La justice sociale, clé contre la précarité énergétique du logement ?

Illustration ©Nassim Moussi

Alors que les acteurs politiques imposent en premier lieu de « rester à la maison », comment procéder avec ceux qui en sont dépourvus voire mal logés ? Terrain d’action des architectes, aménageurs constructeurs, la thématique de la précarité énergétique du logement suscite appétits comme interrogations. Si la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier la situation, elle a également révélé aux yeux du grand public une nouvelle forme de précarité silencieuse, moins connue car d’ordinaire invisible [1] : la question du mal logement. L’impératif est double : à la fois économique, tenant à la dégradation du pouvoir d’achat des ménages et à la fois environnemental, puisqu’il renvoie à la mise en cause des équilibres naturels. Ce sujet de fond se situe donc au cœur des enjeux d’égalité urbaine. Comment le logement peut-il répondre aux enjeux de santé ? De quelle manière transformer des parcs immobiliers qui se paupérisent et se dévaluent ? Comment créer des logements plus flexibles dotés d’espaces extérieurs plus verts à un coût foncier supportable et sans aggraver l’étalement urbain ? 


Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement prévoit, dans l’urgence, sur les 100 milliards d’euros du plan de relance de l’économie française, 30 milliards consacrés à la transition écologique dont 2 milliards pour la rénovation énergétique des logements privés sur 2021 et 2022.

Le secteur du bâtiment (résidentiel et non résidentiel) représente en France 45 % de la consommation finale d’énergie, 60 % de la consommation de chauffage et 27 % des émissions de gaz à effet de serre. La réduction de la consommation d’énergie constitue de ce fait une stratégie clé pour atteindre les objectifs climatiques à moyen et long terme.

L’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) [2] précise que 11,7% des Français ont dépensé plus de 8% de leurs revenus pour payer la facture énergétique de leur logement. Il indique également que « 572 440 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie (réduction de puissance, suspension de fourniture, résiliation de contrat) suite aux impayés d’énergie ». Ces chiffres montrent donc l’ampleur de ce problème qu’est la précarité énergétique et l’importance d’accompagner les ménages dans leur parcours résidentiel.

En France, 6,7 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique [3]. Les mauvaises performances thermiques des logements et la vétusté des équipements de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire ont un fort impact sur les factures énergétiques des ménages, menant à des situations de grande précarité. La baisse des APL a entraîné une « ponction d’1,5 milliard d’euros » pour les bailleurs sociaux, comme l’estime Annie Guillemot, ingénieure des travaux publics de l’État. Ainsi, de nombreux ménages renoncent à payer leurs factures ou préfèrent se priver pour en limiter le montant.

Personnes âgées, familles aux revenus très faibles ou avec des emplois précaires, personnes isolées, malades, étudiants, habitants de passoires énergétiques nocives pour la santé et générant d’importantes factures d’énergie, sont concernés et entraînés dans une spirale de surendettement. Toutes ces personnes souffrent déjà de la crise sanitaire, du confinement dans des logements à risque pour leur santé [4], et des diminutions de revenus dans les prochains mois du fait des difficultés accrues pour reprendre leur emploi ou retrouver du travail.

Mais à l’heure où cette crise interpelle nos façons de travailler et d’habiter, construire des bâtiments confortables et respectueux de la santé constitue plus que jamais un enjeu majeur de justice sociale. Tous les éléments de tensions qui traversent la vie quotidienne sont en place avec d’un côté, la qualité des logements et la perte de la sociabilité récréative dans le lien familial, et de l’autre le monde professionnel et la désynchronisation de nos rythmes de travail.

Pourtant, des solutions constructives pour réhabiliter les logements ou en améliorer l’usage existent et peuvent apporter plus de confort. Pour autant, la transition énergétique n’est-elle qu’une affaire de choix géostratégiques ou technologiques ? N’est-elle qu’une histoire de grandes décisions – ou d’indécision – d’un État garant du fonctionnement de l’économie et de la sauvegarde de la nature comme bien commun ? [5]

Ce n’est plus uniquement la question du droit au logement, mais ce à quoi le logement donne droit qui est débattu, d’autant que ce visage de la pauvreté ne se limite pas qu’aux villes et demeure polymorphe entre métropoles, villes moyennes et territoires ruraux.

L’exercice est donc particulièrement complexe tant il devra intégrer et gérer des contradictions. Ainsi, le recours à l’urgence politique et l’immédiateté décisionnelle risquent de s’apparenter à une gestion de paradoxes et ses grandes lignes restent encore largement à préciser.

L’enjeu de cet article est multiple, il dressera un état des lieux et mettra en lumière les retours d’expérience, ainsi que les pistes innovantes d’acteurs engagés pour une urbanité qui protège et participe à la santé et au bien-être de tous.

Photographie ©Ronan Merot

Une définition complexe pour une notion restrictive

En France, la notion de précarité énergétique est définie par la loi dite « Grenelle 2 » de juillet 2010 : elle concerne toute personne « éprouvant dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

Les projets de lutte contre la précarité énergétique peuvent intervenir auprès de trois cibles potentielles : les locataires, du parc privé ou social, les propriétaires occupants, accédant ou non, et les propriétaires bailleurs, accédant ou non. En France, 40 % des ménages sont locataires de leur résidence principale, 37 % sont propriétaires accédant et 23 % sont propriétaires non-accédant. La précarité énergétique touche particulièrement les locataires, qui représentent 58% des ménages en précarité énergétique selon l’approche budgétaire et 80% selon l’approche par le ressenti des ménages.

Parmi les facteurs accélérateurs du mal logement, on trouve la solitude, qui expose les personnes les plus vulnérables.

Dans cette poursuite, le gouvernement a annoncé fin juillet 2020 que le seuil maximal de consommation énergétique au-delà duquel un logement sera considéré comme non-décent à l’horizon 2023 (et ne pourra donc plus être loué) sera fixé à 500 kWh d’énergie finale par mètre carré et par an [6]. Cette annonce fait suite au projet de décret qui a été soumis à consultation publique et dont la synthèse [7] fait apparaître que 97% des contributeurs estiment que le seuil proposé n’est pas à la hauteur. En effet, le seuil ainsi fixé ne concernera au final qu’une part infime des passoires énergétiques (logements consommant plus de 330 hWh/m².an), à savoir les logements les moins performants de la classe G, ce qui représenterait 36 000 à 58 000 logements dans le parc locatif privé (soit 1 à 2% des passoires énergétiques de ce parc) [8].

Parmi les facteurs accélérateurs du mal logement, on trouve la solitude, qui expose les personnes les plus vulnérables au mal logement. Aujourd’hui, la mono-résidentialité est une réalité pour 35% des Français et place un bon nombre face à des défis du quotidien : payer le loyer avec un salaire unique, soutenir des charges trop importantes. La solitude accélère également le mal logement par sa tendance à amplifier la pénurie de logements abordables.

Si le taux d’effort énergétique d’un ménage est supérieur à 10 %, celui-ci est considéré comme étant en situation de précarité énergétique.

Cette définition qui traduit la complexité du phénomène ne permet pas de quantifier la précarité énergétique. Le « taux d’effort énergétique », qui se traduit comme la part des ressources consacrées par un ménage à ses dépenses d’énergie dans le logement, permet de caractériser une situation de précarité énergétique au-delà du seul critère de précarité financière. Ainsi, si le taux d’effort énergétique d’un ménage est supérieur à 10 %, celui-ci est considéré comme étant en situation de précarité énergétique.

Néanmoins, cette définition apparaît incomplète. En effet, les comportements de sous-consommation, les restrictions imposées ou délibérées ou encore les solutions d’appoint n’entrent pas en ligne de compte. En outre, la précarité énergétique se caractérise ici uniquement sous l’angle du logement. Or, la dépendance de certains ménages à l’automobile ou aux transports, et donc aux énergies fossiles, accentue leur situation de précarité énergétique [9].

Le phénomène de précarité – crédit photo ©fondation abbé pierre

 

Les dispositifs d’aides énergétiques : l’impossible mythe du choc de l’offre ?

Faudra-t-il observer la transition énergétique « par le bas » ? La notion de confort est un objet complexe qui, depuis le XIXe siècle, évolue en suivant les processus d’urbanisation, de sophistication technique, mais aussi selon le rapport à l’intime et aux relations familiales. Adossée à la question de l’énergie, sa définition est souvent d’abord pensée de manière plus restreinte, la réduisant au seul confort thermique – autrement dit, impliquant de n’avoir ni trop chaud ni trop froid dans un espace. L’espace habité fut pendant longtemps pensé comme devant répondre à des normes physiologiques de température, d’humidité et de mouvement de l’air [10].

Cet écho se fait encore ressentir par la surabondance des dispositifs de labellisation mais aussi parmi les nombreuses subventions d’amélioration de l’efficacité énergétique. Ainsi il est d’usage de décortiquer les solutions dites « passives » qui consistent à réduire la consommation d’énergie des équipements et des matériaux grâce à une meilleure performance intrinsèque et les solutions dites « actives » visant à optimiser les flux et les ressources.

Ces nombreuses stratégies de luttes contre la précarité du logement combinent deux approches, l’une « curative » et l’autre « préventive ».

Ainsi pour favoriser la rénovation énergétique, une multitude d’aides financières sont mises en œuvre au niveau national, pour les particuliers mais aussi pour les bailleurs:

– Les particuliers peuvent bénéficier du crédit d’impôt (CITE) pour la transition énergétique, des aides MaPrimeRénov’ [11], des primes délivrées au titre des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE), des aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), des aides d’Action Logement via le Fonds de Solidarité pour le Logement, le chèque énergie [12], ou les aides des CCAS [13] aux impayés d’énergie.

– Peut s’ajouter un taux de TVA réduit de 5,5% qui est appliqué sur les travaux d’amélioration de la performance énergétique éligibles ou encore l’éco-prêt à taux zéro qui permet de réaliser des emprunts à taux d’intérêt nul pour des travaux d’écoconception et permet de financer le reste à charge.

– Les bailleurs sociaux quant à eux, peuvent prétendre à l’éco-prêt logement social (éco-PLS), aux Certificats d’Économies d’Énergie, au dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties et à un taux de TVA réduit également [14].

Finalement, ces nombreuses stratégies de luttes contre la précarité du logement combinent deux approches, l’une « curative » visant à accorder des aides financières (avec des effets incitatifs de fiscalité dite écologique) et l’autre « préventive » visant à améliorer la performance énergétique des logements.

Certes, de nombreuses aides existent et elles peuvent constituer un élément facilitateur, mais elles ne sont pas toujours aisément accessibles. Sans parler du cas particulier des travaux de rénovation dans les bâtiments en copropriété, où la complexité du processus de décision et de mise en œuvre s’intensifie. Ensuite, de plus en plus d’études d’évaluation des résultats des programmes de rénovation attestent d’une faible réduction effective des consommations énergétiques à la suite des travaux.

Comment l’expliquer ? En grande partie par « l’effet rebond » [15]. Imaginons une situation où la consommation (ici énergétique) ne peut augmenter par manque d’argent. Le marché est plafonné par le pouvoir d’achat des consommateurs. Arrive une amélioration de l’efficacité des systèmes de production réduisant les coûts par unité. Cette innovation va dégager des économies permettant de consommer plus de produits ou services jusqu’à atteindre à nouveau les limites financières. L’augmentation de consommation ne se fait pas forcément avec le même type de marchandises : ainsi le gain de performance d’un appareil engendre une réduction des dépenses, qui peut être réinvestie dans l’achat d’un autre appareil.

In fine, pour de nombreux ménages vivant dans des logements mal isolés et bénéficiant d’opérations de rénovation, l’amélioration du confort passe avant la préoccupation de réduction des consommations d’énergie [16]. Ainsi les économies attendues sont fréquemment contrebalancées par l’augmentation de la consigne de chauffage du logement (passage de 19°C à 21°C par exemple) –mais à consommation et facture énergétique inchangée grâce aux travaux.

Ce décalage s’explique aussi par la surestimation de la valorisation énergétique des opérations. Dans un rapport détaillé, les économistes de Mines ParisTech expliquent par exemple que les fiches techniques définissant les montants d’économie d’énergie des Certificats d’Économie d’Énergie surestiment très significativement l’impact énergétique, et identifient un impact très modeste de l’investissement moyen.

La précarité énergétique est donc un phénomène polymorphe qui regroupe un ensemble de situations très variées.

L’étude de Matthieu Glachant, directeur du Cerna MINES ParisTech [17], aboutit ainsi au résultat suivant : 1 000 euros de travaux ne diminueraient en moyenne la facture énergétique que de 8,4 euros par an … Pour un investissement moyen de l’enquête, cela correspond à une diminution de 2,7 % de la facture. La rénovation énergétique est alors loin d’être rentable si l’on s’en tient aux seules économies d’énergie puisque le temps de retour correspondant, c’est-à-dire le nombre d’années nécessaires pour récupérer le coût de l’investissement initial, est de 120 ans !

De plus dans certains cas, l’isolation extérieure sera impossible du fait des caractéristiques de la façade, alors même que la solution de l’isolation par l’intérieur peut significativement diminuer la surface habitable. L’isolation des parois reste possible dans la plupart des cas mais elle nécessitera le plus souvent des opérations « sur mesure » faisant appel à différents corps de métier et des intervenants qualifiés.

Or certaines aides – comme les opérations « coups de pouce » des certificats d’économie d’énergie vulgarisés à travers le slogan « isolation à 1 euro » – ont eu un effet pervers d’uniformisation des techniques d’isolation des parois avec des matériaux non adaptés, sans pour autant conduire à une massification des travaux favorables à la baisse des coûts; sans parler des nombreux cas de fraudes observés [18]. Ainsi, l’isolation ne règlera pas tout. La précarité énergétique est donc un phénomène polymorphe qui regroupe en son sein un ensemble de situations très variées.

Agence Bowtie Construction – Exemple d’intervention sur de l’existant ©Bowtie Construction

Partage d’expériences et enseignements

Même si l’État reste central dans la régulation des marchés énergétiques et dans la définition des dispositifs de redistribution et de prévention, tous ces résultats conduisent évidemment à s’interroger sur la pertinence des subventions pour l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel, si elles sont uniquement motivées par la réduction de la consommation d’énergie. Or, il est évident que l’impact énergétique varie beaucoup en fonction du type de travaux réalisés.

Ainsi, bon nombre de résultats apparaissent en décalage avec le consensus actuel des experts, néanmoins il existe des projets concrets et innovants qui offrent de précieux modèles. On peut citer notamment l’exemple de iudo, cette équipe d’architectes parisiens qui accompagnent les propriétaires fonciers dans l’étude de leurs droits à construire, le montage et la réalisation d’opération d’auto-promotion immobilière.

Permettre aux propriétaires d’obtenir un complément de revenus, mais aussi de revaloriser leur patrimoine, le tout dans une opération autofinancée.

Benjamin Aubry, architecte, nous explique : « Selon nous, il faut arrêter de penser la rénovation énergétique de façon isolée. Il n’y a pas de sens à dépenser des fortunes pour remettre un bien en état, tandis que nous construisons des lotissements à côté qui consomment des terres agricoles et vont générer de nouveaux besoins énergétiques, notamment sur la mobilité. Il faut penser la rénovation dans un tout, comme une occasion pour redonner une dynamique nouvelle aux territoires et trouver du sens qui aille au-delà de la simple perspective d’économie sur les factures d’énergie ».

L’équipe de iudo a notamment réalisé un projet aux Lilas (quartier de Paris, ndlr) pour le compte de propriétaires dont la maison est devenue trop grande pour leurs besoins. Le projet est le suivant : construire deux logements (1 T2 et 1 duplex T3) dans une partie de la maison couplée à l’ancien garage. Cette opération permet aux propriétaires d’obtenir non seulement un complément de revenus par la location de ces logements, mais aussi de revaloriser significativement leur patrimoine (3 logements valent au global plus qu’une maison) en intégrant une donation à leurs filles, le tout dans une opération quasi-autofinancée. Ainsi ce type de projet qui mêle rénovation, optimisation des existants et renouvellement urbain, nécessite une véritable ingénierie.

L’habitat pavillonnaire en France est aujourd’hui touché de plein fouet par le vieillissement de la population : rien qu’en Ile-de-France plus d’une maison sur deux est occupée par des ménages de plus de 55 ans qui vivent seuls ou à deux dans des pavillons devenus souvent trop grands et inadaptés pour leurs besoins. Plutôt que de simplement penser la rénovation de la maison de façon isolée, intégrer des travaux présente l’occasion de repenser plus largement l’opération au service d’une revalorisation patrimoniale via la création d’un ou deux logements additionnels sur le terrain.

Si ce type de solution n’est pas généralisable partout, tout dépend du contexte et des besoins des propriétaires : « nous soutenons le fait qu’elles devraient être beaucoup plus promue comme une solution qui répond de façon transversale à plusieurs enjeux : rénovation énergétique, lutte contre l’étalement urbain, renouvellement des quartiers, diversification de l’offre de logements, nouveaux liens intergénérationnels et création de richesses partagées… »explique Benjamin Aubry.

Autre innovation permettant de développer des projets immobiliers tout en rénovant l’ancien sans consommation de foncier : la surélévation. Dans certains cas elle peut aujourd’hui répondre aux besoins de rénovation énergétique du patrimoine et de création de logements. La surélévation, c’est la densification verticale du bâti existant. Il s’agit, concrètement, d’ajouter un ou plusieurs étages à un bâtiment, bien souvent en milieu occupé. La surélévation agit par touches, sans excès, en concertation avec la préservation patrimoniale et les formes urbaines.

Dans ce contexte, Didier Mignery, Architecte de UpFactor, explique que les avantages de la surélévation sont nombreux : création de nouveaux mètres carrés, réduction de l’étalement urbain, développement de la végétalisation. En outre, la surélévation favorise la (re)naturalisation des villes grâce à l’usage des toitures et contribue au projet « zéro artificialisation nette » promu par le gouvernement.

Partage de l’espace, partage des charges, partage des gains, tel est le triptyque propre à la surélévation que porte UpFactor pour les copropriétés et les bailleurs sociaux. L’idée est de promouvoir le foncier aérien et les toits pour rendre la totalité de l’espace urbain habitable et accessible au plus grand nombre.

Mais, si la définition de la densité perçue ou non n’est pas simple, celle de la compacité l’est encore moins. Les débats publics se focalisent donc sur la notion plus immédiatement appréhendable de densité. Les évolutions juridiques ont assoupli les règles en transformant le droit de veto de certains copropriétaires en droit de priorité et en abaissant les majorités en zone de préemption urbaine.

De là sont nés les premiers projets de surélévation perçus d’abord comme une aubaine financière avant d’apparaître comme une source de financement de la rénovation globale en copropriété.

Tout en sortant de la critique binaire entre choisir la ville horizontale ou ville verticale, aller plus loin dans l’obligation de végétaliser les toits, dans l’intégration de systèmes de production d’énergies renouvelables et de leurs usages mixtes, publics et privés, sont autant de pistes à développer.

Opération d’Édouard François Architecte à Champigny-sur-marne – ©Atelier Édouard François

Quelle finalité pour sortir du mal logement ?

Si la crise sanitaire a aggravé les situations d’isolement et révélé certaines inadéquations entre l’offre de logements privés ou publics et les besoins de la population en temps de confinement, ce cadre invite d’autant plus les professionnels de l’urbain, les autorités locales, les organisations caritatives, associatives, les chercheurs, et les citoyens à investir ensemble des solutions énergétiques.

S’agissant de l’espace domestique, le relogement dans de nouveaux immeubles standardisés s’est accompagné d’une déstabilisation de nombreuses pratiques. Car, en effet, la standardisation de nos espaces domestiques depuis 50 ans en France rend complexe la réversibilité du parc immobilier qui se confronte inlassablement à une volonté de limitation de l’artificialisation des sols et à la potentielle flexibilité de ces espaces.

Ces difficultés sont symptomatiques de la faiblesse de la réflexion théorique sur les manières d’habiter les logements sociaux ou non, un problème pourtant relevé dès les années 1950 par les travaux de Paul-Henry Chombart de Lauwe. Ce dernier avait mis en évidence les difficultés des classes populaires à s’approprier de nouveaux logements pensés pour les classes moyennes.

Dans un contexte où les questions de précarité et mal logement gagnent en visibilité, diverses feuilles de routes existent, comme la volonté de la Ville de Paris d’instaurer un PLU – Plan local d’urbanisme, dit « bioclimatique » [19] ou encore la Commission européenne qui vient, par exemple, de dévoiler son « Renovation wave » dans lequel elle incite à doubler le taux de rénovation d’ici 2030. La rhétorique de l’urgence mobilisée pour justifier chaque nouveau programme politique comme par exemple l’objectif climatique, avec une décarbonation quasi complète d’ici 2050 [20] apparaît présomptueux. Ainsi, l’intensité de l’urgence climatique et énergétique est rappelée par les responsables politiques à intervalles réguliers.

Mais ne nous restreignons pas à des innovations de contemplation, qui portent avant tout sur ce qui est observable à l’extérieur ; certes quelques promoteurs ou architectes s’entêtent en priorité à révolutionner l’image du quartier par le recours à une esthétique codifiée et clinquante. Mais en érigeant le façadisme comme identité urbaine ou alibi au patrimoine, se cache un culte de l’apparence qui ne s’intéresse en rien au besoin des usagers.

Il est néanmoins primordial de déployer des politiques de rénovation énergétique du logement ambitieuses et réalistes qui intègrent entre autres le parcours résidentiel des habitants, et donc la diversité des situations sociales que pourraient connaître les individus au cours de leur existence.

Il est primordial de déployer des politiques de rénovation énergétique du logement ambitieuses et réalistes, qui intègrent le parcours résidentiel des habitants.

Essentiellement guidés par des contraintes économiques et légales, ces choix sont marqués par l’absence de réflexion partagée sur l’agencement des logements et sur la prise en compte des usages. Le constat des nombreux décalages avec les usages des résidents appelle à une meilleure articulation entre conception de l’habitat et pratiques des habitants.

Changer les comportements, instaurer de nouvelles normes techniques et travailler à leur acceptabilité sociale sont autant d’injonctions qui pèsent sur les modes de vie pour les rendre plus « soutenables ». Mais loin de tout catastrophisme, il y a une réalité et cette réalité tue [21]. Il va donc nous falloir écouter pour savoir répondre aux besoins des plus précaires, ce qui est une priorité.

Même s’il reste encore bien des chantiers à ouvrir et à approfondir, notre patrimoine bâti est riche de sa diversité, de son histoire, de ses aires géographiques et climatiques. Gardons la conviction que les structures sociales et familiales, les relations sociales, peuvent enrichir la conception architecturale, puisque la finalité de l’architecture, c’est bien d’être habitée !

Il s’agira ainsi de travailler sur une meilleure interprétation du rapport entre des pratiques domestiques ou urbaines et la configuration des espaces dans lesquels elles se développent. Il paraît de fait important de pousser davantage l’effort sur cette interaction entre le social et le spatial, qui définira in fine une construction morale, politique et écologique visant à l’égalité des droits et qui fabriquera la nécessité d’une solidarité collective entre les personnes d’une société donnée, à l’image d’une action allant vers plus de progressisme.

“Energiesprong” à Melick, Pays-Bas. Processus de rénovation passive à moindre coût. ©Energiesprong

 

[1] Comme le souligne le sociologue Stéphane Beaud, « les « invisibles » ne sauraient constituer une catégorie homogène de population. On trouve les hommes et les femmes sans qualité, dont les difficultés ne sont pas prises en compte car ils se situent en dehors de la cartographie institutionnelle des politiques publiques et de l’aide sociale.» (Beaud et alii 2006).

[2] Créé en France en mars 2011 pour améliorer la connaissance et suivre les situations de précarité énergétique.

[3] Dans son rapport de suivi annuel de novembre 2018, l’ONPE – Observatoire national de la précarité énergétique, évalue à 6,7 millions de personnes, soit 11,7% des foyers du territoire (sur la base du taux d’effort énergétique).

[4] Développement de pathologies respiratoires, d’intoxications au monoxyde de carbone, alimentaires notamment. Insee 2019.

[5] L’article Observer la transition énergétique par le bas, est pertinent sur ce sujet. Cacciari (J.), Dodier) 2014

[6] Actuellement, la performance énergétique moyenne d’un logement en France « se situe autour de 180 kWh/m² par an en 2017, pour une facture énergétique annuelle moyenne de 1 519 € ».

[7] http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=article&id_article=2198

[8] Un second décret attendu en 2021 devrait rendre ce seuil plus exigeant au fil du temps et viser l’ensemble des passoires énergétiques d’ici 2028, en lien avec les dispositions de la loi relative à l’énergie et au climat.

[9] La Commission de régulation de l’énergie a annoncé que les tarifs réglementés de vente (TRV) de gaz d’Engie allaient augmenter en moyenne de 1,6% au mois de novembre (par rapport au niveau d’octobre 2020).

[10] à lire Hélène Subrémon, Pour une intelligence énergétique : ou comment se libérer de l’emprise de la technique sur les usages du logement, 2012.

[11] Depuis le 1er octobre 2020, MaPrimeRénov’ est ouverte à tous les propriétaires, qu’ils soient occupants ou bailleurs, ainsi qu’aux copropriétés pour des travaux dans les parties communes. Le montant de l’aide est calculé en fonction des revenus du foyer et du gain énergétique apporté par les travaux de chauffage, d’isolation ou de ventilation.

[12] Qui est adressé à 5,8 millions de ménages pour des montants compris entre 48 € et 277 €.

[13] Centre Communal d’Action Sociale.

[14] Il existe aussi les Programmes d’Intérêt Généraux (PIG) ou les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH).

[15] Peut être défini comme l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation. En conséquence : les économies d’énergies initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d’une adaptation du comportement de la société.

[16] Les travaux de Carine Sebi Associate Professor and Coordinator of the « Energy for Society » Chair, Grenoble École de Management (GEM) et Patrick Criqui Directeur de recherche émérite au CNRS sont particulièrement pertinents sur le sujet.

[17] https://www.minesparis.psl.eu/Actualites/La-renovation-thermique-reduit-elle-vraiment-votre-facture-d-energie/4160

[18] à ce sujet, on peut lire l’article de The Conversation : https://theconversation.com/renovation-energetique-en-france-des-obstacles-a-tous-les-etages-147978

[19] En initiant cette nouvelle procédure, la municipalité veut se doter d’un outil destiné à limiter l’impact du réchauffement climatique et de la pollution (dont la lutte contre les îlots de chaleur, la promotion de la pleine terre, la rénovation énergétique).

[20] Notamment par le passage de l’ensemble du parc au niveau bâtiment basse consommation (BBC).

[21] Après le drame de Marseille qui a vu l’effondrement de trois immeubles, causant la mort, le 7 novembre 2018, de six personnes, Bernard Devert, président d’Habitat et Humanisme, appelle élus et responsables à cesser de temporiser et à construire des logements dignes pour tous.

Entre-soi et cooptation : le coliving, face cachée de la propriété marketée ?

©Illustration Nassim Moussi

La production de logements sécurisés et partagés se multiplie en France et dans le monde au travers du coliving. Le concept, encore embryonnaire, repose sur une formule d’hébergement en colocation à mi-chemin entre la prestation hôtelière et le logement classique, auquel il ajoute divers services. En ciblant principalement un entre-soi de jeunes bancables, ces lotissements résidentiels veulent monétiser l’expérience du logement de demain en s’appuyant sur 3 piliers : les espaces, les services et la communauté. Reposant sur un désir de vivre ensemble et sur des règlements qui imposent des normes de conduite et une répartition des coûts des services collectifs comme l’entretien, les installations sportives, le personnel de nettoyage et de sécurité, ce mode d’habitat alternatif questionne. Quel est le rôle de l’outil serviciel et affinitaire dans le processus immobilier qu’est le coliving ? Quel impact l’innovation servicielle pourrait-elle avoir sur la propriété ?


Qu’il s’agisse d’une évolution profonde ou d’une rupture, le coliving, formule clé en main de l’économie de service pour la production de logement, apparaît dans un contexte où les gens rencontrent de plus en plus de difficultés à se loger. Si la transformation du parc immobilier est inscrite dans des étapes lentes, l’habitat entraîne déjà des besoins nouveaux en termes de propriété. Le modèle familial se renouvelle, la taille des ménages se réduit. Divorces et séparations, nouvelles unions et familles recomposées augmentent et créent autant de variations dans la configuration du logement idéal. Le parcours résidentiel évolue et les manières d’habiter progressent plus vite que le parc immobilier. L’économie servicielle de la propriété est donc prise dans un contexte de transformation de la temporalité d’occupation des logements et le coliving semble vouloir apporter des éléments de réponse à cette évolution.

Ce dispositif correspond au mouvement de fond qui traverse le débat politique actuel : en effet, le coliving servirait de fondement à une réflexion sur ce que doit offrir un logement à l’heure de l’avènement de l’économie servicielle. « Les bailleurs sociaux facilitent le développement d’Airbnb et participent à la spéculation immobilière en vendant des droits de commercialité », accusait, le 31 janvier 2020, Danielle Simonnet, conseillère municipale la France insoumise de Paris, lors du débat entre candidats à la Mairie de Paris organisé par la Fondation Abbé Pierre sur la politique du logement. L’actuel ministre Julien Denormandie, chargé de la ville et du logement, se dit « en phase d’observation », tandis que le député Modem de la Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize a remis un rapport au gouvernement le 20 novembre 2019 qui vise la création d’un nouveau droit de propriété, fondé sur la dissociation entre le foncier et le bâti, suscitant de nombreuses interrogations.

Autant de réflexions qui opèrent un changement de paradigme pour le droit de la propriété et qui nous ramènent aux préoccupations des différents acteurs du marché : l’État, les propriétaires, les locataires, les professionnels, les institutionnels, et bien sûr les utilisateurs dont le spectre est très large. L’innovation servicielle pourrait-elle être l’aiguillon d’une nouvelle production de la propriété ?

@ Illustration Nassim Moussi

État des lieux : historique de la servitisation et de la propriété

Emprunté du latin servitium (« esclavage, joug, servilité »), de servus « esclave » et servire « être asservi », étymologiquement, le mot service implique l’idée d’assujettissement à une volonté supérieure. La notion de servitisation[1] quant à elle, correspond au fait de vendre non pas un simple produit, mais une solution comprenant un produit et un service. Celle-ci a transformé la nature de la relation entre un client (le locataire) et son fournisseur (le propriétaire), et changé les rapports entre les produits et les services. Sans véritablement bouleverser l’industrie immobilière actuelle, le coliving reproduit un certain modèle hygiéniste du logement collectif, en se positionnant dans la continuité d’une colocation qui propose des services dans une formule toute inclusive.

« Le coliving reproduit un certain modèle hygiéniste du logement collectif, dans la continuité d’une colocation proposant des services. »

Si toute civilisation connaît des formes d’appropriation, l’élaboration d’un droit des biens commence avec les Romains qui ont, les premiers, opéré une classification juridique des biens et accordé une place déterminante à la protection de la propriété privée[2]. Historiquement, de l’Antiquité à l’époque actuelle, en passant par les révolutions industrielles, plusieurs archétypes de droit des biens se sont développés dans le cadre de systèmes politiques d’obligations et de services. La pratique du droit réel, en tant qu’outil serviciel, n’est pas nouveau dans l’histoire de la propriété : son origine remonte directement dans le droit romain à l’emphytéose, qui était à Rome un droit réel de jouissance appelé jus emphyteuticum, conféré sur un bien appartenant à autrui ; elle ne s’établissait que sur les propriétés rurales, moyennant le versement d’une redevance périodique, appelée canon.

Ce droit réel de jouissance d’un bien, investi de prérogatives, se retrouve dans différentes théories politiques et sociales, notamment dans les doctrines hygiénistes. Le projet de la Saline Royale d’Arc-et-Senans construite par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux sous le règne de Louis XV en est l’exemple. Il s’agissait d’une manufacture destinée à la production de sel, qui fonctionnait comme une usine intégrée, où vivait presque toute la communauté de travail. Construite en forme d’arc de cercle, elle abritait les lieux d’habitation et de production. Chaque habitant devait donc verser aux commis – employés de l’administration chargés de la perception de l’impôt sur le sel – la gabelle, une taxe royale sur le sel.

Le principe de coopération s’inspirera plus tard du socialisme utopique. L’industriel idéaliste Jean-Baptiste André Godin mettra notamment ces principes en application pour la fondation du Familistère de Guise. Plus qu’un hôtel coopératif, il s’agissait d’une coopérative ouvrière de production où plusieurs familles vivaient ensemble, en communauté, avec autours d’eux des magasins, des écoles, des théâtres, des bains et des piscines. Cette réflexion autour du logement ouvrier permettra la création de lois relatives au logement social, tout en poursuivant les réflexions hygiénistes préexistantes, notamment sur l’ensoleillement et l’aération des logements.

Les immeubles à gradins, développés par l’architecte Henri Sauvage à Paris, sont l’une des constructions emblématiques de cette réflexion sur les HBM Habitat bon marché, l’ancêtre actuel de nos HLM). L’immeuble du 13 rue des Amiraux est construit sur un système ingénieux de gradins, offrant à chaque appartement une terrasse. Il compte 78 logements répartis sur 7 étages. Les équipements sont pensés avec une grande rationalité : chauffage, garde-manger, vide-ordures, coffres à linge sale etc. : tout est pensé pour le confort des ouvriers. Des caves sont même prévues aux 3e et 4e étages et une piscine est construite dans le volume central de l’immeuble.

Le coliving, ou l’opportunité d’apporter plus de valeur à la propriété ?

Aujourd’hui, la majorité des opérations coliving en France et à l’étranger, prétextant une « expérience utilisateur » ou « un lien communautaire », s’inscrivent dans cette logique hygiéniste. Par exemple, l’opérateur Axis, à la fois investisseur, promoteur et gestionnaire de la marque The Babel Community, propose une résidence coliving à Marseille. Dans un immeuble haussmannien intégralement rénové, se mêlent espaces privatifs et partagés, et autres espaces collectifs mis en commun. On y trouve des chambres meublées, en colocation ou individuelles, du studio au deux pièces. L’offre des services est extrêmement variée, elle va de la conciergerie aux cours de sports collectifs, en passant par le room service, un cinéclub ou encore un espace de cotravail avec restauration. Les offres locatives mensuelles sont, quant à elles, basées sur la flexibilité des baux et le sans engagement.

« Il reste fort à parier que l’on ne vendra plus de m² mais un abonnement comme si on louait « un service d’habitat ».»

Dans cette économie centrée sur la servitisation qui s’instaure, les opérateurs de coliving ne vendent pas uniquement des produits, mais ils vendent plutôt l’accès et les résultats que leurs produits génèrent. Cette nouvelle production de la propriété par le développement d’une culture de service prend de l’ampleur. Il reste fort à parier que l’on ne vendra plus de m² mais un abonnement comme si on louerait « un service d’habitat ». Tout en s’acquittant d’un forfait fixe mensuel, qui englobera la jouissance d’un logement, les colivers[3] contracteront des services additionnels type abonnements, de la même façon qu’ils s’abonnent à Netflix en payant pour la production et la valeur.

C’est, finalement, une question générationnelle et de maturité digitale : jusqu’à présent, les générations ont été habituées à acquérir des biens, mais sans payer le service ; demain, les générations futures achèteront des services sans débourser d’argent pour acquérir des biens.

Une surenchère dans les services proposés

Si les appels à projets « Inventons la Métropole du Grand Paris 2 » se propagent au travers de programmes innovants dédiés au coliving, la mise en concurrence des concepts a provoqué une réelle surenchère des services, qui n’est pas toujours en concordance avec les besoins spécifiques en matière d’habitat. Entre espaces de bureaux partagés, hacker house, makerspace, urban farming, fablabs et autres tiers-lieux, les propositions servicielles se sont donc démultipliées[4], au risque de leur fordisation, d’où une nécessaire interrogation de cette suroffre servicielle.

« Le coliving s’oriente vers un univers de cherté et raréfaction du foncier constructible, dans lequel le calcul de la rentabilité prime. »

Confronté à des zones tendues en Île-de-France, le contenu programmatique du coliving s’oriente vers un univers de cherté et raréfaction du foncier constructible, dans lequel le calcul de la rentabilité prime. Si la hausse du prix du foncier entraîne la hausse du prix de l’immobilier[5], plusieurs opérateurs immobiliers de coliving ont bien compris que l’ensemble de leur flux de trésorerie doit être généré par les activités servicielles, d’où l’importance d’établir une promotion servicielle la plus marketée possible.

Aujourd’hui, le contexte dans lequel émerge la ville servicielle pose la question de la causalité « service-propriété ». Elle constitue, de ce fait, un élément important du devenir de la propriété. Paradoxalement, les stratégies de nombreuses villes en France promeuvent l’esprit de la ville intelligente ou Smart City, s’enfermant sur des fantasmes ultra-concurrentiels de croissance, quand les villes appellent désormais la mesure et l’équilibre, qu’il s’agisse de leur taille ou de co-construction. Ce constat invite à réfléchir à une autre trajectoire, en misant moins sur les biens et davantage sur les services qu’ils permettent.

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© Jean-Pierre Dalbéra

Des ambitions collectives à reconsidérer

Touchant plusieurs générations et différents milieux socio-professionnels, ce segment alternatif immobilier qu’est le coliving arrive dans un contexte sociologique complexe. Et sur ce dernier point, des problématiques diverses se posent, à travers lesquelles la créativité juridico-servicielle est constamment sollicitée et impacte de facto l’usage de la propriété. Ce mode d’habitat qui se sert de la rareté et de la cherté du foncier explore de nouvelles formes de propriété : c’est en cela qu’il suscite un vif intérêt de la part des professionnels de l’investissement immobilier.

L’effet inflationniste de la propriété remet, de fait, sur le devant de la scène, des réflexions sur la maîtrise du coût du foncier en questionnant des pratiques servicielles et collaboratives par le biais du coliving. Le développement d’une culture de service exige du temps et cette dynamique servicielle semble de plus en plus en corrélation avec l’offre locative et les modes d’acquisition de la propriété.

« L’effritement des repères sociaux pousse les individus à se réfugier dans une consommation généralisée. »

Cette progression de l’économie de la fonctionnalité, caractérisée par des actes de consommation de services interchangeables, produit une incertitude constante, qui précarise des modes de vie dits « agiles ». S’il est vrai que toutes ces formes de propriétés rechargeables ou à caractère d’emphytéose servicielle calquent certains modèles anglo-saxons (Community Land Trust), l’avenir de la propriété ne se résumera pourtant pas à une innovation stratégique de rupture, telle qu’elle est énoncée dans l’économie de la fonctionnalité.

Effectivement, cette perte de sens liée à l’effritement des repères sociaux pousse les individus à se réfugier dans une consommation généralisée afin de « s’acheter une vie »[6], donnant ainsi une dimension volatile et éphémère à tous les domaines de la vie en société, ce que Zygmunt Bauman nommera la « modernité liquide ». Néanmoins, établir un parallèle entre la pensée de Godin, qui employait une forme de paternalisme afin de séduire les ouvriers pour mieux les détourner de leur émancipation, et le coliving, c’est-à-dire l’entre-soi de jeunes gens qui se ressemblent, se cooptent et refusent d’être adulte, est encore prématuré.

Prestation servicielle voulue ou subie, on pourra néanmoins objecter qu’une logique consumériste traverse bon nombre de ces projets de développement urbain. Il n’en demeure pas moins que de nouvelles formes collectives de propriété fondées sur des structures d’autogestions voient le jour. Élaborées sur des principes fédératifs, ces types d’habitats partagés accompagnent un mouvement profond de reconfiguration de la famille, et semblent en passe de devenir un phénomène de plus grande ampleur.

Des mécanismes fonciers imparfaits

Les avis sont partagés lorsqu’il s’agit de déterminer si la corrélation entre service et coliving est une réponse à la crise du logement ou une forme d’exploitation des personnes les plus exposées à cette crise. Le Guardian a récemment publié un article qualifiant le coliving de « dortoirs d’entreprises cyniques ». Les amateurs de coliving célèbrent la liberté et la flexibilité qu’offre ce type de propriété. Les critiques disent qu’il ne fait que masquer un problème plus profond et profiter de la solitude qui est au cœur de la lutte de la génération Y pour se trouver un logement.

À San Francisco, ville la plus chère à vivre des États-Unis avec un lit en moyenne pour 3 490 $, la société de gestion locative « Tribe-coliving », qui se qualifie de réseau social instantané, facture 2000 $ la capsule de lit. Les cohabitations sont en grande partie dues à l’afflux de startupper qui prennent le bus vers les campus de la Silicon Valley. Certains lotissements sont clôturés avec des murs imposants, d’autres avec des grillages ; les accès sont surveillés 24 heures sur 24 par le personnel de sécurité et réglementés avec des cartes magnétiques. S’ajoute à cela des systèmes de vidéosurveillance dans la cuisine et le salon, certains locataires ont même reçu des messages insistants d’avertissement par SMS et mail comme « veuillez laver votre vaisselle ». Ce dispositif semble ainsi donner aux colivers le sentiment d’être surveillés constamment sans le savoir véritablement, à tout moment.[7]

Quoiqu’il en soit, le coliving et ses surenchères servicielles sont en hausse en Europe et dans le monde, mais avec des différences significatives dans la maturité du marché selon les juridictions. Ce modèle économique en forte demande dans un environnement de taux bas, voire négatifs, suscite également un vif intérêt des professionnels de l’investissement. Tous s’intéressent de près à cette classe d’actifs, et l’emplacement des biens est généralement stratégiquement bien localisé, ce qui en préserve la valeur en cas de retournement de marché. Aujourd’hui, en France, il n’existe pas de statut juridique propre aux résidences de coliving, fruit d’un flou réglementaire qui soulève des questions sans apporter de réponses, mais qui feront l’objet de textes spécifiques dans les mois à venir.

« Le problème est donc bien là, vous achetez votre logement, mais vous resterez locataire à vie. »

Au regard de ce nouveau droit de propriété, le député Jean-Luc Lagleize envisage de créer des organismes fonciers libres dit « OFL ». Un fond qui sera géré par Action Logement pour dépolluer les friches industrielles et les transformer en terrains constructibles visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles. L’idée est de généraliser un nouveau droit de propriété en permettant de posséder les murs mais pas le terrain. Sur le plan théorique, les bénéfices de ce mécanisme sont évidents. D’abord, il permet de découpler le terrain et l’objet, et fait, par-là même, chuter significativement le prix de l’immeuble. Selon Norbert Fanchon, « en zone très tendue, le foncier peut représenter plus de 50 % du coût de production : l’extraire de l’équation fait baisser mécaniquement les prix de 20 à 30% ».

En facilitant la préemption, ces organismes détenus en majorité par des capitaux publics, auraient pour mission d’acheter et de conserver la propriété des terrains sur lesquels des logements seront bâtis. Les ménages détiendraient la propriété des murs des logements et bénéficieraient du droit d’usage du foncier par le biais d’un bail emphytéotique reconductible. Le problème est là : vous achetez votre logement mais vous resterez locataire à vie.

Calqué sur des modèles anglo-saxons de rente à verser, on se dirigera alors vers une société de l’usage qui justifiera un servage moderne, puisque cela nécessite de rendre chaque personne en capacité de payer chaque mois, chaque année, ses abonnements, ses loyers ; rien ne lui appartient plus, tout lui est loué. Et l’État en restera l’unique propriétaire et détenteur foncier.

Faudra-il donc régenter la propriété ? Il parait évident que les pouvoirs politiques confortent leurs monopoles en créant des formes de propriété « par le haut »[8], à travers des procédures administratives paralysantes et un environnement institutionnel qui peine à s’adapter aux logiques d’expérimentation. Plutôt que de la laisser s’établir « par le bas » en transformant les situations de fait en situations de droit, comme l’ambitieux projet pilote du village vertical à Villeurbanne, où finalement, l’acte collectif d’une propriété partagée a permis d’influencer la loi ALUR et de faire prendre conscience qu’une réinvention de la propriété est réalisable.

© Dorte Mandrup Architects

[1] Anglicisme né de servitization.

[2] Halpérin, JL. 2008. Histoire du droit des biens, Editeur : Economica.

[3] Nom donné au locataire de coliving.

[4] La majorité des 23 projets lauréats IMGP2, intègrent des programmations mixtes questionnant des nouveaux modes d’habiter et de travailler. Notamment avec 15 000m² prévues exclusivement pour du coliving.

[5] S. Levasseur,2013. « Éléments de réflexion sur le foncier et sa contribution au prix de l’immobilier » n°128, parue dans la revue de l’OFCE.

[6] Titre de l’ouvrage de Zygmunt Bauman « S’acheter une vie » paru en octobre 2008.

[7] J’oriente volontairement le lecteur vers l’œuvre « Surveiller et punir » (1975) de Michel Foucault.

[8] La proposition de loi du 20/11/2019 adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture, du député Jean-Luc Lagleize, en est le parfait exemple.

Airbnb et les locations touristiques : quand le logement devient marché

Panneau publicitaire Airbnb situé à proximité d’une autoroute urbaine à San Francisco. © Fonts In Use.

Les locations touristiques rentrent aujourd’hui en concurrence avec le parc locatif traditionnel. Elles menacent la capacité de nombreux ménages à se loger. Assimilant nos foyers à un service marchand ou à un capital à rentabiliser, elles pulvérisent non seulement le droit au logement qui a valeur constitutionnelle depuis 1946 en France, mais dégradent également le sens même du mot « habiter ». Il est temps de les soumettre à des réglementations plus strictes et d’envisager leur interdiction pure et simple dans certains territoires tendus. Cette analyse de Jean Vannière constitue le deuxième volet du dossier du Vent Se Lève consacré au « crépuscule des services publics ».


L’expression nous vient du journal Le Monde, dont on reconnaîtra qu’il n’a pas coutume d’abuser des hyperboles : « Airbnb et les plateformes de location touristique sont en train de cannibaliser le parc de logements des grandes villes », au point d’en priver les ménages les plus vulnérables parmi lesquels étudiants, jeunes actifs et travailleurs précaires[1].

La formule a ses précédents dans la presse. Elle traduit le regard inquiet que la société civile porte sur la façon dont la firme au logo d’abeille pénètre nos pénates et altère le fonctionnement de nos villes. Le New Yorker évoque une « invasion » d’Airbnb à Barcelone et le « règne zénithal d’un nouveau genre de logement barbare au design standardisé, vaguement scandinave »[2]. Le Guardian dénonce un « rapt mondial de nos logements par la firme » [3]. Wired annonce l’« âge du tout-Airbnb » et s’inquiète de la financiarisation du logement qu’augure le modèle économique rentier extractiviste imposé par la multinationale[4].

Airbnb bouleverse les rapports entre l’Homme et le logement. Chose inédite dans l’Histoire, ce dernier cesse d’être une « demeure », c’est-à-dire un lieu de stabilité, de fixation et de repos pour un ménage défini. À la place, il se transforme en un produit « liquide » au sens baumanien du terme, dont l’occupation peut évoluer chaque jour et doit en tout cas être maximisée. Plus encore que le parc locatif traditionnel, le logement devient un capital soumis au calcul maximisateur d’un homo œconomicus davantage torturé par le montant de la rente qu’il va bien pouvoir en extraire. Ironiquement, Le Monde voit dans cet ultime procès de marchandisation du logement l’une des causes de la corrosion des liens familiaux[5]. Force est de constater que bien souvent, les solidarités entre parents, enfants ou membres d’une même fratrie ne résistent pas au fait que le foyer familial se transforme en chambre d’hôtes et qu’il devient obligatoire de booker le droit d’y dormir !

À l’origine, l’utopie Airbnb promettait pourtant l’avènement d’un Homme nouveau, « citoyen du monde ». Sa vision du city-break clés en main nous vendait un cosmopolitisme facile, démocratique et enfin accessible à tous. Elle était vantée par une formule commerciale vaporeuse, qui fleurait déjà bon l’oxymore : « belong anywhere » (chez soi partout dans le monde). Le grand rêve suggéré par Airbnb nous fit oublier qu’en ce bas monde, l’Homme est un être fait de chair et de stases. Il a besoin d’un chez-soi bien à lui. Icare finit donc par brûler les ailes de son EasyJet. L’orgueilleux mirage libéral – et léger délire de toute-puissance – du any place, d’un Homme abstrait des frontières terrestres et de tout ancrage et nécessité matériels se dissipa. Il laissa place au cauchemar du no sense of place (nulle part chez soi).

Mark Wallinger, The World Turned Upside Down. © The LSE Library.

Airbnb abîme l’Homme, son habitat et son écologie. La plateforme ne se contente pas de désenchanter le voyage en l’intensifiant et en l’économicisant à outrance. Elle neutralise également le sens du lieu, du foyer, de l’accueil et de la citoyenneté. Les locataires-clients sont réduits à l’état d’enfants-consommateurs de mobilité et de tourisme[6] — de nos jours, l’expression anglaise « travel addict » traduit l’état de manque produit par cette industrie — ou de simples « particules »[7] circulant comme un fluide entre halls d’aéroports et autres non-lieux d’un espace mondial horizontal, réticulaire et hors-sol[8] [9]. Les ménages amenés à placer leur domicile en location, eux, sont consumés par la violence d’un calcul utilitariste qui pénètre leurs vies intimes. Consumés par la question de savoir comment faire un maximum d’argent avec leur domicile.

Le logement français, proie de choix des locations touristiques

Les plateformes de location touristique — Airbnb en tête, mais en fait également Booking, Abritel, HomeAway ou Le Bon Coin — ont déjà réussi à s’emparer d’une part significative du parc locatif de nos métropoles. En 2018, Airbnb a enregistré 330 000 logements mis en location touristique dans les communes-centre des dix plus grandes aires métropolitaines de France (Paris, Marseille, Lyon, Nice, Montpellier, Strasbourg, Nantes, Toulouse, Bordeaux et Lille), soit 25% de plus que l’offre hôtelière traditionnelle qui ne comptait plus que 260 000 logements disponibles en 2018 selon l’INSEE, et dont le volume d’activité ne cesse de décliner depuis 2015 dans ces grandes villes[10].

En 2018, Airbnb a enregistré 330 000 logements mis en location touristique dans les communes-centre des dix principales métropoles de France.

Il faut dire que la firme a tous les arguments pour convaincre les ménages occupants de céder à ses sirènes, à commencer par un modèle économique tentateur ! Selon une étude de Meilleurs Agents et du JDN effectuée en 2016, toutes choses égales par ailleurs, les locations Airbnb rapportent en moyenne 2,6 fois plus par mois que la location classique en France[11]. L’écart de rentabilité se creuse de façon encore bien plus considérable dans les quartiers qui constituent le cœur battant du nouveau marché mondial de la location touristique. La base de données AirDNA et le site d’Airbnb ont par exemple permis de constater des écarts de niveaux de loyers supérieurs à cinq par rapport à ceux pratiqués au mois par le secteur locatif traditionnel dans des quartiers prestigieux comme le Marais, la Place Vendôme (Paris), les Allées de Tourny (Bordeaux) ou la Place Gutenberg (Strasbourg)[12].

Listings Airbnb à Strasbourg, dans la Grande Île, autour du TGI et à la Krutenau. © AirDNA.

Le marché immobilier français constitue ainsi une proie de choix pour les plateformes de locations touristiques. Avec un volume de chiffre d’affaires de 11 milliards de dollars en 2018, l’Hexagone représente d’ailleurs le deuxième marché national d’Airbnb, juste derrière les États-Unis. Toujours selon la plateforme, c’est également le marché national de grande taille en plus forte progression en termes de volume de logements nouvellement mis en location, devant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Cette croissance insolente est confirmée par l’INSEE, qui a enregistré une centaine de millions de nuitées dans des logements loués via les plateformes internet en 2018 en France, et une progression de respectivement 25%, 19% et 15% de ce nombre de nuitées en 2016, 2017 et 2018[13] — soit de plus de 70% en trois ans.

Le Carrousel Disney dans la métropole

Déjà météorique, la croissance d’Airbnb est encore plus fulgurante et retorse dans les grandes métropoles. Selon le New Yorker, 20 millions de touristes prennent désormais d’assaut Barcelone chaque année grâce à ces plateformes[14]. Le Guardian et Inside Airbnb relèvent quant à eux qu’avec plus de 65 000 logements mis en location touristique sur la plateforme, Paris occupe la deuxième place mondiale — derrière Londres et ses 80 000 logements — des villes proposant le plus d’annonces de locations touristiques Airbnb, fin octobre 2019[15] [16]. Selon Le Monde, Paris est même de loin première du classement si le nombre d’annonces est rapporté au nombre total de logements du parc résidentiel. 3,8% du parc parisien est actuellement proposé en permanence à la location via Airbnb, contre 1,5% à Rome et 1,2% à Londres[17].

À Paris, ce sont plus de 35 000 logements qui ont définitivement quitté la location classique pour rejoindre la location touristique via les seules plateformes Airbnb et HomeAway[18]. Selon les données compilées par AirDNA, en 2019, 75 000 logements parisiens sont désormais mis en location sur leurs sites internet, dont 35 000 plus de quatre mois par an[19]. On peut dès lors considérer qu’ils perdent leur vocation résidentielle[20] [21]. Ce sont donc autant de logements qui sont officiellement transformés en logements occasionnels, résidences secondaires ou logements vacants aux yeux de la typologie des fichiers logement de l’INSEE, dont la typologie ne prend pas encore en compte correctement le phénomène et est malheureusement incapable de quantifier son ampleur et sa gravité[22].

À Paris, plus de 35 000 logements ont définitivement quitté la location classique pour rejoindre la location touristique via les plateformes Airbnb et HomeAway.

Plus encore que Paris cependant, ce sont les grandes métropoles provinciales qui sont les premières victimes de la vampirisation d’Airbnb. Déjà en 2018, selon Le Monde, le pourcentage du parc immobilier des communes de Bordeaux (3,7%), Strasbourg (3,4%) et Nantes (3,1%) mis en location à l’année sur Airbnb était bien supérieur à celui de Paris (2,5%). Ces chiffres peuvent paraître modérés. Ils masquent cependant une réalité bien plus prononcée. Contrairement à l’Allemagne ou à la Suisse, en France, le parc locatif ne représente qu’une minorité — un tiers — du parc de logements[23]. Certes, dans le cœur des grandes métropoles, ce pourcentage est plus élevé. Néanmoins, si l’on tient compte du statut d’occupation, c’est en fait une part bien plus considérable du parc locatif qui est préemptée par les locations touristiques. Il avoisine les 8% à Bordeaux.

Listings Airbnb à Bordeaux, de Saint-Michel aux Allées de Tourny. © AirDNA.

Le phénomène est encore plus spectaculaire si l’on considère également les logements qui ont été occasionnellement proposés à la location sur Airbnb au cours de l’année. Selon les chiffres de l’Observatoire Airbnb, une plateforme internet de diffusion de données sur le développement des locations touristiques fondée par Matthieu Rouveyre, élu PS bordelais, 6,5% du parc de logements de la commune de Paris et environ 15% de son parc locatif ont fait l’objet d’au moins un listing au cours de l’année. À Bordeaux, c’est le cas de 9,3% du parc de logements et un peu moins de 20% du parc locatif[24].

Quand le Marché prive les ménages d’un logement

Cette préemption du parc locatif par les plateformes de locations touristiques est en large partie responsable de la hausse accélérée de la construction de nouveaux logements dans les principales métropoles, confrontées à une demande en état d’insatisfaction chronique et dévoreuse de foncier. Ce phénomène est à l’origine du paradoxe suivant : celui d’une augmentation récente très nette du nombre de mises en chantier de bâtiments à usage résidentiel dans les grandes métropoles au cours des dernières années, bien supérieure à ce qui pourrait être expliqué par leur croissance démographique modérée ou même la réduction de la taille de leurs ménages, certes plus gourmands en logements[25]. En clair, nos villes continuent de se bétonner et de s’étendre, certes parce que le nombre de m² occupés par individu continue de croître, mais aussi parce qu’elles laissent libre cours à la voracité d’usages superfétatoires du logement — location touristique, augmentation de la vacance de logements dégradés et d’un parc immobilier de prestige laissé vacant durant la majeure partie de l’année, etc[26].

Touristes maniant un selfie stick sur l’Esplanade du Trocadéro à Paris. © Associated Press.

Mort sociale des quartiers « prime »

La vampirisation d’Airbnb est à géométrie — et géographie — variable. Elle cache des situations bien plus sévères dans certaines métropoles et certains quartiers spécifiques. Les locations Airbnb étant ultra-concentrées géographiquement et majoritairement destinées à des individus seuls ou en couple, elles préemptent en premier lieu les plus petits[27] et les plus beaux logements des quartiers dits « prime », ces quartiers hyper-centraux et touristiques des grandes métropoles — pour reprendre l’expression consacrée par le secteur immobilier anglo-saxon — situés à proximité immédiate des principaux monuments historiques de la ville en question. Or, c’est précisément ce type de logement qui est déjà concerné par la plus forte tension, dans un contexte conjoint de métropolisation de la population française et de réduction de la taille moyenne des ménages, davantage demandeurs de petits logements. Selon l’INSEE, ce phénomène s’accélère d’ailleurs depuis 2015 en France[28].

Ainsi, les données de la base AirDNA font apparaître que des quartiers comme les Allées de Tourny, Bourse-Parlement, les Capucins (Bordeaux), Euralille, les abords de Notre-Dame-de-la-Treille (Lille), les pentes de la Croix-Rousse, Fourvière (Lyon), le Vieux-Port, le Panier (Marseille), Sainte-Anne, Saint-Roch (Montpellier), Bouffay (Nantes), le Vieux-Nice, Jean-Médecin, le Carré d’Or (Nice), la Butte Montmartre, le Sentier, le Marais, Saint-Michel, Odéon, Vendôme (Paris), le Parlement de Bretagne, Saint-Pierre-Saint-Sauveur (Rennes), le Carré d’Or, la Place Gutenberg (Strasbourg)[29], les Carmes, le Capitole et Matabiau (Toulouse) sont particulièrement touchés. À Paris, les 2e, 3e et 4e arrondissements constituent l’épicentre historique du phénomène, au point où une association de riverains tente de sensibiliser l’opinion publique sur ses implications locales délétères depuis déjà trois ans[30].

Dans les rues de certains quartiers, 50% du parc locatif et la quasi-totalité des petits logements sont déjà phagocytés par les locations touristiques.

Concernant l’identité de la personne physique ou morale propriétaire qui met en location touristique ces logements et le nombre de logements qu’elle détient, on observe également un niveau de concentration parfois extrême. Selon une étude menée par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) et des étudiants de Sciences Po, la majorité des logements parisiens mis en location sur Airbnb dans les secteurs de l’Île Saint-Louis, du Marais, du Sentier, du Quartier Latin ou de l’Odéon est détenue par des multi-propriétaires qui possèdent plusieurs autres biens immobiliers[31].

Listings Airbnb à Paris, de l’Hôpital Saint-Louis à l’Odéon. © AirDNA.

Monopoly n’est donc plus seulement un jeu de société. Un phénomène pyramidal de concentration du logement locatif est à l’œuvre dans nos villes. Il a notamment été décrit par Saskia Sassen[32]. À son sommet, quelques Thénardier et surtout beaucoup de multi-propriétaires abrités derrière des sociétés civiles immobilières gèrent plusieurs dizaines de baux locatifs chacun, transformant le cœur des beaux quartiers des grandes métropoles en un vaste domaine néo-féodal. C’est ce qu’a pu constater la revue Wired, en enquêtant sur la formation d’un empire locatif illégal de 43 logements à New York, qui s’étendait d’Astoria à Harlem en passant par l’Upper East Side. Ce dernier a généré cinq millions de dollars de revenus en quatre ans. Ses gestionnaires avaient également acquis des participations dans d’autres réseaux de locations touristiques aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Suisse, en République Tchèque et à Singapour[33]. Ces révélations rendent l’affirmation des dirigeants d’Airbnb, selon laquelle la plateforme serait « utilisée par des ménages mono-propriétaires, ayant occasionnellement recours à la location touristique afin de générer des compléments de revenus pour améliorer leurs fins de mois »[34] un brin malhonnête.

La concurrence économique et le pouvoir d’exclusion que le marché de la location touristique exerce sur le parc locatif traditionnel s’intensifie donc particulièrement dans les cœurs des grandes métropoles, et surtout depuis 2015. À cette date, le nombre de logements mis en location touristique sur Airbnb dans le parc de leurs communes-centre n’a cessé de bondir. En seulement un an, de mai 2016 à mai 2017, il a augmenté de 120% à Bordeaux et Nantes, 80% à Montpellier, 60% à Lyon et Strasbourg, 50% à Marseille, 40% à Lille et 30% à Paris[35].

Extension du domaine du Marché

La location touristique en vient même à s’attaquer, de façon totalement illégale, au parc social. Principales organisations du monde HLM en France, l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) et sa division francilienne (AORIF) ont dernièrement enjoint Airbnb, Le Bon Coin et De Particulier À Particulier (PAP) à lutter plus efficacement contre les mises en location de logements HLM sur leurs plateformes, tant celles-ci se sont multipliées[36] [37]. En France, une telle pratique est pourtant explicitement interdite par la loi[38]. Des locataires ont d’ailleurs été assignés en justice par des bailleurs sociaux comme la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), et condamnés pour avoir proposé leur logement social à la location[39] [40].

La location touristique en vient même à s’attaquer illégalement au parc social. Les mises en location de HLM sur les plateformes se sont multipliées.

Les propos de Jean-Louis Dumont, directeur de l’USH, s’éclairent dès lors d’un sens nouveau. Selon lui, « le logement, notamment à Paris et dans les grandes agglomérations, devient un sujet de plus en plus préoccupant pour des dizaines de milliers de familles. À ce titre, il ne doit pas être possible de le percevoir comme un bien de consommation comme un autre. Le logement, et particulièrement le logement social, ne doit pouvoir faire l’objet d’une marchandisation qui va à l’encontre non seulement des règles, mais aussi de la morale »[41].

Vaines paroles ? La vampirisation du parc locatif provoquée par les locations touristiques Airbnb devient en tout cas un enjeu réglementaire primordial pour les grandes métropoles françaises, mais aussi pour l’État. Depuis le 1er décembre, un décret et un arrêté parus les 30 et 31 octobre derniers, pris en application de la loi ÉLAN du 23 novembre 2018[42], obligent certes les différentes plateformes internet à transmettre une fois par an aux services de 18 communes françaises, la liste des annonceurs qui mettent des logements en location sur leur territoire[43] [44].

Cependant, les dispositions prévues par ces textes de loi sont décevantes, pour ne pas dire illisibles et complaisantes envers les plateformes et les propriétaires de logements mis en location touristique. Elles exigent des gestionnaires qu’ils ne transmettent les données relatives à leurs activités qu’une fois par an — au lieu de trois, comme certaines collectivités locales l’avaient initialement exigé —, et brisent ainsi les capacités réglementaires locales des collectivités en leur interdisant explicitement de procéder à davantage de contrôles, et n’obligent pas les gestionnaires à renseigner le nom de la plateforme en ligne sur laquelle ils ont posté leur annonce.

Ces textes de loi paralysent donc, plutôt qu’ils ne les organisent, de véritables moyens d’encadrement et de réglementation pour les collectivités. Ces dernières ne seront pas en mesure de mener une politique de contrôle efficace. Débordés, leurs agents seront réduits à mener leurs enquêtes par eux-mêmes, épluchant alla mano les sites internet de chaque plateforme de location touristique afin d’espérer y dénicher les logements mis illégalement en location. Selon Ian Brossat, adjoint à la Maire de Paris, cette reculade ne peut être expliquée que par les activités de lobbying menées par les plateformes auprès des parlementaires de la majorité LREM[45].

Pire encore, à travers l’extension du domaine de la concurrence, l’Union européenne contribue également à ce que ses États-membres soient dans l’incapacité technique et juridico-légale d’organiser toute politique de réglementation adéquate concernant les locations touristiques. Le 30 avril dernier, Maciej Szpunar, avocat général près la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), a par exemple estimé qu’Airbnb ne devait pas être soumis aux dispositions de la loi Hoguet, rejetant ainsi la plainte d’un justiciable français selon lequel la plateforme Airbnb devrait être soumise aux mêmes obligations légales, comptables et fiscales que les entreprises du secteur de l’intermédiation immobilière en France (agents immobiliers, administrateurs syndics)[46]. Depuis le siège social de sa division EMEA sis en Irlande afin d’échapper aux fiscs nationaux, Airbnb a même osé se fendre d’un communiqué réagissant à la décision de justice, poussant le vice jusqu’à s’en féliciter publiquement[47].

Outre-Atlantique, au nom du respect du Quatrième amendement[48], un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, révélateur de la toute puissance actuelle de ce que Thomas Piketty nomme l’« idéologie propriétariste » [49], a quant à lui défait un arrêté municipal de la Ville de New York qui enjoignait aux gestionnaires de locations touristiques de renseigner un ensemble d’informations sur leur logement et l’identité de leurs locataires. Un des arguments motivant l’arrêt était qu’une telle mesure serait « de nature vexatoire envers les propriétaires »[50]. L’idéologie propriétariste si puissante dans notre pays, consacrée par la Révolution française et l’époque napoléonienne, permet d’expliquer pourquoi le Ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a récemment déclaré qu’il était inenvisageable de remettre en question les caractéristiques élémentaires de ce droit sanctuarisé, « le plus absolu » au terme de l’article 544 du Code civil[51] [52].

Arrêter l’hémorragie des villes, moraliser l’usage du logement

Malgré ces revers juridico-légaux et politiques, partout dans le monde, la résistance s’organise. Les municipalités ont fini par comprendre qu’elles ne peuvent attendre d’obtenir un imprimatur de leur gouvernement ou des institutions européennes pour mettre en œuvre les réglementations nécessaires à la protection du droit au logement et à la vie digne de leurs résidents[53]. Or, quand il s’agit de réglementer, ces dernières sont tout sauf dénuées d’inventivité.

Londres, Madrid, Seattle et San Francisco ont instauré une limite maximale initiale de cent vingt jours — dernièrement abaissée à quatre-vingt-dix jours à San Francisco — annuels durant lesquels un hébergeur peut mettre à disposition son appartement sur un site de location touristique[54] [55]. À Amsterdam, c’est seulement soixante jours, bientôt trente, et les contrevenants s’exposent à 12 000 euros d’amende[56]. À New York, jusqu’à la dite décision de la Cour suprême, il était illégal de louer un logement entier en dessous de trente jours consécutifs et une loi votée en 2016 y punissait les annonces non-conformes de 7 500 dollars d’amende[57]. Santa Barbara (États-Unis, Californie) a réintroduit la même réglementation, qui n’a jusqu’alors pas encore été invalidée par la Cour. Berlin interdit de louer sur une courte durée plus de 50% de la surface disponible d’un même appartement, sous peine de devoir s’acquitter d’une coquette pénalité de 100 000 euros[58]. En 2012, Barcelone rend obligatoire la possession d’une licence délivrée par la municipalité afin d’obtenir le droit d’avoir recours aux locations touristiques. À partir de 2014, leur délivrance est gelée dans le centre-ville et les loueurs irréguliers contrevenants s’exposent à 30 000 euros d’amende. Enfin, en 2017, ce gel est institutionnalisé, étant indéfiniment prolongé et rendu légalement opposable par les documents d’urbanisme de la ville, comme le PEUAT (« Plan Especial Urbanístico de Alojamiento Turístico »)[59] [60] [61] [62].

Dans plusieurs villes américaines (Chicago, La Nouvelle-Orléans, Santa Monica, Oxnard) et italiennes (Bergame, Bologne, Catane, Florence, Gênes, Lecce, Lucques, Milan, Naples, Rome, Palerme, Parme, Rimini, Sienne, Turin), le site d’Airbnb informe qu’une taxe est levée par les autorités locales pour chaque nuitée touristique. Toujours à Santa Monica et Oxnard (États-Unis, Californie), il est également obligatoire de posséder une licence, dont la délivrance a récemment été gelée. À Los Angeles, depuis 2018, il faut payer une taxe-malus annuelle de 850 dollars pour avoir le droit de louer son logement plus de 120 jours par an[63]. En cette même année, il devient purement et simplement interdit d’avoir recours aux locations touristiques de courte durée à Palma de Majorque[64] [65] et Vienne, les contrevenants s’exposant à une amende de 50 000 euros dans la capitale autrichienne. Il en sera de même à Jersey City (États-Unis, New Jersey) et Valence (Espagne) l’année prochaine[66]. Enfin, pas plus tard que le 1er décembre dernier, Boston (États-Unis, Massachussetts) a interdit la sous-location touristique et la location par des propriétaires occupant leur logement moins de neuf mois par an.

En France aussi, il y a urgence à agir localement afin de limiter les effets de la location touristique sur la muséification et la destruction du tissu social de nos villes. Les cœurs des métropoles françaises sont en effet victimes d’une hémorragie démographique. À Paris, pour réemployer l’aphorisme parlant d’Ian Brossat, « on remplace désormais des habitants par des touristes »[67]. La ville se vide de ses classes moyennes[68]. Selon l’INSEE elle perd plus de 10 000 habitants chaque année sans interruption depuis 2011. L’intervention réglementaire des municipalités se devra donc d’être juste, morale et sans doute radicale. Ian Brossat suggère d’ailleurs d’interdire purement et simplement la location d’appartements entiers dans les quatre premiers arrondissements de Paris[69].

Surtout, il faut réaffirmer la puissance du droit public et notamment du droit au logement, qui a valeur constitutionnelle en France depuis 1946[70]. Ré-imprégner ces derniers de la notion d’interdit plutôt que celle d’efficacité économique, voilà l’enjeu. Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. Il ne doit jamais le devenir. Face au vide et à l’insécurité juridiques dans lesquels le Législateur plonge, et à la toute puissance du désir individuel de surconsommation servicielles que le Marché développe, il est urgent d’opposer un cadre juridico-légal clair et lisible, des réglementations strictes et surtout un souci moral de justice sociale à ce nouvel espace de négoce que les plateformes de location touristique souhaiteraient créer[71].

Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. Il faut réaffirmer le droit au logement qui a valeur constitutionnelle en France depuis 1946.

En l’absence actuelle de l’État, les collectivités locales devraient au moins essayer de se charger de cette ambitieuse mission, dans la limite de leurs moyens techniques et réglementaires. Parce que, pour reprendre l’expression du journal britannique The Conversation, Airbnb « fait souffrir nos villes »[72], elles doivent imaginer dès à présent les instruments qui permettront d’interdire ou de limiter l’hyper-marchandisation du logement, afin de garantir l’accès de chacun à ce dernier.

« Less Tourists, More Refugees », slogan mural populaire apposé le 5 décembre 2019 lors d’une manifestation syndicale dans la rue de la Hache à Strasbourg. © Jean Vannière.

Comme le disait Karl Polanyi, économiste austro-hongrois en exil à Londres en 1944, témoin lucide de la déshumanisation produite par le libéralisme classique et l’extension du domaine du Marché qui précéda la dévastation des sociétés européennes à partir des années 1930, il faut « placer la terre, et tout ce qu’elle renferme de nécessaire à la subsistance de l’Homme, hors de la juridiction et de l’emprise du Marché »[73]. Le monde doit donc être rendu « indisponible » au Marché, pour reprendre le terme à la mode dernièrement conçu par Hartmut Rosa ; c’est-à-dire au désir de l’Homme et au pouvoir de prédation dont il faut lucidement reconnaître que ce dernier renferme. Une telle entreprise de mise en indisponibilité commence par le logement [74].


[1] Le Monde. Immobilier : « Comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes ». 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[2] The New Yorker. « The Airbnb Invasion of Barcelona ». 22 avril 2019. https://www.newyorker.com/magazine/2019/04/29/the-airbnb-invasion-of-barcelona

[3] The Guardian. Technology : « How Airbnb took over the world ». 5 mai 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/may/05/airbnb-homelessness-renting-housing-accommodation-social-policy-cities-travel-leisure

[4] Wired. « Welcome to the Airbnb for Everything Age ». 10 mars 2019. https://www.wired.com/story/airbnb-for-everything/

[5] Le Monde. « Quand Airbnb sème la zizanie dans la famille ». 27 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/09/27/quand-airbnb-seme-la-zizanie-dans-la-famille_6013319_4497916.html

[6] Libération. « Airbnb : l’enfer, c’est les hôtes ». 26 juin 2020. https://www.liberation.fr/france/2020/06/26/airbnb-l-enfer-c-est-les-hotes_1792558

[7] Consulter à ce sujet :

1. LSE Podcast. Wendy Brown: « When Firms Become Persons and Persons Become Firms ». 9 juillet 2015. https://www.youtube.com/watch?v=eHvGsKXqL8s

2. Wendy Brown (2015). Undoing the Demos: Neoliberalism’s Stealth Revolution. Princeton : Princeton University Press.

[8] Consulter à ce sujet :

1. The New York Times. Thomas Friedman: « It’s a Flat World After All ». 3 avril 2005. https://www.nytimes.com/2005/04/03/magazine/its-a-flat-world-after-all.html

2. Thomas Friedman (2005). The World is Flat. New York: Farrar, Strauss and Giroux.

3. The New York Times. Thomas Friedman: « Coronavirus Shows How Globalization Broke the World ». 30 mai 2020. https://www.nytimes.com/2020/05/30/opinion/sunday/coronavirus-globalization.html

[9] Consulter à ce sujet :

1. Gilles Deleuze, Félix Guattari (1980 [2013]). Mille Plateaux : Capitalisme et Schizophrénie. Paris: Minuit.

2. Manuel Castells (2004). The Network Society. A cross-cultural perspective. Londres: Edward Elgar.

3. Jan Van Dijk (2005). The Deepening Divide: Inequality in the Information Age. Londres: Sage Publications.

[10] INSEE. Capacité des communes en hébergement touristique entre 2013 et 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2021703

[11] Consulter les articles suivants sur l’étude du JDN et de Meilleurs Agents :

1. JDN. A Paris, la location Airbnb rapporte 2,6 fois plus que la location classique. 30 mars 2016. https://www.journaldunet.com/economie/immobilier/1175834-location-airbnb-versus-location-classique/

2. Meilleurs Agents. La location Airbnb est-elle vraiment plus rentable que la location classique? 31 mars 2016. https://www.meilleursagents.com/actualite-immobilier/2016/03/etude-rentabilite-location-saisonniere-airbnb/

[12] AirDNA. https://www.airdna.co

[13] Consulter à ce sujet :

1. INSEE. Les logements touristiques de particuliers loués via internet séduisent toujours. INSEE Focus n°158. 18 juin 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4172716

2. INSEE. La location de logements touristiques de particuliers par internet attire toujours plus en 2017. INSEE Focus n°133. 21 novembre 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3646406

3. INSEE. Les logements touristiques de particuliers proposés par internet. INSEE Analyses n°33. 22 février 2017. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2589218

[14] The New Yorker. The Airbnb Invasion of Barcelona. 22 avril 2019. https://www.newyorker.com/magazine/2019/04/29/the-airbnb-invasion-of-barcelona

[15] Inside Airbnb : adding data to the debate. http://insideairbnb.com

[16] The Guardian. Technology : How Airbnb took over the world. 5 mai 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/may/05/airbnb-homelessness-renting-housing-accommodation-social-policy-cities-travel-leisure

[17] Le Monde. Immobilier : comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes. 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[18] Atelier parisien d’urbanisme (Apur), Sciences Po. Locations meublées de courte durée : quelle réponse publique?. Juin 2018. https://www.apur.org/fr/nos-travaux/locations-meublees-courte-duree-reponse-publique

[19] AirDNA. https://www.airdna.co

[20] En France, selon la loi, un logement est considéré comme étant une résidence principale quand son occupant y réside plus de huit mois par an.

Consulter : Légifrance. Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?cidTexte=JORFTEXT000028772256&idArticle=JORFARTI000028772281&categorieLien=cid

[21] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[22] INSEE. Documentation fichier détail : Logement. 22 octobre 2019. https://www.insee.fr/fr/information/2383228

[23] Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET). « Le parc de logements ». Fiche d’analyse de l’Observatoire des territoire 2017. https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/observatoire-des-territoires/sites/default/files/Fiche-OT-le%20parc%20de%20logements_0.pdf

[24] Observatoire National Airbnb. http://observatoire-airbnb.fr

[25] Rue89 Strasbourg. Pourquoi Strasbourg construit plus que dans les années 1990 et pour qui? https://www.rue89strasbourg.com/enjeux2020-strasbourg-construction-logement-betonisation-163841

[26] Au sujet du développement de la vacance dans l’immobilier de prestige des grandes métropoles, consulter les articles suivants du journal britannique The Guardian :

1. The Guardian. Super-tall, super-skinny, super-expensive: the “pencil towers” of New York’s super-rich. 5 février 2019. https://www.theguardian.com/cities/2019/feb/05/super-tall-super-skinny-super-expensive-the-pencil-towers-of-new-yorks-super-rich

2. The Guardian. London property prices blamed for record exodus. 28 juin 2018. https://www.theguardian.com/money/2018/jun/28/london-property-prices-blamed-for-record-exodus

3. The Guardian. Ghost towers : half of new-build luxury London flats fail to sell. 26 janvier 2018. https://www.theguardian.com/business/2018/jan/26/ghost-towers-half-of-new-build-luxury-london-flats-fail-to-sell

4. The Guardian. The London skyscraper that is a stark symbol of the housing crisis. 24 mai 2016. https://www.theguardian.com/society/2016/may/24/revealed-foreign-buyers-own-two-thirds-of-tower-st-george-wharf-london

[27] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi ?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

Pour information, à Paris, plus de 87% des logements loués à l’année sont des petits surfaces (40m² ou moins), contre 12% dans le parc immobilier français.

[28] INSEE. Des ménages toujours plus nombreux, toujours plus petits. 28 août 2017. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3047266

[29] AirDNA. https://www.airdna.co

[30] Aux Quatre Coins du Quatre, association du 4e arrdt. de Paris. Colloque du 18 mars 2017. Les locations saisonnières dans le 4e arrondissement : une désertification invisible? https://www.api-site.paris.fr/mairies/public/assets/2017%2F7%2FRapport%20du%20colloque%20du%2018%20mars%202017.pdf

[31] Atelier parisien d’urbanisme (Apur), Sciences Po. Locations meublées de courte durée : quelle réponse publique?. Juin 2018. https://www.apur.org/fr/nos-travaux/locations-meublees-courte-duree-reponse-publique

[32] Consulter à ce propos :

1. Saskia Sassen (2014). Expulsions: Brutality and Complexity in the Global Economy. Cambridge: Harvard University Press.

Sassen ré-exploite la lecture d’Engels de la propriété privée, en tant qu’instrument d’extraction de valeur mis en œuvre par la bourgeoisie avec l’aide des institutions d’État (droit de la propriété, etc.). Elle la complète et la modifie cependant, indiquant qu’à l’heure de la mondialisation financière, cette dernière tend à s’émanciper progressivement et partiellement du cadre géographique et des nécessités juridico-légales de l’État, formant une « global bourgeoisie » en capacité d’abstraire son existence et la circulation des chaînes de valeur qu’elle met en place des frontières nationales. Au sujet de l’extractivisme mis en œuvre par les professions financières et para-financières (« FIRE economy ») dans les « global cities », Sassen ré-exploite implicitement le concept d’ « extraction de survaleur » développé par Marx dans le Capital.

Consulter notamment :

– Karl Marx (1867[1972]). Le Capital. Critique de l’économie politique. Paris : Éditions Sociales.

– Friedrich Engels (1878[1963]). Monsieur Eugen Dühring bouleverse la science. Paris : Éditions Sociales.

– Friedrich Engels (1884 [1893]). L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État. Paris : Éditions Georges Carré.

2. Housing Europe. Saskia Sassen : “The ‘housing question’ is no longer simply about housing”. 28 mai 2019. http://www.housingeurope.eu/resource-1280/the-housing-question-is-no-longer-simply-about-housing

3. The Guardian. Saskia Sassen : “Who owns our cities — and why this urban takeover should concern us all”. 24 novembre 2015. https://www.theguardian.com/cities/2015/nov/24/who-owns-our-cities-and-why-this-urban-takeover-should-concern-us-all

4. LSE Cities, LSE Urban Age. Saskia Sassen: “The Politics of Equity: Who owns the city?”. 9 décembre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=UAQuyizBIug

5. Librarie Mollat. Interview de Saskia Sassen. 13 février 2016. https://www.youtube.com/watch?v=7qApjsjig0w

6. Saskia Sassen. On New Geographies of Extraction. 29 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=ChPgXnldEnw

[33] Wired. How Nine People Built an Illegal $5 Million Airbnb Empire in New York. 24 juin 2019. https://www.wired.com/story/how-9-people-built-illegal-5m-airbnb-empire-new-york/

[34] Le Monde. Comment Airbnb cannibalise le logement dans les grandes villes. 29 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/29/immobilier-comment-airbnb-cannibalise-le-logement-dans-les-grandes-villes_6021009_3234.html

[35] Le Monde. Comment Airbnb a investi Paris et l’hyper-centre des grandes villes. 24 août 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/paris-et-les-hypercentres-des-grandes-villes-le-business-lucratif-d-airbnb-en-france_5168623_4355770.html

[36] Consulter les communiqués suivants de l’Union Sociale pour l’Habitat à ce sujet :

1. Union Sociale pour l’Habitat. L’USH et l’AORIF mettent en demeure les plateformes de location de logements touristiques d’améliorer l’information des locataires, notamment HLM, sur les risques encourus liés à la location illégale d’un logement social. 4 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/communiques-presse/l-ush-et-l-aorif-mettent-en-demeure-les-plateformes-de-location-de-logements

2. Union Sociale pour l’Habitat. Non à la sous-location touristique des logements sociaux. 15 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/actualites/non-la-sous-location-touristique-des-logements-sociaux

[37] Consulter à ce sujet :

1. Caisse des Dépôts et Consignations (Banque des Territoires). L’USH et l’AORIF somment les plateformes de location meublée d’informer les locataires HLM sur les risques encourus. 7 novembre 2019. https://www.banquedesterritoires.fr/lush-et-laorif-somment-les-plateformes-de-location-meublee-dinformer-les-locataires-de-hlm-sur-les

2. Les Échos. Le monde HLM somme Airbnb et consorts de tout faire pour ne pas sous-louer de logements sociaux. 5 novembre 2019. https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/le-monde-hlm-somme-airbnb-et-consorts-de-tout-faire-pour-ne-pas-sous-louer-de-logement-social-1145476

[38] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[39] T.I. Paris, 15ème arrdt., jugement du 9 mai 2017. Régie Immobilière de la Ville de Paris / Madame X.

[40] Le Monde. Elle sous-loue son HLM via Airbnb. 29 juin 2017, mis à jour le 4 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/vie-quotidienne/article/2017/06/29/elle-sous-loue-son-hlm-via-airbnb_6004435_5057666.html#more-20296

[41] Union Sociale pour l’Habitat. L’USH et l’AORIF mettent en demeure les plateformes de location de logements touristiques d’améliorer l’information des locataires, notamment HLM, sur les risques encourus liés à la location illégale d’un logement social. 4 novembre 2019. https://www.union-habitat.org/communiques-presse/l-ush-et-l-aorif-mettent-en-demeure-les-plateformes-de-location-de-logements

[42] Légifrance. Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037639478&categorieLien=id

[43] Légifrance. Décret n°2019-1104 du 30 octobre 2019 pris en application des articles L.324-1-1 et L. 324-2_1 du code du tourisme et relatif aux demandes d’information pouvant être adressées par les communes aux intermédiaires de location de meublés de tourisme. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039296575&categorieLien=id

[44] Légifrance. Arrêté du 31 octobre 2019 précisant le format des tableaux relatifs aux transmissions d’informations prévues par les articles R. 324-2 et R. 324-3 du code du tourisme. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=F0591D567CB8D0FBDEA7A16B55C3F39C.tplgfr35s_1?cidTexte=JORFTEXT000039309243&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000039309097

[45] Le Monde. Le gouvernement recule sur les obligations de transparence des plateformes de locations touristiques. 14 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/14/le-gouvernement-recule-sur-les-obligations-de-transparence-des-plateformes-de-locations-touristiques_6019117_3224.html

[46] European Court of Justice. According to Advocate General Szpunnar, a service such as that provided by the Airbnb portal constitutes an information society service. 30 avril 2019. https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2019-04/cp190051en.pdf

[47] Consulter à ce sujet :

1. The Guardian. Airbnb should be seen as a digital service provider, ECJ advised. 30 avril 2019. https://www.theguardian.com/technology/2019/apr/30/airbnb-should-be-seen-as-a-digital-service-provider-ecj-advised

2. Airbnb UK Ltd: company details. https://www.airbnb.co.uk/about/company-details

3. Airbnb France SA : coordonnées de l’entreprise. https://www.airbnb.fr/about/company-details

[48] The New York Times. Judge Blocks New York City Law Aimed at Curbing Airbnb Rentals. 3 janvier 2019. https://www.nytimes.com/2019/01/03/nyregion/nyc-airbnb-rentals.html

[49] United States National Constitution Center. Fourth Amendment. https://constitutioncenter.org/interactive-constitution/amendment/amendment-iv

[50] Thomas Piketty (2019). Capital et Idéologie. Paris: Seuil.

[51] Consulter à ce sujet :

1. Légifrance. Code Civil, article 544. https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006428859&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=18040206

2. Karl Polanyi (1944 [1983]). La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris: Gallimard.

3. Friedrich Engels (1884 [1893]). L’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État. Paris : Éditions Georges Carré.

[52] Consulter à ce sujet :

1. Le Parisien. Julien Denormandie : « Autant de logements vacants dans notre pays, c’est inacceptable ». 10 février 2020. https://www.leparisien.fr/economie/julien-denormandie-autant-de-logements-vacants-dans-notre-pays-c-est-inacceptable-10-02-2020-8256510.php

2. Le Monde. Le gouvernement veut réduire le nombre de logements inoccupés. 10 février 2020. https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/10/le-gouvernement-veut-reduire-le-nombre-de-logements-inoccupes_6029088_3224.html

[53] Gemeente Amsterdam. Press release : « Cities alarmed about European protection of holiday rental ». https://www.amsterdam.nl/bestuur-organisatie/college/wethouder/laurens-ivens/persberichten/press-release-cities-alarmed-about/

[54] Le Monde. Locations saisonnières : que dit la loi?. 7 mai 2018. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/04/locations-saisonnieres-que-dit-la-loi_5168615_4355770.html

[55] El País in English. Madrid adopts rules that will shut down over 10,000 holiday apartments. 27 mars 2019. https://elpais.com/elpais/2019/03/27/inenglish/1553702152_849878.html

[56] France Inter. Airbnb : comment les villes organisent la résistance à travers le monde. 19 novembre 2019. https://www.franceinter.fr/societe/airbnb-comment-les-villes-organisent-la-resistance-a-travers-le-monde

[57] The New York Times. Judge Blocks New York City Law Aimed at Curbing Airbnb Rentals. 3 janvier 2019. https://www.nytimes.com/2019/01/03/nyregion/nyc-airbnb-rentals.html

[58] The Guardian. Berlin ban on Airbnb rentals upheld by city court. 8 juin 2016. https://www.theguardian.com/technology/2016/jun/08/berlin-ban-airbnb-short-term-rentals-upheld-city-court

[59] CityLab. How Barcelona is limiting its Airbnb rentals. 6 juin 2018. https://www.citylab.com/life/2018/06/barcelona-finds-a-way-to-control-its-airbnb-market/562187/

[60] El País. Barcelona prohibe nuevos pisos turísticos a la espera de la regulación del Govern. 15 novembre 2019. https://elpais.com/ccaa/2019/11/15/catalunya/1573822393_796751.html

[61] El País. Barcelone aprueba la norma que prohíbe abrir nuevos hoteles en el centro. 28 janvier 2017. https://elpais.com/economia/2017/01/27/actualidad/1485508289_914165.html

[62] La Vanguardia. Barcelona pide a Airbnb que retire 2.577 pisos turísticos ilegales de su web. 23 mai 2018. https://www.lavanguardia.com/local/barcelona/20180523/443786171972/barcelona-lista-ilegales-airbnb.html

[63] Los Angeles City Planning Department. Home-Sharing Ordinance. 11 décembre 2018. https://planning.lacity.org/ordinances/docs/HomeSharing/adopted/FAQ.pdf

[64] Le Figaro. Palma de Majorque interdit les locations d’appartements aux touristes. 29 avril 2018. https://immobilier.lefigaro.fr/article/palma-de-majorque-interdit-les-locations-d-appartements-aux-touristes_3a86420e-4af1-11e8-b142-d0e0b34620c1/

[65] The New York Times. To Contain Tourism, One Spanish City Strikes a Ban on Airbnb. 23 juin 2018. https://www.nytimes.com/2018/06/23/world/europe/tourism-spain-airbnb-ban.html

[66] The New York Times. Airbnb Suffered a Big Defeat in Jersey City (NJ). Here’s What That Means. 5 novembre 2019. https://www.nytimes.com/2019/11/05/nyregion/airbnb-jersey-city-election-results.html

[67] Europe 1. Airbnb : À Paris, « on remplace des habitants par des touristes », alerte Ian Brossat. 12 mai 2019. https://www.europe1.fr/politique/airbnb-a-paris-on-remplace-des-habitants-par-des-touristes-alerte-ian-brossat-3898127

[68] Le Monde. À Paris, des classes moyennes en voie de disparition accélérée. 11 juin 2019. https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/06/11/a-paris-des-classes-moyennes-en-voie-de-disparition_5474562_4811534.html

[69] Le Monde. Ian Brossat souhaite l’encadrement d’Airbnb dans le centre de la capitale. 6 septembre 2018. https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/09/06/ian-brossat-souhaite-l-encadrement-d-airbnb-dans-le-centre-de-la-capitale_5350996_823448.html

[70] Voir 10ème et 11ème alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[71] Alain Supiot (2010). L’esprit de Philadelphie : la justice sociale contre le marché total. Paris: Seuil.

[72] The Conversation. Airbnb and the short-term rental revolution — How English cities are suffering. 23 août 2018. https://theconversation.com/airbnb-and-the-short-term-rental-revolution-how-english-cities-are-suffering-101720

[73] Karl Polanyi (1944 [1983]). La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris: Gallimard.

[74] Hartmut Rosa (2020). Rendre le monde indisponible. Paris : Éditions La Découverte.

« Le logement est un angle mort du mouvement social » – Entretien avec François Piquemal

François Piquemal @AnnaD

Le logement est depuis quelques temps le sujet catalyseur d’une contestation sociale en différents endroits du globe : à Berlin, à Barcelone, mais aussi un peu partout en France. Ce mouvement nous rappelle combien cette problématique est devenue centrale, en particulier dans les métropoles. Porte-parole du DAL Toulouse/Haute-Garonne, François Piquemal, qui enseigne les lettres, l’histoire et la géographie en lycée professionnel, a aussi lancé avec des amis la mini-série de vulgarisation J’y suis J’y reste, sur la question du droit à la ville à Toulouse. Avec lui, nous avons souhaité évoquer la question du logement, qui demeure extrêmement complexe, car profondément corrélée à toutes les problématiques urbaines d’inégalités sociales.


LVSL Pour commencer, pourriez-vous nous rappeler le contexte succinctement ? Lorsqu’on traite de la problématique du logement en France, de quoi parle-t-on exactement ?

François Piquemal : Concrètement, on parle d’a-minima 143 000 personnes sans-abris, plus de 3 millions de logements vacants, 4 millions de personnes mal-logées, 12 millions en précarité énergétique, 12 millions fragilisées par rapport au logement, 2 millions de logements insalubres et autant de demandeurs HLM. Il y a aussi une spéculation continue sur le logement, qui entraîne une envolée des prix de l’immobilier. Toutes les demi-heures dans notre pays, une personne, une famille, se fait expulser par la force publique de son logement !

Derrière ces chiffres que l’on entend souvent, il y a des gens, des vies, des fins de mois, de l’anxiété, des problèmes de santé, d’éducation, et de travail. Récemment au DAL31 par exemple, nous avons eu un cas très éloquent, celui de Jacqueline, 76 ans, menacée d’expulsion. Elle est au minimum vieillesse, soit à 868 euros par mois pour un loyer de 551 euros. Il y a dix ans son loyer était de 432 euros, ce qui signifie qu’il a augmenté de 12 euros par an. Dans les années 1980, le budget lié au logement représentait 13 % en moyenne des revenus des personnes, aujourd’hui c’est en moyenne 26 % et cela peut dépasser les 50 % dans les zones urbaines tendues. Cela a considérablement explosé.

LVSL – Il y a beaucoup d’associations et d’ONG qui œuvrent de près ou de loin sur la question du logement, qu’est ce qui fait la spécificité de l’action du DAL ?

L’objectif du DAL depuis sa création à Paris en 1990 est d’organiser les mal-logés dans des luttes collectives pour qu’ils obtiennent des droits. Cela passe par de multiples actions : manifestations, rassemblements, campements, réquisitions et autres. Aussi, c’est moins connu – même si c’est pourtant l’essentiel de notre travail -, nous travaillons à l’accès au droit des personnes, ainsi qu’au niveau juridique et législatif. De cette manière, il nous arrive d’obtenir des jurisprudences qui font avancer les droits pour les mal-logés grâce à nos juristes et des amendements dans les lois liées au logement.

Ce qui fait notre originalité, c’est que nous sommes l’une des rares associations sur le logement à tendre vers l’auto-organisation dans les luttes des principaux concernés, les mal-logés. C’est notre idée directrice car historiquement en France, et cela serait une longue histoire à raconter, la question du « sans-abrisme » a souvent été traitée par le prisme de la charité, et non par les questions de classe qui sont à l’oeuvre dans les luttes des mal-logés. D’ailleurs, celles-ci sont des luttes bien souvent menées par les femmes, de par l’assignation genrée de l’espace domestique que représente le logement, dans toutes les sociétés patriarcales.Le DAL a aujourd’hui une longue histoire, de nombreuses luttes derrière lui.

 « Les luttes sur le logement n’ont que rarement la portée qu’elles méritent, […] le logement est l’un des angles morts du mouvement social en France. »

LVSL – Quels sont les aspects du mal logement que vous abordez ?

Tous. Le DAL est né de l’expulsion de familles d’un bâtiment qu’elles occupaient. Nous étions donc, dès le début, assez axés sur la question du sans-abrisme avec des luttes spectaculaires comme à la Rue du Dragon ou à la Rue de la Banque à Paris, des luttes soutenues par des personnalités comme l’Abbé Pierre, Emmanuelle Béart, Albert Jacquard ou encore Joey Starr. Puis, petit à petit, des habitants mal-logés sont arrivés, et on a lutté avec eux sur des questions de rénovations urbaines, de précarité énergétique, de charges, ou d’insalubrité. Depuis 2014, nous sommes syndicat de locataires HLM, et nous avons d’ailleurs obtenu près de 40 élus lors des dernières élections de représentants de locataires, ce qui est une percée significative de notre engagement sur la question du logement social.

LVSL – Comment expliquer que les luttes sur le logement soient relativement peu médiatisées ?

Il ne se passe pas une semaine en France sans qu’il n’y ait une action d’un comité du DAL ou d’autres collectifs en soutien aux mal-logés. Pourtant, effectivement, même des luttes longues dans le temps vont parfois manquer de visibilité alors qu’elles impliquent des centaines de personnes et sont très dures dans leurs modalités. En fait, souvent, les médias ne s’intéressent à ces luttes que lorsqu’elles concordent avec leur agenda sur le sujet du logement : sortie annuelle du toujours très intéressant rapport de la Fondation Abbé Pierre, drame humain suite à un incendie ou un effondrement comme à Marseille, début et fin de la trêve hivernale. Pourtant, autant de personnes meurent à la rue, l’été comme l’hiver.

Même dans le monde militant, les luttes sur le logement n’ont que rarement la portée qu’elles méritent, cela car d’une certaine manière le logement est un des angles morts du mouvement social en France. Cela mériterait une longue explication, car plusieurs paramètres historiques sont à prendre en compte pour le comprendre. C’est vrai que pour faire une analogie avec une célèbre série, on se sent parfois un peu comme une sorte de « Garde de Nuit » à laquelle on s’intéresse surtout quand on ne peut plus faire autrement que de voir les victimes des « Marcheurs Blancs » de la spéculation immobilière.

Manifestation du Collectif du 5 Novembre à Marseille suite à l’effondrement de deux immeubles dans le quartier Noailles et qui fit 8 morts. © Wikipédia

LVSL – En parlant d’insalubrité, le drame de Marseille en novembre 2018 a mis en lumière cette problématique dans les parcs privés et publics. Comment en arrive-t-on à une telle situation ?

La question de l’insalubrité est de plus en plus présente dans le débat public et cela n’est pas un hasard. Le drame survenu dans le quartier de Noailles à Marseille montre la défaillance totale d’une municipalité sur la question depuis des décennies. Si le cas marseillais est assez extrême, le problème se pose aussi ailleurs, dans l’ensemble du territoire national.  Ainsi, a-t-on appris récemment, dans une ville comme Toulouse c‘est au moins 1 logement sur 20 qui est insalubre.

Il y a eu un laisser-aller depuis qu’un certain nombre de compétences en la matière ont été transférées de l’État aux EPCI. On observe parfois que certains Services communaux d’hygiène et de santé peuvent être amenés à sous-évaluer des cas de logements insalubres et indignes car les propriétaires font partie d’un corps électoral qu’il faut éviter de froisser en vue des élections locales.

Un exemple concret : le 10 janvier dernier, un immeuble a pris feu à Toulouse, sans faire de mort heureusement, mais avec tout de même une vingtaine de blessés. Pourtant, l’été précédent, les services étaient passés et avaient adressé des consignes au syndic et aux propriétaires pour se mettre aux normes. Sans suite, car il n’y a pas eu de véritables contraintes exercées par la puissance publique.

LVSL – Dans ces circonstances, le « permis de louer », préalable à la mise en location sur le marché et délivré après visite des autorités, est-il la bonne solution ?

Le permis de louer, c’est une mesure positive mais limitée. En effet, il faut s’en prendre aux racines du problème. On note que beaucoup de logements insalubres sont issus de copropriétés dégradées où les petits propriétaires se sont retrouvés face à des frais qu’ils n’étaient pas en capacité financière d’assumer. Ils ont d’une certaine manière été victimes de la propagande du « tous propriétaires à tous prix ». Or, c’est bien ce dogme qui se poursuit aujourd’hui avec la Loi Elan, celle qui encourage les offices HLM à vendre leurs logements et laisse la main aux promoteurs immobiliers pour construire toujours plus vite de manière à maximiser les profits. Par ailleurs, l’augmentation constante des loyers empêche beaucoup de gens d’accéder aux logements mis sur le marché car trop chers ou du fait que certains propriétaires imposent trop de demandes de garanties. Face à ce manque de débouchés sur le marché privé, et dans l’attente d’un logement social qui peut être très longue, les personnes n’ont parfois d’autres choix que d’accepter des logements insalubres sous la coupe de marchands de sommeil.

Résorber le logement insalubre demande donc une vision plus globale de la question du logement et appelle à changer de braquet idéologique. Il faut lancer un grand plan de rénovation thermique, phonique et anti-vétusté des logements, en faisant du parc HLM un secteur pilote. Il faut aussi expérimenter des modalités d’écoconstructions pour les futures livraisons de logements. Enfin, il est urgent d’encadrer les loyers, si possible à la baisse, pour ne plus laisser les marchands de sommeil prospérer sur du logement indigne.

« Nous avons en réalité derrière la mixité sociale un préjugé social des élites qui vise à essayer de dissimuler la lutte des classes qui persiste dans nos sociétés. »

LSVL – Toujours sur ce thème de l’état du logement en France, les projets de renouvellement urbain, pilotés par l’Agence pour la rénovation urbaine (ANRU), consistant à reconstruire ou rénover les habitats des quartiers identifiés comme fortement dégradés, partent d’une ambition louable. Toutefois, on observe bien souvent qu’elles induisent un effet de gentrification du fait qu’une partie des personnes déplacées pendant la phase de travaux ne peuvent revenir à leur habitat initial, compte tenu des conditions d’accès économiques aux nouveaux logements. Comment faire pour éviter ou limiter cette conséquence indirecte et contre-productive ?

Il est compliqué de faire un bilan des programmes ANRU de manière exhaustive. Évidemment au DAL, nous sommes avec des habitants qui contestent, à raison, les programmes ANRU dans leurs quartiers : de la Villeneuve à Grenoble, en passant par la Coudraie à Poissy, cela ne veut pas dire que les opérations sont mauvaises partout.

Cependant de grandes lignes se dégagent depuis que cela a été lancé en 2003 sous la houlette de Jean-Louis Borloo : un manque d’écoute des habitants souvent mis de côté des décisions, des démolitions d’immeubles parfois fonctionnels et salubres où les gens ont leur vie, et également un manque de cohérence dans l’aménagement des futurs quartiers. Enfin et surtout, les programmes de l’ANRU peuvent être clairement des outils de gentrification des quartiers prioritaires de la ville, le remplacement d’une population par une autre plus aisée, qui ne résolvent rien aux problèmes sociaux que vivent les habitants.

A Toulouse par exemple, où l’ANRU concerne 63 000 habitants dans 16 quartiers de l’agglomération, j’ai le souvenir que dans un des documents de présentation de ces projets la Mairie se félicitait « qu’au moins 50 % des habitants seraient relogés sur place ». Mais alors, quid des 50 % restants ? Ils sont en vérité relogés plus loin, puisqu’une partie importante des logements qui sont reconstruits dans leur quartier ne leur sont plus accessibles financièrement, en termes de loyers voire d’accession à la propriété qu’on veut leur faire avaler.  Voici donc comment se débarrasser de la moitié de la population d’un quartier pour essayer de la remplacer par une population plus désirée par les dirigeants locaux.

Il faut se rendre compte de la violence symbolique et affective que cela peut représenter pour les gens. On leur emballe la démolition de leur lieu de vie en deux ou trois réunions de concertations inintelligibles et on vous fait trois propositions de relogement pas toujours adaptées à vos besoins. Vous voyez votre habitat démoli et votre quartier disposer alors de nouveaux aménagements dont vous ne profiterez pas. Somme toute, vous devez alors vous intégrer dans un nouveau quartier avec tous les changements que cela implique : travail, démarches administratives, scolarité, lieux de sociabilité et autres.

LVSL Les pouvoirs publics communiquent sur ces opérations sur le souhait de promouvoir la mixité sociale, c’est-à-dire l’idée d’une cohabitation sur un même secteur géographique de personnes issues de catégories socio-professionnelles différentes.  Qu’en est-il réellement ?

La mixité sociale est effectivement un des objectifs affichés des programmes ANRU. Ce concept a été disséqué par de nombreux universitaires, et il pose d’emblée un problème éthique à mon sens. La mixité sociale est une projection du monde politique et technocratique sur les quartiers populaires, partant d’un postulat : pour que les gens vivent mieux dans les quartiers, en y freinant les problèmes sociaux et de délinquance qui peuvent y exister, il ne faut pas laisser les plus modestes entre eux mais leur permettre des côtoyer des classes moyennes, voire plus aisées, comme si cela « moraliserait » des habitants qui auraient besoin de l’être. La morale, la bienséance n’est pourtant pas l’apanage de ceux qui possèdent un capital social et économique élevé. Je ne pense pas qu’en mettant un Balkany ou un Guéant au-dessus d’un point de deal, on fasse revenir dans le « droit chemin » ceux qui y participent. Nous avons en réalité derrière la mixité sociale un préjugé social venant des décideurs politiques qui vise en fait à essayer de dissimuler la lutte des classes qui existe dans nos sociétés. Pourtant, si ces quartiers peuvent avoir de lourds problèmes qu’il ne faut pas nier, ils sont aussi forts d’une histoire, de cultures, de liens de solidarité importants qui méritent autant considération que les vitrines de luxe de certains quartiers aisés.

Forcément, derrière on assiste à des dérives au nom de la mixité sociale. L’année dernière des parents d’élèves et des enseignants se sont mobilisés dans le quartier du Mirail à Toulouse contre la fermeture de deux collèges. Ces fermetures encouragées par le Conseil Départemental l’étaient sous prétexte de mixité sociale, pour envoyer les enfants des quartiers dits « sensibles » dans des établissements du reste de la ville. Au nom de la mixité sociale, les habitants se sont donc retrouvés avec deux lieux d’éducation en moins dans leur quartier, et les enfants avec des trajets école-domicile beaucoup plus longs. On aurait pourtant pu faire autrement si le but était réellement de mélanger des élèves de conditions sociales différentes. Ainsi, il aurait été opportun d’insérer les filières les plus prisées dans ces collèges pour attirer des élèves du centre-ville, cela aurait été en plus un puissant signal envoyé aux habitants du quartier en confiant ces filières aux collèges de leur quartier.

On tombe là dans une des incohérences que l’on évoquait avec les programmes ANRU, comment prétendre aider les habitants d’un quartier quand on y supprime des services publics ou qu’on les y amoindrit ? En vérité, que va-t-il se passer pour les parents d’élèves de ces deux collèges cités ? S’ils ont plusieurs enfants qui sont encore en école élémentaire, pour des raisons pratiques, ils vont penser à déménager dans un endroit qui leur soit accessible financièrement et proche d’un collège. La suppression des deux collèges fût là un levier concret parmi d’autres pour inciter les familles nombreuses à quitter leur quartier et ainsi laisser la place à un autre type de population.

François Piquemal DAL
François Piquemal lors d’une action d’occupation de Vinci Immobilier, menée conjointement avec des Gilets jaunes et le collectif « Y a pas d’arrangement » pour dénoncer la gentrification à Toulouse. © François Piquemal

LVSL – Comment lutter alors contre ces politiques de la ville que l’on peut qualifier de séparatistes, promues par les collectivités ?

Une fois ce bilan accablant dépeint, il faut tout de même mentionner que la mixité sociale est désirée, mais souvent que d’un seul point de vue, celui des plus modestes. Beaucoup d’habitants des quartiers souhaiteraient vivre aux côtés de personnes qui ne leur ressemblent pas, que ce soit de par leurs appartenances sociales ou culturelles. C’est notamment le combat des mères du quartier du Petit Bard à Montpellier, mais bien souvent les habitants aisés d’une ville, quand ce n’est pas les pouvoirs publics, mettent en place des stratégies d’évitement des populations modestes sur lesquelles elles projettent leurs préjugés. C’est toujours aux habitants des quartiers populaires d’accueillir, de se déplacer et de faire les efforts au nom de la mixité sociale. Mais qu’en est-il de cet accueil et de ces efforts dans les quartiers huppés des grandes villes ? Il suffit de songer au sketch occasionné par l’implantation d’un centre d’hébergement d’urgence dans le 16ème arrondissement de Paris.

Bien sûr, il faut créer du lien social, que les gens en dehors de leurs classes et de leurs cultures se rencontrent. Néanmoins, il faut que les politiques qui n’ont que la « mixité sociale » à la bouche soient cohérents, car souvent ceux sont les mêmes qui votent pour la suppression de la carte scolaire et des services publics de proximité, qui sont aussi des lieux de sociabilité et de rencontres. C’est pourtant par l’emploi, les services publics, la présence de l’humain dans les quartiers que l’on peut rendre ceux-ci plus agréables pour celles et ceux qui y vivent.

Il faut aussi réinvestir massivement dans le logement social en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, avec le cas viennois par exemple. Cela se sait peu, mais dans la capitale autrichienne, 62 % des habitants sont locataires HLM et très heureux de ne pas avoir de loyers exorbitants, car l’offre de logements sociaux est telle qu’elle régule tout le marché du logement et empêche la formation d’une bulle immobilière. De fait, le problème de la mixité sociale s’y pose beaucoup moins car les quartiers ne sont pas soumis aux mécanismes de spéculation.

LVSL – Justement, en France, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), votée en 2000, impose aux communes dont la population est supérieure à 3500 habitants de disposer d’un taux de logements sociaux supérieur à 25% d’ici 2025. La loi prévoit que les municipalités ne mettant pas en place une politique volontariste pour atteindre ce taux soient sanctionnées financièrement. Toutefois pour éviter les phénomènes géographiques de ségrégation sociale dont nous venons de traiter, ne serait-il pas intéressant dans les grandes villes ou métropoles de la rendre applicable à l’échelle d’un quartier ?

Ce taux a été relevé à 25 % suite à la Loi Alur mise en place par Cécile Duflot, ce qui était une avancée notable. Toutefois à la razzia sur les APL s’est ajoutée une loi de destruction massive, arrivée pour raser au bulldozer le logement social : la loi Elan. Elle coupe un grand nombre de moyens au secteur HLM, oblige les bailleurs à vendre 1 % de leur parc par an pour subvenir à leurs besoins, répartit le taux d’effort non plus aux communes mais aux intercommunalités, ce qui risque d’engendrer des « mics-macs » sans noms dans celles-ci.

Le gouvernement actuel, et c’est une première, ne prévoit aucun euro pour l’aide à la construction de logements sociaux, l’État laisse ici la construction de logements sociaux à la charge des offices HLM, cela alors que le nombre de demandeurs n’a cessé d’augmenter. Alors comment faire ?

Il faudra bien sûr dans le futur reprendre la main sur la construction de logements sociaux. Cela passera inévitablement par l’abrogation de la Loi Elan et par la mise en valeur des HLM comme logements accessibles et innovants du point de vue écologique. Le logement social souffre d’un déficit d’image lié à des clichés plus ou moins erronés, et l’on voit que des communes mettent en place des stratégies pour éviter la construction de logements sociaux pour les plus modestes. Certaines préfèrent même payer des amendes plutôt que d’en construire ! Il faudrait donc les sanctionner plus lourdement.

Au surplus, les stratégies d’évitement peuvent être plus pernicieuses. Toulouse est de ce point de vue un triste exemple : la municipalité a ainsi fait passer dans son PLUIH une résolution qui précise que tous les programmes immobiliers inférieurs à 2000 m² n’avaient pas l’obligation de construire des logements sociaux. Cela peut paraître anodin comme cela, mais dans les faits les programmes supérieurs à 2 000 m² sont quasiment inexistants au centre-ville. Cela profite aux promoteurs et à la municipalité, décidés à ne pas construire de logements sociaux dans les quartiers du centre.

Autre manière de mettre les plus modestes de côté, la disproportion entre l’offre de logements sociaux et les demandes. Nous avons ainsi publié un rapport au début de l’année qui montre que 75 % des demandeurs à Toulouse sont éligibles, de par leurs ressources, à du logement très social. Pourtant ce type de logements ne correspond qu’à 29 % des nouvelles constructions, ce qui signifie que plus vous êtes pauvres, moins vous avez de chances d’avoir accès rapidement à un logement social.

Ici le logement social, sa construction, ses attributions, est un outil de gentrification au service des pouvoirs locaux. Il faut que l’État reprenne la main en imposant des constructions adaptées à la demande, en faisant du secteur HLM une force attractive d’avenir dans la logique résidentielle des gens. Il faut que les municipalités assument leurs responsabilités plutôt que de chasser leurs habitants toujours plus loin. Certains parlent parfois des « quartiers perdus de la République », nous devrions parler des « quartiers perdus de la solidarité », et les reconquérir notamment par l’implantation du taux légal de logements sociaux. La solidarité, c’est pour tout le monde.

 « Nous devons reprendre en main ce qui nous appartient, construire une ville pour les habitants modestes. ce n’est pas aux spéculateurs immobiliers de choisir la forme des villes […] mais aux habitants. »

LVSL Les politiques publiques d’aménagement et de construction, menées depuis des décennies (lois BOUTIN, PINEL, ALUR, ELAN…), s’appuient très largement sur des promoteurs privés, massivement des banques et des grands groupes du BTP, pour piloter et conduire les projets de construction de logements via des dispositifs d’incitations fiscales. Ces structures guidées par une logique de profits à court terme, sont-elles, au vu des résultats, les plus adaptées pour résoudre la problématique du mal-logement en France ?

Aujourd’hui les grands groupes de la promotion immobilière profitent à plein de l’idéologie du construire plus vite, plus grand, plus haut. Des constructions qui au passage les favorisent, contrairement aux artisans locaux qui n’ont pas forcément la possibilité de répondre aux appels à projet avec les mêmes armes. Ce dogme repose sur l’hypothèse fausse que plus l’on construit, plus il y a d’offre, plus les prix vont baisser : la croissance non ordonnée serait ici aussi vertueuse. Un excellent rapport de l’ONU mené par Leilani Farah a montré que cela était faux. Le logement n’est plus, dans beaucoup de métropoles, un bien commun mais un produit financier sur lequel investissent les grandes fortunes, les grands groupes ou encore les fonds d’investissement. La préoccupation de ces acteurs n’est pas de savoir si quelqu’un vit dans le logement dans lequel ils ont investi, mais de savoir quelle plus-value il va leur rapporter dans quelques années, grâce à la bulle immobilière qui travaille pour eux. C’est comme cela que l’on atteint un nombre record de logements vacants. En moyenne à Melbourne c’est un logement sur 8, à Paris c’est 11 % des logements, en France on a passé la barre des 3 millions de logements vacants, selon l’INSEE. La spéculation immobilière adore la vacance des logements, car elle participe à créer DE la rareté et conduit donc à l’augmentation des prix.

Ce dogme du toujours plus est parfaitement taillé pour les gros promoteurs qui en plus se voient brader les biens publics, qui ont parfois une forte valeur patrimoniale. On vient d’apprendre qu’à Paris une partie de l’Hôtel Dieu vient d’être cédé par l’APHP pour 80 ans au promoteur Novaxia, à Toulouse c’est une partie de l’hôpital La Grave qui est livré à Kaufmann and Broad pour faire des appartements de luxe. On se retrouve dans une situation paradoxale où la Mairie de Toulouse débloque 1 millions d’euros en 24h pour participer à la restauration de Notre Dame de Paris alors que personne ne lui a rien demandé, mais est incapable de protéger son patrimoine et préfère le livrer à un promoteur à des fins de spéculations immobilières.

Des cas comme ceux-ci, il y en a à la toque, on répartit les lots à chaque promoteur, qui construisent vite, sans se préoccuper de la cohérence par rapport au quartier, à l’histoire de la ville. La vision de la ville qu’ils portent est celle du béton et des gratte-ciels qui empêchent les oiseaux migrateurs de passer dans leurs couloirs, et de l’étalement urbain qui ruine peu à peu les terres agricoles.

Nous devons reprendre en main ce qui nous appartient, et construire une ville pour les habitants modestes et aussi les historiques qui sont attachés à l’identité de leur ville. Cela passera aussi par une remunicipalisation des sols pour « mettre le holà » aux promoteurs : ce n’est pas aux spéculateurs immobiliers de choisir la forme des villes, pour reprendre une expression de Julien Gracq, mais aux habitants.

Il n’y a pas de fatalité, en Espagne suite à la crise des subprimes de 2009, un mouvement social d’une ampleur inédite sur le logement, la PAH (Plateforma de los Afectados de la Hipoteca), a réussi, à force de mobilisations contre les expulsions et d’actions visant à retourner le logiciel du « tous propriétaires » en « construisons des logements sociaux ».  Ce mouvement ne se résume pas à une conquête de droits pour les gens. Il a aussi, d’une certaine manière, gagné la bataille culturelle sur la question, au point que l’un de ces porte-parole, Ada Colau, est devenu maire de Barcelone avec un programme très volontariste sur la question du logement et des mesures anti-spéculatives.

Ada Colau surnommée « Super-vivienda », ancienne porte-parole de la PAH (Platerforma de los Afectados de la Hipoteca), aujourd’hui Maire de Barcelone. © Wikipédia

LVSL – Justement, la politique actuellement appliquée du « tout construction », conduisant à une artificialisation ou à une imperméabilisation massive des sols des périphéries urbaines et des terres agricoles ou naturelles, se trouve être souvent la cible des défenseurs de l’environnement. Pour éviter cette dérive, ne doit-on pas plutôt concentrer nos efforts et les moyens associés pour réhabiliter les logements dégradés et réduire le taux de logements vacants ou non occupés (bureaux, commerces ou résidences secondaires) ?

Cela est inéluctable. Aujourd’hui, n’importe quelle personne qui travaille sur un chantier peut vous expliquer comment certains promoteurs parviennent à s’affranchir des normes HQE. Il faut donc renforcer la législation, les obligations des promoteurs en la matière, et les contrôles sur les logements. Cela passe par davantage de moyens humains bien sûr, et l’établissement d’une règle verte qui soit une vraie ligne directrice et intransigeante.

Si l’on veut redorer l’image du logement social, il faut faire de celui-ci un secteur de pointe en termes d’écoconstruction et de rénovation écologique. Cela pourrait commencer par un grand plan de rénovation thermique et phonique de ces logements pour ceux qui en ont prioritairement besoin, améliorant la vie de 12 millions de personnes qui souffrent de précarité énergétique. Trois effets positifs : une diminution de la consommation d’énergie générale, un coût moindre des factures d’énergie pour les habitants, et de la création d’emplois. Qu’attend-on, sinon un peu de volonté politique ?

A Berlin, un grand mouvement social, qui lutte contre l’envolée des prix des loyers traverse à l’heure actuelle la ville et pose clairement la question de l’expropriation des grandes sociétés immobilières, détenant 200 000 logements dans la capitale allemande. La loi de Réquisition, même si elle est aujourd’hui à améliorer, nous permettrait de récupérer des biens immobiliers publics et de grandes sociétés, et de cesser avec l’insupportable absurdité que près de 2 000 personnes meurent à la rue dans notre pays, lorsque des millions de logements sont vides.

Néanmoins la question de l’étalement urbain doit aussi se poser de manière plus large en analysant le phénomène de métropolisation, et en essayant de le dévier pour des villes plus solidaires et écologiques.  Est-ce que le progrès pour le développement d’une ville, c’est d’être toujours plus grande ou bien que ses habitants puissent y vivre plus dignement ?  Il y a plusieurs leviers à actionner, dont celui d’une meilleure répartition des fonctions économiques, culturelles et sociales entre les espaces métropolitains et leurs alentours. Il faut viser à ce que des villes moyennes ne se voient pas désertées, et ainsi mieux répartir les populations sur un territoire plus vaste, là où des capacités d’accueil existent en amont.

A Toulouse, on estime que 13 000 habitants arrivent chaque année notamment car les carnets de commandes d’Airbus sont pleins, mais cela pose de nombreux enjeux connexes au logement. Doit-on à tout prix continuer à vouloir attirer des gens alors que la densification est parfois mal vécue ? Qu’advient-il si demain Airbus ne peut plus tenir son rôle de moteur économique ? Quels transports en commun le moins polluants possibles met-on en place ? Comment nourrit-on les gens ?

Les revendications des gilets jaunes visent ces interrogations et réclament de l’équité territoriale. Elles dénoncent l’accessibilité des métropoles et la concentration des fonctions névralgiques que celles-ci incarnent, toujours au détriment de toutes celles et ceux qui n’ont pas les moyens de vivre en son centre ou à proximité de transports en commun performants.

C’est une vision globale de la ville qui permettra de dévier le fleuve de l’histoire en cours qui nous amène dans le mur. Peindre les dispositifs anti-sdf en vert, planter des arbres sur des gratte-ciels, ce n’est rien d’autre que du « green-washing » cosmétique. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques et solidaires face auxquels nous nous devons d’agir, dans les villes, aujourd’hui et demain.

Pour les personnes à la rue, le froid et l’angoisse

À Rennes, ils sont des dizaines abandonnés sans hébergement. Demandeurs d’asile, « dublinés » – qui, en vertu du règlement Dublin, doivent faire leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils ont été contrôlés -, hommes célibataires ou familles : la préfecture ne respecte pas ses obligations à leur donner un abri. Des collectifs militants prennent alors le relais. Reportage.


La mère géorgienne est épuisée. Son visage porte les marques de la fatigue, de profonds cernes soulignent ses yeux. Surtout, l’angoisse perce dans sa voix. « L’hiver arrive », explique-t-elle, désespérée. La peur tourne en boucle, se fait presque agressive. « On ne peut pas aller vivre dans la rue, on a des enfants ! »

Elle est là, assise sur un lit de camp prêté par la Croix Rouge, au milieu des couvertures bariolées. Dans ses bras, elle tient son fils, pâle, contre son gilet noir. Cela fait deux semaines qu’elle vit dans cette salle de cours de l’université de Rennes 2. Deux semaines dans cette occupation de fortune, portée par le Collectif de soutien aux personnes sans papiers à Rennes.

Autour d’elle, des hommes célibataires et des familles, des femmes enceintes, des enfants, qui courent dans les couloirs, des personnes gravement malades. Ils viennent de Géorgie, d’Albanie, de Tchétchénie, d’Erythrée, du Soudan, de Somalie, d’Afghanistan. Au total, une soixantaine de personnes vit dans ces cinq salles de cours, dans un bâtiment de l’université, dont un tiers d’enfants.

“Les migrants ne sont pas considérés comme des sans domiciles”

Ils n’ont nulle part où aller. Tous les jours, ils appellent le 115. Mais le numéro d’urgence est saturé. Il n’y a jamais de places pour eux. Un centre d’hébergement de nuit a bien ouvert, quelques jours plus tôt, avec trois semaines d’avance cette année. On leur répond que ce n’est pas pour eux. Les places sont réservées aux personnes marginalisées, explique-t-on, aux sans-domiciles fixes que l’on considère comme traditionnels. « Même lorsqu’ils sont à la rue, on les considère comme des migrants et non pas comme des sans-domiciles », constate, amer, un membre du collectif.

Cela fait plus d’un mois qu’il lutte aux côtés de ces personnes. Habituellement, le collectif accompagne les sans-papiers dans leurs démarches administratives. Mais le 12 septembre, face à la situation critique des demandeurs d’asile laissés à la rue, les militants ont décidé d’alerter les pouvoirs publics. Ils décident d’occuper le Centre Régional d’Informations Jeunesse (CRIJ).

Le soir-même, la police intervient pour expulser un campement de sans-papiers dans un parc. Les forces de l’ordre laissent à peine le temps aux familles de récupérer leurs affaires. « Certaines personnes étaient tombées malades à cause du froid », explique un Géorgien présent ce soir-là. « Il y avait un homme avec des béquilles, qui avait du mal à avancer, et les policiers nous poussaient, nous disaient : go, go ! », continue-t-il. « On ne gênait personne là-bas, pourtant… »

Un mois d’occupations

Cette nuit-là, plus de cinquante sans-papiers dorment dans le CRIJ, derrière sa haute façade de verre. Le début d’une longue odyssée. D’occupation en occupation, les personnes à la rue s’invitent tour à tour au théâtre national de Bretagne, dans une maison diocésaine, dans des locaux syndicaux, dans une maison des jeunes et de la culture… A chaque fois, l’installation, précaire, ne dure que quelques jours. A chaque fois, il faut réunir toutes ses affaires, et repartir. « Cela nous épuise », gémit une grand-mère géorgienne. Elle souffre de diabète, sa fille est handicapée. « Il faut emporter toutes nos affaires, s’occuper de nos enfants, de nos démarches… », énumère-t-elle.

L’Etat a l’obligation de loger ces personnes. « Il appartient aux autorités de l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale », notait ainsi le Conseil d’Etat dans une ordonnance du 10 février 2012. En tant que demandeurs d’asile, ils peuvent également « bénéficier d’un hébergement en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile » (CADA), selon l’article L. 348-1 du Code de l’action sociale et des familles.

Mais il n’y a pas assez de places dans les CADA et les PRAHDA (Programmes d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile) du département. Inlassablement, la préfecture renvoie vers un 115 déjà saturé, qui explique par téléphone que toutes les places partent le matin, dès 8h30. L’Etat refuse de créer plus de capacités d’accueil, cela créerait un « appel d’air ». Et les autorités de poser des conditions d’accès restrictives aux hébergements : sont prioritaires ceux qui viennent de déposer leur demande d’asile et viennent de pays tels que Érythrée et l’Afghanistan. Mais même ces critères ne sont pas respectés.

Un hébergement discontinu par la mairie

La ville de Rennes pallie bien les insuffisances de la préfecture. La maire socialiste, Nathalie Appéré, a promis qu’ « aucun enfant ne dormira dans la rue ». Le 13 septembre, elle a ainsi ouvert un gymnase, pour les familles avec enfants – laissant par la même occasion une vingtaine de personnes à la rue. Deux semaines plus tard, le lieu est fermé. Plusieurs familles se retrouvent de nouveau à la rue. La municipalité propose également des places en hôtel.

« On a dépassé notre plafond de dépenses pour l’hébergement d’urgence en hôtel », expliquent les services aux militants. Certaines familles sont installées dans des hôtels vétustes, à quatre dans une chambre pour deux personnes. Elles ne peuvent pas cuisiner. Et une semaine plus tard, de nouveau, elles se retrouvent à la rue : leur hébergement n’a pas été renouvelé.

Face à l’impasse, le collectif décide d’investir Rennes 2. La présidence de l’université concède aux personnes à la rue cinq salles de cours, au rez-de-chaussée d’un bâtiment. Des tensions éclatent, au moment de la répartition : les familles tiennent à obtenir leurs propres pièces, pour retrouver un semblant d’intimité. Mais les éclats de voix cessent rapidement, et la vie reprend son cours instable.

Pour ces personnes à la rue, cette vie instable, c’est l’attente à la préfecture, les rendez-vous à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration ou auprès de l’association Coallia, à laquelle est délégué leur accompagnement social. Certains doivent pointer régulièrement à la police, assignés à résidence en attente d’une décision de justice sur leur statut ou d’une possible expulsion. Ironie du sort : de résidence, ils n’en ont pas, justement. Les militants les aident comme ils peuvent dans leurs démarches, les accompagnent chez l’avocat, jusqu’au tribunal, pour leurs recours contre les décisions de préfecture.

Des enfants au milieu de l’errance

Sur la faculté, la vie s’organise. Il n’y a pas de cuisine pour eux, tout juste un micro-onde, une cafetière, une bouilloire. Des militants extérieurs préparent, certains soirs, des repas chauds. D’autres viennent aider, plus spontanément. Au détour d’un couloir, une pile de vêtements donnés s’entasse.

Au milieu du campus, des enfants se promènent avec des brochettes de fruits : une professeure a apporté les nombreux restes d’un buffet. Mais pour une partie de ces personnes à la rue, la situation n’en reste pas moins difficile. Elles ne savent pas où elles peuvent recevoir des repas chauds. Alors leurs enfants mangent du pain, des yaourts. « Comment est-ce qu’ils peuvent tenir comme ça », s’interroge une mère géorgienne.

Les enfants, pourtant, continuent de courir entre les bâtiments, slaloment entre les étudiants interloqués, jouent à un, deux, trois, soleil ! contre le mur d’une salle de cours, en allemand. Leurs parents sont débordés par les démarches administratives, la bataille de la vie quotidienne. Eux, ils jouent, jusque dans les sanitaires où se répand le papier toilette.

Certaines familles reviennent sur l’occupation : leur hébergement en hôtel a pris fin. Mais les enfants sont heureux de retrouver leurs amis. Le jour, ils vont à l’école, pour la majorité d’entre eux. Pour d’autres, les démarches sont encore en cours, un rendez-vous est prévu avec le Centre d’Information et d’Orientation (CIO). Le soir, ils continuent à jouer, jusqu’à une heure tardive. On les voit sauter sur les matelas mis à disposition par les militants, jouer ensemble à grands cris.

Puis vient la nuit. Le froid. Les salles de cours ne sont pas chauffées. L’air glacial passe à travers les fenêtres, pour certaines fissurées. Dans leur sommeil, les enfants s’agitent, rejettent leurs draps. Beaucoup sont malades. Une femme tchétchène explique que sa fille a eu une otite. Une autre, géorgienne, explique que son fils à plus de 40°C de température. La nuit, les enfants se réveillent fréquemment. Les parents sont épuisés.

A 5h du matin, dans la salle de classe jusqu’ici calme, un garçon se met à hurler. Rien ne peut l’arrêter, son cri est désespéré. Un médecin qui dort sur place avec les familles s’enquiert de sa santé, on traduit tant bien que mal ses questions en russe. Lui aussi a eu une otite, il s’est fait opérer des amygdales il y a un mois, explique sa mère. Le voile défait, mal réveillée, elle le serre dans ses bras, arrive enfin à le calmer, murmure à son oreille. « Il a fait un cauchemar, explique-t-elle. Il est angoissé. »

“On vous fait confiance”

L’angoisse est présente dans tous les esprits. Le dimanche 14 octobre, les militants résument la situation à tous. « Mercredi, on doit quitter l’université », explique un membre du collectif. « Un nouveau groupe de soutien s’est formé à l’université et va prendre le relais. Il va essayer de trouver toutes les solutions possibles. Ce sera peut-être illégal. Il faut vous préparer à la possibilité de vous retrouver de nouveau à la rue. »

Autour de lui, ses propos sont traduits en écho, comme un sombre murmure. Tous écoutent, assis sur les chaises, sur les lits de camps prêtés par la croix rouge. Une femme géorgienne réagit : « mais on a nulle part où aller ! » Elle répète, en boucle : « on vous fait confiance. On vous fait confiance. »

A la sortie de la réunion, une Albanaise s’assoit, au milieu des courants d’air. Puis s’effondre en larmes. Plus loin, des hommes fument, à l’abri des arbres. En silence.

Le lendemain soir, une ambulance arrive devant l’université. Une femme enceinte de quatre mois a perdu connaissance. On l’emmène aux urgences. Allongée sur le brancard, dans sa longue robe grise, son visage pâle ceint de son voile noir, elle murmure à peine lorsqu’on lui parle. Elle a mal, explique-t-elle. Mais ne se plaint pas. « Il faut manger davantage, il faut mieux dormir », conseille l’interne de garde. Mais surtout, c’est l’angoisse qui a causé son malaise. L’angoisse dévorante. La peur de se retrouver à la rue alors que l’hiver arrive, avec ses cinq enfants.

La fatigue, elle, se fait de plus en plus pressante. Le mercredi 17 octobre, les personnes à la rue quittent finalement, avec leurs soutiens, l’université. Les sacs remplis de vêtements s’entassent dans les fourgons des bénévoles. Les salles de cours, elles, sont désormais vides et nettoyées. Seules restent sur un tableau noir une inscription d’enfant à la craie blanche : we want sweet home.

Un immeuble inoccupé réquisitionné par les militants

Le soir-même, tous investissent un bâtiment inoccupé du bailleur social de Rennes Métropole, Archipel. Un petit immeuble de quatre étages, avec des appartements privatifs, utilisé parfois par les pompiers dont la caserne est voisine pour stocker un peu d’équipement et s’entraîner à intervenir.

Certains se ruent dans les chambres ouvertes, les familles tardent derrière, ne veulent pas se contenter des petites pièces qui restent. Dans les étages, des cris éclatent. Une collégienne tchétchène, seule, pleure. Sa mère n’est pas encore arrivée, elle a peur que la police vienne les expulser. La réquisition militante est totalement illégale, au contraire des précédentes occupations. Elle l’a bien compris. Mais tous font confiance aux soutiens qui les ont accompagnés jusqu’ici, et qui répartissent tant bien que mal familles et personnes seules dans chaque appartement.

Un nouveau lieu d’étape, avec enfin un semblant de décence, pour ces personnes à la rue. Reste à savoir pour combien de temps. Le propriétaire des lieux, lui, accepte d’emblée la signature d’une convention de mise à disposition du bâtiment, jusqu’à la fin de l’année. Et après ? Invitée, la préfecture n’a pas jugé bon de se déplacer,  et reste mutique, toujours effrayée par les courants d’airs, sans voir les personnes prises dans la tempête.