Au-delà du Mur, un conte de l’Allemagne réunifiée : amour, violence et politique

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© Editions l’Harmattan

Si l’on cherchait une allégorie pour imager l’ouvrage de Martine Gärtner, ce serait sans doute une rivière. En effet, si le récit de Au-delà du Mur, un conte de l’Allemagne réunifiée ne s’écoule que sur 200 pages, il mêle avec élégance plusieurs affluents. Au fil de ses méandres, le roman se fait ainsi historique, policier, épistolaire et sentimental. Autant de styles littéraires qui viennent se jeter dans la trame du roman, pour en renforcer le cours et accompagner le lecteur vers son embouchure troublée.


Cette trame c’est l’histoire de Marie-Laure, personnage fantôme que l’on poursuit sans jamais être sûr de l’avoir rattrapée ou comprise. À la manière d’un puzzle historique que l’on cherche à reconstituer, les aventures de Marie-Laure se présentent en ordre dispersé. Elles traversent toute une frange de l’histoire récente de la France et des deux Allemagnes, des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. L’histoire commence par une amourette d’été. Puis elle se développe par-delà les tourments amoureux de son personnage.

Un personnage bien plus souvent objet que sujet du roman. Ainsi, c’est Cécile, l’ami épistolaire de Marie-Laure qui nous raconte comment elles ont toutes deux rencontré l’amour. Cet amour se trouve Au-delà du Mur, en Allemagne de l’est, en République Démocratique Allemande. Cette histoire, c’est celle de deux filles qui veulent retrouver leurs amants et qui se moquent du mur placé entre eux.

Correspondance d’une liberté à conquérir

C’est là que le roman prend son envol. Le monde décrit n’est pas une affreuse dictature soviétique, un monde gris avec un goût de la vie bien fade. Au contraire, la RDA est un pays vivant. Leurs amants sont de jeunes gens cultivés, intéressants et qui voyagent dans les pays du bloc de l’est. Le mur et l’impossibilité pour les habitants de l’Allemagne de l’Est d’accéder à la culture de l’Ouest sont bien présents. Ils ressemblent, au fond, bien plus à des tracas administratifs, ordinaires entre adolescents en quête d’ailleurs, qu’à des barrières infranchissables entre deux mondes différents.

Carte de l’Allemagne avec les principales villes du roman © éditions l’Harmattan

L’histoire de ce livre, c’est aussi celle d’une France en pleine révolution. De Rennes à Marseille, les jeunes étouffent dans un régime gaulliste en fin de course. Les demandes de changement affluent partout. Les lettres de Cécile racontent les manifestations massives du mouvement anti-militariste. Les lycéens et les étudiants se révoltent contre un système éducatif obsolète. Le Mouvement de Libération des Femmes commence à faire bouger la société française.

Cette histoire politique et sociale de la France fait sourire. Il semble que, des blocages des lycées et universités contre les réformes éducatives des années 1970 à ceux contre Parcoursup, on retrouve les même slogans et, au fond, la même énergie. Seuls les noms des ministres ont changé entre temps. Une histoire qui fait sourire encore quand les victoires féministes sur l’avortement et la contraception des années 1970 sont contrebalancées par les commentaires d’un garde-frontière à Cécile sur ses tampons hygiéniques, qui nous rappellent à l’actualité de ces combats.

Tragédie passionnelle et politique

Une histoire qui se fait tragique en 1973. Cette année là, Cécile et Marie-Laure participent au dixième festival mondial de la jeunesse à Berlin. Elles applaudissent chaudement leurs camarades chiliens dont le président socialiste, Salvador Allende, est une lueur d’espoir partout dans le monde. Quelques mois plus tard, le général Pinochet lance un coup d’État, assassine Allende et installe une dictature militaire. Le roman semble donner aux milliers de militants socialistes, communistes et anarchistes, un visage, une humanité. Il rend par-là leur souffrance plus atroce. Cela fait dire à Cécile « Heureusement qu’il y a les pays socialistes, sinon… ».

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Le 10e festival mondial de la jeunesse à Berlin en 1973 a réuni plus de 25 000 jeunes de tous les pays, de la France au Vietnam en passant par le Chili ou le Ghana © Bin im Garten

Ce croisement de l’histoire de Marie-Laure et de l’Histoire avec un grand H, c’est sans doute ce qui rend le livre de Martine Gärtner si passionnant. C’est une histoire militante que l’on voit à travers Marie-Laure et Cécile. Une histoire des mouvements sociaux et des dissensions entre gauchistes et communistes. Une histoire de celles qui n’acceptaient pas que l’Allemagne de l’Est et les pays du « socialisme réel » soient leurs ennemis. Cette histoire militante, on la voit au travers de la conscience politique et du militantisme grandissant de Marie-Laure et Cécile dans les années 1970 et puis, petit à petit, de la lassitude de Marie-Laure, de sa fatigue et de sa désillusion. Elle se fait ainsi le reflet des espérances, des échecs et des désillusions de toute une génération de jeunes entrés dans le militantisme dans les années 1970.

Policer un monde sans alternative

Le roman devient policier à partir des années 1980, lorsque Marie-Laure entre dans l’action clandestine en Allemagne. Elle chasse d’anciens nazis ayant effacé leur passé dans la République Fédérale Allemande, lors d’un des rares chapitres où son histoire n’est pas narrée par d’autres personnages.

Cette décision la poursuit pour le reste de sa vie. Celle-ci prend une forme à mi-chemin entre le roman policier et le roman d’espionnage. On y voit l’effacement de son engagement politique au profit de l’humanitaire, la nostalgie de la disparition de l’Allemagne de l’Est et une vie marquée par la peur diffuse mais permanente que son passé soit découvert. Les dates, les personnages et les évènements s’enchevêtrent et se rejoignent en laissant parfois un certain sentiment de confusion au lecteur. Le style y est moins poignant que dans les échanges épistolaires. Le récit est parfois très dispersé, les personnages nombreux et certains tardivement introduits. Sans être un nouvel Agatha Christie, le roman parvient malgré tout à créer une atmosphère d’incertitude ainsi que des moments de rupture et de panique. Il laisse le lecteur hébété par l’enchaînement des évènements et avide d’en comprendre le sens.

Au-delà du Mur, un conte de l’Allemagne réunifiée est donc un livre qu’on ne peut que recommander. Les passionnés de roman sentimentaux liront avec passion les aventures de Marie-Laure et Cécile. Les amateurs de roman policier y trouveront sans doute de quoi susciter l’angoisse et la curiosité. Les amateurs d’histoire politique sauront apprécier ce roman profondément ancré dans l’atmosphère politique de ses époques. Fourmillant de références et de clins d’œil, riche en événements parfois oubliés, à l’image du festival mondial de la jeunesse et des étudiants, qui attirait des dizaines de milliers de jeunes du monde entier dans les pays socialistes et anti-impérialistes, le roman est une véritable caverne d’Alibaba dont la richesse ne cesse d’émerveiller le lecteur.

« La trajectoire de transfuge de classe n’est pas linéaire » – Entretien avec Didier Eribon

Didier Eribon – © Ulysse Guttmann-Faure pour Le Vent Se Lève.

Didier Eribon est revenu pour LVSL sur son parcours atypique d’intellectuel transfuge de classe, ainsi que sur Retour à Reims, essai qui a fait date en ouvrant  une voie nouvelle à l’écriture autobiographique sur le mode de l’introspection sociologique. Nous avons évoqué son prochain livre qui portera sur la question politique du vieillissement, et la représentation des exclus qui n’ont pas voix au chapitre. Il nous livre son regard précieux sur l’actualité des mouvements sociaux, ainsi que sur l’évolution du vote ouvrier vers l’extrême-droite et la désintégration de la classe ouvrière. Premier volet d’un entretien réalisé par Noémie Cadeau et retranscrit par Jeanne du Roure et Victoire Diethelm. Découvrez la deuxième partie de cet entretien ici.


LVSL – Vous avez fait le choix d’écrire Retour à Reims sur le mode d’une autobiographie transfigurée en analyse historique et théorique, que certains critiques ont d’ailleurs nommé une auto-sociographie. Pourquoi ne pas avoir choisi la voie littéraire pour cette archéologie de la subjectivation, et quelle est finalement la supériorité de la théorie sur la littérature dans ce contexte ?

Didier Eribon – Ce mode d’écriture n’est pas vraiment un choix. Disons plutôt qu’il s’est imposé à moi dans la suite de mes ouvrages antérieurs, même si j’ai essayé de faire quelque chose de tout à fait nouveau. Je n’ai jamais envisagé d’écrire ce livre comme un texte littéraire, dans la mesure où je ne me considère pas comme un écrivain. Certains l’ont fait avant moi, et je pense notamment à Annie Ernaux avec ses livres superbes que sont La Place ou Une femme. Ce sont des livres que j’admire et auxquels je rends hommage dans Retour à Reims. Mais mon registre d’intervention et d’écriture est différent : c’est celui de la sociologie, de la théorie politique, de la philosophie. Je n’ai pas considéré ce livre, en l’écrivant, comme une autobiographie transfigurée en analyse politique, mais plutôt, à l’inverse, si j’ose dire, comme un ensemble d’analyses théoriques et politiques qui allait prendre comme modalité d’écriture un récit autobiographique ou, pour employer un terme plus exact, auto-analytique. J’ai voulu y développer une philosophie de la subjectivation : au cœur de ma démarche se trouve la question de la subjectivité, comme étant toujours inscrite dans le social, comme étant sociale de part en part. L’autoanalyse a été pour moi un moyen de mener à bien une analyse théorique générale ; mais cette démarche répondait aussi à une nécessité personnelle : je me suis senti poussé à écrire ce livre pour m’expliquer avec moi-même, c’est-à-dire m’expliquer sur mon rapport avec ma famille, mes parents, la classe sociale d’où je viens, et la distance entre celle-ci et la classe sociale dans laquelle je vis désormais…. L’autobiographie, l’auto-analyse, et l’analyse théorique se sont donc entrecroisées comme des éléments d’écriture ou des strates d’écriture dans cet effort pour « me » comprendre, c’est-à-dire, finalement, pour comprendre, à travers moi, la structure sociale, les rouages de l’existence et de la reproduction des classes sociales, dans et par le système scolaire notamment, et le fonctionnement du monde social.

J’ai défini mon projet comme une « introspection sociologique », ce qui peut sembler un oxymore, puisque la sociologie, précisément, est le contraire de la démarche qui consisterait à aller chercher la vérité en soi-même. Elle part de statistiques, d’enquêtes, d’entretiens, de descriptions pour reconstituer les mécanismes extérieurs. Mais il s’est agi pour moi d’explorer mon histoire et ma géographie – disons ma trajectoire – en mobilisant tous les instruments et les concepts de la sociologie telle que je la conçois (les déterminismes de classe, l’analyse du système scolaire, la reproduction sociale, le rapport à la culture, à l’art, les questions liées au genre, à la sexualité, etc.) pour établir une cartographie des mécanismes sociaux et de leur intériorisation par les agents sociaux que nous sommes tous. J’utilisais ces outils pour une exploration de moi-même à travers les strates historico-ethnographiques des différentes périodes de ma vie personnelle et collective – individuelle et sociale.

Didier Eribon – © Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL.

J’ai dit dans un entretien que Retour à Reims était un livre sur le système scolaire (son fonctionnement comme machine à trier, la violence qu’il exerce) : il l’est en grande partie. Je tiens à souligner que parler d’« introspection sociologique » ne signifie nullement que ce livre serait ou tendrait vers une analyse psychologique ou psychanalytique. J’essaie au contraire de réduire autant que faire se peut la place de la psychologie et du psychologique dans ma démarche. Cette tentative d’élucidation de moi-même est une analyse sociale, qui tourne résolument le dos à la psychanalyse. Le recours à la psychanalyse tend toujours à désocialiser, déshistoriciser et donc dépolitiser les phénomènes et les processus dont il faut rendre compte.

Ma trajectoire est à la fois banale et atypique. En quoi peut-elle permettre d’éclairer le monde social ? On m’a souvent dit que mes analyses sur la force durable des déterminismes sociaux étaient démenties par mon parcours. Mais c’est faux : ce qui peut apparaître comme une exception n’infirme pas la règle mais peut servir de point d’appui pour voir comment la règle fonctionne, comment les lois sociales gouvernent nos trajectoires que l’on imagine être personnelles, individuelles. D’ailleurs, tout mon parcours a été marqué par des échecs universitaires : je n’ai pas obtenu le CAPES ni l’agrégation, j’ai été obligé d’abandonner ma thèse parce que je n’avais pas d’argent…. Mon parcours de transfuge de classe est scandé par une série d’échecs qui m’ont obligé, à chaque fois, à recomposer mes aspirations, à réorienter mes choix. Les échecs, qui me plongeaient dans des abimes d’incertitude et d’angoisse, ont pu me conduire à des situations, à des rencontres, à des hasards qui, d’un seul coup, m’ouvraient d’autres possibilités. Il est important de comprendre en quoi la trajectoire de transfuge de classe n’est pas linéaire, mais plutôt une série d’étapes dans lesquelles des difficultés, des échecs, des troubles de l’inscription sociale se présentent et imposent de réagir différemment, de se positionner différemment… C’est tout cet ensemble de phénomènes complexes que j’ai essayé de déplier et d’exposer dans Retour à Reims.

L’introspection sociologique ne signifie pas que ce livre est une analyse psychologique ou psychanalytique, mais une tentative d’élucidation de moi-même qui me permet d’éclairer le monde social.

LVSL – Vous avez notamment expliqué dans Retour à Reims que, pour vous inventer, il fallait vous dissocier. Est-ce que vous ressentez toujours aujourd’hui ce clivage en vous, entre votre origine sociale et votre parcours universitaire, ou est-ce que finalement cette inadéquation a été « résolue » par la reconnaissance publique, par la fonction presque thérapeutique de l’écriture, ou même par la réconciliation avec votre mère ?

D.E. – Je disais que pour m’inventer moi-même, il m’avait fallu différer. Quand j’étais enfant, adolescent, j’avais depuis toujours entendu, chez moi, par exemple quand mon père regardait la télévision, et autour de moi, des insultes homophobes. Je savais donc qu’il s’agissait d’une identité insultée, insultable, avant de savoir que cette identité, c’était celle que j’allais bientôt venir habiter. En le découvrant peu à peu, j’ai d’abord ressenti de la peur, de l’effroi. J’étais ce « scared gay kid » dont parle un poème d’Allen Ginsberg. Et parce que j’étais « différent », il me fallait différer. Et dans Retour à Reims, j’ai donc essayé d’analyser sous cette lumière la déviation de ma trajectoire scolaire par rapport à celle qui m’était assignée, à savoir sortir très vite du système scolaire pour aller travailler, comme l’ont fait mes frères. Cette déviation a sans doute été, en grande partie, liée à la « déviance » sexuelle : à treize ou quatorze ans, quand j’ai commencé à comprendre que j’étais en train de devenir ce qu’il ne fallait surtout pas être, je n’avais guère d’autre choix que de me dissocier de ce milieu qui était le mien, de ses valeurs (et notamment du virilisme qui y régnait…). C’est passé aussi par une adhésion à la culture, je me suis pris de passion pour la littérature, le cinéma, puis pour la philosophie…Et très vite j’ai voulu quitter la ville où j’avais vécu jusqu’à l’âge de 19 ans et qui était pour moi la ville de l’insulte, et je me suis installé à Paris, selon le parcours très classique, au fond, de ceux qui contreviennent à la norme sexuelle, qui doivent quitter l’endroit où ils vivent pour aller dans la grande ville afin de pouvoir se sentir plus libres. Ensuite, la différence, la distance avec ma famille, s’est accentuée puisque j’ai fait des études supérieures – j’étais le premier dans ma famille – et je suis devenu, après une série d’échecs universitaires, journaliste à Libération, puis au Nouvel Observateur. Puis, j’en ai eu assez du journalisme (un milieu, un univers assez détestable), et je me suis mis à écrire des livres, et puis j’ai enseigné aux Etats-Unis, avant de trouver un poste universitaire en France.

Didier Eribon – ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL.

Tout cela évidemment m’éloignait de ma famille… A la mort de mon père, en janvier 2006, je me suis demandé pourquoi je n’avais jamais essayé de le revoir. J’ai voulu réfléchir sur cette distance – sociale, de classe – qui s’était instaurée entre nous. C’est le point de départ de l’écriture de Retour à Reims. L’idée de « retour » implique qu’il y a eu un départ, un éloignement, puis une distance durable… Et que cette distance a été produite par la fréquentation du système scolaire, par l’accès à la culture légitime, par l’entrée dans d’autres milieux sociaux, dans un autre monde, dans une autre classe, etc. C’est ce que j’ai voulu analyser. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas à propos de mon père, que j’aurais bien aimé savoir quand j’écrivais Retour à Reims. Mais il était trop tard, il était mort. Je ne lui ai jamais posé de questions sur sa vie, sur sa famille, sur son enfance. Ce que je sais de lui, c’est principalement ce que ce que ma mère m’en a raconté après sa mort. À ce moment-là, j’ai renoué une relation avec elle. Ce ne fut pas un processus « thérapeutique » au sens psychologique du terme, mais plutôt, pour reprendre un mot de Bourdieu, une « socio-analyse », qui impliquait de revenir sur la question des classes sociales, et l’inscription en chacun de nous des habitus de classe. Et quand il y a une discordance dans l’habitus, un clivage entre l’habitus incorporé dans l’enfance et celui qui se recréée en nous quand on change de milieu, il n’est pas simple de surmonter cette division du moi, cette séparation qui passe à l’intérieur de soi-même. Il ne suffit pas de prendre le train pour faire un « retour » : il faut analyser les mécanismes qui produisent l’éloignement en soi-même et la possibilité ou non de le surmonter.

Ma mère est morte il y a deux ans. Donc le livre que je suis en train d’écrire sera une sorte de « Retour à Reims, volume 2 ». Le volume 1 avait eu pour événement déclencheur la mort de mon père, le volume 2 prend naissance à la mort de ma mère.

LVSL – Pouvez-vous nous en dire plus sur ce livre en cours d’écriture ? Quels aspects vous permettra-t-il de développer par rapport à son premier volet ?

D.E. – Ma mère est morte beaucoup plus tard que mon père. On sait que les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Mais la question de l’espérance de vie, c’est aussi celle de l’espérance de vie en bonne santé. C’est pourquoi je voudrais étudier dans ce livre en cours d’écriture ce qu’est la réalité de la vieillesse, du vieillissement d’une femme qui a été ouvrière, dont le corps a été détruit par la pénibilité et la dureté des conditions de travail. Le vieillissement, le corps souffrant, la maladie, la perte d’autonomie, l’hôpital, la maison de retraite, la mort, ce sont des questions hautement politiques.

Le vieillissement, le corps souffrant, la maladie, la perte d’autonomie, l’hôpital, la maison de retraite, la mort, ce sont des questions hautement politiques.

Je ne suis évidemment pas le premier à m’intéresser à tous ces problèmes ! La littérature s’est emparée du sujet depuis longtemps. Je viens de lire un livre de Yasushi Inoué, Histoire de ma mère, qui est magnifique, tant dans sa description de la dégradation physique et mentale de sa mère, que dans le récit de sa mort. La littérature s’est beaucoup intéressée à ces réalités douloureuses et donc je ne prétends pas ouvrir des voies nouvelles dans leur évocation, mais plutôt essayer d’apporter quelque chose de neuf dans l’analyse, notamment dans le rapport à la politique. On analyse toujours le rapport au vieillissement et à la mort comme si c’étaient des mécanismes biologiques individuels. Or des historiens comme Philippe Ariès ou des sociologues comme Norbert Elias ont montré que les structures de la subjectivité, du rapport à la vieillesse et la mort se sont transformées au cours des époques. Ce sont donc des phénomènes sociaux et historiques, et donc politiques. Il y a un petit livre de Norbert Elias, La solitude des mourants, qui est un très grand livre, et que j’utilise beaucoup.

Parmi mes références  principales dans ce travail en cours figure bien sûr le livre de Simone de Beauvoir qui s’intitule précisément, La Vieillesse. Elle l’a publié en 1970, c’est-à-dire 21 ans après Le Deuxième sexe. Elle a décrit cet ouvrage comme étant « symétrique » du Deuxième sexe. Elle dit avoir voulu poser à propos des personnes âgées des questions analogues à celles qu’elle avait posées à propos des femmes. Dans l’introduction, elle souligne que les « vieillards » (on dirait aujourd’hui les personnes âgées) sont exclus de la visibilité publique, relégués hors de la vie sociale. Et que personne ne s’intéresse à eux. Je voudrais dans mon livre faire entendre leur voix, déclare-t-elle.

Mais on voit bien que cela pose un problème. Dans Le Deuxième sexe, elle se demandait comment les femmes pourraient dire « nous », et elle analysait justement le processus par lequel les femmes cessent d’être l’objet du regard des autres pour se constituer comme sujet de leur propre regard et de leur propre discours. Dans La Vieillesse, elle dit qu’elle va faire entendre la voix des personnes âgées. Cela veut dire que c’est un problème tout à fait différent : elle ne se demande pas pourquoi ces personnes ne disent pas « nous », ni comment elles pourraient se constituer comme un « nous ». Je l’avais lu quand j’étais étudiant — j’avais lu tout Simone de Beauvoir —, mais en le relisant récemment, j’ai constaté qu’elle ne posait pas la question de la même manière que dans Le Deuxième sexe et qu’elle ne s’interrogeait pas sur cette différence d’approche. Ce n’est pas un reproche que je lui adresse, cela va de soi. Ce livre était une intervention majeure dans le champ intellectuel et politique à une époque où ces problèmes n’étaient guère constitués comme étant dignes d’intérêt. Elle ne pouvait pas poser toutes les questions, mais je veux engager la discussion avec son livre sur ce point, car cela renvoie à toute une série d’enjeux à propos des mouvements sociaux, de la mobilisation politique, de la représentation politique aussi : s’il est nécessaire que quelqu’un fasse entendre leur voix, c’est parce que ces personnes âgées ne peuvent pas le faire elles-mêmes. Elles ne peuvent parler que si quelqu’un parle pour elles, c’est-à-dire en leur faveur, mais aussi à leur place.

Je pars encore une fois d’une expérience personnelle pour essayer de poser des questions théoriques et politiques. Ma mère, sur son lit, dans la maison de retraite, n’arrivait pas à se lever sans aide, et elle me laissait des messages désespérés sur mon répondeur en disant qu’elle était tout le temps seule, qu’elle était maltraitée, qu’on ne lui permettait de prendre une douche qu’une fois par semaine, etc. J’appelais le médecin de la maison de retraite, qui me répondait qu’il n’y n’avait pas assez d’aides-soignants, et que cela n’était donc possible qu’une fois par semaine. Je me disais qu’il n’était pas imaginable que la situation des EPHAD soit à ce point sinistrée. Mais c’était pourtant vrai, et le livre d’Anne-Sophie Pelletier, Ephad, une honte française, offre des descriptions précises et dresse un constat terrible sur cette situation.

Didier Eribon – ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL.

Ma mère s’est littéralement laissée mourir. Elle est morte un mois et demi après son entrée dans une maison de retraite. On ne peut pas dire qu’elle ne protestait pas contre la situation puisqu’elle me laissait des messages angoissés et indignés sur mon répondeur. Mais c’est une protestation qu’elle énonçait seule, dans sa chambre, au téléphone, avec pour destinataire une seule personne – moi ou l’un de mes frères – qui l’écoutait. Il est certain que dans toutes les maisons de retraite, il y a des gens qui font chaque jour la même chose. Mais comment ces personnes âgées, dans une maison de retraite, surtout quand elles ont perdu leur autonomie physique, pourraient-elles dire « nous » ? Il n’y a pas de « nous » audible de ces personnes âgées, parce qu’il n’y a pas de « nous » possible : il n’y a pas de prise de parole publique possible, ni de mobilisation politique, si ce n’est – comme Simone de Beauvoir le proposait dans l’introduction de La Vieillesse – si des gens parlent pour elles et portent ainsi leurs voix inaudibles, étouffées, de l’isolement de la chambre à la sphère publique.

C’est une question assez vertigineuse : qu’est-ce que cela signifie de parler pour des gens qui resteraient silencieux si personne ne prenait la parole pour eux ? Si des auteurs comme Simone de Beauvoir ou moi (entre autres, bien sûr) ne prenons pas la parole pour les personnes âgées, elles ne parlent pas. Par conséquent, elles ne parlent que par l’intermédiaire de ceux et celles qui parlent d’elles, qui parlent pour elles. Donc, les personnes âgées dépendantes ne peuvent pas se constituer comme un « nous » : le « nous » leur vient de l’extérieur d’une certaine manière, il est constitué par la médiation d’un porte-parole. C’est cette médiation qui peut faire entendre des paroles individuelles dispersées et qui peut les transformer en une parole collective : si je restitue la parole de ma mère, ce n’est pas seulement le cri, la plainte de ma mère que je porte dans l’espace public, c’est le cri et la plainte de toutes celles (ce sont surtout des femmes à cet âge-là) et de tous ceux qui sont dans des maisons de retraite. Le collectif est constitué par la médiation des professionnels de la santé, comme les personnels des EPHAD qui ont récemment tiré la sonnette d’alarme sur l’état de délabrement scandaleux dans lequel se trouve tout le système des maisons de retraite, ou par des auteurs comme Simone de Beauvoir en 1970, ou comme moi aujourd’hui, qui me propose de poursuivre ce travail de Beauvoir. A partir du cas de ma mère, j’essaye de m’interroger sur les processus sociaux, et de réinscrire la vieillesse et la mort dans l’analyse sociologique et théorique. Car cela nous entraîne dans une série de questions emboîtées : est-ce que ce cas-limite des personnes qui ont perdu leur autonomie physique, en train de perdre leurs facultés cognitives, aussi, parfois, ce cas extrême de la nécessité d’une représentation politique – et donc des porte-parole : syndicats, associations, partis ou écrivains, artistes, philosophes… – ne dit pas quelque chose de la mobilisation politique en général. Je veux dire : est-ce que ce n’est pas toujours le cas, à des degrés divers, sous des formes diverses ?

J’essaye de m’interroger sur les processus sociaux, et de réinscrire la vieillesse et la mort dans l’analyse sociologique et théorique.

Découvrez la deuxième partie de cet entretien ici.

Crédit photo Une et entretien : Ulysse GUTTMANN-FAURE pour LVSL.

La science-fiction va-t-elle nous sauver de l’apocalypse climatique ?

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Illustration du documentaire de Ken Burns «Dust Bowl», © Patrick Emerson

Alimentation, tourisme, énergie, transport … en tant que phénomène global et systémique, la crise climatique, telle une vague, bouscule toutes les composantes de nos sociétés. Pour la littérature, cette vague s’incarne dans l’émergence d’un nouveau genre issu de la science-fiction :  la cli-fi. Porteuse d’une virulente critique sociale, économique et écologique, et engagée dans la bataille des récits, la cli-fi peine néanmoins souvent à dépasser la simple perspective d’un effondrement de nos sociétés voir de l’humanité. Elle a cependant tout intérêt à penser cet « après effondrement » afin de se transformer en un stimulant laboratoire d’expérimentation politique armant nos imaginaires de stimulantes utopies.


Un monde sans abeilles ? Des citées entières englouties par les flots ? Des réfugiés climatiques fuyant par millions des déserts qui ne cessent de progresser ? Des étés si caniculaires que tout s’embrase ?  Les scientifiques nous le prédisent. Les écrivains nous le récitent.

La « cli-fi » pour climate-fiction (« fiction climatique » en français) est un néologisme inventé par le journaliste américain Dan Bloom en 2008 pour qualifier un sous-genre de la science-fiction dans lequel le lecteur est plongé dans un monde où la crise climatique et écologique a atteint un « stade ultime », stade où la question de la survie de l’homme sur la planète est clairement posée. Malgré l’absence d’une définition unanimement partagée, l’essentiel des œuvres de cli-fi attribuent, conformément aux discours scientifiques, une origine anthropique à la crise écologique.

Témoin de son époque, ce genre littéraire a fortement gagné en popularité ces dix dernières années, poussant Dan Bloom a affirmé que « le XXIe siècle sera connu comme l’Âge de la cli-fi ». Néanmoins, si les incendies spectaculaires en Australie et les étés de plus en plus caniculaires amènent un nombre sans cesse croissant de lecteurs à s’intéresser à la cli-fi, ce genre a vu le jour bien avant que la « génération climat » ne sache lire.

Identifier une date de naissance de la cli-fi est vain. Beaucoup la font remonter aux années 1960 avec les romans post-apocalyptiques du britannique James G. Ballard (Le Monde Englouti en 1962, Sécheresse en 1964 …). D’autres, à l’instar de Claire Perrin qui prépare une thèse sur le sujet à l’université de Perpignan[1], préfèrent partir des Raisins de la colère de Steinbeck (1939) arguant que le terrible Dust Bowl est une conséquence directe d’activés agricoles humaines.

Si la cli-fi est bien plus développée aux États-Unis qu’en France c’est parce qu’elle aurait pu y bénéficier d’un contexte culturel plus favorable analyse Claire Perrin. En effet, avec les « natures writing » les auteurs américains du XIXe siècle tel que Thoreau ou Walt Whitman, ont très tôt fait de la nature un personnage central de leurs œuvres, là où, les auteurs français de la même époque, de Hugo à Maupassant, préféraient le plus souvent écrire sur la ville lumière.  Aujourd’hui, avec la cli-fi, cette nature est de nouveau au centre des récits mais elle est devenue dangereuse, presque vengeresse. En outre, un certain élitisme littéraire méprisant la science-fiction a pu retarder le développement de la cli-fi en France.

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Dust Bowl Blues ©Patrick Emerson

La cli-fi, un genre au service de la mobilisation écologique

La cli-fi est un genre inévitablement militant et politique. À ce titre et comme pour un vaste pan de la production artistique, elle participe à son échelle à la bataille culturelle.

Les œuvres de cli-fi offrent en effet une lecture différente des longs rapports du GIEC. Loin des chiffres et des statistiques difficilement compréhensibles, les œuvres de cli-fi peuvent nous donner à voir ce que serait un monde à +4°C. Ils donnent vie aux cris d’alarmes des scientifiques. Ainsi, l’américain Paolo Bacigalupi nous décrit, avec Waterknife (2015), une terrible sécheresse dans le sud-ouest des États-Unis qui conduit à une guerre larvée entre la Californie et l’Arizona pour le contrôle du fleuve Colorado. La norvégienne Maja Lunde, elle, nous peint, dans Une histoire des abeilles (2017), un monde où ces indispensables insectes jaunes ayant disparu, les humains se retrouvent contraints de polliniser à la main des milliards de fleurs. La cli-fi assume ici un rôle d’éveiller les consciences.

Elles ne prétendent ni prédire fidèlement l’avenir, nul ne peut le faire, ni être des écrits à valeur scientifique mais elles proposent des « conjonctures romanesques rationnelles ».

Bien évidemment, même si beaucoup d’auteurs affirment s’inspirer des prédictions des scientifiques pour écrire, les œuvres de cli-fi demeurent avant tout des œuvres de fiction et doivent être considérées comme telles. Elles ne prétendent ni prédire fidèlement l’avenir, nul ne peut le faire, ni être des écrits à valeur scientifique mais elles proposent des « conjonctures romanesques rationnelles ». Les auteurs de cli-fi sont avant tout des romanciers qui écrivent des histoires. À ce titre, ils n’hésiteront pas à s’éloigner des discours scientifiques si cela peut servir leur narration.

Contrairement aux scientifiques, les auteurs de fiction possèdent donc la possibilité d’agir sur un levier qui n’est pas rationnel mais émotionnel. En créant des personnages, ils permettent de mobiliser le lecteur par l’empathie. L’essayiste Elizabeth Rush explique ainsi, lors du salon du livre de Francfort, que la cli-fi nous offre l’opportunité de nous imaginer à la place « d’une personne chassée par des inondations ou la sécheresse, et, de cette position imaginaire, peut venir une empathie radicale ». Pour elle, la cli-fi pourrait même être « l’étincelle qui conduira à une transformation politique planétaire ». Sans aller jusqu’à cette conclusion, il est juste de souligner que la cli-fi s’engage de plein pied dans la bataille des récits.

La cli-fi, un genre engagé dans la bataille des récits

Les récits, en donnant du sens aux éléments et en ayant une capacité d’identification, peuvent entraîner un changement des mentalités individuelles et collectives et possèdent donc un pouvoir de mobilisation[2]. Or en toile de fond de la bataille culturelle, c’est une guerre des récits qui se joue.  Dans cette lutte, le récit libéral, capitaliste, productiviste et consumériste l’a longtemps emporté. Néanmoins, il semble aujourd’hui en perte de vitesse. Les récits proposés par la cli-fi viennent heurter en plein ces récits dominants en décrivant des sociétés soumises à de rudes catastrophes du fait d’un système économique destructeur et inadapté.

À côté de cette critique du récit du Progrès, la cli-fi s’en prend à un autre récit, naissant celui-ci : le récit d’une écologie du consensus.

La science-fiction est souvent émettrice d’une forte critique politique. Elle attaque particulièrement le récit du Progrès qui est abordé à la fois avec fascination et méfiance. Sans être technophobe, la science-fiction propose des réflexions très développées sur la technologie permettant une prise de recul salutaire vis-à-vis de cette dernière. La cli-fi propose ainsi une critique forte de la géo-ingénierie de l’environnement qui consiste en la modification volontaire du climat par des projets techniques de très grande ampleur afin de contenir les effets du réchauffement climatique[3]. Parmi les projets de géo-ingénierie, on retrouve par exemple celui de Roger Angel de l’université d’Arizona qui proposait en 2006 de construire un gigantesque parasol spatial constitué de 16 000 milliards d’écrans transparents de 60cm de diamètre. Dans la cli-fi la géo-ingénierie est souvent présente, mais c’est pour mieux montrer son échec « à nous sauver ». Elle se montre ainsi particulièrement méfiante vis-à-vis du solutionnisme technologique.

http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio-SF/Exodes
Couverture du roman Exodes de Jean-Marc Ligny publié chez folio SF (capture d’écran) ©Johann Bodin

À côté de cette critique du récit du Progrès, la cli-fi s’en prend à un autre récit, naissant celui-ci : le récit d’une écologie du consensus. Ce récit suggère que, puisque l’humanité ne dispose que d’une seule planète, on « serait tous dans le même bateau » et par conséquent nous aurions tous le même intérêt à œuvrer pour l’écologie. Ce récit déconflictualise l’écologie et la dépolitise. En réalité, la lutte écologique réactualise une forme de lutte des classes puisqu’elle renforce les inégalités : que ce soit à une échelle nationale ou internationale, ce sont les plus pauvres qui polluent le moins mais qui en souffrent le plus. La cli-fi fait de cette réalité un de ses thèmes privilégiés. Ainsi, dans Waterknife (2015) de Bacigalupi, alors que la majorité de la population meurt littéralement de chaud et que des milliers de réfugiés sont abandonnés dans le désert américain, les ultra-riches, eux, vivent confortablement dans des complexes privatisés et ultra-sécurisés avec un climat maîtrisé. Ce thème de la sécession des élites se retrouve en France chez Jean-Marc Ligny qui décrit dans Exodes (2012) une petite élite mondiale vivant fastueusement sous quelques dômes totalement coupés du reste d’une humanité en totale déperdition. L’un de ces dômes se situe ironiquement à … Davos.  Dans le film Elysium (Neil Blomkamp, 2013), les plus riches ont carrément fuit une Terre surpeuplée et dévastée pour se réfugier dans une station spatiale.

Être véritablement « post-apo » : penser l’après pour se transformer en laboratoire politique

Si la cli-fi s’oppose à de grands récits, elle n’en propose en retour qu’assez peu. Le principal récit identifiable serait celui d’un effondrement de nos sociétés. Cette difficulté d’imaginer des futurs désirables semble assez partagée dans l’ensemble de la science-fiction si on en croit le spécialiste du genre Raphaël Colson qui affirme dans le magazine Usbek et Rica que « le sous-genre post-apocalyptique est en train de fusionner avec celui de l’anticipation, rendant l’effondrement inévitable même dans nos imaginaires ». Pour reprendre la célèbre formule, les auteurs sembleraient avoir plus de mal à concevoir la fin du capitalisme que la fin du monde.

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Les ruines de la civilisation. ©Enrique Meseguer

L’effondrement n’est néanmoins pas forcément entièrement négatif. Le genre post-apocalyptique, si il a besoin d’un effondrement (catastrophe naturelle, guerre nucléaire, épidémie, invasion zombie …) pour envisager la sortie de l’impasse néolibérale, peut proposer par la suite la reconstruction d’une société sur de nouvelles bases. Cette forme de robinsonnade pourrait ainsi être l’occasion d’imaginer des récits alternatifs. Il s’agirait de faire de l’effondrement un laboratoire politique, comme l’explique Yannick Rumpala, maître de conférences à l’Université de Nice : « S’il n’y a pas un anéantissement, qu’est-ce qui peut redémarrer après le franchissement de la zone rouge ? Un effondrement pour des raisons écologiques peut-il ouvrir une fenêtre pour un nouveau contrat socio-naturel ? Comment et avec quelles bases ? Là aussi, la production fictionnelle est comme une sorte de laboratoire à disposition. »

La science-fiction peut ainsi poser la question du « et si ? », question qui peut s’avérer extrêmement fertile.

L’auteur de Hors des décombres du monde – Ecologie, science-fiction et éthique du futur, complète cette idée de laboratoire politique dans un article publié dans Raisons politiques : « Par touches plus ou moins appuyées, elles (les œuvres de science-fiction) proposent aussi des visions du futur. Il n’est pas question de les prendre pour des prédictions ou des prophéties. Il s’agit plutôt de considérer que la science-fiction est aussi une manière de poser des hypothèses. Et surtout des hypothèses audacieuses ! ». Il souligne donc ici le « potentiel heuristique de la science-fiction » qui peut se permettre d’explorer des champs que la recherche ne peut pas investir. La science-fiction peut ainsi poser la question du « et si ? », question qui peut s’avérer extrêmement fertile. A la façon des philosophes qui étudient les sociétés à-travers un état de nature, les récits de science-fiction permettent des « expériences de pensée ».  Or, poursuit-il, « les récits de science-fiction ont pour particularité d’installer des expériences de pensée comme déconstruction/reconstruction »[4].

Ainsi, c’est bien dans cette dernière caractéristique de déconstruction/reconstruction par la pensée que se trouve toute la force politique de la science-fiction et de la cli-fi. A elle désormais de s’en saisir pleinement afin de nous proposer de nouveaux récits porteurs de sens pour ne pas enfermer nos imaginaires dans un nouveau « TINA[5] apocalyptique ».

 

 

[1] Claire Perrin, « La sécheresse dans le roman américain de John Steinbeck à la « fiction climatique », thèse en cours de rédaction à l’université de Perpignan.

[2] Pierre Versins, « Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction », Lausanne, L’Âge d’homme, 2000 [1972]

[3] Ici, le terme « récit » sera synonyme de mythe définit par le Larousse comme étant un « Ensemble de croyances, de représentations idéalisées autour d’un personnage, d’un phénomène, d’un événement historique, d’une technique et qui leur donnent une force, une importance particulières »

[4] L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) en 2014 a définit la géo-ingénierie comme « l’ensemble des techniques et pratiques mises en œuvre ou projetées dans une visée corrective à grande échelle d’effets de la pression anthropique sur l’environnement » Collectif, « Atelier de Réflexion Prospective REAGIR – Réflexion systémique sur les enjeux et méthodes de la géo-ingénierie de l’environnement », ANR et CNRS, mai 2014, http://minh.haduong.com/files/Boucher.ea-2014-RapportFinalREAGIR.pdf

[5] There Is No Alternative, est un slogan politique souvent attribué à Margaret Thatcher qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme, à l’extension du marché et la mondialisation.

« De la femme de sport à la sportive » – Entretien avec Julie Gaucher

Portrait promotionnel de Julie Gaucher et première de couverture de son ouvrage : De la "femme de sport" à la sportive. Une anthologie
Portrait promotionnel de Julie Gaucher et couverture de son ouvrage : De la “femme de sport” à la sportive. Une anthologie — © Les Éditions du Volcan

Julie Gaucher est docteure en littérature française et chercheuse en histoire du sport à l’Université Lyon 1 (Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport). Elle propose des chroniques littéraires pour le blog « Écrire le sport », afin de donner de la visibilité à la littérature à thématique sportive. L’historienne a publié deux essais sur le sport, L’Écriture de la sportive. Identité du personnage littéraire chez Paul Morand et Henry de Montherlant (L’Harmattan, 2005), et Ballon rond et héros modernes. Quand la littérature s’intéresse à la masculinité des terrains de football (Peter Lang, 2016). Nous la rencontrons suite à la parution de son nouvel ouvrage De La « Femme de sport » à la sportive. Une anthologie (Éditions du Volcan, juin 2019), pour interroger les rapports de la littérature à la pratique sportive féminine dans l’histoire contemporaine. Entretien réalisé par Arthur Defond et François Robinet.


LVSL – Vous avez publié en juin dernier votre ouvrage De La « Femme de sport » à la sportive – Une anthologie, un recueil de textes que vous analysez et mettez en lien pour retracer l’histoire du sport féminin. Le titre interroge quant au choix du vocabulaire. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « femme de sport » ou sportswoman, et par « sportive », ainsi que le passage de l’une à l’autre comme le suggère votre ouvrage ? Pour montrer cette évolution, vous passez par une sélection de textes ; comment avez-vous constitué cette anthologie ?

Julie Gaucher — L’expression « femme de sport » est empruntée au baron de Vaux qui trace les portraits de ces femmes au XIXe siècle. C’est une période où la pratique sportive émerge en dehors des fédérations, qui n’existent pas encore, et en dehors des compétitions (bien qu’il existe des concours informels). Les sportswomen sont des aristocrates qui investissent la pratique dans une logique de classe et non de performance. Leur pratique tient de l’activité mondaine passant par l’équitation, le tir à l’arc ou encore la chasse à courre, qu’elles pratiquent avec les hommes. On est dans une logique touche-à-tout, distractive et élitiste. La sportive n’apparaît que pendant la Première Guerre mondiale via la création de fédérations sportives féminines.

C’est ainsi qu’en 1904, Boulenger peut dire des femmes qu’elles ne sont  « pas encore sportives ». Mais des figures émergent, notamment de nageuses avec de premiers clubs (L’Ondine de Lyon et L’Ondine de Paris, 1906), et des traversées de grandes villes à la nage. Les sportives sont aussi présentes dans les domaines de l’équitation et du tennis. Avec la natation, le sport s’ouvre à une plus grande diversité de pratiquantes, notamment en terme de classes sociales comme le développe la thèse d’Anne Velez : Les filles de l’eau. Une histoire des femmes et de la natation en France (1905-1939), soutenue en 2010.

En ce qui concerne le choix des textes, il découle de mon parcours universitaire. J’ai commencé mes études en suivant un double cursus : lettres et STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives). En maîtrise, je me suis intéressée à la figure de la sportive dans la littérature, sujet que j’ai continué à approfondir dans ma thèse soutenue en 2008. J’ai appliqué une approche genrée de la littérature. Le jour de la soutenance, on m’a proposé de mettre en valeur ce « trésor » littéraire, ce que je fais une dizaine d’années plus tard. Une anthologie est forcément une sélection avec ses partis-pris, mais la démarche est celle d’une chercheuse. J’ai retenu les textes les plus importants, les plus significatifs, mais aussi les moins connus, ceux pourtant essentiels qui ne sont plus accessibles. Cette sélection n’a pu se faire qu’après de nombreuses lectures et une longue fréquentation du corpus. Il ne faut pas négliger les contraintes au niveau des droits d’auteur pour les extraits les plus récents, même si l’accueil a souvent été bon du côté des auteurs.

LVSL — Au travers de l’anthologie que vous présentez, on peut découvrir deux étapes majeures : d’abord, le personnage de la femme sportive qui devient fréquent dans les poèmes du début du XXe siècle ; puis une légitimation de la sportive dans la littérature des années 1980.

Julie Gaucher — L’histoire du sport a longtemps été écrite à travers les seuls textes des acteurs, des médecins ou des entraîneurs. Pourtant, la littérature est une clef d’entrée pour comprendre l’histoire culturelle, l’histoire des représentations et des imaginaires. Dans mon ouvrage, ces textes sont mis en regard avec d’autres types de discours (notamment médicaux) afin de voir comment ils entrent en écho.

« La littérature est une clef d’entrée pour comprendre l’histoire culturelle, l’histoire des représentations et des imaginaires »

On le sait peu mais le sport a été très présent dans la littérature des années 1920 aux années 1950, avec l’organisation de prix littéraires comme celui de la Fédération française de football présidé un temps par Jean Giraudoux. La recherche, en littérature, de nouvelles figures héroïques s’explique par la lassitude vis-à-vis des figures du dandy décadent ou du soldat (après-guerre, les “gueules cassées” sont une réalité !). Certains écrivains ayant participé à la guerre ont la volonté de réinvestir le corps, cette fois dans la joie de vivre. Ils se mettent donc au sport et veulent en témoigner dans la littérature : un nouveau modèle de héros littéraire apparaît, le sportif. En franchissant les portes des stades, les écrivains remarquent également les sportives, figures qu’ils ne peuvent plus ignorer et dont ils s’emparent dans leurs romans.

Les années 1950 sont un tournant avec l’essor de la radio puis de la télévision : la littérature et la presse ne sont plus l’usine à rêve qu’elles étaient, et le domaine du sport est investi par l’image. En même temps, dans les années 1970, la pensée marxisante envisage le sport comme un opium du peuple, ce qui entraîne un désintérêt pour les choses du corps. C’est Guy Lagorce qui ouvre une nouvelle voie avec Les Héroïques (1979, Prix Goncourt de la nouvelle).

Les sportives sont une réalité sociale dès les années 1920. Certaines militantes luttent pour que les femmes trouvent leur place dans le domaine sportif, à l’exemple d’Alice Milliat, et elles doivent faire face à de nombreuses résistances (comme en témoignent les textes de l’anthologie). Dans les années 1980 au contraire, la place de la sportive sur le terrain de sport n’est plus contestée, même si cela est plus difficile dans certaines activités comme la boxe ou la perche. Pour autant, le combat n’est pas fini, notamment au regard des médias : il y a toujours une sous-représentation du sport féminin, une érotisation des corps, le discours journalistique survalorisant la beauté plutôt que la performance, et une minorité de femmes dans les instances dirigeantes.

LVSL — On voit au sein des textes que la question de la féminité est centrale, en lien avec la représentation du corps qu’il soit érotisé ou dominé par les questions de mode vestimentaire. De plus, il y a semble-t-il une tension entre la femme sportive masculinisée et la femme sportive érotisée.

Julie Gaucher — On retrouve cette dualité chez Montherlant dans Le Songe (1922), avec un idéal de l’androgyne. Sa sportive, qui excelle dans l’« ordre du corps », ne doit pas tomber dans « l’ordre de la chair » : athlète, elle est une figure androgyne d’excellence ; en devenant amante, elle est moquée, ridiculisée. La perspective est pour le moins misogyne, mais quoi de plus étonnant de la part de l’auteur des Jeunes filles (1936) et des Lépreuses (1939) ? Cependant, il est essentiel de passer par ces textes pour comprendre comment les choses se construisent, en mêlant une approche militante à une méthode scientifique.

On retrouve également un jeu des auteurs, voire une critique, avec par exemple l’abbé Grimaud qui va jusqu’à comparer les sportives à des prostituées, parce que les corps sont donnés à voir comme ils ne l’ont jamais été. Un corps de femme doit être caché, masqué. Si les sportives doivent faire des compétitions, il faut savoir dans quelles tenues et devant qui. C’est inconcevable qu’elles exercent devant un public, puisque la nudité doit être réservée à l’alcôve, à l’intimité, et donc au mari. Aujourd’hui, cela va être repris de façon ludique ou amusée par des auteurs qui vont jouer sur cette forme de sensualité avec la transpiration et l’effort qui peuvent rappeler un rapport sexuel.

Julie Gaucher — Portrait réalisé par Arthur Defond pour LVSL, durant son entretien à la Librairie des Volcans à Clermont-Ferrand
Portrait de Julie Gaucher durant son entretien à la Librairie des Volcans | © Arthur Defond pour LVSL

LVSL — L’inégalité entre les femmes et les hommes devant le sport transparaît notamment dans votre ouvrage au travers des recommandations du corps médical et des manuels de bonne conduite, ces derniers étant souvent publiés par des femmes aux XIXe et XXe siècle. Tandis que les mouvements féministes émergents ne semblent alors jamais revendiquer l’accès au sport, il serait intéressant de comprendre comment la pratique sportive féminine a pu exister par la littérature.

Julie Gaucher — En effet, les acteurs du XIXe et du XXe siècles ont été amenés à réagir face à la pratique sportive des femmes, par laquelle ces dernières échappaient au contrôle masculin. Les premières fédérations sportives, masculines, ont fait un premier choix d’exclure inconditionnellement les femmes, mais se sont vite rendues compte qu’elles parvenaient à s’organiser seules pour pratiquer le sport. En réaction à cette prise de liberté, les fédérations ont alors décidé d’intégrer les femmes, en encadrant leur pratique dans une forme de mise sous tutelle.

Le corps médical permet alors de nouvelles justifications – qui se veulent scientifiques, rationnelles et justifiées par une observation médicale du corps – à la limitation du sport pour les femmes. On retrouve ainsi au XIXe siècle des thèses selon lesquelles l’utérus, à l’origine du mot hystérie, serait baladeur dans le corps des femmes, provoquant des crises d’hystérie en cas de mouvements trop intenses. Le discours médical intervient ainsi pour s’accaparer le corps des femmes et limiter davantage leur rôle social.

Malgré les avertissements, les femmes continuent de manifester leur envie de faire du sport et la pratique finie par être acceptée sous conditions : elle doit être encadrée et modérée, et on doit lui privilégier des activités comme l’éducation physique. De plus, il ne s’agit pas à l’époque d’accepter la recherche de performance, la pratique d’un sport raisonné doit au contraire permettre aux femmes de se forger un « bon corps » de mère.

Les manuels de bonne conduite au XIXe siècle sont écrits notamment par des femmes soi-disant aristocrates, mais qui appartiennent en réalité à la bourgeoisie (comme Blanche-Augustine-Angèle Soyer, qui écrit sous le pseudonyme de « Baronne Staffe »  Mes secrets en 1896 ou encore Indications pratiques pour obtenir un brevet de femme chic en 1907), et donnent aux bourgeois qui voudraient gravir l’échelle sociale les codes pour y parvenir. Dès lors, le but est simplement de respecter les codes en vigueur et de vendre des livres :  ces autrices ne cherchent pas à les remettre en cause dans une logique qui serait émancipatoire.

LVSL — Comment le combat féministe dans le sport est-il parvenu à s’exprimer à travers la littérature ?

Julie Gaucher — Des sportives vont produire dès le XIXe siècle des écrits dans lesquels elles réclament pour elles-mêmes le droit à la pratique sportive, sans volonté militante ou politique. Leur action en revanche ne doit pas être minorée : elles ont montré, par leur exemple, en dehors de tout discours militant, qu’il était possible pour des femmes de pratiquer le sport. Elles sont en ce sens les premières à avoir fait tomber des barrières.

Les premières militantes du sport féminin ne sont en outre pas des écrivaines. J’ai accordé une place à Alice Milliat en rapportant une interview de 1927. Actrice majeure qui a œuvré pour la reconnaissance de la pratique sportive féminine, elle a aussi dirigé la première fédération féminine française (Fédération des sociétés féminines sportives de France, créée en 1917). Tandis qu’au début du XXe siècle, Pierre de Coubertin refuse que les femmes participent aux Jeux olympiques, cette dernière va alors créer la Fédération sportive féminine internationale (1921) et organiser des Jeux mondiaux réservés aux femmes, qui continueront d’exister jusqu’en 1934, les portes des stades olympiques s’étant ouvertes aux femmes.

Également, une figure importante de la sportive a pu se détacher dans l’entre-deux guerres avec Violette Morris, qui inspire la littérature et que l’on peut qualifier de sportive transgressive : water-polo, natation, football, courses automobiles – elle aurait subi une mastectomie pour entrer plus facilement dans son cockpit –, lancer de poids et de disques, etc. Elle bat de nombreux records sportifs, y compris masculins. Exclue de la Fédération française sportive féminine pour son homosexualité (elle a notamment entretenu une relation avec Joséphine Baker) et son port du pantalon, elle sera d’ailleurs utilisée en contre-exemple de la sportive par Marie-Thérèse Eyquem.

LVSL — Le sport féminin semble aujourd’hui se démocratiser sur le petit écran, avec notamment la coupe du monde féminine de football en 2019. L’Insee pointait pourtant en 2015 une inégalité persistante tant dans la pratique sportive entre femmes et hommes que dans le choix des sports, où l’on observe que les femmes restent très minoritaires dans les sports collectifs alors qu’elles dominent par exemple en gymnastique. Quel rôle peut encore jouer la littérature au XXIe siècle pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’accès au sport ?

Julie Gaucher — Effectivement, le sport féminin devient de plus en plus accessible, à la télévision notamment. Une place est donnée aux sportives, mais il faut savoir comment on en parle. En juin 2019, au JT de Jean-Pierre Pernaut sur TF1, on pouvait voir un reportage sur les footballeuses qui « tricotent sur le gazon » et qui « caressent la balle avec douceur »…

Concernant la pratique du sport par les femmes, on retrouve en effet un écart qui demeure, avec 50% des femmes de 16 à 24 ans qui ont déjà pratiqué une activité sportive, contre 63% des jeunes hommes. La progression peut passer par les supports comme la télévision, en montrant par exemple des joueuses de football, parce que si on ne les montre pas, ça ne viendra pas à l’idée des petites filles d’aller pratiquer le foot. Il faut savoir quelle figure d’excellence on donne à voir aux enfants.

« Ce n’est pas en donnant uniquement des modèles de princesses aux petites filles qu’on les amènera vers l’action, la conquête, la performance, voire l’épanouissement »

Dans ce sens, on observe une véritable rénovation de la littérature jeunesse avec des éditeurs comme Talents Hauts (il y en a d’autres) qui montrent justement que d’autres modèles de genre sont possibles, et que les petites filles ne sont pas nécessairement les princesses qui vont attendre le prince charmant mais qu’elles peuvent aussi être du côté de l’action. Je chronique d’ailleurs des ouvrages pour le blog « Écrire le sport » (que vous pouvez trouver sur Twitter), dont certains en littérature jeunesse. J’essaie par là de donner de la visibilité à ces textes, que j’aime faire découvrir à des parents ou à des enseignants.

En fait, il y a beaucoup de choses qui sont en train d’émerger. Pour changer ce qui se passe aujourd’hui dans les terrains de sport, il faut faire évoluer la mentalité des enfants et donc également faire de l’éducation auprès des parents. En effet, il faut se rendre compte que ce n’est pas en donnant uniquement des modèles de princesses aux petites filles qu’on les amènera vers l’action, la conquête, la performance, voire l’épanouissement. Si elles peuvent bien sûr pratiquer la danse ou la gymnastique, il faut que ce soit un vrai choix et pas la seule activité qui leur soit accessible.


Couverture, De la femme de sport à la sportive. Une anthologie, Julie Gaucher
© Les Éditions du Volcan

Julie Gaucher, De la « femme de sport » à la sportive. Une anthologie

Le Crest, Les Éditions du Volcan, 2019, 400 pages, 23,50 €

Voir sur le site de la maison d’édition.

 

 

 

 

 

Antonio Gramsci et Pier Paolo Pasolini : compagnons de route

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Pasolini se recueillant sur la tombe de Gramsci © Paola Severi Michelangeli

L’un philosophe et théoricien, l’autre poète, écrivain et cinéaste, tous deux journalistes, tous deux marxistes et tous deux Italiens proches d’une certaine idée du peuple : Antonio Gramsci et Pier Paolo Pasolini sont deux incontournables noms de l’histoire du XXe siècle italien et ne manquent guère de noircir de nombreuses pages d’études. Ne se rencontrant jamais, les deux hommes ont pourtant deux destinées étroitement liées, tant par le cachot que par les procès, et, au fond, se rejoignant dans leur conception commune d’un homme, d’un intellectuel prêt à porter la voix d’un peuple étouffé par les crises de son temps.


Antonio Gramsci naît le 22 janvier 1891 à Ales en Sardaigne et n’en finit pas d’alimenter les théories politiques actuelles : populisme, socialisme, néo-marxisme… L’enfant de Sardaigne fascine par son parcours et sa pensée singulière au sein du marxisme du début du siècle, en mettant en avant la lutte idéologique et culturelle. Pier Paolo Pasolini est né cinq ans avant l’emprisonnement à vie de Gramsci, à Bologne, d’une famille plus aisée. Son œuvre n’en finit pas de chanter le peuple italien, dans sa beauté la plus saisissante, comme dans sa cruauté et sa dureté. C’est dans les années 1950 que l’enfant de Bologne vient se recueillir sur la tombe d’Antonio Gramsci et lui livre un poème à l’arrière-goût âpre : Les Cendres de Gramsci. Ce poème dresse le constat de l’Italie post-fasciste, en ruines, livrée à la résignation, à la pauvreté extrême, privant le peuple de tout destin révolutionnaire. Pasolini s’adresse à Gramsci comme à un ami intime, un frère, un compagnon de route et évoque son amertume, son dégoût du monde moderne, et son amour profond pour le peuple, la révolte et la nature.

Si les deux hommes sont intimement liés, c’est d’une part par la politique. Certes, Pier Paolo Pasolini est loin de se prétendre philosophe ou théoricien. Pour comprendre ce positionnement, il est nécessaire d’opérer un retour à Gramsci. Au cœur du message des Cahiers de prison, rédigés de 1929 à 1935 à l’ombre des barreaux de la prison sicilienne sur l’île d’Ustica, se trouve l’idée que l’organisation de la culture est organiquement liée au pouvoir dominant et au rôle de l’intellectuel dans la société. Cette fonction s’avère être celle de direction technique et politique exercée par un groupe, qui est soit un groupe dominant soit un groupe qui tend vers une position dominante. 

« Tout groupe social, qui naît sur le terrain originaire d’une fonction essentielle dans le monde de la production économique, se crée, en même temps, de façon organique, une ou plusieurs couches d’intellectuels qui lui apportent homogénéité et conscience de sa propre fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique. »

L’intérêt de l’intellectuel chez Gramsci est qu’il prend part à la dynamique de l’histoire par son engagement au sein de la société et son inscription organique dans un groupe social, en cultivant la lutte que mènent des groupes dominants dans un but de conquête idéologique et d’hégémonie. C’est l’objet même de la bataille des idées développée dans les Cahiers de prison qui doit, selon lui, soustraire le peuple à l’idéologie dominante qui l’annihile. Découvrant le marxisme par les Carnets de prison de Gramsci, Pier Paolo Pasolini se construit parallèlement en tant qu’intellectuel proche du peuple, prêt à prendre la parole pour lui et mettant l’art à son service.

Pasolini, entre intellectuel organique et poète-civique

Pasolini bénéficie d’une image d’artiste sulfureux, polémiste volontiers provocateur, mais surtout d’une image d’un artiste engagé et proche du peuple italien. Adhérant au Parti communiste italien en 1947, il devient le secrétaire de la section de San Giovanni[2]. Les désaccords avec le PCI ne tardent pas et c’est finalement sur la question de l’autonomie du Frioul[3], région chère aux yeux de Pasolini, puisqu’il s’agit de la région d’origine de sa mère, que Pasolini s’éloigne du PCI. Le parti défend une logique unitariste, qui déplaît à Pasolini, celui-ci considérant le Frioul comme sauvé de la modernité et de l’industrialisation que l’unitarisme mettrait à mal. C’est durant le début des années 1940 qu’il écrit ses premiers poèmes en langue frioulane s’opposant ainsi à une unification par la langue de l’Italie, voulant défendre ainsi les spécificités régionales. Pasolini se concentre alors sur l’exaltation de paysages bucoliques mais surtout sur la contemplation de la vie paysanne, dont la simplicité émerveille l’enfant de Bologne. D’ores et déjà, Pasolini clame son amour pour le petit peuple. Mais son séjour dans le Frioul s’achève en 1949 par le scandale qui bouscule la région suite à un coup monté par des notables réactionnaires, qui lui vaut une accusation pour détournement de mineurs et d’homosexualité, deux procès et l’exclusion définitive du Parti communiste. Pasolini se voit forcé de quitter le Frioul et fuit ainsi vers la capitale, laissant derrière lui les paysages sauvages de la région. Mais cette fuite s’avère démiurgique dans la construction du poète engagé qu’il deviendra ; Pasolini s’expatrie à Rome, et cette décennie romaine modifie profondément son art. À l’univers populaire frioulan, fortement dominé par la composante paysanne, succède la plèbe romaine, à laquelle s’associe une langue qui s’avère aussi riche que le frioulan : le patois, argot des masses populaires, que Pasolini parviendra à dompter dans ses romans, ses films et sa poésie.

C’est à ce moment-là qu’il fait la découverte de Gramsci, dont l’œuvre se diffuse de plus en plus en Italie. Pasolini comprend alors sa position de bourgeois, appelé par une inclination mécanique vers le peuple. Il comprend que la misère de ce peuple n’est pas une fatalité mais le résultat d’un long processus historique et que cet état de fait n’a rien d’inaliénable. Se construit alors une œuvre dans le sillon de Gramsci, entre pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté. Pasolini n’a jamais lu Marx. Sa découverte du marxisme se fait uniquement par les écrits de Gramsci. Dans son ouvrage, La langue vulgaire, il déclare en outre être « […] marxiste au sens le plus parfait du terme quand j’hurle, je m’indigne contre la destruction des cultures singulières, parce que je voudrais que les cultures singulières soient un apport, un enrichissement et entrent en rapport dialectique avec la culture dominante […] Gramsci les défendait, il défendait cette culture, il aurait voulu que survivent ces cultures […] il était totalement contre leur génocide. » Rome s’avère être une ville où Pasolini peut saisir les moindres mouvements d’un peuple urbain, d’un corps social rendu plus sensible par la proximité des centres de décisions gouvernementales. Il se lance ainsi dans la poésie populaire, avec son anthologie, Canzoniere italiano en 1955, qui met en exergue ses positions au sujet des rapports qu’entretient le peuple avec l’Histoire. Parallèlement à son activité de poète, Pasolini, polymorphe, s’essaie au journalisme, notamment avec la fondation de la revue Officina.

Cependant, au fur et à mesure de sa lecture de Gramsci, Pasolini n’hésite pas à le remettre en cause et exprime son besoin d’idéologie qui n’en est néanmoins pas exempt de passion, contrairement à ce qu’il comprend de son aîné. L’importance du Moi apparaît donc au travers de sa poésie et Les cendres de Gramsci mettent en évidence ce paradigme dans l’expérimentation poétique. Composé entre 1951 et 1956, à une période où sa foi communiste s’effondrait, il s’adresse à son aîné, déplorant ses contradictions entre sa conscience de faire partie de l’histoire et son besoin viscéral d’exalter une forme de poésie plus intimiste. Le poète se plaît, dans ce long poème, à exalter les contrastes et les oppositions qui mettent en évidence la situation délicate dans laquelle il se trouve, notamment en utilisant habilement un style ciselé de figures d’opposition (oxymores, distiques et rythme binaire du poème). La poète évoque son parcours atypique, qui se pose en contradiction avec ses origines familiales (son père est un ancien militaire), lui si proche du peuple.

« Scandale de me contredire, d’être / avec toi, contre toi; avec toi dans mon coeur,/ au grand jour, contre toi dans la nuit des viscères;/ reniant la condition de mon père / – en pensée, avec un semblant d’action -/ je sais bien que j’y suis lié par la chaleur[4] »

À cette occasion, Pasolini s’affirme également comme individu à part entière, et même poète à part entière, capable d’exalter un art individuel et pas seulement mettre son oeuvre au service de la bataille culturelle. Loin d’attaquer la figure illustre d’Antonio Gramsci, le poète semble se confesser à lui, ne niant jamais son aîné, ne le réfutant pas mais évoquant son besoin viscéral de revenir à une forme de poésie plus personnelle. Envisager ce dédoublement comme une rupture avec Antonio Gramsci, et le recueil comme une lettre d’adieu au père spirituel, serait erroné, même si à sa publication les communistes s’insurgent contre le recueil. Celui-ci revêt davantage la forme d’une autocritique, envisageant les conséquences directes exercées sur l’identité sociale et la configuration du monde auquel l’individu va se trouver confronté, en restant proche de Gramsci, sans tenir de propos péremptoires sur sa pensée.

« La vie est un bruissement, et ces gens qui / s’y perdent, la perdent sans nul regret, / puisqu’elle emplit leur cœur : on les voit qui / jouissent, en leur misère, du soir : et, puissant, / chez ces faibles, pour eux, le mythe / se recrée… Mais moi, avec le cœur conscient / de celui qui ne peut vivre que dans l’histoire, / pourrai-je désormais œuvrer de passion pure, / puisque je sais que notre histoire est finie ? [5] »

Pasolini remet en question la question de l’intellectuel organique et de son rôle dans la société, sans réfuter la thèse gramscienne. Il introduit sa personnalité d’artiste dans le même champ, en mettant en lumière la contradiction qui lui fait emprunter une voie différente de celle de Gramsci. La relation entre Pasolini et Gramsci n’est donc ni homogène, ni faite de ruptures. La pensée de Gramsci a servi de colonne vertébrale à l’œuvre de Pasolini, de manière plus ou moins intense. La figure de Pasolini n’est pas figée, et une lecture synchronique cherchant infatigablement à trouver l’essence gramscienne chez l’enfant de Bologne tendrait naturellement à voir Gramsci à travers chaque passage de l’œuvre de Pasolini.

Un idéal d’art populaire

Le poète et scénariste réalise néanmoins une œuvre pouvant être caractérisée de populaire, notamment au travers de ses films et de ses romans. À titre d’exemple, Les Ragazzi, paru en 1955, évoque l’histoire d’une jeunesse du sous-prolétariat urbain de Rome, durant l’après-guerre alors que la misère est plus présente que jamais. Ce roman n’a pas véritablement d’intrigue, il s’agit du récit de l’errance somnambulique d’une jeunesse désœuvrée en proie aux doutes et soumise au destin qui incombe au sous-prolétariat.

Dans son roman Une vie violente, publié en 1961, Pasolini va plus loin, non seulement en décrivant l’état misérable de cette jeunesse après la guerre, dans les bas-fonds de l’Urbs, gangrénée par la pauvreté mais aussi l’envie d’ascension sociale. Tommasino, le personnage principal, n’a rien d’un héros : jeune romain, il grandit dans les bidonvilles et vole, escroque, intimide pour survivre. Pasolini nous traîne froidement dans les rues crasses de Rome, où s’entassent mendiants, prostituées, drogués et seules les descriptions du ciel permettent au lecteur de s’échapper. À cette crasse s’opposent également les âmes de ses personnages : la détresse de Tommasino, l’émouvante solidarité des classes populaires, l’amour juste. Tommasino vit également une contradiction déchirante, entre son appartenance à la classe sous-prolétarienne et son envie d’ascension dans la société. Une vie violente est l’occasion pour Pasolini de clamer son amour pour cette deuxième Italie, bien loin des idéaux et de la beauté de l’Antiquité et de la Renaissance, l’Italie populaire et pourtant si authentique.

Ce cadre du milieu urbain miséreux de la périphérie romaine est repris dans son œuvre Mamma Roma, qui prend la suite de son tout premier film Accatone. Dans Mamma Roma, une jeune prostituée d’une quarantaine d’années, jouée par la bouleversante Anna Magnani, tente de refaire sa vie aux côtés de son fils Ettore, qui ignore le passé de sa mère. Figure sacrificielle, la mère d’Ettore va tout mettre en œuvre afin d’offrir à son fils un avenir loin des bidonvilles de la banlieue de Rome. Tout comme dans Une vie violente, Mamma Roma dresse l’ambiguïté d’une vie sous-prolétaire avec une structure petite-bourgeoise. Les sous-prolétaires des borgate romaines constituent véritablement la matière de ses films ainsi que de ses romans.

À partir de 1973 et jusqu’à sa mort, qui survint en 1975, Pasolini se tourna vers le journalisme, notamment avec ses écrits corsaires publiés dans le journal Corriere della Sera. L’essence des écrits corsaires se trouve dans la critique du néocapitalisme d’État et du consumérisme, qui détruisent le monde et le peuple. Il dénonce le développement dénué de progrès qui, sous couvert d’améliorer les conditions de vie, transforme les peuples, les réduisant à une classe moyenne, indifférenciée, docile, qui s’appuie sur un sous-prolétariat miséreux. Il évoque la crise culturelle qui sévit en Italie à partir des années 1960, entre l’industrialisation, les objectifs des appareils économiques, politiques, idéologiques et culturels, la disparition des différences linguistiques etc. Il évoque ainsi dans Salo, sorti en 1975, cette jeunesse massacrée par ce monde.  

Pasolini, Gramsci : le populisme du savoir

Pasolini représente-t-il l’idéal de l’intellectuel chez Gramsci ? Pour Jean-Marc Piotte, dans son ouvrage La Pensée politique de Antonio Gramsci, paru en 1970, ainsi que pour Frédéric Bon et Michel-Antoine Burnier dans Les Nouveaux intellectuels, paru en 1966, on peut voir chez Gramsci la construction d’une pensée des intellectuels, entre élément effectif de la civilisation et œuvre d’art, sans toutefois définir un véritable modèle. La découverte de Gramsci pour le jeune Pasolini constitue une avancée dans son art, sans pour autant devenir une tension idéologique dans son œuvre. Le gramscisme chez Pasolini s’apparente ainsi à la prise de conscience de l’importance de l’Histoire dans la société et ses conséquences sur le peuple. Les cendres de Gramsci témoignent de la réticence de Pasolini à s’ancrer dans la pensée de Gramsci. Le drame décrit dans le poème est autant historique que personnel.

« Nous appelons poète civil, en Italie, un poète qui s’engage dans un contexte, disons-le ainsi, historique, politique et social. […] La grande originalité de Pasolini a été de faire une poésie civile de gauche, excluant l’humanisme et se rapprochant des Décadents européens [7]»

Quelle est la véritable fonction du poète civil ? C’est le poète qui se substitue aux paysans pour parler dans leur propre langue. Les premiers vers de Pasolini, lors de sa période frioulane, étaient dans le dialecte de cette région et le bouleversement dû à la découverte des borgate de Rome donnera lieu à une écriture plus proche du peuple de la capitale, plus sombre aussi, bien loin de l’exaltation des paysages de la côte adriatique. Le poète civil donne ainsi sa voix au peuple, aux plus faibles, en chantant non seulement ses vertus mais bien plus la réalité, l’âpreté et la dureté de leur existence.

Pour Pasolini, le peuple, sujet évident qui se définit par son opposition aux élites, se pose face à la classe dominante, dans une lutte pour le pouvoir, mais également une lutte pour vivre, contre l’industrialisation et la mort des petites cultures. Son œuvre tente de capter l’âme du peuple, rendu souverain à la fin d’un XXe siècle qui le voit dépérir, et ainsi « mendier un peu de lumière pour ce monde ressuscité par un obscur matin[7]».

[1] GRAMSCI A., Cahiers de prison, n°6 à 9, Gallimard, Paris, 1983, p. 770.

[2] San Giovanni Rotondo est une ville de la province de Foggia dans la région des Pouilles.

[3] Région historico-géographique se trouvant dans l’actuelle Vénétie.

[4] PASOLINI P. P., Les Cendres de Gramsci, Gallimard, Paris, 1980, p. 29.

[5] PASOLINI P. P., Les Cendres de Gramsci, Gallimard, Paris, 1980, p. 43.

[6] MORAVIA A., « Pasolini poète civil », dans L’inédit de New York, Arléa, Paris, 2008, p. 10-11.

[7] PASOLINI P. P., « Comice », Les Cendres de Gramsci, Gallimard, Paris, 1980, p. 49.

Arthur Nesnidal : « Reconquérir les mots est absolument indispensable »

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©Maxime Reychman

Arthur Nesnidal, tout jeune auteur alors âgé de 22 ans à la parution de son premier roman intitulé La Purge dans lequel il met en scène l’expérience d’un personnage en classe préparatoire aux grandes écoles, nous a accordé un entretien sur la place de son roman – et du roman en général – dans la bataille culturelle. Selon lui, La Purge est un pamphlet contre notre société méritocratique dans laquelle règne une compétition acharnée qui transforme le droit de vivre dignement en privilège réservé à certains. Entretien réalisé par Romain Lacroze.


LVSL — Vous avez écrit La Purge, votre premier roman, paru chez Julliard en août 2018 (bientôt en poche). C’est un roman pamphlétaire, assez court, engagé dans la bataille culturelle ouvertement en faveur des opprimés. Ce livre met en scène un narrateur en classe préparatoire qui se montre très critique vis-à-vis de ce système, mais pas seulement… Qu’aviez-vous à dire en écrivant La Purge ? Et pourquoi avoir choisi cette forme du roman pour le dire ?

Arthur Nesnidal — Il me semble que c’est extrêmement clair, ne serait-ce que quand je dédicace mon livre aux résistants, c’est-à-dire à ceux qui restent dignes. Les gens dignes sont ceux qui s’affirment, qui existent par leur résistance à l’oppression. C’est un livre qui dénonce l’oppression et la reproduction des élites. Je me sers des classes préparatoires comme d’un prétexte pour dénoncer un système beaucoup plus vaste, celui de la reproduction des élites, de la confiscation de la culture classique par une élite. En fait, quand je dis « élite », j’entends « oligarchie ». C’est l’oligarchie que j’ai dans le viseur de mon bouquin.

« Je me sers des classes préparatoires comme d’un prétexte pour dénoncer un système beaucoup plus vaste de reproduction des élites, de confiscation de la culture classique par une élite »

D’autre part, il s’agit d’un roman parce que c’est beaucoup plus efficace que n’importe quelle autre forme littéraire pour ce que je veux en faire. Mon objectif est de dénoncer, de susciter l’indignation, la colère et la révolte. Un essai ne me conviendrait pas parce que la forme rigoureuse de la démonstration scientifique, comme on aurait dans un essai sociologique qui s’appuierait sur des statistiques, ne permet pas de susciter l’indignation. L’essai permet plutôt d’avoir une vue suffisamment précise de la situation pour rédiger un texte de loi par exemple. Un essai sociologique s’approche plus du travail du législateur que de l’invitation à l’insurrection populaire. En définitive, le roman incite à taper du poing sur la table. C’est plus puissant, cela a plus d’impact…

Il y a aussi d’autres raisons à ce choix : je ne suis pas sociologue, donc, je ne peux pas, de toute façon, me permettre d’écrire autrement que dans une forme purement littéraire ou artistique pour dénoncer un système violent. D’autant plus que, j’insiste, mon sujet ne traite pas des classes préparatoires, il dénonce un système beaucoup plus vaste de reproduction des élites. Si je rédigeais un essai de sociologie, je serais obligé de cadrer mon sujet et d’étudier en elles-mêmes les classes préparatoires. D’une certaine manière, je serais à côté de ce que je voulais faire. Je serais « hors sujet » car mon but est plutôt de dénoncer le fait que la valeur qui est mise au pinacle de notre société est la compétition. Quand on veut dénoncer cela, il me semble qu’un essai est beaucoup moins approprié car plus réducteur, ou alors, cela demande un travail beaucoup plus ample dont je n’ai absolument pas les moyens.

LVSL — Ce qui est étonnant dans votre livre, c’est la première personne. Pourquoi avoir écrit ce livre à la première personne alors que vous avez toujours dit que ce n’était pas une autobiographie ?

AN — Juste un petit mot sur l’autobiographie : j’estime, à titre personnel, que l’autobiographie n’est pas un genre littéraire. À partir du moment où une biographie a des qualités littéraires, elle est romancée, donc c’est déjà un roman et ce n’est plus factuel. Une biographie n’a en elle-même qu’un intérêt historique. Ceci dit, c’est une opinion purement subjective que je porte sur la littérature en général, et du haut de mes 23 ans d’existence, cela ne pèse pas bien lourd ! Mais, il me semble que la biographie n’est pas vraiment un genre littéraire, dans le sens artistique. D’ailleurs, j’utilise le contrat de lecture pour bien signifier au lecteur qu’il ne s’agit pas d’une biographie. Au premier chapitre de mon livre, l’incipit, j’annonce aux lecteurs qu’on se situe dans un futur post-apocalyptique et que je vais raconter ma jeunesse ; c’est censé causer un déclic chez lui pour qu’il comprenne bien que c’est une fiction et que je ne vais pas raconter ma vie, puisque dans ma vie, il n’y a pas eu d’apocalypse, je ne suis pas vieux et nous ne sommes pas à la fin du XXIème siècle. Je crois que c’est assez clair sur le fait que ce n’est pas une biographie, ni une autobiographie.

Deuxièmement, pourquoi à la première personne ? Parce que je m’étais imposé une contrainte pour renforcer la valeur symbolique de ce que j’écrivais : ne mentionner aucun nom de personnage, les personnages étant tous désignés par leur fonction. À partir du moment où on n’avait que des personnages-fonction, je renforçais l’identification du lecteur et rendais possible la généralisation. Quand on dit « Monsieur le Professeur » ou « Monsieur le Directeur » pris comme des entités presque abstraites, c’est beaucoup plus facile ensuite de s’en référer à ce qu’on a connu soi-même. De plus, cela permet de comprendre que je ne parle pas d’une classe préparatoire en particulier ou des classes préparatoires en général, mais vraiment de la société toute entière. Un problème a émergé avec cette contrainte : que faire du narrateur ? Parce qu’il y a forcément un personnage narrateur qui est là, c’est quasiment obligatoire. Un roman sans narrateur n’aurait strictement aucun sens. Le mettre à la première personne permettait de respecter cette contrainte d’une part, et d’autre part, d’entretenir une confusion entre le personnage narrateur et l’auteur, c’est-à-dire moi, puisque parfois nos avis sont confondus. Parfois non, mais bien souvent, ils sont confondus, et cela fait du narrateur un personnage témoin, qui n’agit pas, qui raconte. Donc c’est drôle parce que ce livre qui est écrit à la première personne met en scène un « je » très absent puisque ce personnage ne fait rien, n’agit pas et se contente d’observer. En réalité, les descriptions et les portraits en sont la toile de fond. J’explique ce que font les autres, ce qui se passe autour de lui. Et la véritable action du personnage, ce qui change véritablement pour lui au cours du livre, c’est le regard qu’il porte sur le monde, sur ce monde-là : au début, il est complètement aliéné, il s’imagine que comme il arrive en classe préparatoire, l’ascenseur social de la République fonctionne et qu’il va y arriver ; mais à la fin du livre, il n’a plus du tout cette vision-là des choses… En fait, on suit l’éveil de sa conscience bien plus que l’agissement d’un personnage héroïque, car ce n’est pas du tout le sujet.

LVSL — Justement, vous parlez d’éveil des consciences. Quel est le public cible ? Est-ce que ce roman peut éveiller d’autres consciences ? Qui est visé en particulier ?

AN — Tout le monde. Je ne suis pas un « marketeux », je n’ai pas de public cible. Absolument tout le monde parce que comme je l’ai dit, ce n’est pas un livre sur les classes préparatoires, donc tout le monde. En fait, de manière générale, l’école concerne absolument toute la société. J’estime, parce que je suis profondément républicain, que tous les sujets politiques concernent toute la société, mais l’école en particulier, c’est-à-dire la façon dont on va former les futurs citoyens, donc, pas seulement ce qu’on leur enseigne en termes factuels, mais aussi ce qu’on leur inculque des valeurs humaines. C’est ça la formation. On ne peut pas dire que la véritable formation d’un étudiant soit le contenu de l’enseignement, qui de toute façon change d’une époque à l’autre selon l’évolution des connaissances. Ce qui est vraiment important, c’est ce qu’il va en retenir et la façon dont il va se construire avec ça.

« L’école concerne absolument toute la société »

De fait, ce que je dis de l’école dit beaucoup de la société : la valeur la plus importante, la valeur cardinale de notre société est la compétition. Dans cette compétition, donc dans une société libérale, dans un marché dérégulé, l’école a pour but de former des employables. On enseigne donc aux élèves des métiers qui vont ensuite leur donner éventuellement une place dans la société. Bon, mais en réalité, l’école n’est pas du tout un ascenseur social : la discrimination se fait aussi à l’école, même de façon inconsciente. Je ne suis pas en train de dire que partout les professeurs montrent du doigt les boursiers mais que structurellement c’est comme ça… Une personne issue d’une famille intellectuelle cultivée dans le sens de la culture universitaire, de la culture classique, a bien plus de chances de réussir à l’école que n’importe quelle autre.

Donc en théorie la ligne de départ est censée être la même pour tout le monde mais en réalité, ce n’est pas du tout le cas. Et quand bien même, l’école forme des employables, inculque un métier et, surtout, ancre l’idée de la nécessité de la compétition. Indubitablement, cette façon-là de former les jeunes ne peut déboucher que sur une société violente. Une société de compétition permanente est une société violente. Je ne dis pas que la classe préparatoire transforme les jeunes en gens violents ; cela n’aurait aucun sens, ce que je dis c’est que tout le système scolaire et toute notre société tendent à être violents parce que cette dernière idolâtre la compétition. Et par « compétition », j’entends « compétition acharnée ». Quand on commence à imaginer une société qui est faite d’entrepreneurs, je crois que tout est dit. On détruit l’État, on encourage la société civile à s’auto-organiser via les marchés, donc via l’économie, et cela ne peut être que violent, cela débouche forcément sur une compétition acharnée.

« Dire que tout le monde a sa chance, c’est dire que tout le monde est à égalité. Mais en réalité, cela signifie qu’il y aura un vainqueur et plein de perdants »

Le mensonge est de dire que tout le monde a sa chance dans l’économie de marché, dans le libéralisme, et donc dans la compétition. Dire que tout le monde a sa chance, c’est dire que tout le monde est à égalité. Mais en réalité, cela signifie qu’il y aura un vainqueur et plein de perdants. Et ce sera violent parce que de toute façon les gens vont se battre pour être vainqueur. Personne n’a envie d’être perdant, parmi les gens qui vont se faire opprimer, qui vont se retrouver sans rien. C’est d’autant plus violent si tout le monde se dit que c’est une bonne idée de vivre en compétition permanente et que ce système est accepté.

LVSL — Justement, dans votre roman, situé dans une époque « post-apocalyptique », vous écrivez en référence à une période antérieure à celle-ci : « Les mots sont importants ; et ils étaient volés. République, pacifisme, progrès, socialisme, internationalisme, les grands noms de Jaurès et de Blum n’avaient plus aucun sens ; on vendait tout au plus offrant. L’ultralibéralisme était si bien ancré dans toutes les cervelles qu’il était devenu quasi totalitaire ». Est-ce que ce roman est aussi une arme contre ce que vous appelez l’ultralibéralisme ?

AN — Bien vu, on ne m’avait pas encore sorti cette citation, ça fait plaisir de la voir sortir une fois. Un mot sur le vocabulaire volé : c’est un scandale. On ne peut plus s’exprimer si les mots sont volés. « République » a un sens, et cela ne peut pas avoir le sens d’être de droite. C’est radicalement opposé à la droite, c’est radicalement opposé au libéralisme. La République est une idée de gauche, qui ne peut être qu’une idée de gauche, et politiquement orientée. Quand on prononce « République », on ne peut pas penser « libéralisme », quand on dit « République », on signifie que l’ensemble des citoyens éduqués se préoccupe collectivement du bien commun représenté par l’État républicain. Donc les mots volés, c’est un scandale ! République a un sens, socialisme a un sens. C’est un scandale que le Parti Socialiste ne soit pas socialiste et qu’il entretienne ainsi une confusion générale. Et cela conduit les gens à dire : « La droite et la gauche, c’est la même chose, les gens sont tous pareils, les politiques sont tous pareils ». Alors que c’est tout à fait faux. Le fait de voler les mots, de les salir, empêche d’expliquer le système. Que nous reste-t-il comme mots à partir du moment où on ne peut plus dire « République », « socialisme » ou « capital » ? Comment fait-on pour décrire le libéralisme ? Comment fait-on pour en faire une critique constructive ? Il est très difficile d’être contre le libéralisme avec des mots qui sont tous salis, volés ou détournés. Comment fait-on pour dire que La République En Marche ! n’est pas républicaine ? Ou que Les Républicains ne sont pas républicains ? Comment peut-on opposer, par exemple, « capitalisme » et « communisme » alors que le communisme est assimilé au stalinisme ? C’est très compliqué et je le dénonce. Je crois que reconquérir les mots est absolument indispensable pour structurer notre pensée. En effet, on ne peut pas penser quelque chose si on n’a pas le mot pour le désigner.

D’autre part, je dis que le libéralisme est devenu quasi totalitaire : il se trouve que c’est vrai parce qu’un régime totalitaire est un régime où le pouvoir dirige et surveille chacun des aspects de la vie d’un citoyen, d’un membre du groupe. De fait, il se préoccupe tellement de chacun des aspects de la vie d’un citoyen qu’il se mêle de ce que l’on a le droit de penser ou de ne pas penser. Les journalistes sont quasi univoques sur à peu près tous les sujets, les gens ont strictement la même opinion et l’opposition est très mal tolérée ; le fait de critiquer est très mal toléré. Donc oui, totalitaire, car à partir du moment où l’on affirme des valeurs comme une évidence en permanence, et que tout le monde les accepte, il n’y a plus de démocratie. La démocratie intervient quand on n’est pas d’accord et qu’on tranche par le vote, par le nombre, par la conviction et par le débat. En général, quand tout le monde est d’accord, c’est le signe d’un régime qui n’est pas démocratique.

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Première de couverture de La Purge Illustration © Richie Faret                    © Éditions Julliard, Paris, 2018

LVSL — En quoi ce roman est-il populaire ?

AN — J’ai surtout dit que je voulais que ce soit un roman populaire. Un roman populaire se détermine d’abord par le fait que ce soit un roman qui est un best-seller (rires). En tout cas, c’est un roman qui se veut populaire parce que, clairement, il prend position pour le camp du peuple ; c’est très clair et sans ambiguïté. Je n’irai pas jusqu’à dire un roman « populiste » qui essaie de décrire avec réalisme la vie du peuple à la façon du roman Les Misérables, parce que ce n’est pas le sujet ici. On est dans un lieu extrêmement clos, tout se passe au même endroit sur une année… Ce roman se veut populaire, parce que, très clairement, il prend position pour le peuple. Alors « pour le peuple » ça veut dire contre l’oligarchie. Mais encore une fois, il y a quelque chose de dramatique dans le fait qu’on ne puisse plus dire que l’on est contre quelque chose parce qu’à partir de ce moment, on voit se répandre des éléments de novlangue absolument insupportables qui sont des non-sens intellectuels du style : « Il faut arrêter d’être contre, il faut être pour ! » Cela sous-entend : « Pour quoi ? Pour nous bien sûr, pour nous, l’oligarchie… » Alors que nous sommes pour des choses aussi belles que le partage, la Sécurité sociale… C’est avec le partage du pouvoir en particulier que va se faire le partage des richesses… Voilà, je ne suis pas seulement contre… Je suis aussi pour d’autres choses. Cela implique que quand on est pour quelque chose et qu’il y a quelque chose d’autre en place radicalement différent, on est contre ce qui est en place. Fatalement, quand je dis que je veux que ce soit un roman populaire, c’est parce que dans mon esprit, le peuple est opposé à l’oligarchie. Les gens qui détiennent le pouvoir à la place de ceux qui le subissent, c’est-à-dire les gens qui détiennent le pouvoir au lieu de représenter le peuple, n’ont pas leur place dans notre société. Cela ne devrait pas fonctionner comme ça.

« Les gens qui détiennent le pouvoir à la place de ceux qui le subissent, […] qui détiennent le pouvoir au lieu de représenter le peuple,
n’ont pas leur place dans notre société »

Bien sûr, il y a aussi les éléments de novlangue qui contribuent à vider les mots de leur sens. On martèle des mots un peu comme des concepts opérants. Quand un préfet parle, il doit dire : « État, sécurité » ; quand un ministre parle, il doit dire « budget économique, essor, relance par l’austérité ». C’est absolument incroyable ! Surtout quand un représentant parle, il va parler de compétitivité, il va parler d’attractivité, c’est-à-dire des concepts qui sont extrêmement orientés en fait, et il va les marteler jusqu’à ce que ça paraisse évident qu’on doive être compétitif, qu’on doive faire de la croissance, produire, être attractif pour les entreprises. Dire que la compétition n’est pas une fin en soi est quelque chose qui n’est pas du tout évident dans notre organisation sociale, surtout dans les représentations culturelles comme à la télévision, dans les journaux, à la radio ; il faut d’abord commencer par faire admettre un vocabulaire qui n’est pas le vocabulaire du libéralisme.

« Dire que la compétition n’est pas une fin en soi est quelque chose
qui n’est pas du tout évident dans notre organisation sociale »

On ne peut pas critiquer le libéralisme avec son vocabulaire. C’est complètement absurde. Si je veux critiquer l’oppression dans l’entreprise, je suis obligé d’utiliser des termes qui signifient l’oppression dans l’entreprise : je vais dire qu’il y a l’oppression de l’entreprise sur des gens qui ne possèdent pas leur outil de travail qu’on va appeler les prolétaires, c’est un vocabulaire extrêmement typé. C’est tout à fait normal, c’est le vocabulaire typique des gens qui sont contre l’oppression dans l’entreprise. En revanche, si je critique le libéralisme en disant que dans la start-up nation, il y a des défavorisés qui n’ont pas eu le mérite de fonder eux-mêmes leur entreprise et de montrer leur valeur sur le marché parce qu’ils n’étaient pas assez attractifs et compétitifs, cela a l’air absurde de critiquer le libéralisme. On en déduit que le libéralisme est quelque chose qui fonctionne très bien et que le seul fautif dans l’histoire, c’est ce pauvre type qui n’a pas eu de chance et, surtout, qui n’a pas eu de mérite. Je ne crois pas au mérite, je ne crois pas que le droit de vivre et d’avoir une vie digne se mérite. Je crois que c’est quelque chose que tout le monde a le droit d’avoir : c’est d’ailleurs ce qu’affirment les Droits de l’Homme. Mais on a bien inculqué aux gens que la place qu’on occupait dans la société devait être indexée sur le mérite.

« Je ne crois pas que le droit de vivre et d’avoir une vie digne se mérite »

À partir du moment où l’on vole le vocabulaire et où l’on martèle ces concepts opérants via les médias et via la culture, il est très difficile de lutter. Modestement, mon travail est d’attaquer ce processus. Parce qu’en tant qu’écrivain, mon boulot est principalement de travailler la langue, de travailler à partir de dictionnaires, de grammaires et de donner une nouvelle connotation aux mots ou de reconquérir le sens des mots, donc de proposer une vision du monde par le langage et de créer ce qui permettra de visionner ce monde-là, tel que je le vois, c’est à dire le monde violent que je dénonce.

LVSL — Est-ce que le prochain livre est un roman ? Quand sortira-t-il ? Quel sera son sujet ?

AN — Si tout va bien, il sortira en août prochain. Le sujet : l’oppression sociale, l’oppression des puissants, la dignité des petits… Mon prochain roman dira beaucoup de l’emprise de la finance sur le pouvoir. C’est une contre-utopie. Il me reste un certain nombre de thèmes à aborder. Ce roman sera toujours aussi travaillé du point de vue de la langue, du point de vue du style et je vais continuer dans la lancée du premier. Je n’ai pas changé et je n’oublie pas d’où je viens.

Au début de l’entretien, la question était de savoir quelle était la place du roman dans la bataille culturelle, eh bien, je rajoute que le roman dans la bataille culturelle a la même place que toutes les autres formes d’art, mais il y a quand même une différence entre les arts car certains arts demandent beaucoup de moyens. Et il est donc plus facile de les censurer : par exemple, il est difficile de monter un film parce qu’un film demande beaucoup de moyens, il est difficile de faire un jeu vidéo pour les mêmes raisons. Je pense que certains arts comme la littérature ou la musique sont davantage accessibles parce qu’on peut les pratiquer même quand on n’a pas les moyens. En effet, concrètement, pour écrire, il faut un stylo et un cahier. Alors que des formes d’art qui demandent beaucoup de moyens nécessitent aussi beaucoup d’investissement financier. À noter que la qualité technique dans le métier d’écrire est tout aussi exigeante que celle des autres formes d’art. Je fais le pari, et ça ne m’étonnerait pas, que le roman sera à l’avenir une forme d’art abondante, subversive. Je précise que je n’écris pas des romans parce que je fais des paris ; je le fais parce que je suis romancier, que c’est mon métier et que c’est ça que je sais faire. Mais je pense que dans les années à venir nous, les romanciers subversifs, révolutionnaires, serons beaucoup plus nombreux à avoir un regard critique sur la société, à proposer de s’indigner contre le monde dans lequel on vit par la littérature. Et dans d’autres formes d’art, peut-être que ce sera plus difficile.

On vient de voir le roman à la croisée des chemins de l’art et de la bataille culturelle. Je suis sûr que l’art dans la bataille culturelle a une importance primordiale. Seul l’art peut sensibiliser autant les gens à qui l’on s’adresse et provoquer des sentiments sains. Je considère que l’indignation et la colère sont saines. Former l’imaginaire collectif par l’art est absolument indispensable pour reconquérir les concepts qui nous permettent de critiquer le monde dans lequel on vit. C’est un travail qui est bien sûr de première importance mais qui n’est pas forcément supérieur au travail conceptuel que font les chercheurs, les sociologues, les scientifiques. C’est un travail complémentaire, il ne sont pas opposables. Simplement, moi, c’est ce que je sais faire, donc c’est ce que je fais.

Prix et mépris littéraires

Étalage de librairie selon les prix littéraires 2018

Nous sommes en pleine saison automnale des prix littéraires. Jean-Paul Dubois vient tout juste d’obtenir le prix Goncourt pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon et le prix Renaudot a récompensé Sylvain Tesson pour son livre La panthère des neiges. En France, les prix littéraires sont très suivis et le prix Goncourt, notamment, promet quelques 400 000 ventes à son récipiendaire. Si les jurys des différents prix les plus importants (Goncourt, Académie française, Renaudot, Femina, Médicis, etc.) entendent consacrer la qualité d’un livre et le « style » de son auteur, la réalité est peut-être autre. Dans la mesure où les retombées économiques sont énormes, les maisons d’édition positionnent tous les ans leurs poulains dans la course. Et ce, au grand dam des oubliés, des perdants, de la course littéraire parmi les 336 livres qui sont sortis pour cette nouvelle rentrée française de 2019.


Les prix littéraires questionnent en profondeur le rapport d’une société à sa littérature. La France est fréquemment vue comme une nation littéraire, ce qui fait dire à un auteur américain lors d’un voyage en France : « on peut s’en rendre compte en regardant le nom des rues, des places, des stations de métro : Victor Hugo par-ci, Jules Verne par-là ». L’exemple de la commune d’Illiers est fameux. La commune est devenue Illiers-Combray grâce à À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, car elle fut le lieu d’enfance du narrateur, expérience formidable de pénétration du réel par la fiction.

L’académicien Jean-Marie Rouart s’interrogeait sur cette idée de « nation littéraire » dans une conférence en 2014 [1]. Il parvenait à faire saisir ce lien double entre la France et la littérature : au sein de l’État-même et dans le cœur des Français. Une phrase du général de Gaulle frappe : « À ma gauche Michel Debré. À ma droite, j’ai et j’aurai toujours André Malraux » [2]. C’est-à-dire qu’à la place d’honneur, à l’opposé du Premier ministre et rédacteur de la Constitution de 1958, à la tête de la plus haute instance de l’État, il y a un écrivain, la littérature, l’histoire, la culture : il y a André Malraux. Il y a aussi la figure de l’intellectuel, très française, incarnée la première fois par Zola, suivi par Mauriac et Sartre. La littérature est aussi un moyen de légitimation des chefs d’État. Que l’on pense à l’ouvrage de Stendhal posé sur le portrait officiel d’Emmanuel Macron, à Malraux comme ministre de de Gaulle, Giscard d’Estaing comme académicien ou Pompidou, normalien et agrégé de lettres, qui publia une Anthologie de la poésie française. On finit par Sarkozy qui, après avoir confié ne pas aimer La Princesse de Clèves, se rattrapa : « Nos chefs d’œuvre littéraires sont chez nous l’objet d’un culte quasi religieux. Il faut le comprendre et l’accepter. C’est aussi ça la France ».

POURQUOI DES PRIX LITTÉRAIRES ?

La France a toujours objectivement produit de très grands écrivains. Elle est aussi le pays qui a le plus grand nombre de prix littéraires : près de 600. À l’origine, le prix Goncourt fut créé en 1903 pour récompenser un jeune auteur et « aider à l’éclosion des talents » (Edmond de Goncourt). En offrant une bourse élevée, il permettait à l’auteur de vivre convenablement et de s’arracher à la nécessité. Aujourd’hui, la récompense financière est fixée à 10€… Par ailleurs, la liste des grands auteurs qui n’ont pas été récompensés par le Goncourt et le Renaudot est longue. De fait, avoir un prix ne permet pas la postérité. D’ailleurs, il n’appartient à personne de la produire. Tous les panthéonisés, les enterrés au Père-Lachaise, tous les nobellisés, sont-ils aujourd’hui connus de nous tous ?

Le XIXème siècle est le moment d’autonomisation de la profession d’écrivain. Ils s’émancipent des pouvoirs en place et peuvent vivre de façon indépendante. Flaubert en représente, d’après Bourdieu [3], l’idéal-type. L’univers du champ littéraire est relativement autonome à cette époque, il « fait place à une économie à l’envers, fondée, dans sa logique spécifique, sur la nature même des biens symboliques […] dont la valeur proprement symbolique et la valeur marchande restent relativement indépendantes. » [4]

Il y a un deuxième moment dans l’histoire des prix littéraires. C’est lorsque les éditeurs se rendent compte, à partir des années 1920, de l’impact des prix sur les ventes. Aujourd’hui, un prix Goncourt se vend autour de 400 000 exemplaires, on l’a dit. Sans, l’oeuvre n’aurait peut-être pas même atteint les 30 000 ventes, même si l’auteur est connu, nous y reviendrons.

LA FORCE DU PRIX

On remarque que les prix littéraires, en s’appuyant sur une présupposée valeur littéraire, parviennent à la convertir en valeur économique [5]. En fait, les prix littéraires permettent de rendre bankable un livre qui ne le serait pas forcément. Il y a la reconnaissance que ce livre est vendable tout autant qu’il est appréciable d’un point de vue littéraire. Le prix permet de faire rencontrer un public avec une œuvre, rencontre qui n’aurait pas eu lieu si le prix ne lui avait pas été décerné.

Comme l’écrit Sylvie Ducas : « le prix littéraire conçoit l’œuvre comme une valeur à la fois littéraire et marchande » [6]. C’est parce que le prix littéraire sait l’impact qu’il a sur les ventes qu’il peut transformer la structure de la littérature elle-même. Au cours de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, la massification du lectorat, la financiarisation et la médiatisation nouvelles de ce champ, une nouvelle figure littéraire apparaît. Celle de l’écrivain médiatique. Les écrivains sont considérés par les maisons d’édition comme des « chevaux de course » assignés à des box « d’écuries éditoriales ». Au cours du XXème siècle, trois maisons d’édition se sont particulièrement distinguées dans l’obtention des prix littéraires : Gallimard, Grasset et Le Seuil. D’où l’appellation du monstre « Galligrasseuil ».

D’un point de vue plus économique, le prix littéraire vend [7]. C’est bien le Goncourt des lycéens qui vend énormément : au moins 394 000 ventes attendues, contre « seulement » 345 000 ventes pour le Goncourt. Aussi, 80% des ventes d’un livre qui a reçu un prix se font dans l’année de sa consécration. En général, les ventes se multiplient par sept ou huit selon le prix littéraire obtenu. Si l’on considère un prix de vente d’environ 20€ pour un livre broché, le chiffre d’affaires est autour de 6 900 000 € pour un prix Goncourt, alors qu’il n’aurait peut-être été que de 700 000 € si le livre n’avait été vendu qu’à 35 000 exemplaires — ce qui est déjà correct et permet d’amortir l’investissement (fabrication, droits d’auteurs et frais de diffusion). Le livre qui détient le record est Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, vendu à un million d’exemplaires en trois mois suivant son obtention du Goncourt. Cela représente un chiffre d’affaires de 22 500 000 € et 4 500 000 € de profit. Le livre est bel et bien devenu le produit d’industries culturelles.

LE PRIX DE LA LITTÉRATURE

 Le monstre « Galligrasseuil » a remporté près de la moitié des lauréats Médicis, Interallié, Renaudot et Goncourt depuis l’existence de ces prix. Si Actes Sud, la maison d’édition arlésienne, semble devenir une sorte de « troisième voie » entre Gallimard et Grasset (rappelons que la maison d’édition a gagné quatre prix Goncourt ces six dernières années), le suspense n’est plus vraiment à son comble.

En fait, il ne s’agit de suspense que dans la mesure où les prix littéraires, avec l’aide des maisons d’édition et des critiques, ont mis en scène leurs récompenses et les consécrations. Cette mise en scène questionne. Elle fonctionne comme un rideau. Ce que l’on voit devant, ce sont les acteurs. Ce sont les membres du jury qui se réunissent pour débattre puis délibèrent et, enfin, décernent le prix. Mais il convient de questionner ce qui est caché, ce qui n’est pas montré. Derrière le rideau, tout se sait, tout le monde se connait. On est à Paris dans le milieu de la culture, entre hommes blancs quinquagénaires. L’importance n’est pas dans ce qui est montré dans les médias, n’est pas dans le bandeau que l’on accole au livre, à l’étiquette supplémentaire sur l’auteur, mais plutôt dans ce que l’on ne nous montre pas.

S’il n’est pas question de corruption et de pots-de-vin ici, c’est parce que cela est bien plus complexe. Le fait que les statuts de l’académie Goncourt aient été modifiés pour empêcher le membre du jury d’être salarié par une maison d’édition, ne change rien à l’affaire. Il y a, comme le disait Michel Tournier, des « corruptions sentimentales », des connivences entre la critique littéraire, les maisons d’édition et les jurys. De plus, cela n’empêche pas que le juré soit aussi un écrivain édité par une maison d’édition ou ancien éditeur d’une certaine maison.

Les prix littéraires, en tant qu’institution officielle de légitimation artistique, peuvent aussi « exercer une forme de censure à la fois linguistique, idéologique et raciale » [8]. Prenons un exemple très concret : le prix Goncourt de 1932. C’est Guy Mazeline qui l’obtient pour son roman Les loups. Vous ne pourrez trouver aucune édition récente de cet ouvrage, l’auteur étant tombé dans les oubliettes de l’histoire de la littérature. La même année, c’était pourtant Louis-Ferdinand Céline qui était pressenti pour son grand roman, aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre de la littérature mondiale : Voyage au bout de la nuit. L’académie Goncourt ne l’a pourtant pas consacré. Les raisons ? On lui reprocha d’enfreindre les règles de la bienséance linguistique. Ici, on a un premier cas de censure linguistique, relativement commun. Néanmoins, ce qui est nouveau, c’est que la semaine précédente, les jurés s’étaient entendus pour le décerner à Céline. Que s’est-il passé entre-temps ? Mazeline fut édité par Gallimard, maison d’édition qui tardait à publier le livre de Céline. L’auteur s’est donc tourné vers le petit éditeur belge Denoël et Steele pour faire avancer la publication. On pourrait penser que Gallimard, qui était très présent au sein du jury via Roland Dorgelès ou Raoul Ponchon, ait pu influencer le vote. L’histoire se termine ainsi : Céline dénonce les « crassouilleries » et les « m’as-tu lu » de l’académie. Aujourd’hui encore, on ne comprend pas très bien les volte-face de certains jurés qui voulaient voter Céline mais finirent par se tourner vers Mazeline [9]. Gallimard finit par récupérer les droits d’auteur et d’édition de Céline : l’histoire finit toujours bien pour les grandes maisons d’édition.

LE CONFORMISME LITTÉRAIRE

La conséquence la plus néfaste des prix littéraires est la suivante : Alors qu’ils étaient à l’origine une espèce de mécénat littéraire, ils furent détournés par l’industrie culturelle. Le capitalisme financier a investi le champ de la culture assez tôt. Il est devenu complètement dominant dans les années 1970-1980. L’industrie de l’édition naît très exactement en mars 1853 lorsque Hachette, éditeur, ouvre une librairie dans une gare parisienne. Les industries culturelles n’ont cessé de grandir et concernent tous les milieux artistiques, du cinéma à la danse, en passant par le théâtre.

Aujourd’hui, en France, il y a cinq grands groupes : Editis (Le Robert, 10/18, Nathan, …) possédé par Vincent Bolloré, Hachette (Fayard, Grasset, Stock, Livre de poche, …) possédé par Arnaud Lagardère, Madrigall (Gallimard, Flammarion, P.O.L., Denoël, …) possédé par Antoine Gallimard, La Martinière (Seuil, Points, …) et Média Participations (livres de jeunesse) [10]. Ces cinq grands groupes appartiennent tous à des milliardaires et millionnaires français qui possèdent d’autres grandes entreprises dans le champ culturel.

Ces groupes d’édition permettent à leurs auteurs une très large diffusion. Par exemple, Grasset fait partie du groupe d’édition Hachette détenu par Lagardère. Celui-ci possède également Relay, et peut donc distribuer le livre dans toutes les enseignes de France. C’est le même mécanisme qui s’applique à Editis et aux autres. On assiste donc à une conformisation des consommations littéraires. Ces grands monopoles proposent massivement les mêmes livres. Les éditeurs éditent aussi massivement le même type de livre pour contenter les managers. Et les managers sont heureux lorsque leurs livres gagnent des prix littéraires.

C’est cette circularité induite par le prix littéraire et par la situation oligopolistique du marché littéraire qui produit le conformisme dans notre consommation de livres. Le fait que plus de 600 livres (français et étrangers) sortent à chaque rentrée noient les lecteurs et les critiques. Les prix et les oligopoles permettent d’y opérer une triste sélection.

QUELLE VALEUR LITTÉRAIRE DES LIVRES RÉCOMPENSÉS ?

Les prix littéraires peuvent évidemment récompenser de bons livres, stylistiquement neufs et narrativement palpitants. Ce fut le cas lorsque le prix Goncourt le décerna à Matthias Enard pour Boussole (Actes Sud, 2015). Ce livre fut jugé « complexe », « imbitable », « élitiste », par la critique et les lecteurs. Néanmoins, ce livre a réconcilié, pendant un court moment, la valeur littéraire du livre avec ses ventes. Le jury n’a pas eu peur de récompenser un livre exigeant, innovant et qui change de la médiocrité des auteurs habituellement consacrés.

Néanmoins, les prix littéraires ont souvent tendance à récompenser des auteurs déjà connus (ce qui est contraire à la volonté originelle du prix Goncourt), à récompenser des hommes (autour de 85%), à récompenser des auteurs édités chez des grandes maisons d’édition (« Galligrassud » pourrions-nous dire aujourd’hui). Cette concentration des prix sur des œuvres inintéressantes, entendues, faussement révoltées ou trop consensuelles et modérées, à l’écriture pauvre, rend le champ littéraire un lieu hyper-capitaliste et les écrivains des managers en compétition pour leurs maisons d’édition en attente de rendement.

Alors que le prix Nobel de littérature a récemment été décerné à Peter Handke, immense écrivain autrichien, son compatriote, Thomas Bernhardt, nous proposait dans les années 1980 une belle pitrerie :

Depuis des années je m’interrogeais sur le sens de cette Académie, et toujours j’en revenais à me dire qu’un tel sens ne saurait procéder de ce qu’une assemblée, qui en fin de compte n’a été fondée que pour servir froidement le narcissisme de ses vaniteux membres, se réunisse deux fois par an pour s’auto-encenser et, après le bénéfice d’un voyage luxueux aux frais de l’État, goûter dans des établissements renommés à de de la bonne cuisine bourgeoise et à de la bonne boisson, tout cela pour tourner pendant près d’une semaine autour du pot de sa bouillie littéraire fade et faisandée.

Thomas Bernhard, Mes prix littéraires

Comme Thomas Bernhardt, il y eut de grands écrivains qui refusèrent les prix littéraires. Le plus connu est sans doute Jean-Paul Sartre qui refusa le prix Nobel de littérature. Il motiva son refus en expliquant qu’un écrivain ne pouvait pas être une institution et que c’était une forme d’honnêteté envers ses lecteurs que de refuser toute forme de prix. De fait, il ne peut accepter de consécration officielle dans la mesure où il prend position sur des sujets politiques et sociaux et qu’il ne peut pas et ne veut pas engager toute l’institution avec lui.

En France, le seul écrivain à avoir refusé le prix Goncourt est Julien Gracq en 1951 pour son ouvrage d’une esthétique rare et précieuse, Le Rivage des Syrtes. Déjà très peu engagé dans la vie médiatique, Gracq avait prévenu l’académie Goncourt de sa volonté de ne pas vouloir être dans la liste des lauréats, d’être selon ses mots un « non-candidat ». Il est choisi quand même. Il ne souhaite pas se « poser en champion publicitaire de la vertu » et ne peut dans cette mesure accepter le prix. Il enchaîne : « Mais, tout de même, je ne veux pas qu’on pense qu’après avoir sérieusement détourné peut-être quelques jeunes (peu nombreux, qu’on se rassure) de la conquête des prix littéraires, je songe maintenant à la dérobée à me servir. » [11]

Malheureusement, et malgré la volonté de son auteur, ce refus a conféré une existence médiatique supplémentaire à son auteur. Le Rivage des Syrtes a été d’autant plus vendu qu’un prix Goncourt habituel, 110 000 ventes la première année et 175 000 l’année suivant le scandale. Julien Gracq fut auréolé pour l’éternité, auréole qu’il ne souhaitait pourtant pas.


[1] http://www.academie-francaise.fr/limportance-de-la-litterature-dans-la-nation-francaise

[2] Charles de Gaulle, Mémoires, La Pléiade

[3] Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Points, 2015

[4] Ibid., p. 234

[5] Gisèle Sapiro, La sociologie de la littérature, Repères N°641, 2014, p. 49

[6] Sylvie Ducas, La littérature à quel(s) prix ? Histoire des prix littéraires, La Découverte, 2013, p. 66

[7] Étude de l’Institut GFK : https://www.gfk.com/fr/insights/press-release/rentree-litteraire-le-bandeau-rouge-fait-toujours-de-leffet/

[8] Gisèle Sapiro, La sociologie de la littérature, op.cit., pp. 87-88

[9] Pour de plus amples informations concernant « L’affaire Céline / Goncourt 1932 » http://jhrosny.overblog.com/2013/12/dossier-céline-et-le-goncourt-1932.html

[10] Livre Hebdo, « L’édition mondiale en 2014 », 27 juin 2014

[11] La lettre complète à retrouver ici : https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/12/3_dcembre_1951j.html

« Ce pays que tu ne connais pas » et ce petit monde que tu connais trop bien

François Ruffin dans son bureau à l’Assemblée nationale ©Alexis Mangenot

« Ce moment m’a transformé, aussi. Je n’ai pas découvert notre pays lors de ce grand débat mais je crois que j’ai touché beaucoup plus clairement l’épaisseur des vies ». Lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, Emmanuel Macron semble répondre à l’ensemble des gilets jaunes, certes, mais plus particulièrement encore à l’un d’entre eux. Deux mois auparavant, François Ruffin avait en effet sorti un essai qu’il décrit lui-même comme un « crochet du gauche » asséné au Président Macron et intitulé : « Ce pays que tu ne connais pas ».

Dans ce livre, François Ruffin décrit les parcours croisés du Président et de lui-même, tous deux passés par les murs du même lycée, avec des origines sociales relativement semblables, mais qui pourtant ne se positionnent pas du même côté dans ce mouvement des gilets jaunes et plus généralement dans la vie politique française. De cette idée assez simple découle une « biographie non autorisée » du Président de la République, qui décortique son parcours de vie, pour mieux pointer son illégitimité à gouverner un pays qu’il ne connaît qu’à travers les 0,01% les mieux lotis.


Une loupe au-dessus d’un mouvement de masse

Le député-reporter a écrit ce livre au cours du mouvement des gilets jaunes. Comme pour son film, c’est ce mouvement, ou plutôt les gilets jaunes engagés dans ce mouvement, qui l’inspirent. Car, comme souvent avec François Ruffin, il est beaucoup question des « gens ». Le livre est truffé de citations de Françaises et de Français qu’il a pu rencontrer. Ces Français, il dit les connaître. Et il s’en vante, car Emmanuel Macron, lui, ne les connaît pas. De sa première tentative d’éteindre le mouvement des gilets jaunes, lors de l’allocution présidentielle du 10 décembre, François Ruffin relève quelques phrases sur ces « Français qui ne s’en sortent pas », mais pour lui cela sonne faux, ce ne sont que « des stéréotypes sans chair, sans visage, sans prénom derrière ». Et justement, les prénoms semblent être sa spécialité. Dans ses vidéos sur YouTube, dans ses articles dans Fakir, dans ses discours à l’Assemblée, comme dans ce livre, les prénoms, mais surtout les gens qu’il y a derrière, ont une place centrale.

Un récit de Ruffin, c’est donc l’inverse d’une étude statistique. Plutôt que de partir du macro pour s’intéresser au micro, il s’intéresse au micro pour décrire le macro. Il dit qu’il va raconter le cas d’Ecopla et que « ça va raconter la France ». Et cela donne un certain effet. Il fait du qualitatif, il fait du terrain, au sens sociologique du terme. Et c’est d’ailleurs ce qu’il a toujours fait.

Il raconte ainsi qu’il a trouvé son rôle dès son premier reportage, il y a vingt ans, au zoo d’Amiens : ce sera de « rendre à la réalité ses aspérités », à l’inverse des communicants et autres chargés de missions qui « ont pour fonction de lisser la réalité, de la gommer, d’en atténuer la dureté ». Il s’est ensuite intéressé à « l’arrière-cour » de la mondialisation heureuse. Celle qu’ils veulent cacher derrière les quelques réussites individuelles. Mais François Ruffin affirme refuser cela. Son ambition, en créant le journal Fakir, c’était « que la vie des grands n’éclipse pas la vie des gens ».

Son ambition, en créant le journal Fakir, c’était « que la vie des grands n’éclipse pas la vie des gens ».

Tout cela lui permet d’affirmer sa légitimité à parler des gens qui composent ce mouvement. Il s’y intéresse depuis longtemps, même quand ils se cachaient, quand ils refusaient de parler, par honte. Même quand personne d’autre ne s’y intéressait, car la curiosité était également « mondialisée » et qu’il était devenu plus évident de s’intéresser à la vie des gens à l’autre bout du monde qu’à celle de ceux qui habitent « de l’autre côté de notre ville ».

On aurait d’ailleurs aimé qu’il prenne encore plus de temps pour décrire ce qu’il a vu, pour laisser la parole à ces personnes qui ont rejoint ce mouvement, sur des dizaines de pages. Car les citations sont souvent brèves et on reste sur notre faim sur ce point. Mais cela sera davantage développé dans son film. Car dans ce livre, l’objet est également de pointer du doigt le principal responsable de tout cela, avec un récit dynamique : c’est un « uppercut moral » comme il le dit lui-même !

Le principal responsable pointé du doigt

En effet, ce livre a le mérite de mettre un nom et un visage sur un ennemi du populaire. Et d’expliquer en détail pourquoi c’est l’ennemi. Tout d’abord, parce que dès le lycée, alors que, comme François Ruffin, il faisait partie de la « classe intermédiaire », celle qui a le luxe de pouvoir choisir son camp, il se range du côté des puissants, en ne cessant de vouloir faire partie de leur monde. Puis, après avoir fait ses classes dans les études les plus sélectives françaises, il finit par travailler dans une banque d’investissement et empocher des salaires colossaux. Mais cette histoire serait assez banale et inoffensive si elle s’arrêtait là. Car comme l’écrit Ruffin : « Ce n’est pas Rothschild que je vous reproche, c’est la gauche. (…) Vous auriez simplement encaissé les gros chèques je me serais tu. » Ainsi, Macron a non seulement choisi son camp, mais il a avancé masqué, se faisant passer pour un homme de gauche, pour mieux la détruire.

« Ce n’est pas Rothschild que je vous reproche, c’est la gauche. (…) Vous auriez simplement encaissé les gros chèques je me serais tu. »

Cependant, ce livre ne nous explique pas l’origine de ces choix croisés. Pourquoi une telle attirance pour la classe dominante ? Pourquoi plus que les autres adolescents de son âge ? Et pourquoi n’avoir pas assumé directement ce choix, en avançant masqué pendant si longtemps ? Pour répondre à ces questions, il aurait sûrement fallu creuser plus loin dans la vie du jeune Macron, connaître avec plus de précision ses origines sociales, son parcours de vie, ses premières socialisations. Tout ce qui peut expliquer cette faim de séduction des puissants chez ce jeune adolescent. Sur ce point, ce livre constate plus qu’il n’explique et on peut regretter que François Ruffin n’ait pas davantage utilisé ses nombreuses recherches sur la vie de Macron pour nous livrer une véritable analyse.

Mais ce premier constat en amène un autre : tout ce temps passé à séduire les « grands » hommes pour appartenir à ce « beau » monde représente autant de temps en moins avec le peuple, que Macron n’a jamais voulu connaître. La fin du premier chapitre s’achève ainsi : « Vous êtes le président d’un pays que vous ne connaissez pas. Et que vous méprisez. »

L’attaque semble violente, mais ce que cherche à faire Ruffin au fond, c’est de faire honte au président. En énumérant ses anciens salaires, il rappelle son illégitimité à donner des leçons de morale aux chômeurs, alors qu’il ne sait rien de leur vie. Lorsqu’il évoque la visite de Macron à Ecopla, il précise ainsi : « nous vous avons juste offert une excursion dans votre pays ». Il raconte également comment il a sauvé Macron du « goudron et des plumes » lors de sa visite à Whirlpool. Quoi de plus honteux que de se faire sauver par son pire ennemi ? Il s’attarde également longuement sur le fait que Macron est selon lui un écrivain raté, qui n’a su écrire dans sa vie qu’un seul livre, son livre programme Révolution, que Ruffin décortique pour montrer à quel point il est mauvais, d’un point de vue purement littéraire. Il avoue d’ailleurs sa démarche après avoir cité de longs passages plats, sans style, ni intérêt, de ce livre : « Je cherche à vous faire honte ».

Un brûlot pour retourner la honte

Tout au long de cet essai, cette notion de honte est très importante et elle ne concerne pas que le président. Car ce que Ruffin remarque tout d’abord dans ce mouvement social, c’est que les gens qui, avant, avaient honte d’être pauvres, honte de leur vie, maintenant ne se cachent plus. Au contraire ils revêtent un « gilet haute visibilité » pour se faire voir et vont partager leurs galères sur les ronds-points. La parole se libère, comme le montre si bien son film « J’veux du soleil », et c’est déjà une grande avancée !

Ce que Ruffin remarque tout d’abord dans ce mouvement social, c’est que les gens qui, avant, avaient honte d’être pauvres, honte de leur vie, maintenant ne se cachent plus.

Mais cette honte qui rongeait les plus modestes de notre pays, François Ruffin espère qu’elle se transfère vers ceux qui ont causé tout ce malheur. Cela concerne les dirigeants d’entreprises, comme le PDG de Sanofi, qui appelle les riches à donner 10% de leur fortune, alors qu’il est « le chef des rapiats » puisqu’il a notamment refusé d’indemniser les victimes de la Dépakine. Ruffin le nomme pour lui faire honte.

Mais cela concerne également les politiques. Il écrit ainsi : « Honte à vous les ministres ! Honte à vous les députés ! Honte à vous le président ! Honte à vous l’élite qui nous dirige ! ». Le président serait ainsi le complice des « psychopathes du profit » que sont les dirigeants des grandes entreprises. Et ce n’est pas le peuple qui devrait avoir honte de vivre modestement, mais tout ce « beau » monde qui devrait avoir honte de s’accaparer les richesses, de ne pas les partager et de ne ressentir de la fraternité que pour une infime partie du peuple, que pour leurs semblables.

« Honte à vous les ministres ! Honte à vous les députés ! Honte à vous le président ! Honte à vous l’élite qui nous dirige ! ».

Une analyse par le prisme de la fraternité

Car selon Ruffin, c’est la fraternité envers les riches, son affection pour les puissants de ce monde – qu’il a pris le temps de mieux connaître – qui ferait avant tout agir Macron en leur faveur. Cette analyse est originale. Quand bien d’autres pointent du doigt des conflits d’intérêts, des intérêts financiers qui primeraient sur tout le reste, François Ruffin redonne finalement un aspect humain à la cible de son attaque. Même chez Emmanuel Macron, c’est l’affection qui guiderait avant tout ses choix. Malheureusement, cette affection, il ne la partage pas pour son peuple – comment avoir de l’affection pour des individus que l’on ne connaît pas ? – mais seulement pour une poignée de puissants qui bénéficient de ses choix.

C’est aussi l’envie de fraternité qui aurait été l’un des puissants moteurs du mouvement des gilets jaunes. Dans leur cabane à Abbeville, c’est de la fraternité, c’est du partage humain, c’est de l’affection que ces gilets jaunes sont venus avant tout chercher.

Ces deux exemples expliquent la place que Ruffin donne à la fraternité, au partage – des richesses matérielles comme immatérielles – dans son projet politique. En effet, quand il décrit son monde idéal, son projet politique, les contours sont encore flous, mais la seule chose dont il est sûr, c’est qu’il veut plus de fraternité, « les liens plutôt que les biens ».

Quand il décrit son monde idéal, son projet politique, les contours sont encore flous, mais la seule chose dont il est sûr, c’est qu’il veut plus de fraternité, « les liens plutôt que les biens ».

Au vu du succès populaire qui entoure le personnage et ses productions, il semble réussir à convaincre une bonne partie de la population de s’engager dans cette voie. Mais comment réussit-il ce tour de force ?

Un député-reporter-monsieur tout le monde

Quand il se compare à Macron, Ruffin met en avant ses doutes de l’adolescence qui le poursuivent encore maintenant, contrairement au président qui ne les aurait jamais connus. Il oppose également souvent la « perfection » d’Emmanuel Macron à son imperfection à lui. On pourrait croire qu’il se dévalorise, qu’il jalouse même le président. Son livre apparaît dans les meilleures ventes sur le site de son éditeur. Pourtant, il dit lui-même qu’il a été écrit « d’un jet » et qu’il n’est pas fignolé. Alors pourquoi les lecteurs achètent-t-ils un livre qui serait presque bâclé ? Et pourquoi ses discours à l’Assemblée sont-ils si visionnés, plus que ceux d’autres députés parfois plus « charismatiques » ou encore censés être des meilleurs connaisseurs du dossier ?

Parce que cette plume qui ne pèse pas chaque mot, cette voix tremblotante, ça pourrait être la nôtre. Nous serions comme lui stressés de nous exprimer à la tribune. Comme lui, nous aurions griffonné quelques arguments sur une fiche en carton, mais nous admettrions bien volontiers ne pas être experts du dossier et, comme lui, nous nous raccrocherions à ce que nous connaissons, les exemples qui nous entourent, pour faire notre démonstration. Quand nous voulons par exemple démontrer à un ami qu’il existe des injustices, nous citons telle connaissance qui n’arrive pas à trouver du travail, malgré une recherche effrénée et des diplômes en poche. Pour montrer qu’Emmanuel Macron n’a rien compris au mouvement des gilets jaunes et qu’il n’a pas su leur répondre par son allocution du 10 décembre, Ruffin dit qu’il a « fait pleurer Marie », une femme « gilet jaune » qu’il a pu rencontrer. Et il commence même son livre par cet exemple, par ce constat.

Ruffin révèle même, sans doute sans le faire exprès, la recette de son « succès » dans son livre. Il écrit : « Je vous jure que tous les paumés, tous les découragés, c’est moi, ça pourrait être moi. Je vous jure que ce clochard, dont la femme s’est barrée, et qui s’est réfugié dans la bouteille, et qui a sombré, sombré, sombré, qui ne se lave plus, qui ne règle plus son loyer, c’est moi, je le sens, ça pourrait être moi. » Comme un écho, on peut imaginer ce que se disent ces « paumés » et ces « découragés » qui regardent ses discours. Ils se disent peut-être : « cet ancien reporter, devenu député, qui nous défend à la tribune de l’Assemblée nationale, c’est moi, ça pourrait être moi. ». A l’inverse d’un président trop « parfait » pour les représenter, pour les comprendre.

« Je vous jure que tous les paumés, tous les découragés, c’est moi, ça pourrait être moi. »

Ainsi, lorsqu’après avoir terminé cet ouvrage, on jette un dernier coup d’œil sur la quatrième de couverture, on ne voit plus les photos de François Ruffin et Emmanuel Macron, jeunes adolescents, du même œil. On aperçoit chez le jeune Ruffin un petit sourire en coin, imperceptible au premier regard, mais qui semble nous dire, pour une fois sûr de lui : « A la fin, c’est nous qu’on va gagner » !

« Pour que l’étincelle de la révolution prenne, il faut que les gens se comprennent » – Entretien avec Marc Faysse

L'auteur Marc Faysse
“la communale” éditions du commun

La Communale, publié aux Éditions du commun, est le premier roman de Marc Faysse. Cette fiction, inspirée de sa vie, livre un nouveau regard sur le militantisme, sur l’autogestion et sur la manière de mener des projets communs. Dans un entretien donné au Vent Se Lève, l’auteur revient sur ce qui l’a poussé à témoigner sans langue de bois sur les leçons d’une vie passée de militant rennais à celle du parisien trentenaire qu’il mène aujourd’hui. 


LVSL – Marc Faysse vous avez 29 ans, La Communale (éditions du commun) est votre premier roman. L’histoire d’un jeune étudiant, Achille, qui se lance avec des amis dans une aventure de squat. Pourquoi écrire à ce sujet ?

Marc Faysse – Je vis l’expérience émouvante de la sortie de mon premier roman. Je souhaite préciser que ce n’est pas avec une vision militante, mais avec mon humanité, que je m’exprime tout au long de ce récit inspiré de ma vie. Si j’ai voulu écrire La Communale, c’est d’abord à cause du grand silence médiatique qui englobe ce mode de vie que j’ai vécu il y a 4 ans, le squat. On voit aussi une grosse difficulté à faire comprendre à ses amis et ses parents cette manière de vivre complètement en marge du monde. Pour moi qui apporte vraiment du sens au militantisme, il s’agissait de vivre “à côté” tout en restant en ville, et de mettre en cohérence idées et pratiques. J’avais donc envie de raconter ce mouvement là parce qu’il n’existe pas médiatiquement, mais aussi d’échapper à la binarité du débat public qui voudrait qu’il y ait des gentils, qui manifestent calmement, et des méchants, qui cassent. Il faut rétablir la vérité, bien plus complexe, qui est que parmi les casseurs il y en a qui font des choix, en s’attaquant à des symboles comme une banque, ou encore les panneaux de JCDecaux qui avait censuré il y a trois ans la campagne de Médecins du monde au sujet de l’industrie pharmaceutique, source de financement importante de l’annonceur. Il y a un sens dans ces actions et c’est compliqué de ne pas crisper les gens quand on parle de “l’ultra-gauche”. A travers le romantisme (Achille vit une authentique histoire d’amour avec des personnes et un mode de vie), je veux par ce roman décristalliser le débat de l’intérieur.

LVSL – Écrire ce roman, c’est donc pour vous l’occasion de vulgariser un mode de pensée stigmatisé par l’opinion publique. Achille, c’est un jeune qui a des idéaux, et qui décide de quitter l’autoroute de la vie. Vouloir développer une contre-société, qu’est-ce que cela peut révéler, justement, de notre société ?

La communale
Couverture de “La Communale” / DR

MF – Achille milite dans le syndicat étudiant majoritaire qu’était l’UNEF. Un syndicat historique par lequel il a vu ses camarades gravir les échelons pour espérer entrer par la grande porte dans un parti politique, le PS. Or il est ambitieux et a des idéaux révolutionnaires, c’est un anticapitaliste qui veut renverser la société et pour qui les combats quotidiens de son syndicat sur le prix de la cantine sont des combats d’arrière-garde. Comme plein de jeunes, il nage dans un tourbillon de vide, à la recherche de ce que la vie peut lui proposer d’excitant et d’intéressant, et surtout il en a marre du militantisme conventionnel qu’il considère comme hypocrite. Pour Achille, n’y a pas de cohérence entre tracter pour l’UNEF l’après midi et manger au Macdo le soir. Ce jeune s’ennuie sur son campus, désillusionné, il est presque en dépression jusqu’à son coup de foudre avec un monde souterrain qui, comme dans Harry Potter, est excitant au point d’être idéalisé. Il découvre le mode de vie squat avec toutes les libertés qui vont avec, il rencontre plein de gens qu’il considère comme passionnants, mais il y décrypte aussi l’emprise, la capacité d’endoctrinement qui règne dans ces milieux. Jusqu’où est-il prêt à aller ? Car il s’agit avant tout d’un bourgeois, pour qui il était impensable de squatter et de voler dans un supermarché jusqu’à ce qu’on lui explique que voler peut se justifier politiquement. Dès lors, tout lui explose à la figure, des références culturelles, un vocabulaire, des gens, des fêtes… Dans ce nouveau monde, Achille se croit pionnier. Or, certains membres du squat sont arrivés durant la lutte contre le CPE en 2006. Et même ceux-là oublient qu’ils sont aussi les héritiers de militants, d’Action directe à Louise Michel. Dans cette société construite par filiation, il y a une lignée qui doit se rappeler qu’elle vient d’un ensemble de luttes ayant pris des embranchements, certains ayant choisi la violence, d’autres l’isolement comme les militants du Larzac. Cette lutte, c’est la lutte sociale radicale.

LVSL – Vous, c’est par l’UNEF que vous vous êtes engagé. Aujourd’hui, ces organisations n’ont plus les mêmes pouvoirs et ne semblent plus défendre les luttes de la même manière. Pensez-vous que les Achille d’aujourd’hui pourraient encore suivre un parcours similaire ?

MF – Aujourd’hui je suis proche d’une organisation qui s’appelle Alternative libertaire, prenant ses sources dans le communisme libertaire, elle fusionne avec des groupes anarchistes et gagne de l’ampleur. Donc, je ne suis pas “hors-orga”. Pour autant, il y a des organisations politiques qui servent de tremplin politique et je ne veux pas en nommer une plus qu’une autre car j’ai l’impression que c’est parfois le rôle d’un syndicat étudiant. Ces organisations oublient l’impératif anti-capitaliste : il ne s’agit pas de négocier des miettes mais de faire la révolution. Si on fait parler les chiffres, l’UNEF, syndicat d’Achille, n’est plus le premier syndicat étudiant. À Rennes, où je m’étais engagé, c’est désormais l’Armée de Dumbledore qui est en tête, un syndicat autonome qui a fait campagne en partie sur le rejet de l’UNEF. Je n’ai rien contre les militants UNEF et je ne doute pas de leur volonté militante, mais selon moi ce bloc historique est obsolète. Il faut parfois questionner les structures et pas seulement les personnes.

LVSL – Aujourd’hui, vous vivez et travaillez à Paris. Pourquoi avoir renoncé et quitté ce monde ? Cela a-t-il provoqué chez vous une forme de choc culturel ?

MF – Il y a des choses que je faisais quand j’étais à Rennes que je ne peux plus faire à Paris, comme récupérer les invendus de supermarché, je préfère les laisser à ceux qui sont dans le besoin. Je ne peux plus non plus squatter un appartement, car ça prend beaucoup de temps et que j’ai un travail maintenant. J’ai peut-être fait le choix de travailler par mimétisme social, et je réalise que quand on fait 35h de boulot par semaine il y a plein de choses que l’on ne peut plus se permettre, plein de risques que l’on ne peut plus prendre, car on mettrait trop en danger tout ce système que l’on construit. Si j’ai écrit, c’est parce que j’ai bien conscience que je suis en train de changer de vie, et de renoncer à beaucoup de chose. Il s’agit d’une forme de journal intime, d’un ensemble de souvenirs dont je ne veux pas me défaire. Peut-être aussi que je suis dans une parenthèse de ma vie professionnelle et qu’elle se refermera un jour, pour autant le milieu rennais continue à vivre et à chaque fois que j’y reviens la vie est toujours aussi excitante.

LVSL – En regardant en arrière, qu’est-ce que cette expérience vous à révélé de la vie, de la communauté, de l’Etat et de l’humain ?

MF – Je mène actuellement une grande réflexion autour de la question de l’illusion d’une cohérence totale entre ses propres principes et la pratique. On voit dans le livre que les membres du squat essaient de vivre en cohérence avec leurs principes, or il y a au sein de ce réseau une réalité plus complexe. Par exemple, Achille est homosexuel, et il s’avère impossible pour lui de trouver dans ce milieu relativement viriliste et hétérocentré quelqu’un avec qui vivre une histoire d’amour. Bref, ce n’est pas parce qu’on est militant et en squat que l’on a à donner des leçons sur la vie. Pour autant je trouve admirable de faire ce choix là, qui oblige à renoncer à beaucoup, à commencer par les liens familiaux. Cela me rappelle la pièce de Jean-Luc Lagarce Juste la fin du Monde, où ce jeune écrivain est de retour dans sa famille prolétaire. C’est similaire à ce que je constate avec mes personnages, et c’est un vrai problème car si on veut que l’étincelle de la révolution prenne, il faut que les gens se comprennent.

Houellebecq : autopsie d’un rire « jaune »

Presque quatre années jour pour jour après la sortie de Soumission, l’écrivain français le plus lu à l’étranger signe un nouveau roman, Sérotonine. Ce roman débute à Paris mais rejoint bien vite les lieux géographiques et fictionnels avec lesquels Houellebecq est le plus à l’aise. Ce livre, comme tous les autres, parle du Français moyen et provincial, désespéré dans un monde qu’il ne comprend plus. Celui-ci se concentre sur les agriculteurs, grands « perdants » de la mondialisation. La crise des « gilets jaunes » que traverse la France actuellement trouve un écho retentissant dans ce livre — peut-être, à ce jour, le plus lucide du grand écrivain qu’est Michel Houellebecq.


Il y a deux ans, un débat m’opposait à un autre rédacteur de LVSL [1]. Je soutenais que Houellebecq n’était qu’un parangon à la verve brillante de l’extrême droite. Il défendait une approche moins clivante : Houellebecq est un grand romancier, et lui associer des propos fascistes parce qu’il parle de situations que les Français redoutent est une facilité qu’il convient d’éviter. Je pense aujourd’hui que mon camarade avait raison. Le nouveau livre de Houellebecq, Sérotonine, vient de me le démontrer.

Houellebecq est un écrivain génial, non pas parce qu’il nous parle de la France, mais parce qu’il nous parle de la « sous-France » (souffrance) [2]. Dans Sérotonine, nous avons affaire à François-Claude, un quadragénaire consultant au ministère de l’agriculture. Il n’a pas d’enfants, ne désire plus sa compagne, et se remémore ses souvenirs heureux. Dans un ultime mouvement de résistance, quoique bien faible, il décide de quitter Paris et de partir sur les routes de Normandie.

Afin de pouvoir tenir émotionnellement, il se fait prescrire un nouvel antidépresseur, le Captorix, qui stimule une molécule naturelle apaisante : la fameuse sérotonine. Celle-ci est censée libérer par un neurotransmetteur ce que Houellebecq appelle ironiquement l’« hormone du bonheur ». Mais dans le monde houellebecquien, du bonheur, il n’y en a pas, il n’y en a plus.

Un monde agricole qui s’effondre

Florent-Claude Labrouste décide de disparaître sans donner de nouvelles à personne ; il s’étonne même de la facilité avec laquelle ceci est possible. Il rend son appartement, quitte son travail, change de banque et quitte Paris au volant de sa Mercedes G-350.

En miroir de la chute du protagoniste, c’est la chute de tout le monde agricole qui se dessine. Par un habile va-et-vient narratif, ses réminiscences de jeunesse se mêlent au récit. Alors qu’il souhaite revoir les personnes qu’il a aimées, desquelles il raconte l’histoire, il entreprend de leur rendre visite. Dans cet encastrement entre le passé et le présent, une fissure bien réelle s’observe, commune à beaucoup de Français : celle de la peur de l’avenir.

Parmi ses anciennes connaissances, Aymeric de Harcourt, un agriculteur aristocrate du Calvados, producteur de lait. Ancien camarade d’Agro [3], celui-ci voit sa production mourir à petit feu à cause des lois européennes d’une part, et de sa volonté de produire un lait bio et sans OGM d’autre part.

« et maintenant j’en étais là, homme occidental dans le milieu de son âge, à l’abri du besoin pour quelques années, sans proches ni amis, dénué de projets personnels comme d’intérêts véritables, profondément déçu par sa vie professionnelle antérieure, ayant connu sur le plan sentimental des expériences variées mais qui avaient eu pour point commun de s’interrompre, dénué au fond de raisons de vivre comme de raisons de mourir. »

Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion, 2019, p. 87

Par les yeux de Florent-Claude, Houellebecq critique ici les conditions déplorables d’un élevage de poules, là-bas des élites européennes qui votent des lois qui tuent l’économie agricole sans même essayer de les comprendre. Mais les élites européennes ne sont pas les seules coupables, les fonctionnaires et consultants qui sont les témoins quotidiens de ces atrocités contre les animaux et qui voient bien qu’un monde est en train de périr sont dépeints comme des complices. Florent-Claude lui-même voit son expertise et son jargon technique moqués par l’auteur. Il se réfugie derrière des formules toutes faîtes, des concepts qui sont censés expliquer pourquoi des gens, des animaux, doivent souffrir ; et ce, avec un aplomb criminel.

D’ailleurs, des agriculteurs se suicident, n’en peuvent plus de cette situation. « On a un collègue de Carteret qui s’est tiré une balle, il y a deux jours. — C’est le troisième depuis le début de l’année. » (p. 239). Il y a une trahison de la promesse européenne : « l’Union européenne, elle aussi avait été une grosse salope » (p. 259) car « le vrai pouvoir était à Bruxelles » (p. 177). La PAC (politique agricole commune) mise en place par l’UE n’a été que mensonge et une manière de plus pour déposséder les agriculteurs de leur souveraineté et de leurs biens. Dans le monde houellebecquien comme dans le nôtre, le libéralisme torture et tue.

La critique du libéralisme

La critique aujourd’hui courante, presque facile, du capitalisme est davantage maîtrisée par Houellebecq que par les autres écrivains français. En effet, l’écrivain né à La Réunion s’attaque aux bases idéologiques du capitalisme, c’est-à-dire au libéralisme qui a permis son expansion. En peignant dans ses romans une classe moyenne, qui a pu croire au libéralisme philosophique, sexuel et économique, Houellebecq montre dans quelles solitude et misère celle-ci s’est retrouvée, sans futur ni passé vers lequel se consoler.

En citant des objets de notre quotidien (Carrefour City, Mercedes, Jack Daniel, Pornhub, etc.), Houellebecq ne nous confie pas non plus à un monde rassurant mais plutôt à un espace qui nous désoriente et nous menace. Au-delà de ce qui nous est connu, nous sommes mis face à un monde qui se fracture dans lequel les liens sociaux se délitent, les passions amoureuses se détruisent, les relations sexuelles se virtualisent et où le bonheur n’est qu’un simple concept.

« l’argent n’avait jamais récompensé le travail, ça n’avait strictement rien à voir, aucune société humaine n’avait jamais été construite sur la rémunération du travail, et même la société communiste future n’était pas censée reposer sur ces bases, […] l’argent allait à l’argent et accompagnait le pouvoir, tel était le dernier mot de l’organisation sociale. »

Ibid., p. 135

Ce que l’auteur lauréat du Goncourt en 2010 appelle le « verrou idéologique » du libre-échangisme (p. 251), c’est une capacité théorique et idéologique du néolibéralisme de donner tort à tout propos qui le critique. La clairvoyance de Houellebecq est telle qu’après avoir lu ses mots, on a l’impression de l’évidence et qu’il a pu mettre des mots sur des choses qui demeuraient informulées. De fait, que cela soit par les intellectuels commis de l’État, les chaînes d’info en continu, ou l’argumentaire extrêmement simple d’utilisation et rabâché toute la journée, la pensée critique de l’individu est « verrouillée ».

« qui étais-je pour avoir cru que je pouvais changer quelque chose au mouvement du monde ? »

Ibid., p. 251

La misère sexuelle

La critique de la société consumériste et libérale est une constante des livres de Houellebecq — surtout dans Extension du domaine de la lutte (1994) et Les particules élémentaires (1998). Si son œuvre s’intéresse évidemment aux aspects économiques [4], la critique du libéralisme est d’autant plus forte qu’elle a pour conséquence une misère sexuelle. Que cela soit dans Soumission à travers la femme à jamais fantasmée et jamais vraiment possédée qu’est Myriam, ou cette fois dans Sérotonine et la belle Camille, tous les protagonistes houellebecquiens sont prisonniers d’une femme en particulier et d’une sphère sexuelle en général qui, pire que de ne pas tenir ses promesses, n’en fait même plus.

Au début du roman, la concubine de Florent-Claude, la japonaise Yuzu, se rend dans des soirées libertines dans de beaux hôtels particuliers de l’île Saint-Louis. Elle se filme notamment dans des gang-bangs surréalistes, copule avec des chiens, alors que Florent-Claude rencontre des problèmes érectiles. Le Captorix qui provoque l’impuissance et la perte de la libido comme effets secondaires semble être l’avatar de la société libérale qui éloigne ses citoyens de la sexualité tout en les maintenant dans un état abruti de survie passive. Ailleurs, cette belle Espagnole châtain d’Al-Alquian, dans l’incipit, apparaît comme le souvenir d’un désir sexuel réprouvé, refoulé et comme une métaphore de la libido occidentale, mâle et contemporaine. Évidemment, le « retour du refoulé » est récurrent. Et la châtain d’Al-Alquian reparaît dans les rêves, et dans toutes les femmes que Florent-Claude croise ou se remémore. Aymeric non plus ne parvient pas à retenir sa femme et ses deux filles qui partent avec un pianiste londonien. Les personnages sont renvoyés à leur triste condition de perdants, de loosers, de misérables contemporains.

Par ailleurs, la sexualité est vue comme une pulsion violente et animale, tout en se voyant superposer une dimension socialement construite. Les êtres humains sont non seulement contraints par leurs pulsions violentes de baiser tout ce qui bouge mais en plus, ce doit être nécessairement genré : des mâles avec des femelles.

« j’avais besoin d’une chatte, il y avait beaucoup de chattes, des milliards à la surface d’une planète pourtant de taille modérée, c’est hallucinant ce qu’il y a comme chattes quand on y pense, ça vous donne le tournis, chaque homme je pense a pu ressentir ce vertige, d’un autre côté les chattes avaient besoin de bites »

Ibid.,p. 159

Un autre article paru le 10 janvier dernier [5] évoque bien cette « compétition sexuelle » qui a lieu entre les citoyens qui ne sont in fine que des salariés abêtis : « La compétition sexuelle s’adjoint à la compétition salariale et devient un facteur déterminant pour la reconnaissance sociale et le bien-être de l’individu. »

Le « petit livre jaune »

Les agriculteurs sont dépassés par un monde inhospitalier, une société qui les confronte entre eux, des femmes qui les ignorent. Mais une brèche politique va peut-être s’ouvrir. Une révolte s’organise tant bien que mal avec le peu de gens qui croient encore au politique : la Confédération paysanne s’allie avec la Coordination rurale. Une autoroute est bloquée par des tracteurs, les paysans sont armés et attendent les CRS à couvert. Aymeric, « l’une des images éternelles de la révolte » (p. 258), personnifie ces agriculteurs qui sont prêts à tout parce qu’ils sont désespérés. Le parallèle avec la crise actuelle des « gilets jaunes » est évident.

« on peut vivre en étant désespéré, et même la plupart des gens vivent comme ça. »

Ibid., p. 236

La crise actuelle qui se poursuit sur les fins de semaine depuis novembre semble avoir été anticipée par l’écrivain. Pour sortir un livre début janvier, qui plus est un best-seller probable, le « bon à tirer » doit être prêt au moins en novembre. Il est donc probable que Houellebecq ait écrit cette crise fictive des agriculteurs au plus tard l’été dernier. Le ton montait déjà entre les différentes couches populaires et le Président de la République depuis un an et demi. Les étudiants, les retraités, les femmes, les ouvriers, etc. Ce que Houellebecq remarque avec justesse, c’est qu’une révolte des agriculteurs est porteuse d’une image forte : 1789 (voir l’extrait infra).

« je reconnus plusieurs fois le mot “CRS”, prononcé avec colère. Je sentais autour de moi une étrange ambiance dans ce café, presque Ancien Régime, comme si 1789 n’y avait laissé que des traces superficielles, je m’attendais d’un moment à l’autre à ce qu’un paysan évoque Aymeric en l’appelant “notre monsieur”. »

Ibid., pp. 269-270

De même que l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré : « Maintenant il y a des agriculteurs qui rejoignent le mouvement et là ils ont peur à l’Élysée, parce que les agriculteurs ça leur rappelle 1789. Et c’est pas leurs meilleurs souvenirs. » [6] Un large mouvement, qui n’est pas homogène, ce qui est pour ainsi dire la caractéristique la plus certaine d’un peuple, est en train de s’organiser.

Depuis plus d’une dizaine de week-ends, des gens sortent de chez eux pour aller manifester, vêtus de gilets jaunes. Les historiens de la Révolution française sont tous d’accord, une grande cause est toujours l’agrégation de toutes les petites. Et Sérotonine de Houellebecq est comme un grand tableau de collages des petites gens qui se battent contre le quotidien qu’on leur a imposé, qui bravent l’humiliation de tous les jours, la mort de leurs proches aussi. Sérotonine est le livre du ras-le-bol. Le livre des Français qui n’en peuvent plus de ce « racisme de l’intelligence » [7] provenant de gens qui savent tout mieux qu’eux. Le livre des Françaises qui ne supportent plus le sexisme quotidien et institutionnel. Le livre des étudiants qui veulent une université vraiment universelle et ouverte à toutes et à tous, tous pays confondus. Sérotonine est le « petit livre jaune » qui pose des mots sur ce qu’on n’arrive pas à formuler, il met des phrases dans la bouche de ceux qui n’ont pas la voix pour se faire entendre. Sérotonine est un grand livre.


[1] Le débat opposait mon article « Michel Houellebecq : Soumission du génie à la bêtise » (https://lvsl.fr/houellebecq-soumission-genie-et-betise) à Julien Rock et son article « Michel Houellebecq et la politique : le grand malentendu » (https://lvsl.fr/houellebecq-soumission-genie-et-betise)

[2] ce jeu de mots est d’Éric Fottorino, voir Le Un, mercredi 9 janvier 2019, p. 2

[3] Agro ou AgroParisTech, anciennement École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires, est une école d’ingénieurs en agroalimentaire située à Paris

[4] on renvoie évidemment au livre de Bernard Maris, Houellebecq économiste(Champs-Flammarion, 2016) dans lequel l’économiste assassiné dans la tuerie de Charlie Hebdo analyse l’arrière-plan économique des livres de Houellebecq

[5] https://lvsl.fr/houellebecq-materialisme-finitude

[6] https://youtu.be/DRpzY6Nht0E

[7] Cette formule est du sociologue Pierre Bourdieu, cf. Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, pp. 264-268