « jeu des égos » et la stratégie politicienne. C’est en réalité la manœuvre parfaite pour assurer la pérennité du système. Proposer une alliance sans avoir l’intention de, forcer les autres à la refuser, les dénoncer ensuite. Avec le renfort de la grande presse et de sondages bidonnés, huer les égoïstes et les stratèges. Le deal parfait pour semer le trouble et sauver le parti socialiste ! Classique. On nous a déjà fait le coup. Hamon, en 2012 déjà, déclarait au Figaro en parlant de Hollande : « On lui assure un flanc gauche qui évite que certains électeurs se tournent vers Mélenchon. » A moins que Hamon n’ai été touché ces 2 derniers mois par la grâce divine et la révélation écologiste, il pourrait tenir toujours le même rôle. Le risque, en définitive, à trop appeler à une convergence qui irait dans le même sens qu’en 2012, serait d’ouvrir la voie à un Macron qui siphonne d’ores et déjà des voix de tous les côtés. On apprend ce matin qu’ Hollande manifeste son soutien à Hamon. Au mieux, la preuve d’un bel aveu de filiation. Au pire, la marque de Caïn signé Hollande pour sacrifier définitivement Hamon au profit de Macron. En ce sens, et sans être défaitiste, il faut aussi s’attendre à l’éventualité d’un second tour Macron – Fillon. Dans cette perspective, aucun intérêt stratégique à se compromettre avec un parti dont les cadres abandonnent déjà le navire pour se jeter dans les bras de « monsieur Rothschild ».

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Il s’agit de refuser d’être cette fois les complices d’un PS impardonnable. Yannick Jadot refuse déjà l’idée d’une alliance, souhaitant incarner seul les idées d’ EELV, à moins qu’Hamon ne “s’émancipe du PS“. Plutôt que de s’engouffrer à nouveau dans des manœuvres d’appareil, le défi des électeurs et des candidats sera de se focaliser justement sur un programme radical. Pour redorer le blason de la gauche, engageons-nous pour un projet global de planification écologique, de relocalisation de l’économie, de fin du productivisme et de justice sociale. Le défi est bien celui d’une exigence écologique couplée à une nécessaire justice sociale. Donc ce n’est pas sur un PS compromis qu’il faudra compter ! Si penser que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, alors il apparaît indispensable de laisser le PS mourir pour mieux préparer l’avenir. Aller vers une « démocratie collaborative » implique de ne pas renouveler notre confiance à ceux qui se sont assis à la table du gouvernement. Et si Mélenchon avait les clés en main ? Il ne tient qu’à lui de fédérer pour la gagne, celle de la vraie gauche, sans concéder sur le fond. Appeler à une convergence, sans aucun doute. Mais sans le PS.

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Primaires : la démocratie des “élites”

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©Marie-Lan Nguyen

Outre les magouilles attestées lors du premier tour de la primaire du PS, le principe même de ce processus pose un vrai problème démocratique : l’éviction des catégories populaires du processus de désignation politique.

Ces dernières années, les primaires semblent être devenues une étape incontournable de la vie politique française avant l’échéance présidentielle. Le succès attribué à celles de la gauche en 2011 en feraient une étape indispensable vers l’alternance, expliquant  que la droite s’y soumette elle aussi avec un certain succès en 2016.

Importées des États-Unis, les primaires sont indissociables d’un système bipartisan. On comprend donc bien que dans une situation de délitement du Parti Socialiste et de rivalité entre Les Républicains et le Front National, les primaires remplissent une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche/droite. C’est comme cela qu’il faut comprendre la bataille sémantique autour de la dénomination de la primaire de « la Belle Alliance Populaire » abusivement qualifiée de « primaire de la gauche » par les médias. Car bien sûr, ni E. Macron ni J-L Mélenchon, crédités de davantage d’intentions de votes que n’importe quel candidat issu des primaires, ne participent à la compétition.

L’enjeu pour les partis traditionnels est donc d’ériger leurs primaires comme un préalable indispensable à l’élection présidentielle. Thomas Clay, président de la haute autorité de la primaire de la gauche déclarait ainsi en annonçant les résultats que « les primaires s’ancrent dans la vie politique française, c’est une bonne nouvelle ». Une analyse pour le moins contestable au regard de la faible participation des électeurs au scrutin. Tout au plus les primaires s’ancrent-t-elles dans la vie médiatique française. Mais ce rituel est encore loin de rassembler une frange réellement massive de l’électorat.

Bien sûr l’argument censé justifier le tenue de ces primaires est toujours le même : il s’agirait d’une avancée démocratique permettant aux peuples de gauche ou de droite de s’exprimer au-delà des appareils partisans. Or il convient de réfuter rigoureusement ces idées. Non les primaires ne sont pas des avancées démocratiques, bien au contraire.

Tout d’abord les primaires favorisent l’engagement des catégories déjà politisées de la population. Et l’on recoupe ici la critique plus large de la soit disant « démocratie participative ». Ceux qui participent sont ceux qui ont les moyens de participer. Les votants aux primaires ne sont pas à l’image du reste de la population.

Dans Le Monde, Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, et spécialiste des comportements électoraux jugeait “qu’ont voté aux primaires (de la droite) des inscrits plus âgés, plus riches, plus diplômés que la moyenne.” Il est trop tôt pour pouvoir analyser les résultats de la primaires de la BAP, d’autant plus que ces derniers sont loin d’être transparents. Mais une sur-représentation des catégories socio-professionnelles les plus aisées est plus que probable, à l’instar des primaires de la droite en 2016 et de la gauche en 2011. On peut même certainement craindre une participation encore plus faible des classes populaires à la primaire socialiste de 2017. Déjà en 2011, 75% des votants étaient diplômés de l’enseignement supérieur et 70% occupaient un poste de cadre ou de profession intermédiaire.

Les catégories populaires ne s’intéressent que plus tardivement à l’enjeu présidentiel, traditionnellement vers la mi-février. Le résultat des primaires aboutit donc nécessairement à une distorsion de l’offre politique qui est passée au filtre d’un électorat plus politisé et plus aisé que le reste de la population.

Pour les sociologues Thomas Amadieu et Nicolas Framont : les primaires « instituent de fait un corps de grands électeurs »[1]. En effet, les électeurs les plus intéressés à la chose publique pré-sélectionnent les candidats qui seront soumis quelques mois plus tard au reste du corps électoral. Et en toute logique, les électeurs des primaires se choisissent un candidat à leur image.

Par ailleurs les primaires ne permettent en rien de court-circuiter les bureaucraties partisanes. Car ce sont bien elles qui fixent le cadre de la compétition. Ainsi les candidats jugés inappropriés sont évacués faute de la caution d’un minimum de barons (on retiendra l’exemple de Gérard Filoche ou d’Henri Guaino pour ne citer qu’eux). En réalité les primaires sont bien plus un moyen pour les appareils des partis de se revitaliser en captant une pseudo-légitimité populaire (et en captant aussi au passage les millions d’euros payés par les votants pour participer au scrutin !).

L’arrivé en tête de B.Hamon au premier tour de la primaire de la BAP illustre ce “vote des élites”. Le candidat Hamon est à l’image du corpus électoral restreint qui l’a placé en tête des suffrages : urbain et diplômé. On sait qu’il a les faveur du MJS qu’il a longtemps dirigé et opère par ailleurs la synthèse des frondeurs tout en étant relativement compatible avec les intérêts de la bureaucratie et des baronnies du parti. Ce choix d’un segment bien spécifique de l’électorat aurait-il été celui d’un corps électoral plus large ? Les sondages réalisés sur l’hypothèse d’une plus forte participation jugeaient en tout cas que non, car dans cette hypothèse c’est A. Montebourg qui aurait été favorisé. L’avenir dira si le candidat désigné par les votants aux primaires de la BAP rencontrera le même engouement auprès du reste des électeurs français…

Crédit photo : ©Marie-Lan Nguyen

La gauche à la croisée des chemins – Entretien avec Emmanuel Maurel

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Emmanuel Maurel, député européen PS.

Entretien avec Emmanuel Maurel, eurodéputé PS, animateur du courant Maintenant La Gauche au sein du PS et soutien d’Arnaud Montebourg pour les primaires du PS. Au programme : littérature, primaires du PS et crise de la social-démocratie européenne.

Vous êtes un des derniers littéraires de la classe politique. Lorsque l’on pense à François Mitterrand et à l’image qu’il s’est construite, l’homme de lettre, ayant un rapport charnel à la culture française, ressort immédiatement. Depuis trente ans, le personnel politique a subi un profond renouvellement, laissant toujours plus de place aux discours et aux logiques de gestionnaires. On pense évidemment à la fameuse « inversion de la courbe du chômage », et l’on voit parallèlement l’autorité de l’État s’affaiblir de plus en plus. Selon vous, quel rapport la culture littéraire entretient-elle avec la politique et avec l’autorité ?

Je ne suis pas du tout un des derniers littéraires du PS ou de ce que vous appelez de la classe politique ! Je lis beaucoup de livres, comme nombre de Français et nombre de collègues. Le problème réside dans le fait que la littérature et la politique sont vécues comme deux activités étanches. Puisque vous parlez de François Mitterrand, si l’on retient à ce point cet aspect de lui, qu’il aimait par ailleurs mettre en scène, c’est parce que ses lectures irriguaient en permanence son action et ses discours. En réalité, plus qu’à une disparition des littéraires, nous assistons à un phénomène de normalisation du langage politique qui s’assèche progressivement de ce qui l’irriguait autrefois, au profit, trop souvent, d’une novlangue technoïde déconnectée de la réalité vécue par les gens.

Cela est en partie lié à la formation du personnel politique, et notamment au rôle important que joue l’ENA dans la production de ce personnel. Mais c’est aussi lié à l’imprégnation de l’idéologie managériale, qui promeut des discours à coup de chiffres et de pourcentages. La fameuse phrase de François Hollande sur « l’inversion de la courbe du chômage » en est un pur produit.

Néanmoins, cette impression d’étanchéité ne vient pas uniquement des acteurs politiques. Ce qu’on appelait jadis la “littérature engagée”, qui a produit le meilleur et le pire, a pratiquement disparu en France, à quelques heures exceptions près (je pense par exemple au roman puissant de Gerard Mordillat, Les vivants et les morts). Et même lorsqu’elle est fortement ancrée dans la réalité (c’est le cas par exemple des ouvrages de Michel Houellebecq) c’est sur un mode (faussement) indifférent. Mais rien n’est définitif. Ainsi, cette année, on a pu lire un formidable roman politique, Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo, qui aborde le thème de la condition animale et dénonce, dans une langue superbe, les dérives liées à la volonté humaine d’exploiter la nature de manière irraisonnée. C’est âpre, et ça change des bluettes germanopratines !

Le rapport entre l’autorité et la culture littéraire, c’est une question difficile que je ne suis pas sûr de comprendre et à laquelle je ne sais pas vraiment répondre.  L’autorité ne se décrète pas évidemment, elle est souvent naturelle, liée parfois simplement a une posture, à une façon de poser sa voix, à l’éloquence aussi (qui évidemment est nourrie de lectures). Après, il y a une détermination dans l’action qui renforce l’autorité, et puis aussi, sûrement, une volonté, celle d’inscrire cette action dans le temps, de laisser des traces dans l’histoire nationale. François Mitterrand, encore, avait le souci permanent de la préservation du patrimoine et en même temps de l’invention d’une architecture. C’est banal que de le rappeler, mais c’est vrai que c’est un Président bâtisseur. À La fois obsédé par le passé et soucieux de l’avenir. Hollande et Sarkozy sont fondamentalement des Présidents du pur présent.

Cette perte de culture littéraire, historique et politique est allée de pair avec une indifférenciation politique croissante. Le discours et la politique du PS semblent avoir convergé avec ceux de LR – du moins, lorsqu’il est au pouvoir. Le fameux « cercle de la raison » cher à Alain Minc est-il une réalité ? Pouvez-vous nous dire quels sont les courants idéologiques qui structurent le PS aujourd’hui ?

En réalité, l’indifférenciation dont vous parlez est moins présente en France qu’ailleurs, même si elle existe effectivement. Mais Il y a en effet cette impression désagréable que les partis dits de gouvernement, de droite comme de gauche, se disputent sur l’accessoire parce qu’ils sont d’accord sur l’essentiel, c’est à dire sur les questions économiques et sociales : “baisse des charges”, “lutte contre les déficits”, “rigidités du marché du travail”, etc. Chacun se réapproprie les mots d’ordre de la vulgate libérale, laissant à penser qu’il n’y a plus que des différences de degré, pas de nature. Avant l’alternance était vécue comme une chance, la preuve d’une démocratie vivante et d’un débat nécessaire. Aujourd’hui, elle relève plus souvent de la seule fatalité : les électeurs ont parfois l’impression que se succèdent des candidats interchangeables, enthousiasmants le temps d’une campagne mais pareillement décevants dans l’exercice du pouvoir.

Si l’alternance se résume à une oscillation molle entre deux projets qui ne sont pas antagonistes, il y a évidemment un espace politique qui se libère. Espace occupé par ceux qu’on appelle abusivement les “populistes” ou qui se revendiquent “antisystème”. Notons que ces appellations relèvent plus de la blague que du sérieux politique, quand on voit que Macron, “populiste du centre”, se targue de “révolutionner” le système. Et certains font même mine d’y croire.

En réalité, le mot “populiste” en dit finalement plus sur celui qui l’utilise que sur celui qu’il est censé décrire. Rien n’a changé depuis les années 90, quand une majorité d’éditorialistes et de “décideurs” enamourés tenaient pour acquise l’élection d’un Edouard Balladur, formant ce que Minc, toujours inspiré, avait en effet appelé “le cercle de la raison”. On sait ce qu’il advint de cette conjuration des sachants. Les mêmes, ou leurs héritiers, reprennent aujourd’hui le flambeau de la lutte ardente contre le populisme, sans mesurer qu’en qualifiant tous ceux qui pensent différemment d’eux par ce terme, ils finissent par le rendre inopérant et… populaire.

Revenons à votre question, celle relative à l”’indifférenciation”. il ne faut pas négliger les résistances qui existent encore dans le PS. Celui-ci est aujourd’hui structuré par trois grands courants. Un premier qui est acquis à l’idéologie dominante : Il faut accepter les principes du néolibéralisme tout en limitant les dégâts sur notre modèle social et en professant un certain progressisme sociétal. Un deuxième, composé des ceux qu’on a appelé « frondeurs », est à la fois attaché au rassemblement de la gauche et à l’héritage socialiste. Enfin, ceux qui se revendiquent d’une tradition centrale, qui a longtemps été majoritaire au PS, et qui, dans le sillage de Mitterrand et Jospin, prétendait précisément faire la synthèse entre les différents courants de pensée qui coexistaient, plutôt bien d’ailleurs, depuis Épinay. A l’issue du quinquennat de François Hollande (qui a vu notamment un premier ministre socialiste théoriser les deux gauches irréconciliables, laissant à penser que la ligne de fracture passait aussi au sein du PS) la question est de savoir si cette tradition là peut perdurer.

Je vais un peu vite et les choses sont évidemment un peu compliquées. Peut être faudrait il plutôt organiser la réflexion autour de plusieurs axes : le couple libéral/antilibéral, l’axe démocrate/républicain voire même europhile/eurocritique (même si le débat sur l’Europe porte moins sur le constat et les objectifs que sur les moyens de transformer l’Union).

Après que Marie-Noëlle Lienemann a jeté l’éponge, vous avez fait le choix de soutenir Arnaud Montebourg pour les primaires qui viennent. Pourtant, vous semblez politiquement proche de Benoît Hamon. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à faire ce choix ?

Le choix de soutenir Arnaud Montebourg plutôt que Benoît Hamon est rationnel. A l’origine, j’étais partisan d’une candidature unique de tous ceux qui critiquaient le tournant libéral qu’a occasionné le quinquennat de François Hollande. Malheureusement, cela ne s’est pas fait.

J’ai donc comparé les deux programmes et, même si je suis souvent d’accord avec Hamon, je ne me reconnais pas dans certains de ces thèmes de campagne qui sont mis en avant, à commencer par revenu universel et les références idéologiques qui sous-tendent cette proposition. Ce que défend Montebourg me convient mieux. Son projet, qui réaffirme le rôle de l’État dans la vie économique, favorable à une relance keynésienne, attaché à une certaine tradition républicaine, mettant en avant le “made in France” et la réforme des institutions, me semble être ce dont notre pays a effectivement besoin aujourd’hui.

Peut être qu’on n’échappe pas totalement à nos choix originels : il y a quelque chose de l’opposition ancienne entre la première et la deuxième gauche (l’atténuation du rôle de l’État, la réflexion sur la fin du travail, la relativisation des impératifs de croissance) qui subsiste dans ce débat de primaire.  Je reconnais que Benoit met dans le débat des éléments prospectifs dignes d’intérêt. Cependant, j’ai l’impression qu’il y a un décalage vis à vis de l’urgence de la présidentielle. C’est une question de temporalité : l’élection est dans quelques mois, les Français attendent des réponses précises pour répondre à l’urgence, celle du chômage de masse et celle de la persistance des inégalités.

Étiez-vous favorable aux primaires ? L’absence d’Emmanuel Macron et celle de Jean-Luc Mélenchon mettent la pression sur le PS. Les primaires ne risquent-elles pas d’être un révélateur des fragilités du PS ?

Il y a quelques années, je n’étais pas favorable aux primaires. Il s’agit d’un processus très Vème République, qui contourne les partis, qui centre la compétition politique sur la personnalité et qui, par ailleurs, surreprésente les catégories sociales les plus aisées au détriment des catégories populaires.

Ceci dit, force est de constater que dans un contexte de défiance très forte vis à vis des partis et surtout d’absence de leadership, les primaires peuvent être un outil pertinent pour donner de la légitimité à un candidat. Dès 2014, dans une interview au Monde, je disais qu’il y aurait une primaire en 2016 (bon finalement c’est début 2017). En fait, je pense que le PS ne pouvait pas échapper aux primaires à partir du moment où François Hollande n’apparaissait pas comme le candidat naturel du PS, ce qui est devenu encore plus évident après la loi travail et la déchéance de nationalité.

Il est clair que les primaires sont risquées pour le PS. Si la participation est faible, si donc la primaire est un demi-échec ou un demi-succès, l’instrument de légitimation pourrait se transformer en instrument de délégitimation.

Mais le principal problème du PS, c’est surtout la configuration politique à gauche de la présidentielle. En effet, il n’est pas impossible que l’électorat considère qu’au fond, le vrai débat est entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Ce risque est moindre pour les législatives car le PS dispose d’élus identifiés et implantés alors que ni Mélenchon ni Macron n’ont un parti enraciné sur le territoire. C’est la raison pour laquelle certains prédisent la SFIOisation du PS. La SFIO, à la fin de sa vie, malgré des scores aux élections nationales très modestes, continuait à exister dans des places fortes locales.

C’est une issue possible même si, heureusement, ce n’est pas la seule.

Le PS semble dans une situation bien compliquée. Néanmoins, et à sa décharge, c’est toute la social-démocratie européenne qui vit une crise aigüe. Outre le cas paroxystique du PASOK, le PSOE est concurrencé par Podemos, le PS Belge est talonné par le PtB dans les sondages, le PVDA néerlandais touche le fond, Matteo Renzi a subi un désaveu cinglant et le SPD allemand paiechèrement la grande coalition et le souvenir des réformes Schröder. Seul le PS portugais, qui a fait le choix de s’allier avec la gauche radicale, semble en état de gouverner. Comment analysez-vous cette crise ? La crise de la social-démocratie n’est-elle pas aussi une crise de la construction européenne et de l’euro en général ?

La crise de la social-démocratie européenne est essentiellement liée à sa sidération devant la puissance (et la violence) du capitalisme financier transnational, des conséquences de cette “mondialisation libérale” dans la vie des hommes et des sociétés. Et cette sidération débouche parfois sur une forme de défaitisme interrogatif : comment faire pour contenir cette puissance, pour empêcher la progression vertigineuse des inégalités, pour remettre l’humain dans un monde où l’argent est la mesure de toute chose, pour répondre aux angoisses consécutives à cette nouvelle donne ? Le peut-on vraiment ?

Tous les partis cités ont connu des périodes d’hésitation, ont fait un choix, le plus souvent celui d’un accompagnement du système qu’il s’agissait d’améliorer à la marge  (blairisme, schroderisme, etc) et se sont rapprochés du modèle du Parti Démocrate étatsunien (tout en gardant, dans le cas allemand ou britannique, des liens organiques avec les syndicats de travailleurs).

Tous les partis sociaux-démocrates sont touchés. Comme on a pu le voir au cours des dernières primaires de LR, les partis conservateurs ont un socle électoral encore à peu près stable. Alors que l’électorat traditionnel de la social-démocratie (classes moyennes et classe ouvrière) n’a pas les mêmes réflexes. Si on ajoute à ça les fractures territoriales qu’on observe dans quasiment tous les pays occidentaux, on mesure la difficulté des sociaux démocrates. Comment conserver le vote des métropoles sans perdre celui des périphéries, commence concilier les intérêts de plus en plus divergents ? Personne ne trouve de réponse satisfaisante face à cette crise idéologique et sociologique.

A cela s’ajoutent des éléments de crispation identitaire sur l’immigration et souvent l’islam. La gauche se trouve devant une énorme difficulté : prendre en compte cette insécurité culturelle sans jamais verser, évidemment, dans des réponses nationalistes ou excluantes. Je pense qu’en France une réponse républicaine reste d’actualité si elle promeut l’égalité, et l’idée d’un citoyen autonome de tous les clergés et de toutes les autorités naturelles. Il faut donc faire attention à l’acceptation progressive des revendications identitaires, et à la progression d’une forme de différentialisme  à gauche. Jean Birnbaum, dans Le silence religieux, fait une analyse brillante de ce phénomène.

Enfin, outre ces problèmes économiques et culturels, se pose, comme vous l’avez souligné, la question de l’Union Européenne. Celle-ci, au moins depuis l’acte unique, s’est construite à partir des exigences des tenants de ce qu’on a appelé l’idéologie ordolibérale. Les sociaux démocrates, la gauche en général, a beau en appeler à “l’Europe sociale”, les résultats tardent a venir, c’est le moins qu’on puisse dire. L’élargissement a encore compliqué la tâche. Nous pouvons encore imaginer une autre Europe qui fonctionne sur des principes de solidarité et de coopération. Mais aujourd’hui, force est de reconnaître qu’on a au contraire à la fois une Europe de la compétition interne (dumping fiscal et social), et en même temps un arsenal de règles et de sanction à destination des États membres rétifs à la sacro sainte discipline budgétaire.

La crise grecque, a été pour moi un choc violent, traumatisant, qui m’a affecté intimement : la domination sans partage de l’Allemagne qui a fait de l’euro sa chasse gardée et qui poursuit de sa vindicte tous les hétérodoxes qui menacent les économies de ses vieux épargnants, la névrose obsessionnelle de la classe dominante et des marchés pour la dette qui n’a de publique que le nom puisque qu’elle croît souvent pour réparer les erreurs, les errements des institutions financières et les politiques qu’elles inspirent, le caractère résolument post démocratique du traitement de la crise grecque par une partie des dirigeants européens, traitant Tsipras au mieux comme un grand enfant foufou qu’il faut calmer, au pire comme un populiste rouge qu’il faut briser au plus vite. L’Europe a été bien plus sévère avec le premier ministre grec qu’avec Orban, le sinistre chef du gouvernement hongrois.

Toutes les mesures vexatoires exigées à l’encontre des pays à la périphérie de l’UE sont de nature à empirer la situation. Sauver l’Union implique donc de faire comprendre à certains de nos partenaires, et au premier chef les Allemands, que si l’on continue comme ça, à terme, nous assisterons à la mort de ce projet qui nous a longtemps fait rêver. Nous n’avons donc pas le choix : il faut installer un rapport de force dur.

Propos recueillis par Lenny Benbara pour LVSL

Crédit photo : Margot L’hermite

Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

©kamiel79. L’image est libre de droit.

Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

Crédit photo : ©kamiel79. L’image est libre de droit. 

1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.