Christophe Ventura : “Si le populisme de gauche n’assume pas de briser le mur européen, il raconte des histoires aux enfants”

Dans le cadre de la sortie de l’édition française du livre Construire un peuple (en librairie le 7 avril), dialogue entre Chantal Mouffe (philosophe théoricienne du populisme de gauche) et Íñigo Errejón (co-fondateur et stratège de Podemos), nous nous sommes entretenus avec Christophe Ventura, qui a mené la publication de cette édition. Christophe Ventura est animateur de l’association Mémoire des Luttes et l’un des fondateurs du groupe de réflexion politique et intellectuel Chapitre 2. Qu’est ce que le populisme de gauche ? Quelle est sa stratégie ? Quelles sont les différences entre Bernie Sanders, Jeremy Corbyn, Jean-Luc Mélenchon et Podemos ? Comment comptent-ils contrer l’hégémonie du populisme de droite ? Emmanuel Macron est-il populiste ? Ces mouvements ont-ils un tabou sur la question européenne ? Doivent-ils prôner la sortie de l’UE ? Nous lui avons posé toutes ces questions.

 

LVSL : Vous vous intéressez de près à la question du populisme en Europe. Et plus particulièrement au « populisme de gauche », théorisé par Chantal Mouffe. Pourquoi ce concept vous semble-t-il pertinent aujourd’hui ?

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Chantal Mouffe, juste à gauche de Jean-Luc Mélenchon, et Christophe Ventura, celui qui attire leur regard avec son téléphone portable, lors de la marche pour la VIe République du 18 mars 2017 © mélenchon.fr

Christophe Ventura : Je pense qu’il faut s’intéresser à ce terme de « populisme de gauche » car, d’une manière générale, la notion de populisme est utile pour comprendre ce qui se joue, dans une séquence historique donnée, au sein d’une société. Le populisme est avant toute chose un « moment » dans la vie d’une démocratie devenue totalement oligarchique, et qui entre en crise. Ainsi, ce « moment » annonce l’arrivée ou l’éclatement d’une crise de régime. Sur ce point, je converge beaucoup avec Chantal Mouffe. Nous sommes dans un « moment » populiste. A quoi correspond-il ? Pour résumer : à l’activation d’un vaste mouvement d’opinion et de mobilisation destituant dans la société, à une désaffiliation de la population avec ses organisations et institutions de représentation habituelles. Il s’agit d’une dynamique qui, plus que de se situer dans le cadre des références politiques du moment antérieur, cherche à destituer les pouvoirs en place, leurs représentants et leurs symboles : classes politiques et institutions notamment.

Ce phénomène nous oblige à concevoir l’action politique, mais aussi intellectuelle et sociale, différemment, à rechercher des stratégies distinctes par rapport à nos habitudes d’organisation. Car, en effet, ce type de dynamique contestataire n’appartient ni au camp de la gauche, ni à celui de la droite a priori. Elle devient en revanche l’objet d’une bataille hégémonique entre ces deux familles pour l’orienter vers la gauche – et à ce moment contribuer à re-signifier cette gauche auprès d’une masse de gens pour qui elle ne veut plus rien dire parce que, pour eux, elle est associée aux mêmes politiques économiques et sociales que la droite – ou vers la droite – et à ce moment-là renforcer le sentiment de rejet de l’autre dans la société, et protéger dans le même temps les intérêts des puissants. Un exemple pour illustrer : le Brésil. En 2013-2014, c’est exactement ce type de phénomène qui a fini par éclater – avec une captation par la droite de la rue – contre le gouvernement de centre gauche de Dilma Rousseff tandis que se préparaient les festivités onéreuses de la Coupe du monde de football (2014) et que l’onde de choc de la crise économique et financière mondiale commençait à se faire sentir dans le pays (chômage, montée de la précarité, des inégalités). Je me souviens d’une analyse du journaliste uruguayen Raúl Zibechi dans laquelle il décrit avec minutie comment, « pour la première fois depuis cinquante ans, l’hégémonie dans les rues brésiliennes appartient aujourd’hui à la droite » [1].

Là-bas, la gauche a perdu la bataille. Empêtrée dans la gestion du pouvoir, confrontée à la crise économique, affectée par des scandales de corruption, significativement bureaucratisée et ayant perdu son lien avec les mouvements sociaux, elle a pensé qu’il suffirait de faire valoir son bilan – pourtant le meilleur pour le pays depuis des décennies – et de proclamer ses valeurs pour gagner un sujet alors en construction dans la rue qui se mobilisait initialement contre la cherté de la vie, l’augmentation du prix des transports, les gâchis financiers et la corruption en période de restriction économique. C’était une erreur.

 

“Emmanuel Macron n’est jamais autre chose que le candidat du libéralisme économique en France.”

 

L’emploi du terme « populisme » peut faire sursauter à gauche. En effet, beaucoup y voient un concept vide, voire méprisant vis-à-vis du peuple, utilisé par les élites pour discréditer les candidats de gauche radicale qui s’adressent aux catégories populaires. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon refusait cette étiquette en 2012, car pour lui c’était alors une façon de l’assimiler au FN. Ça ne semble plus être le cas aujourd’hui : il se montre plus ouvert à cette appellation, même s’il ne l’endosse pas directement. Pourquoi, selon vous, ce terme à autant de mal à être assumé à gauche ?

Il y a trois raisons à cela.

Premièrement, si certains à gauche refusent d’employer le terme, c’est parce que ce mot est plastique, élastique, qu’on peut tout mettre dedans. De fait, comme vous le dites, il est repris par le système pour disqualifier tous ceux qui le contestent… et ce système le fait en utilisant lui-même une stratégie populiste, comme l’explique par exemple Emmanuel Macron lorsqu’il affirme « Si être populiste, c’est parler au peuple de manière compréhensible sans passer par le truchement des appareils, je veux bien être populiste » [2] (Journal du dimanche, 19 mars 2017).

Donc, cela pose un problème à gauche. En gros, si toi-même tu utilises le mot que les médias utilisent pour te disqualifier, tu passes tes journées à expliquer que tu as une autre acception du mot mais tu es incompréhensible pour le commun des mortels. Ça c’est une première critique. Par exemple, celle de Jean-Luc Mélenchon.

Exemple célèbre de caricature médiatique du populisme avec ce dessin de Plantu.

La seconde critique consiste à dire que le populisme, même de gauche, est toujours, in fine, un autoritarisme parce qu’il se construit contre les institutions, les corps intermédiaires, et reconnait le rôle d’individus leaders et de stratégies discursives (c’est-à-dire le fait de construire un type de discours qui va articuler des demandes au départ hétérogènes dans la société, puis identifier un adversaire, pour ensuite engendrer la formulation d’une nouvelle frontière politique dans cette dernière entre un « nous » et un « eux » [3]) comme médiations pour la (re)construction du politique. En effet, dans sa dimension théorique, le populisme, selon les travaux de Chantal Mouffe ou d’Ernesto Laclau, postule que les stratégies discursives et le rôle des individus –  ou d’une lutte singulière – coagulent et orientent le sens de la dynamique populiste vers le progrès ou la réaction, vers la construction d’un peuple de gauche ou de droite au sein de la population.

Il faudrait ajouter une troisième critique venue de la gauche. Celle consistant à souligner que le peuple, en tant que catégorie, n’existe pas  – ce que disent en fait Laclau et Mouffe qui rappellent qu’il est toujours une construction – et qu’il n’est jamais majoritairement de gauche, mais largement en faveur de la conservation de l’ordre économique et social – même s’il peut dans le même temps souhaiter un coup de balai de sa classe politique – du fait de ses structures sociologiques (paysans et classes populaires attachées aux logiques de propriété, classes moyennes désireuses de mobilité et d’ascension, aspiration au mode de vie bourgeois, etc.) et religieuses (poids ou résilience culturelle de ces dernières dans les classes populaires notamment).

Dialogue entre Chantal Mouffe et Jean-Luc Mélenchon le 21 octobre 2016 à la Maison de l’Amérique latine, animé par Christophe Ventura, et où il est notamment question du populisme de gauche.

 

Que répondez-vous à ces critiques ?

Ce sont des débats très sérieux et les arguments ne manquent pas mais, de mon point de vue, le populisme est, au fond, la méthode par laquelle se reconstruit le politique à partir d’une crise de la politique. Au bout du processus se trouve la formation d’une volonté collective, d’un peuple mobilisé en politique. Il peut être de droite, de gauche, du centre. Symptôme initial d’un dysfonctionnement de la démocratie, le populisme contribue à la revivifier, à réinstaller un équilibre entre la société et cette dernière, à « reloader » la démocratie représentative en y imposant ou ré-imposant une présence et une représentation des classes populaires et de leurs exigences. Plus qu’un projet idéologique ou politique de long terme, c’est peut-être ici sa véritable fonction.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’adopter des interprétations mécanistes ou maximalistes de la théorie populiste. Chaque société est différente et même dans les phases de mouvement destituant, les structures sociales et institutionnelles conservent plus ou moins de légitimité, de résilience, de fonction auprès des populations. Ainsi, le scénario français n’est pas celui de l’Espagne, de la Suède ou de l’Amérique latine.

Christophe Ventura lors de notre entretien, dans les locaux de l’association Mémoire des Luttes © Flavien Ramonet

Une fois tout cela posé, le populisme n’est, effectivement, pas en soi progressiste. S’il n’insuffle pas ou ne s’appuie pas sur des aspirations existantes dans la société qui visent la transformation de la structure sociale, il servira les groupes dominants. Passer par l’étape du populisme de gauche en France aujourd’hui, c’est se demander comment inclure dans la mobilisation politique et intellectuelle des tas de gens, en particulier dans les nouvelles générations, qui ne se retrouvent pas dans les organisations, pour faire un chemin qui, à la fin, nous amène à redécouvrir la gauche, en quelque sorte. Donc moi je n’oppose pas non plus, de ce point de vue-là, ceux qui se disent juste de gauche par rapport à ceux qui se disent populistes de gauche. Je pense que ce sont des dynamiques qui permettent de se retrouver in fine.

Je pense que la grille populiste doit être envisagée comme une boîte à outils utile pour notre travail politique et qu’on ne peut pas nier l’existence du phénomène. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut assumer la notion de populisme et ne pas laisser ce mot à la définition que veulent en imposer les dominants.

Outre Jean-Luc Mélenchon, un autre candidat a décidé de se présenter à la présidentielle sans se baser sur un appareil partisan, en allant directement au contact du peuple : il s’agit d’Emmanuel Macron. Pour le politologue Gaël Brustier, Emmanuel Macron incarne « le populisme des élites » [4]. Comment analysez-vous le « phénomène Macron » dans le cadre du populisme ?

Je pense que Gaël Brustier fait une analyse extrêmement pertinente de ce qu’est le « macronisme ». Macron, c’est le populisme des élites, le transformisme, ou alors, pour le dire encore autrement, un populisme de « l’extrême-centre ». C’est l’inverse d’un trou noir. Il aspire la non-matière pour en faire de la matière. C’est un candidat du vide, au départ, qui aspire de tous les côtés du système qui veut survivre. Il est populiste dans ce sens-là. Il incarne la stratégie, la méthode, la médiation pour tous ces courants-là. Il mène une mission de sauvetage du système et de repositionnement des élites au centre du pouvoir. Emmanuel Macron est celui que le système choisit pour recréer du consentement dans la société  – notamment ses parties les plus intégrées économiquement et socialement – autour du consensus du système.

Macron correspond tout à fait à ce qui s’est passé avec Mauricio Macri en Argentine [Cela sera détaillé dans un entretien avec Christophe Ventura au sujet de l’Amérique latine à paraître très prochainement sur LVSL, NDLR]. Il y a du Macri dans le Macron ! Macri, en Argentine, c’est le prototype du macronisme. C’est exactement le même genre : l’attitude, le positionnement, le discours. Un candidat sans programme. Ou plus exactement si, un programme : le candidat.

S’il fallait résumer le cas Macron, on pourrait dire qu’il fait l’opération suivante : il offre –  c’est ce qu’il a dit dans son discours du 4 février à Lyon –  à différents courants en France, qui vont du gaullisme jusqu’aux sociaux-démocrates, en passant par le centre gauche, le centre droit, les chrétiens-démocrates, etc., la promesse d’être le point d’équilibre pour garantir la continuité de la démocratie-libérale, au sens politique du terme. C’est ce qu’il offre de manière visible à ces courants-là. Mais ce qu’il ne dit pas, et qui est en réalité le coagulant de tout ça, c’est en réalité le libéralisme économique, et son approfondissement. Même s’il ne fait pas campagne là-dessus, il n’est jamais autre chose que le continuateur de son mentor François Hollande. Il n’est jamais autre chose que le candidat du libéralisme économique en France, de l’actualisation de son modèle de société  – l’ubérisation  -, dans une version moins brutale que ce que propose Fillon.

Au-delà de ses démêlés, Fillon fait peur à une partie de ses propres troupes, y compris du patronat, à la différence de Macron. Il fait peur parce qu’il promet au pays l’affrontement ; avec les syndicats, la gauche, le monde du travail, etc. C’est tellement brutal : 500 000 fonctionnaires à la poubelle. Macron ça n’est pas ça. Il temporise. Donc même une partie de la droite et du patronat préfère Macron parce qu’il est le garant d’une sorte de stabilité molle et qu’il est un modernisateur du libéralisme dans la société. Fillon est trop dur pour eux.

Il y a donc aujourd’hui dans la campagne présidentielle française trois populismes qui s’affrontent. Il y a le populisme de droite : Le Pen (nationaux contre mondialistes) ; le populisme de l’extrême centre : Macron (les libéraux des deux rives du système contre les ennemis du système) ; et le populisme de gauche (Mélenchon). Et pour la première fois dans l’histoire de la Vè République, il devient tout à fait probable que l’un de ces candidats – y compris Marine Le Pen –  devienne président en lieu et place des candidats des grands partis de gouvernement traditionnels issus du bipartisme. C’est inédit !

Aujourd’hui, la forme que prend en France la crise du centre du système politique et de ses organisations (les partis), celle que prend leur effritement et leur éloignement des classes populaires confirment l’émergence, à la périphérie de ce système, de mouvements qui vont tenter de devenir de plus en plus centraux. De ce point de vue-là, chacun dans leur genre est populiste. Ils sont des produits de ce « moment » populiste.

 

“Aujourd’hui, ce qui l’emporte en Europe, c’est l’effondrement des valeurs de solidarité. (…) Mais, plus se mettent en place des politiques qui sanctionnent les marchés financiers et les puissants, et plus se recréent les conditions d’un retour à la solidarité dans la société.”

 

On voit qu’il y a une approche différente entre le populisme de gauche anglo-saxon, incarné par Jeremy Corbyn et Bernie Sanders, qui s’appuie sur les appareils partisans de la gauche traditionnelle, et celui de Podemos et de Jean-Luc Mélenchon qui, quant à eux, ont décidé d’agir en dehors du cadre des partis, et ont tendance à délaisser le mot « gauche » pour le mot « peuple ». Comment analysez-vous cette différence de stratégie ?

Est-ce qu’il s’agit vraiment de différences de stratégie ou sommes-nous en présence de variantes d’un même phénomène qui pousse dans des engrais différents ? Je pense que c’est plutôt ça. Le populisme anglo-saxon de gauche émerge au sein et contre des structures qui n’ont pas disparues : les Démocrates et le Labour.

En ce qui concerne Jeremy Corbyn, je pense qu’il fait du populisme de gauche au sens de la méthode, d’ailleurs son entourage le revendique depuis peu. C’est assez clair lorsqu’il mobilise et organise un « peuple de gauche » contre l’appareil du parti. A l’intérieur, à travers son appel aux adhésions individuelles massives et à l’extérieur, avec le mouvement « Momentum » qu’il a inspiré et qui lui est directement lié. Mais il le fait d’un point de vue assez singulier, qui n’a pas d’équivalent, puisqu’il a été propulsé à la tête de ce qu’il y a de plus traditionnel comme parti social-démocrate européen : le Labour. C’est tout à fait nouveau. Il a été envoyé au quartier général d’une structure qui est tout sauf une force populiste et qui, malgré son arrivée, n’a pas été encore transformée. Il faut attendre pour en savoir plus dans son cas.

Dans les sociétés plus latines (en Espagne par exemple), qui sont aussi plus brutalement affectées par les effets de la crise économique et sociale, et où il y a des crises de régime politique, ce phénomène prend corps en dehors du système des partis établis, du centre du système politique.

Podemos s’est beaucoup intéressé au populisme pour savoir comment construire une méthode, une stratégie, qui permette de sortir une gauche en crise de la confidentialité politique. « Comment forger des instruments permettant de reconstruire une base sociale qui, en expansion permanente, doit devenir majoritaire politiquement et investir une nouvelle identité politique ? » C’est ça qu’ils appellent populisme. Et la réponse, à travers les outils de Laclau et de Mouffe, c’est construire une stratégie discursive qui va privilégier la construction d’un discours sur des thématiques rassembleuses et fédératrices plutôt que sur des mots d’ordre d’organisation qui font référence à des habitus politiques prédéterminés, en particulier ceux de la gauche. Par exemple la question de la reconquête, de la récupération des droits. Ce sont des thématiques larges, mais qui vont permettre d’agglomérer des populations dont l’affiliation au clivage droite-gauche ne suffit pas ou ne suffit plus. Ça permet donc de construire ce bloc socio-politique offensif.

Le groupe fondateur de Podemos a beaucoup travaillé ces questions à partir d’expériences latino-américaines de terrain, puisque, pour la plupart, ils ont fait les campagnes de Bolivie, du Venezuela, etc. Mais ils n’ont jamais décidé de s’auto-définir comme « populistes de gauche », même si dans les faits, ils en font. Il y a dans Podemos un intérêt pour le sujet, mais l’adhésion au concept est l’objet d’un débat intense, en particulier entre Pablo Iglesias et Íñigo Errejón. Errejón est plutôt contre l’emploi de ce concept – « populisme » oui, mais pas « de gauche » – tandis qu’Iglesias est plutôt pour. C’est d’ailleurs l’un des objets du livre Construire un peuple [5].

En France, nous sommes un peu entre les deux scénarios. Jean-Luc Mélenchon pense qu’au-delà de la gauche, il faut fédérer le peuple, dont de larges pans sont touchés par les mêmes maux. Selon lui, le référent « gauche » est brouillé car ceux qui s’en réclament font, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, des politiques nocives contre les intérêts populaires et ressemblent à ceux qu’ils prétendent combattre (les riches, les importants, les dominants, les détenteurs du bon goût, les tricheurs, etc.).

De gauche à droite : Jeremy Corbyn, Pablo Iglesias, Jean-Luc Mélenchon et Bernie Sanders.

 

Lorsqu’on regarde la victoire de Donald Trump et du Brexit, ainsi que les scores de l’extrême-droite en Europe qui augmentent continuellement, tandis que le populisme de gauche n’a pas encore réussi à prendre le pouvoir ou à gagner une élection, cela vous fait-il penser que le populisme de droite est en train de l’emporter sur son versant de gauche ou bien pensez-vous que le populisme de gauche a juste un train de retard à rattraper ?

Je pense qu’aujourd’hui l’hégémonie du populisme est à droite. C’est indéniable. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Aujourd’hui, ce qui l’emporte en Europe, ce sont des logiques d’ultra-concurrence entre tous. Ce qui l’emporte en Europe, c’est l’effondrement des valeurs de solidarité. Tout ce qui renvoie à l’idée de solidarité entre les gens s’effondre. Et, j’ai envie de dire, c’est un peu « Dieu pour tous ». Donc le populisme de gauche part avec cet inconvénient.

Mais la question est de savoir si le populisme de gauche peut être un instrument utile pour fissurer cette hégémonie-là. Parce que la réponse de la gauche social-démocrate, par rapport à ce problème, est un échec cuisant. Toute la stratégie d’une gauche d’accompagnement, qui consiste à dire « ce système est comme il est, mais on va lui donner un visage humain », est ruineuse. C’est ça qui ruine la gauche. Donc le populisme de gauche peut intervenir comme une tentative pour essayer de déjouer l’hégémonie du populisme de droite, notamment sur une question qui est essentielle et qui n’est pas simple à régler : comment constituer la communauté politique ?

Au fond, la différence entre populisme de gauche et populisme de droite est là. Le populisme de droite affirme que ce qui fonde le peuple, c’est l’ethnie. Il développe une vision essentialisée et statique du peuple tandis que ce que propose le populisme de gauche comme principe fondateur, c’est le politique et les logiques dynamiques, conflictuelles, indéterminées et transformatrices que cela induit.

Aujourd’hui, la version de droite est hégémonique, parce que notre difficulté c’est aussi la question économique. Plus le mal-être économique se propage dans toutes les couches de la société et plus il est difficile d’affirmer et de construire la solidarité entre elles. Le malheur ne rend pas plus aimant… Mais, plus se mettent en place des politiques qui sanctionnent les marchés financiers et les puissants, et plus se recréent les conditions d’un retour à la solidarité dans la société.

 

“La bataille culturelle hégémonique au sein de la gauche sur l’Europe ne fait que commencer.”

 

Il existe peut-être un tabou qui pourrait expliquer le piétinement du populisme de gauche : le fait que malgré l’échec de Syriza en Grèce, les tenants de cette stratégie peinent à tenir un discours de vraie rupture vis-à-vis de l’Union européenne ; Jeremy Corbyn a même fait campagne pour le Remain au Royaume-Uni. L’échec actuel du populisme de gauche en Europe ne vient-il pas du fait qu’il existe dans ses rangs un tabou sur la question de l’Union européenne ?

Si, indéniablement. Cela fait partie des tabous de ce courant-là. Pourtant, si des forces populistes de gauche – auxquelles ne se réfère pas Syriza explicitement –  n’assument pas de briser le mur européen, alors elles racontent des histoires aux enfants car les propositions qu’elles portent –  égalité, justice sociale, souveraineté politique – ne sont pas applicables dans le cadre du système européen. Ce faisant, elles laissent ainsi le champ libre aux populistes de droite qui ont bâti une cohérence retorde dans leur rejet de l’UE, à partir de la question de l’immigration et en promettant plus de social pour les seuls nationaux. Ils disent « L’Europe et l’euro nous privent de souveraineté et nous appauvrissent, l’UE promeut la mobilité du travail intra-européen et l’immigration qui minent notre Etat social. Sauver notre Etat social passe par la sortie de l’euro, la fermeture des frontières, l’arrêt des migrations, la préférence nationale ».

Aux forces populistes de gauche de montrer la « roublardise » de ces positions qui cherchent à récupérer de la souveraineté pour ensuite mieux la contrôler et la réduire dans la société, renforcer le patronat national dans la concurrence internationale et discipliner le salariat en lui offrant quelques miettes sur le dos des immigrés et des plus pauvres réprimés. Mais en maintenant toujours plus exploité ce salariat, par des patrons nationaux revigorés ! Une sorte de modèle d’« exploitation patriote » en somme ! Car l’histoire est là pour le montrer. Chaque fois que ces forces ont pris le pouvoir, le discours social a servi à capter les masses populaires durant la phase de conquête de l’État. Chaque fois qu’elles ont gouverné, elles ont servi de chiens de garde au capital et écrasé les revendications populaires.

Alexis Tsipras, le premier ministre grec qui a échoué dans son bras de fer avec l’Union européenne.

Et je passe sur l’État social dont le manque de ressources provient, avant toute chose, et de manière massive et surdéterminante, des politiques d’austérité, de la montée des inégalités sociales et fiscales.

Sur l’Europe donc, aux forces populistes de gauche de montrer le chemin d’un autre modèle, de prouver que l’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe.

 

C’est dans cet esprit que vous avez lancé Chapitre 2, un groupe de réflexion et d’action politique et intellectuelle qui « se donne comme objectif stratégique de gagner la bataille hégémonique au sein de la gauche sur les questions européennes ». Vous affirmez justement que « l’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe et qu’elle est désormais incapable de mener à bien sa propre démocratisation ». Faut-il donc un Frexit (sortie de la France de l’UE) ?

Effectivement. On a fondé Chapitre 2 pour cela. Partant du constat que j’ai développé juste avant, la bataille culturelle hégémonique au sein de la gauche sur l’Europe ne fait que commencer. Donc, il faut avoir des outils pour le faire et c’est à ça qu’on veut se consacrer. Concernant le Frexit, la question est de savoir dans quelles conditions il interviendrait, dans le cadre de quelle coalition politico-sociale et pour servir quel projet ? En soi, un Frexit ne répond à rien, ce n’est pas un fétiche. Un Frexit peut tout à fait – et ce serait hélas le cas aujourd’hui en fonction du rapport de forces actuel dans la société – déboucher sur un projet réactionnaire et dangereux pour les classes populaires. Un Frexit n’offrirait des perspectives que s’il était conduit par une certaine France, celle qui va puiser dans le meilleur de son histoire. Celle qu’il faut, c’est le moins que l’on puisse dire, réanimer tandis que dominent plutôt ses forces les plus sombres. Il n’y a pas que l’Europe qui va mal. C’est la double peine. Pour moi, l’affrontement et la rupture – qu’il faut assumer –  doivent s’inscrire dans la construction de nouvelles bases authentiquement coopératives pour une construction continentale.

C’est ce à quoi il faut travailler, se préparer. Il faut inclure un maximum de gens dans un raisonnement : un gouvernement minimalement progressiste ne pourra pas mettre en place ses propositions dans le cadre de l’UE. Pour le faire, il devra s’affranchir de facto de l’UE, de son système.

A partir de là, nos forces doivent progressivement articuler un maximum de demandes démocratiques, sociales, économiques et écologiques existantes dans la société pour construire un rapport de forces permettant d’imposer un pouvoir transformateur et d’orienter l’inéluctable et nécessaire rupture vers une perspective positive.

Europe, année zéro. C’est là où nous en sommes. Chapitre 2 veut contribuer à la reconstruction, à tous les niveaux où il faut le faire. Admettons que la tâche est rude et incertaine. C’est pour cela qu’elle vaut la peine d’être relevée.

 

Propos recueillis par Flavien Ramonet.

 

[1] : « La nouvelle droite brésilienne », Mémoire des luttes, 19 avril 2016.

[2] : « Macron : “Appelez-moi populiste si vous voulez” », Journal du dimanche, 19 mars 2017.

[3] : Peuple/caste ; 99%/1% ; souverainistes/mondialistes ou « partisans d’une société ouverte » selon qu’on soit au FN ou François Hollande et Emmanuel Macron.

[4] : Gaël Brustier, « Emmanuel Macron, le signe que nous approchons du stade terminal de la crise de régime », Slate, 20 janvier 2017

[5] : Chantal Mouffe et Íñigo Errejón, Construire un peuple. Pour une radicalisation de la démocratie, Éditions du Cerf, Paris, 2017.

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© Flavien Ramonet

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Macron ou l’illusion de la radicalité

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©Jeso Carneiro

« Vouliez-vous une révolution sans révolution ? » demandait Robespierre aux conventionnels critiques vis-à-vis de sa radicalité en 1792. La question se pose en des termes exactement similaires aujourd’hui aux millions de Français qui songent à voter pour Emmanuel Macron.

Pourquoi lui ?

Car c’est bien là le nœud du problème : chacun s’accorde à déplorer l’état lamentable du pays, et pourtant, pourtant le chœur des bienheureux s’apprête à porter à l’Elysée un jeune premier encravaté tout juste sevré de Rothschild, tout droit sorti de l’ENA.

Alors pourquoi ? Pourquoi ce jeune homme au sourire hollywoodien et à la voix mielleuse arrive-t-il à créer un tel enthousiasme autour de sa seule personne ? Il est vrai qu’il est charmant, il présente bien quoi ! Mais enfin, cela ne pouvait pas tout expliquer. Certes, il n’a pas de programme, et limite ainsi les risques de créer des désaccords – malin ! Et puis il y a le matraquage médiatique : plus on parle d’un produit quelconque, plus on a envie de l’acheter. Et il est vrai qu’avec 17 000 articles en seulement 2 ans, les médias auront su propulser un total inconnu brusquement nommé ministre de l’économie au rang de superstar hexagonale. En cela, les médias auront vendu le candidat Macron comme ils auraient en temps normal vendu une marque de lessive, en y ajoutant cependant des sondages en cascade qui répètent combien les Français aiment leur jeune ministre de l’économie. 

Et puis il y a le storytelling à propos de son mouvement et le gonflage systématique des chiffres quand il parle de ses 170 000 (!) « marcheurs »… Alors quoi ? Le phénomène Macron comme résultat de tous ces facteurs ? Ce serait oublier autre chose : la peur du changement.

Absorption de la contradiction

A l’instar de ces conventionnels qui voulaient « une révolution sans révolution », l’électeur français est pleinement conscient de la situation du pays, mais s’imagine que tous nos maux seront résolus si l’on passe un coup de peinture sur la devanture. Je m’explique, et m’autorise au passage un petit détour par la théorie.

Nos sociétés industrielles ont généré des oppositions fortes en leur sein. Des partis socialistes, communistes, des syndicats ont émergé, les tensions sociales se sont accrues, la lutte des classes s’est réchauffée. Bref : l’avènement de la modernité a rimé avec le développement de la contradiction dans nos sociétés. Pourtant, à la faveur des « Trente Glorieuses », on a vu s’amorcer un mouvement qu’Herbert Marcuse nomme l’absorption de la contradiction. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien que les forces contestataires qui ont été générées par le capitalisme moderne ont été progressivement intégrées par le système, absorbées par lui, diminuées, recyclées, de sorte à ce qu’elles ne représentent plus une menace pour l’ordre établi. Le meilleur exemple de ce phénomène, c’est le cas des Partis Communistes occidentaux qui, de puissantes forces révolutionnaires, ont été intégrés, transformés en vagues entités réformistes et ringardisés.

Notre constat est le suivant : la contradiction a été absorbée. Et déjà, pourtant, elle tente de se libérer. Entendez-moi bien : s’il est une loi de l’Histoire dont on ne peut douter, c’est celle-ci, la conflictualité est inhérente à toute société humaine. En cela, nos sociétés post-modernes (censées appartenir à une soi-disant « fin de l’histoire ») sont des sociétés malades. Elles ont enchaîné les forces contestataires générées par elles, mais n’ont pas résolu les contradictions qui les ont produites. C’est donc un progrès très précaire que celui-là. Une société qui fonctionne sur le mode de la cocotte-minute, qui criminalise et qui réprime les explosions contestataires de manière systématique et qui accumule ainsi la pression en son sein, n’est pas viable à long terme. 

Ainsi M. Manuel Valls vérifie par exemple toutes les thèses de ce dernier. Pour Marcuse, afin d’absorber la contradiction et de ne permettre l’expression d’aucune dissidence, la classe dominante a façonné des « sociétés de mobilisation totale » : aucune dissidence ne peut être tolérée car ‘il y a urgence’. L’exemple pris par Marcuse dans les années 1960 s’inscrit dans le cadre de la guerre froide : vous ne pouvez pas faire grève ou exiger des droits sociaux ! Nous sommes en guerre avec les communistes ! On a besoin de tout le monde, vous faites le jeu de l’ennemi ! Le coup de génie de Manuel Valls – on peut au moins lui reconnaître ça – a été de parvenir à renouveler le concept. Je veux parler de l’inattendue confusion entre manifestant et terroriste au printemps dernier, l’utilisation de l’état d’urgence pour réprimer la mobilisation contre la Loi Travail, l’interdiction des manifestations au nom du risque terroriste, l’arrestation de militants écologistes pendant la Cop21 et la création de concepts qui feront date comme par exemple le désormais classique « djihadistes verts ». Mais tout cela ne suffit pas à étouffer la contradiction.

Ce début de XXIème siècle se caractérise par une tentative de libération de la contradiction. Le XXIème siècle commençant signe le retour de la contradiction. Le retour des passions politiques, les populismes de droite et de gauche… L’aspiration collective au retour de la conflictualité est là. Le désir de rupture également. Conséquence logique, le paysage politique se polarise (vous savez, la fameuse « montée des extrêmes » bouhouhou). Et dans un tel contexte, qui voit-on pointer son nez ? Emmanuel Macron… Illogique vous pensez ? 

La révolution sans la révolution

Macron n’est pas une volonté d’apaisement. Il est la révolution sans la révolution dont nous parlions. Vous voyez une arnaque ? C’est normal. Appeler son livre Révolution quand on connaît son parcours, il fallait oser. Alors, « révolutionnaire » Macron ? En un certain sens oui ! Comme l’a très justement souligné Gaël Brustier dans un article publié sur le site Slate, le macronisme a toutes les caractéristiques de la révolution passive telle que théorisée par Gramsci. Comprenez : une « révolution par le haut » qui ne met pas en danger les intérêts de la classe dominante et lui permet de s’adapter aux temps nouveaux et de survivre dans une période de décomposition politique. Son programme peut se résumer par la formule utilisée pour qualifier l’unification italienne dans le film Le Guépard : tout changer pour que rien ne change. Mélenchon progresse, Le Pen joue son rôle d’épouvantail, Fillon est trop clivant et risquerait de mettre tout le pays dans la rue, Hamon est tout seul – il n’y a que Macron. On assiste ainsi au spectacle d’un homme porté à bout de bras par un système à bout de souffle. Soutenu par la classe dominante dans sa quasi-intégralité, adoré des médias, soutenu même par l’Elysée. Il faut sauver le soldat Macron car lui seul maintiendra les choses en l’état.

Le nom de Macron rime donc au mieux avec imposture, au pire avec trahison. Macron, c’est l’illusion de la radicalité, l’apparence du changement. Il se pare des atours de la révolution mais appartient tout entier au vieux monde en train de s’affaisser. Face à la montée des populismes, il se déguise en populiste lui aussi, il prétend mettre le peuple « En Marche » (le temps d’une campagne seulement bien sûr), adopte une rhétorique anti-système…

Ce à quoi nous avons ici affaire a un nom, M. Macron n’a pas inauguré à lui seul une nouvelle façon de faire de la politique, il reprend à son compte la notion de catharsis qui nous vient de la Grèce antique. Soyons clairs. Lorsque vous regardez Game of Thrones, vous ne vous mettez à aucun moment en danger, vous vivez votre vie par procuration. Vous vivez des batailles, des aventures, des luttes de pouvoir, sans jamais être acteurs, seulement spectateurs. C’est la fonction cathartique du cinéma : purger les passions.

Dans un XXIème siècle marqué par le retour des passions et la montée des populismes, le ciel, dans sa grande mansuétude, nous envoie M. Macron avec une mission : purger les passions du peuple de France. De là l’imposture d’un homme sans idées, de là le bonapartisme tranquille de « l’homme providentiel » raconté par les médias. Macron est l’expression dernière de la politique avec un « » minuscule, celle qui n’a ni solutions ni ambitions. C’est la tentative dernière de faire bifurquer la contradiction en train de se libérer vers une solution qui ne dérangera personne et ne changera rien. Macron, c’est la révolution sans la révolution, bref, le plus sûr moyen de perdre encore cinq ans et d’éviter tout changement.

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©Jeso Carneiro

 

2017, Fronde générale

2017, cru exceptionnel. Pour la première fois dans la Ve République, aucun des candidats à la présidentielle n’est assuré de pouvoir compter sur une majorité parlementaire après les législatives. Pire, tous les prétendants majeurs font l’objet d’une dissidence interne à leur propre mouvement. Revue des troupes avant la Bérézina.

D’abord, il faut préciser que sauf surprise monumentale, ni Nathalie Arthaud, ni François Asselineau, ni Jacques Cheminade, ni Jean Lassale, ni Nicolas Dupont-Aignan, n’ont la moindre chance d’être élus. Encore moins en n’étant pas invités au débat de TF1. Si cela arrivait, ils devraient évidemment faire avec une Assemblée Nationale composite.

Procédons de gauche à droite :

  • Jean-Luc Mélenchon

    -Dissensions à gauche. Les critiques les plus virulentes à l’encontre du chef de file de la France Insoumise viennent de ses propres alliés, communistes ou d’Ensemble. “Leader minimo”, “égocentrique”, “auto-proclamé”, les insultes fusent chez ceux qui seraient censés être ses plus fidèles soutiens. Les élus communistes sont même allés jusqu’à faire du chantage aux parrainages à Mélenchon, qui n’a validé ses fameuses 500 signatures que le 14 mars. Dernier débat en date au sein de la “gauche de la gauche” : la pertinence – ou non – du déploiement de drapeaux Bleu-Blanc-Rouge lors de la manifestation du 19 mars.

  • Benoît Hamon

    COMBO-FRANCE-VOTE-PRIMARIES-LEFTLe Parti Socialiste va exploser. Après un quinquennat calamiteux, le Président en exercice est dans l’incapacité de se représenter. Un frondeur a remporté assez facilement la Primaire contre le dépositaire du bilan, Manuel Valls. Depuis la victoire de Benoît Hamon, la crise est ouverte. Par dizaines, des membres éminents de son propre camp quittent le navire pour rejoindre Emmanuel Macron. François de Rugy et Manuel Valls, tous deux candidats à la Primaire et engagés à soutenir le vainqueur, ont déjà trahi leur parole.

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  • Emmanuel Macron

    1212273_en-marche-macron-suscite-des-tensions-a-gauche-avec-son-mouvement-politique-web-tete-021824086406L’exception qui confirme la règle. Le candidat En Marche avance, poussé par une ahurissante campagne médiatique en sa faveur, vers sa probable élection. Cependant, son mouvement politique, fait de bric et de broc, semble dans l’incapacité de remporter les élections législatives. Il sera bien compliqué pour l’ancien banquier d’affaires de présenter des candidatures cohérentes aux élections de juin. Son parti ratisse tellement large que se côtoient des profils immiscibles. Sérieusement, Robert Hue, Gérard Collomb, Daniel Cohn-Bendit, Alain Minc, François Bayrou et Alain Madelin travailleraient ensemble ? Même si Macron remporte la présidentielle puis les législatives, on voit mal comment un tel attelage pourrait se mettre d’accord sur la moindre mesure. Un retour à la IVe République pour achever la Ve ?

  • François Fillon

    3414-francois-fillon_5758679Sorti vainqueur de la Primaire de la Droite et du Centre, François Fillon est aujourd’hui dans une situation qui semble inextricable.
    Quasiment chaque jour offre son lot de nouvelles révélations sur son train de vie de pacha, qui a amené la justice à le mettre en examen. Motifs : « détournement de fonds publics », « complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de biens sociaux » et « manquement aux obligations déclaratives ». Rien que ça.

    En conséquence de quoi d’innombrables soutiens de son propre camp ont décidé de tourner le dos à leur champion, pour ne pas être associés au naufrage qui s’annonce. Finalement, aucun plan B n’a été validé. Ni Juppé ni Baroin. C’est bien Fillon, malgré les affaires, qui représentera la droite. Il s’appuie sur son socle électoral, catholique et libéral, qui semble insuffisant pour l’emporter au suffrage universel.Capture

  • Marine Le Pen

    marine le pen portrait.jpgLa candidate du Front National, malgré la menace agitée depuis des années par les classes politiques et médiatiques, n’a aucune chance d’être élue. Quel que soit son adversaire au second tour. Sa défaite à venir pourrait être une étape majeure dans le processus d’implosion qui s’annonce au FN. Il semble en effet impossible de faire tenir ensemble sur le long terme les deux clans qui s’affrontent au sein du parti xénophobe.

    D’un côté, se trouvent les tenants de la dé-diabolisation (Marine Le Pen-Florian Philippot), de l’autre ceux du FN à l’ancienne, identitaire et réactionnaire (Marion Le Pen-Gilbert Collard-Robert Ménard). A terme, tous ceux là devraient s’entre-tuer et le schisme du FN semble inéluctable.

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Un pays ingouvernable ?

Le flou est total quant à l’identité du futur président. Il en va de même pour les législatives qui se tiendront dans la foulée. Toutefois, une chose semble à peu près certaine : le FN devrait faire bien mieux que ses 13% de 2012, qui ne lui avaient offert que 2 députés, en vertu du mode de scrutin particulier (uninominal majoritaire à deux tours). Si, comme on peut l’imaginer, “la Flamme” termine aux alentours de 25% des suffrages, se sont près de 70 députés Front National qui siégeront à l’Assemblée Nationale. Une vraie vague, mais pas suffisante pour gouverner.

Le PS devrait payer le prix du mandat désastreux de François Hollande, débordé sur sa droite par En Marche, véritable inconnue de cette équation. Seul François Fillon semble susceptible d’emporter la majorité au Palais Bourbon. Pourtant, son profil d’homme menteur et vénal, tenant un discours de rigueur insoutenable à entendre au vu de son profil, le disqualifie d’office sur le plan moral. La révolte populaire sera certainement gigantesque si le mari de Pénélope est élu et demande aux Français de se serrer la ceinture.

On peut donc imaginer que, quel que soit le nouveau locataire de l’Elysée, il devra composer avec une fronde interne et une minorité législative. Le quinquennat à venir s’annonce folklorique…

Matthieu Le Crom

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Macron, le Obama français : pour une réhabilitation des guignols de l’info

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On n’en finit plus de nous vendre Macron comme un nouveau héros politique des temps modernes. A coup de Unes et de storytelling, le nouvel Obama français nous sera bientôt envié par l’ensemble du Monde libre et peut-être de l’Univers. Retour sur une farce médiatique à peine moins caricaturale que la propagande du régime Nord-Coréen.

Ce n’est plus un secret, on assiste depuis quelques mois en France à bulle médiatique se formant autour du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron. Tantôt dynamique, tantôt visionnaire, le jeune politicien (à 39 ans, on reste très loin de la moyenne d’âge du milieu) nous est présenté comme l’incarnation du renouveau, de la modernité par la majorité des rédactions. Son parcours est désormais connu de tous : l’ENA, l’inspection des finances, la « commission pour la libération de la croissance française » dirigée par notre Jacques Attali national, et enfin le ministère de l’économie après quelques années au sein de la garde rapprochée de François Hollande. Malgré ce pedigree, on nous vend souvent Emmanuel Macron comme un candidat surgi de nulle part, arrivé comme un boulet de canon à la surprise générale.

Il est vrai qu’avant sa nomination au Ministère de l’économie, peu de personnes connaissaient son nom et son visage. Et on en arrive aujourd’hui à un moment où l’élite économique française semble avoir trouvé son champion, déjà présenté comme le seul capable de battre Marine Le Pen par certains médias. Ayant battu des records d’impopularité, Français Hollande et Manuel Valls sont désormais considérés comme politiquement morts et l’ex chouchou des médias Alain Juppé s’est vu “voler” sa victoire malgré les pronostics formels des instituts de sondage. Macron devient alors le joker ultime. Jeune, sympa et, il faut bien le reconnaître, très bon en communication, il porte en lui les espoirs de toute une classe qui avait jusqu’à maintenant reçu les faveurs des gouvernants et qui compte bien maintenir le statu quo. Ce qu’il faudrait faire à présent, c’est replacer le « phénomène Macron » (notez bien les énormes guillemets que j’utilise) dans un contexte plus global.

Car plus je vois le visage riant de Emmanuel Macron apparaître sur nos écrans, plus je repense à un sketch que les Guignols de l’info ont diffusé il y a de ça quelques années. Exit Gramsci et Marx, ce sont les Guignols qui selon moi ont le mieux saisi ce qu’incarne Emmanuel Macron. Le sketch auquel je me réfère montrait alors Mr. Sylvestre (le gros trader bourrin) expliquant l’arrivée de Barack Obama au pouvoir aux États-Unis dans une émission intitulée « les dossiers secrets de l’histoire ».

Celui-ci concluait sa présentation de cette façon : « Alors on a fait l’impensable, on a fait élire un président noir. On a mis à la tête du système quelqu’un qui n’avait rien à voir avec le système. Et aujourd’hui les gens ont confiance en Obama, ils pensent qu’il va créer un nouveau capitalisme. » Si la crise financière de 2008 est évidemment expliquée de manière comique, les Guignols mettent cependant en lumière un élément essentiel : la nécessité pour les milieux d’affaires de présenter des candidats neufs, éclectiques, capables de convaincre le public de continuer sur la même voie, à savoir la leur.

Si certains ont salué le bilan de Barack Obama en terme de croissance et d’emploi, il restera celui qui est parvenu à faire élire Donald Trump aux États-Unis. N’ayant jamais imaginé la possibilité de remettre en cause les structures du capitalisme néolibéral, les deux mandats de Barack Obama ont en réalité été marqués par la montée des inégalités, des emplois sous-payés et de la pauvreté. Inutile de rappeler les violences policières et l’envoi massif de drones au Moyen Orient.

Ajoutez à cela à un discours teinté de solidarité et de tolérance, il n’en faut pas plus pour qu’Obama se fasse élire en Novembre 2008. Et ainsi le pouvoir est récupéré par les Démocrates dont la compromission avec les cols blancs de Wall Street a été amplement démontrée par la campagne de feu Hillary Clinton. Ce que montre le cas de Barack Obama, c’est que malgré la crise, malgré la misère sociale, le statu quo politique peut persister si ses représentants trouvent le bon cheval. Celui-ci devra alors incarner le renouveau, il devra éblouir les électeurs par son éloquence. En bref, il devra miser sur la forme, aux dépens du fond bien évidemment.

Ce phénomène ne se limite pas aux États-Unis. On se souvient de Matteo Renzi en Italie, charismatique Florentin qui a travaillé dans la communication et le marketing. S’il n’est pas directement élu au poste de Premier Ministre, il parvient à rassembler 40 % des votes italiens aux élections européennes de 2014 (un résultat qui ferait baver n’importe quel parti de gouvernement en Europe). Deux ans plus tard, les électeurs italiens le sanctionnent par un “Non” au référendum malgré sa verve et ses tweets énergiques. Au Canada, Justin Trudeau paraît briller par sa coolitude et son progressisme à tout épreuve. Cela n’empêche pas ce fils de Premier Ministre de vendre des armes à l’Arabie Saoudite et de négocier avec enthousiasme le traité de libre-échange liant son pays à l’Union européenne.

Le cas d’Emmanuel Macron pose alors une question cruciale : L’oligarchie peut elle continuer à faire élire ses candidats à grand coup de baroufs médiatiques et de sondages bidons ? Un politicien habile peut-il encore réussir à faire passer la même eau croupie pour un verre de limonade ? On a pointé avec justesse au Royaume-Uni et aux États-Unis l’incapacité de la sphère médiatique à empêcher le choix du Brexit et l’élection de Trump, malgré tous ses efforts. Avec un Front National en tête lors des dernières élections et quasiment assuré d’être au second tour le 23 avril, la situation de la France demeure légèrement différente. Cependant le score réalisé par Emmanuel Macron le soir du 23 avril 2017 devra être pris au sérieux. Au delà de ses conséquences politiques, il nous dira surtout si « lémédia » peuvent encore déterminer le résultat d’une élection ou si l’hégémonie idéologique des véritables guignols de l’info appartient désormais au passé.

Sources :

http://www.regards.fr/web/article/obama-entre-dans-l-histoire-sans-la-changer

https://www.jacobinmag.com/2016/09/justin-trudeau-unions-environment-arms-saudi-arabia/

https://www.mediapart.fr/journal/international/241214/matteo-renzi-2-lost-transgression?onglet=full

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Vous avez dit progressiste ?

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©U.S. Air Force photo by Senior Airman Joshua R. M. Dewberry/RELEASED

L’adjectif est furieusement à la mode. On l’entend sur toutes les ondes, dans les meetings, les interviews, les réunions. Jean-Christophe Cambadélis, Manuel Valls et, surtout, Emmanuel Macron, s’en sont, entre autres, faits les chantres. “Progressiste”. Elle est comment, ta politique ? Elle est progressiste. Cela sonnerait presque comme un un slogan du MJS ; c’est désormais un leitmotiv chez bon nombres d’hommes et de femmes politiques tantôt classés à gauche de l’échiquier, tantôt plus hybrides (suivez mon regard). On ne le rappellera jamais assez : en politique, les mots ont toujours un sens et leur utilisation est souvent révélatrice de certaines logiques. Que se cache-t-il donc derrière cette notion si floue qui, sous couvert d’une infaillible modernité, ne date pas d’hier ? De quelles manoeuvres politiques est-elle le symptôme ? De quoi le progressisme version XXIème siècle est-il le nom ?

 

L’héritage ambigu des Lumières

Le Progrès, cette grande idée. Le XVIIIème siècle, les Lumières, ont provoqué un séisme dans la vie des idées dont les répliques se sont enchaînées durant les siècles suivants. Parmi elles, cette idée de progrès, que l’humanité avance inexorablement vers du meilleur, que toute avancée est bonne à prendre puisqu’elle témoigne d’une marche incessante et salutaire : progrès de la science, de “l’esprit humain” (formule empruntée à l’ouvrage de Condorcet[1]) avant tout. Lentement, mais sûrement, l’Homme – en tant qu’individu bien plus qu’en tant qu’élément d’une société – s’acheminerait vers un environnement plus clément, des conditions de vie améliorées et toujours perfectibles. Séduisant, et pour cause : le progrès en tant qu’amélioration nous apparaît presque naturellement comme quelque chose de souhaitable. Ne vivons-nous pas mieux qu’il y a deux cents ans ?

Le progressisme s’incarne pourtant dans une ambiguïté absolue. Le cas français est à cet égard particulièrement intéressant. Depuis la IIIème République, la notion est mobilisée par des familles politiques très éloignées les unes des autres, englobant de façon apparemment surprenante les libéraux les plus forcenés et les staliniens les plus convaincus. L’historien Maurice Agulhon a parfaitement montré que les Républicains modérés de la IIIe République se réclament constamment de cette idée de progrès[2]. En parcourant ainsi les discours de Léon Gambetta, on s’aperçoit qu’il n’a de cesse de se référer au progrès, porté, évidemment, par l’instruction publique. Les radicaux, le centre, en tant que famille politique qui s’est voulue héritière de cette tradition, tout en épousant entièrement le libéralisme, a totalement adopté cette notion de progressisme – Emmanuel Macron en est aujourd’hui l’exemple le plus saillant.

Parallèlement, et de plus en plus dans le premier XXème siècle, le progressisme s’incarne dans une gauche plus affirmée : on le retrouve fièrement porté par les communistes et les socialistes. Précisons néanmoins tout de suite les choses : ici, le progrès n’est pas érigé comme une valeur en soi ; ce qui compte, c’est le progrès social. On attribue forcément un adjectif à la notion, on la précise. On se bat certes pour le progrès, mais pas n’importe lequel : celui qui se façonne en faveur des plus faibles, des couches populaires, des ouvriers. Ainsi, seront qualifiés de “progressistes” les politiques ou les actions qui prennent position en faveur de l’émancipation du peuple. Littérature prolétarienne, réalisme socialiste (Aragon, Nizan, Barbusse…), tous ces écrits qui fleurissent notamment dans l’entre-deux-guerres sont par exemple regroupés sous l’expression “littérature progressiste” par le PCF et ses proches en France. Cette vision du progressisme s’est solidement ancrée dans la culture politique française, plaçant le concept à gauche de manière visiblement durable, l’associant même le plus souvent dans l’entre-deux-guerres et durant la Guerre froide aux partisans de l’Union soviétique et de ses zones d’influence. Je suis progressiste car je défends le progrès social, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs : rien de plus naturel pour un homme ou une femme de gauche.

Un écran de fumée pour masquer l’abdication face au néolibéralisme

Et pourtant, l’ambiguïté ne s’est pas évaporée ; aujourd’hui, plus la notion est mobilisée, plus l’opacité de son sens s’épaissit. Une grande partie de la gauche non-radicale la brandit comme un étendard, dans des formules préconçues et vides de sens. Cette soupe sémantique nous est servie pour masquer (inefficacement) les concessions et renoncements réguliers d’une partie de la gauche face au rouleau-compresseur du libéralisme économique. Mais quel progrès nous vendent ces autoproclamés progressistes ? Il ne faut pas chercher bien loin pour le trouver : ce progrès se traduit dans les “réformes”, constamment présentées comme des nécessités asbolues, qu’il faut mettre en place pour faire avancer le pays. Être progressiste, ce serait donc soutenir la loi El-Khomri, au nom de la réforme, au nom du mouvement. Comme si la réforme était une valeur en soi, et non pas une notion neutre qui peut s’incarner à droite comme à gauche. A cet égard, l’exemple de Macron est encore une fois emblématique : il multiplie les envolées lyriques totalement creuses sur la nécessité de réformer, de se mettre en marche, et brille parallèlement par son absence de programme. On assiste alors à la naissance d’une étrange idéologie qui manque cruellement de substance puisqu’elle poursuit un objectif précis : ne pas affirmer trop fort son affiliation au libéralisme afin de ne pas brusquer à gauche. Mais le message demeure clair : le progressisme, c’est la réforme, c’est le mouvement, quelle qu’en soit la direction. Vous vous battez contre la réforme ? Vous êtes donc un méchant et obscur conservateur – on flirte avec le sophisme.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la tentative de déplacement du clivage politique – ou du moins de ses représentations – d’une division “droite-gauche” à une dualité “conservateurs-progressistes”, qui ne résiste pas à une étude plus approfondie des forces en présence. La réalité politique est autrement plus complexe : on peut évidemment être très conservateur sur les plans social et sociétal, et libéral à l’extrême économiquement (François Fillon l’illustre parfaitement) ; à l’inverse,  il est tout à fait possible et cohérent de défendre le progrès social tout en refusant le système économique libéral. Cette tendance va de pair avec une déstabilisation profonde de la gauche, de son identité et de son socle de valeurs. Elle constitue surtout un véritable écran de fumée qui occulte l’opposition de plus en plus saillante entre, d’un côté, ceux qui s’accommodent de la pensée néolibérale dominante voire la promeuvent, et, de l’autre, ceux qui pensent qu’il est encore possible de la combattre pour transformer la société (ne touche-t-on pas ici à l’essence de la gauche ?). Le progressisme, en tant que notion fourre-tout, imprécise qui remplace peu-à-peu l’utilisation du terme “gauche” comme identification politique des individus, symbolise parfaitement la confusion qui règne dans cette famille politique ; il est l’autel sur lequel une partie de la gauche sacrifie ses idéaux en renforçant la position hégémonique du néolibéralisme.

La gauche doit renouer avec elle-même pour retrouver son électorat

Mais pourquoi cette notion semble-t-elle rencontrer une telle popularité ? Le progressisme est à certains égards efficace car il semble porter en lui l’idée d’un rassemblement de diverses forces politiques qui se retrouvent dans leur volonté d’une amélioration de la société. Cependant, il oublie l’essentiel, c’est-à-dire de préciser quel progrès, quelles améliorations nous voulons. Le progrès, est-ce baisser les “charges” ou obtenir de nouveaux droits pour les travailleurs ? Le progressisme, si tant est qu’il incarne un projet politique, peut séduire un électorat sociologiquement défini, celui des grandes villes, d’une partie des classes moyennes et supérieures, des “gagnants de la mondialisation” pour qui le progrès social n’est pas nécessairement une priorité par rapport au progrès sociétal par exemple. Notion floue, mais toujours connotée positivement, le progressisme séduit ceux qui se reconnaissent dans certaines valeurs perçues comme liées à la gauche tout en s’accommodant plutôt bien des effets du néolibéralisme. Bref, une fraction de la population relativement éloignée de ce qui est à l’origine l’électorat des forces de gauche, électorat abandonné qui vote aujourd’hui pour le clan Le Pen.

Il ne s’agit pas ici de rejeter catégoriquement la notion de progrès – laissons à Christopher Lasch et Jean-Claude Michéa l’analyse approfondie des rapports entre progrès et abandon de la lutte contre le système capitaliste à gauche[3]. Leurs travaux ont notamment mis en lumière la nécessité de remettre en cause le progrès en tant que valeur suprême pour sa participation à l’avènement de l’ère individualiste, au démantèlement de certaines solidarités : on retrouve ici l’importance de l’individu au coeur d’une certaine philosophie des Lumières.

Mais l’urgence réside ailleurs : ce que la gauche doit entreprendre, c’est la réaffirmation du progrès qu’elle vise et pour lequel elle se bat ; un objectif qui est le produit de décennies de luttes sociales pour l’amélioration des conditions de vie des classes populaires et intermédiaires et la réduction des inégalités qui deviennent de plus en plus criantes. Que la gauche ne s’excuse plus d’être elle-même ; qu’elle abandonne les sophismes et les terminologies vides de sens, qu’elle réaffirme son identité et elle renouera avec son électorat. On lui conseillerait bien, pour cela, de se replonger dans sa propre histoire pour y puiser son inaltérable richesse. Au risque d’être traitée de conservatrice.

[1] Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, 1795.

[2] La République de 1880 à nos jours (I), 1990.

[3] Michéa, Les Mystères de la gauche : de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, 2013 

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La colonisation, un crime qu’il est urgent d’admettre

La sortie récente de Macron en Algérie à propos de la colonisation « crime contre l’Humanité » a relancé, encore une fois, le débat bien français autour de cette période sombre de l’Histoire. La droite et l’extrême-droite, raccords sur la question, ont sorti les dents pour tacler le candidat En Marche, pour défendre le roman national, la France glorieuse, les « bienfaits » de la colonisation… Autant d’âneries qu’il est urgent de combattre.

Les propos anti-coloniaux d’Emmanuel Macron ont réveillé dans le débat politique cette vieille question française, qui taraude nos politiciens et ressurgit ça et là, à la (dé)faveur d’un discours de Dakar, ou d’une sortie de Fillon sur le récit national dans les manuels scolaires. La colonisation, ici française : atrocité ou bienfait ? Généralement, le clivage est assez net ; en témoignent ces tweets venus de la droite.

https://twitter.com/GDarmanin/status/831910808695214080?ref_src=twsrc%5Etfw

Alors, soyons bien clair : le but ici n’est pas de défendre Macron. Ce candidat du vide, au discours creux et au programme flou, dit tout et son contraire pour tenter une improbable fusion des électorats de droite comme de gauche. Il y a quelques mois, l’homme qui promet entre autres absurdités d’ouvrir des « mines responsables », proclamait l’inverse de ce qu’il a dit en Algérie en rappelant « les éléments de civilisation » de la colonisation française en Algérie, qui aurait permis par exemple « la naissance d’un État ». Pour ce qui est de l’inexactitude historique de cette dernière phrase, la vidéo de Nota Bene sur la question y répond clairement.

Ce qui va nous intéresser ici, c’est de comprendre comment ce débat en France peut encore avoir lieu, comment des gens peuvent encore défendre une période historique qui se caractérise par l’appropriation illégitime de terres, l’asservissement de peuples, le pillage de leur identité et de leurs richesses. Comment des hommes et des femmes politiques peuvent-ils avoir, en 2017, à cœur de défendre la France sur cette question ? Pour ce faire, il faut analyser les éléments de langage déployés par les défenseurs de la colonisation, qui en disent long sur l’idéologie sous-jacente.

Civilisation, ethnocentrisme et bilan de la colonisation

Civilisation. C’est le mot-clé qui revient dans les débats. La France aurait apporté la civilisation aux peuples colonisés. C’est l’argument massue qu’on peut retrouver dans la contribution à la construction de l’État algérien chez Macron, mais également chez Florian Philippot (FN), qui rappelle « les routes, les hôpitaux, la langue française » comme « bienfaits de la colonisation ». Si tant est que cet argument soit valide – et il ne l’est pas, nous y reviendrons – en quoi cela absout-il la France coloniale de ses crimes ? Des peuples discriminés et privés de leurs droits par le pays des Lumières, des répressions sanglantes (Algérie, Indochine, Madagascar…), un démantèlement territorial faisant fi des cultures préexistantes ? Le fait d’avoir construit des infrastructures, qui par ailleurs n’était pas un cadeau chaleureux fait aux colonisés mais répondait au besoin des colonisateurs, n’excuse en rien la torture et la souffrance infligées par l’administration française sur cette période. Ce serait peu ou prou comme défendre le régime d’Hitler en disant : « oui, mais il a redressé l’économie allemande » (comme ça, le point Godwin, c’est fait).

Ensuite, on peut largement nuancer l’apport politique de la France dans la construction des États africains : au contraire, la plupart des greffes du régime français à la décolonisation n’ont pas prises, et ont abouti à des républiques bananières autoritaires dont les Présidents sont au pouvoir depuis plus de vingt ans (à l’instar d’Idriss Déby au Tchad ou Denis Sassou-Nguesso au Congo, anciennes colonies françaises).

Les "bienfaits" de la colonisation, épisode 1 : les zoos humains
Les “bienfaits” de la colonisation, épisode 1 : les zoos humains

Ensuite, plus largement, cette idée d’apport de civilisation montre un regard complètement ethnocentré porté sur l’Afrique. Cela nourrit la vision qui perçoit l’Afrique pré-coloniale comme une sorte de désert préhistorique non-civilisé, qui aurait évolué uniquement avec l’arrivée des colons occidentaux. Cet argument, invalidé par l’existence des grandes puissances africaines pré-coloniales (comme l’Empire du Mali), doit être combattu avec force. L’Afrique pré-coloniale avait bien entendu ses civilisations, ses cultures, ses peuples et ses langues, n’en déplaise à Florian Philippot (le soi-disant cadeau de la langue française leur a donc été bien inutile). La colonisation est venue écraser tout cela : ce n’est pas une mission civilisatrice, mais l’imposition d’une culture aux détriments d’une autre, c’est-à-dire un ethnocide. Un ethnocide qui a de plus engendré le chaos sur le continent : l’instabilité de la région résulte souvent directement du legs colonial (cf. le génocide au Rwanda, hérité de l’ethnicisation des rapports de forces créés de toute pièce par le colon belge). Cette idée reçue sur l’Afrique pré-coloniale, qui n’aurait demandé qu’à être éduquée, témoigne du paternalisme ethnocentré qui frappe une grande partie de la classe politique, et nos concitoyens à travers eux. Cela réaffirme aussi la nécessité urgente d’apprendre l’Histoire ancienne africaine dans les manuels scolaires, de lui donner une véritable importance, puisque nous l’avons liée à la nôtre par la force.

Les "bienfaits" de la colonisation épisode 2 : le partage et le mélange des cultures
Les “bienfaits” de la colonisation épisode 2 : le partage et le mélange des cultures

L’exemple allemand

Par ailleurs, une idée revient souvent : celle de « repentance, d’auto-flagellation » qui agace la droite notamment. Il est utile de se demander pourquoi ces hommes et ces femmes, qui prennent chaque critique envers la responsabilité française lors de la colonisation comme un coup de poignard, une insulte, le ressentent ainsi. C’est pourquoi j’ai eu ici l’envie de le comparer avec l’Allemagne, quitte à me faire insulter pour avoir « osé » comparer les crimes nazis et la colonisation. L’idée défendue par les agacés de la « repentance », c’est celle qui veut que les Français doivent se sentir fiers de leur pays, et que toute acceptation de la réalité de la colonisation va à l’encontre de cette idée. C’est à travers cet argument que François Fillon défendait un programme scolaire d’histoire mettant en valeur le récit national.

Les Allemands doivent affronter leur passé et composer avec lui. A l’école, rien ne leur est épargné du nazisme, et nous serions les premiers choqués si de tels crimes étaient euphémisés. Ils ont bien compris l’intérêt du devoir de mémoire, pour éviter que de telles atrocités ne se reproduisent. L’identité allemande s’est-elle pour autant effondrée, sous toute cette « repentance » ? Non, bien au contraire. Les Allemands peuvent se sentir fiers d’avoir surmonté collectivement cela, d’avoir construit autre chose, pour faire barrage à l’horreur.

A titre personnel, je me sentirais bien plus fier dans une France qui accepte sa part de responsabilité dans les souffrances des peuples colonisés et qui va de l’avant, que dans cette France qui miroite son passé glorieux en refusant d’admettre qu’elle a du sang sur les mains. Alors pourquoi la France est-elle incapable de faire son propre examen de conscience ?

La République et le fantasme post-colonial

Si l’on reprend la comparaison avec l’Allemagne, un élément est frappant. L’Allemagne qui a été responsable du nazisme n’est plus. Le Troisième Reich est mort dans les cendres de la Seconde guerre mondiale, et la République fédérale allemande a bâti une démocratie solide. Pour la classe politique allemande actuelle, la rupture est nette : les Allemands peuvent affronter leurs « démons » car ils ont été vaincus. Un Allemand peut avoir honte de l’Histoire de son pays, mais n’a pas de raison (en tout cas sur ce point) d’avoir honte de son pays à proprement parler, puisque l’Allemagne d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’hier. En France, c’est bien différent. Si les politiques français ont peur de faire face à la colonisation en tant que crime français, s’ils la ressentent comme une insulte presque personnelle, c’est parce que la colonisation est un crime de la République. Un crime au nom des valeurs républicaines, universalistes, civilisatrices, des Lumières, qui ont alimenté l’impérialisme de la République bourgeoise. Le discours “républicain” a été instrumentalisé et a servi de justification aux capitalistes français, qui se sont partagés des morceaux de l’Afrique et ont exploité la main d’œuvre locale. Des valeurs, qui du XIXème siècle à nos jours, ont perduré dans une formidable continuité historique. Si les républiques se sont succédé, le socle républicain bourgeois est resté le même. C’est donc bien une partie de l’identité républicaine française actuelle qui est à remettre en question quand on en vient à parler de la colonisation. Pourtant, il n’y a aucun danger : au contraire, c’est une formidable opportunité d’arrêter de vivre dans un récit passéiste, pour construire une identité fondée sur l’avenir : la liberté, l’égalité et la fraternité (ces mots sont dans notre devise, il serait toujours temps de s’en servir). Rappelons au passage l’exemple historique de la République de 1793, en avance sur son temps, qui sentait que l’esclavage et la colonisation étaient contraire à l’égalité entre les hommes et à l’idéal d’une République sociale, ce qui la conduisit en 1794 à voter l’abolition de l’esclavage, à accorder la pleine citoyenneté aux anciens esclaves, et à permettre l’élection des premiers députés noirs.

La colonisation illustrée comme une mission civilisatrice
La colonisation illustrée comme une mission civilisatrice

La France doit sortir définitivement du colonialisme en admettant son crime, et en l’enseignant comme tel à l’école. Car le post-colonialisme a des ramifications insoupçonnées, au-delà de l’ingérence française en Afrique : cette idée de hiérarchisation des civilisations (un coucou à Claude Guéant), n’est-elle pas celle qui nourrit les discours xénophobes qui prétend que la culture des immigrés (majoritairement l’islam aujourd’hui) est incompatible avec la nôtre ? Ne demande-t-on pas encore à des cultures étrangères de s’écraser au profit d’une qui lui serait supérieure ? Plus généralement, les failles du multiculturalisme français sont héritées de l’idéologie coloniale : la construction d’un « Nous » supérieur aux « Autres », est un mal qui ronge notre société, qui conduit au rejet et au communautarisme.

Crédits photos :

http://une-lettre-francaise.over-blog.com/article-de-vichy-a-l-union-europeenne-la-continuite-coloniale-au-moyen-orient-112529587.html

http://www.hgsavinagiac.com/article-31615907.html

http://www.lisapoyakama.org/la-colonisation-a-t-elle-eu-des-roles-positifs/

 

 

 

 

Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

https://twitter.com/guillaumetc
Montage par ©GuillaumeTC

Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

Crédit photo : Montage par ©GuillaumeTC / https://twitter.com/guillaumetc

Le Christ-Macron ou la politique de l’an 1600

Crédits : SciencesPo
Macron à Sciences Po pour un débat sur l’Europe. Crédits non nécessaires

Dans un entretien étonnant accordé au Journal du Dimanche, Emmanuel Macron nous livre sa vision du pouvoir : «J’ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais en même temps elle doit s’ancrer dans de l’immanence complète, de la matérialité. (…) La dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas».

Ces termes philosophiques sont agréables à lire et tranchent radicalement avec la tonalité médiocre des discours politiques actuels. L’homme qui rappelle à la moindre occasion qu’il a été l’assistant du philosophe Paul Ricoeur tient à sa réputation, et la nourrit à coup d’interviews sur des thèmes profonds qui laisseraient sans voix la plupart de ses rivaux.

Mais vouloir réconcilier la transcendance et l’immanence, tout en assumant une part christique dans la conquête et l’exercice du pouvoir, voilà qui interpelle, et appelle quelques définitions simples avant que toute discussion soit possible.

Le candidat venu d’ailleurs

L’immanent est ici, le transcendant est au-delà ou au-dessus du monde ; il est ailleurs. La transcendance évoque l’idée de dépassement de notre réalité, pour atteindre un ordre supérieur dont notre monde dépendrait étroitement mais qui serait la plupart du temps inaccessible. Soit on considère que tout est ici, soit l’on imagine qu’il peut y avoir quelque chose ailleurs qui explique ce monde-ci. L’un et l’autre sont deux conceptions du monde qui peuvent difficilement se conjuguer ; ce d’autant que l’immanent semblait l’avoir définitivement emporté depuis des siècles dans la sphère politique. L’évocation du Christ, qu’Emmanuel Macron ne « renie pas », illustre cette synthèse a priori impossible : à la fois homme et Dieu, il serait l’incarnation de quelque chose qui nous dépasse absolument, mais qui s’est fait homme.

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Le Christ Pantocrator de la Basilique Sainte-Sophie esquisse un geste de bénédiction, dont les deux doigts levés indiquent sa double nature : immanente et transcendante

Nul n’ignore d’ailleurs le caractère originairement religieux de la transcendance. Or, nous sommes les héritiers d’un grand mouvement de sécularisation, bien analysé par les démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras ou par l’historien Michel Vovelle. L’organisation de la vie sociale, et par conséquent de la vie publique, s’est progressivement détachée des préoccupations religieuses dès le début du XVIIIe siècle. Cette sécularisation, couplée à l’alphabétisation de masse, a entraîné, à terme, l’émergence des principales forces politiques contemporaines. L’apparition des grandes idéologies au cours du XIXe et du XXe siècle est directement corrélée à la diminution de la pratique religieuse dans les différentes régions d’Europe.  Les désaccords sur la vie commune s’expriment désormais dans des programmes, des orientations, telles que la social-démocratie, le conservatisme ou le libéralisme. 

Cette nouvelle conception du fait politique marque un progrès indiscutable des consciences collectives dans la connaissance du monde.

En effet, rien n’est au-delà, tout est ici. «Nous sommes au monde, on nous l’a assez dit», chantait Léo Ferré.  La conséquence politique de cette affirmation est claire : il n’y a pas d’autorité naturelle, le charisme dépend des qualités des hommes et non d’une inspiration divine.

L’incarnation ici et maintenant

L’incarnation reste possible ; on peut même la qualifier de « transcendante » si l’on joue sur les mots et qu’on est peu honnête. Car qu’incarne-t-on dans un monde qui n’a pas d’arrière-monde ? Des aspirations collectives, des idées, un programme. Tout ce qu’Emmanuel Macron refuse de proposer pour l’instant, affirmant même que «c’est une erreur de penser que le programme est au coeur d’une campagne». L’incarnation, sans transcendance, doit s’appuyer sur quelque chose. Elle ne peut pas être la seule affaire d’une «dimension christique», sauf à croire en son destin providentiel.

Parce qu’un homme seul n’est plus en contact avec les forces surnaturelles, il ne peut tirer l’énergie de gouverner et la force d’exercer le pouvoir que du soutien des puissances naturelles de ce monde-ci. La plus grande force ici-bas, pour un aspirant au pouvoir suprême, est celle des hommes qui partagent ses idées, souhaitent l’aider à les appliquer, ou consentent du moins à déléguer leur puissance. Les théories du contrat social, qui naissent précisément lorsque la sécularisation commence à produire ses effets politiques, en sont la conséquence directe.

Pouvoir immanent, révolte imminente ?

Boetie_1Plus radical encore que les contractualistes, Étienne de La Boétie exprime crûment que tout homme, aussi providentiel fût-il, n’a que deux yeux, deux bras, deux jambes. Dieu ne prête pas ses bras à ceux qu’il élirait. Sans puissance supérieure, ce sont les forces de ce monde-ci qui imposent ou non une autorité politique. Ce sont nos bras, nos jambes, notre force qui appuient le pouvoir, quel qu’il soit. L’action politique n’est jamais un «chemin» solitaire qui aurait une dimension «christique».

Dans un second temps seulement, les manifestations de ce pouvoir, venu du consentement de la base sociale qui l’appuie, semblent tomber d’en-haut et, pourquoi pas, d’ailleurs. Mais ce sentiment de «transcendance» est trompeur : le pouvoir est toujours immanent. Prétendre comme le fait M. Macron qu’il devrait être concilié avec une dimension transcendante, c’est perpétuer un mensonge dont nous pensions être définitivement délivrés. Celui du Roi à qui l’on doit obéissance parce qu’il est roi, ou de l’homme au destin déjà écrit que la Providence a désigné pour nous diriger (suivez mon regard).

L’immanence effective et définitive du pouvoir emporte plusieurs conséquences politiques, bien décrites par Frédéric Lordon relisant Spinoza et La Boétie. Ces conséquences sont si subversives qu’on comprend que le candidat de l’extrême-centre, tout enivré de ses récents succès sondagiers, souhaite conférer une part de « transcendance » à son action publique.

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Tout l’attirail supposément transcendant d’une monarchie millénaire n’a pas suffi à préserver le trône ni la vie de Louis XVI.

D’abord, le pouvoir politique n’est légitime que lorsqu’il s’appuie sur une majorité qui lui accorde suffisamment de puissance. Ensuite, ce même pouvoir tombe de lui-même lorsqu’il n’est plus perçu comme légitime, quand bien même il se parerait de tous les ornements d’une autorité naturelle, divine ou supérieure. On a vu des rois choir de leur trône millénaire alors qu’ils prétendaient le tenir du Seigneur.

On voit bien les liens nécessaires entre la démocratie et cette conception immanente du pouvoir. Les institutions démocratiques formalisent un processus qui, sans cela, s’exprimerait violemment lorsqu’on atteint un point de rupture. Sans acceptation du pouvoir politique, ce dernier s’effondre. S’assurer du soutien de la majorité n’est pas seulement le moyen d’affirmer une orientation programmatique ; c’est aussi la garantie que le pouvoir continue de s’exercer sans être confronté à une révolte majoritaire, donc plus puissante que le pouvoir devenu minoritaire.

Le vote de chacun est la concrétisation de sa délégation volontaire de puissance et de confiance vers un individu qui ne devrait jamais oublier d’où il tire sa légitimité. Ce transfert de puissance du bas vers le haut, qui explique que le pouvoir s’exerce, est l’autre nom de la souveraineté, dont on voit bien ici qu’elle est nécessairement populaire pour être authentique.

L’ambiguïté du Christ-Macron

Il est vrai qu’Emmanuel Macron n’a jamais daigné se présenter au suffrage universel avant 2017, l’élection présidentielle étant la seule qui, à ses yeux, mérite qu’il s’y attarde un peu. Et que sa conception de la souveraineté mérite pour le moins d’être éclaircie…

On comprend mal, à le lire, comment il compte concilier la transcendance et l’immanence. Soit il y a quelque chose au-delà du monde, une inspiration divine, qui dépasse les hommes, soit il n’y a rien de tel, et l’incarnation politique n’est qu’une transcendance de façade.

L’évocation du Christ et d’une « ruse de l’Histoire » (comprendre d’une Histoire capable de ruse, de réflexion, d’orientations, en un mot une histoire providentielle) ne paraît pas plaider pour le choix de l’immanence. Peut-être ne s’agit-il là que d’un habillage philosophique permettant d’expliquer a posteriori son relatif succès politique, en se donnant l’étoffe d’un Président et en se proclamant lui-même le chouchou du destin, à défaut d’être resté celui de François Hollande.

On peut cependant accorder le bénéfice du doute au candidat centriste. La transcendance qu’il évoque n’est peut-être qu’un abus de langage pour parler d’une incarnation d’aspirations terrestres, « ancrées dans l’immanence complète ». Auquel cas il devient urgent de nous dévoiler quelles sont ces aspirations, quel est ce programme qui n’est « pas au coeur » de sa campagne. Sans cela, la course au pouvoir d’Emmanuel Macron risque de nous renvoyer à une conception datée de l’action politique, d’avant les premières vagues de déchristianisation du XVIIIe siècle, loin de l’hypermodernité qu’il revendique par ailleurs. L’incantation christique pouvait encore fonctionner en 1600 ; aujourd’hui, sans programme et sans Dieu, Emmanuel Macron risque bien de n’incarner que lui-même.

Pour aller plus loin :

TODD Emmanuel, L’invention de l’Europe, Paris, Seuil, 1990

TODD Emmanuel et LE BRAS Hervé, Le Mystère français, Paris, Seuil, 2013

LORDON Frédéric, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015

VOVELLE Michel, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle. Les attitudes devant la mort d’après les clauses des testaments, Paris, Plon, 1973

Crédits

http://www.leparisien.fr/politique/ils-se-levent-tous-pour-macron-11-12-2016-6440592.php

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hinrichtung_Ludwig_des_XVI.png

https://fr.wikipedia.org/wiki/Christ_pantocrator#/media/File:Christ_Pantocrator_Deesis_mosaic_Hagia_Sophia.jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire#/media/File:Boetie_1.jpg

 

Comment les médias ont fabriqué le candidat Macron

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL Attal Macronisme Une Journaux
© Création/Édition LHB pour LVSL (2017)

Quelques mois après son entrée au Ministère de l’économie, Emmanuel Macron jouissait d’un niveau de popularité plutôt faible. En octobre 2014, seules 11 % des personnes interrogées souhaitaient le voir jouer un rôle plus important dans la vie politique. Un an et demi plus tard, il conservait une cote de popularité très basse chez certaines catégories sociales : en mars 2016, seuls 6 % seulement des ouvriers et 4 % des artisans appréciaient le très libéral ministre de l’économie. Aujourd’hui, les « sondages » le considèrent régulièrement comme la personnalité politique préférée des Français. Que s’est-il passé entre-temps ? Quel rôle a joué la presse dans le basculement de l’opinion ?

Dans les premiers temps où Emmanuel Macron exerce le poste de Ministre de l’économie, il ne fait pas encore la une de tous les grands quotidiens. Vaguement connu du grand public, il est relativement peu apprécié. Ex-banquier chez Rothschild, libéral, bling-bling, instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail plutôt mal reçue par les travailleurs : voilà comment Macron est vu par l’homme du commun. Commence alors la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron. Choyé par les élites intellectuelles et journalistiques, il ne tarde pas à devenir un sujet d’actualité privilégié pour la grande presse. Macron a été, et de très loin, la personnalité politique la plus médiatisée durant les deux dernières années. Les quotidiens Libération, l’Obs, le Monde et l’Express totalisent plus de 8000 articles évoquant Emmanuel Macron de janvier 2015 à janvier 2017 ; à titre de comparaison, la totalité des articles évoquant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon dans les mêmes quotidiens et sur la même période de temps ne s’élève qu’à 7400.

Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon - Média / Articles
Comparatif du nombre d’articles mentionnant Emmanuel Macron comparé au nombre de mentions cumulées de Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon – © LHB pour LVSL (2017)

Qu’avait donc de si extraordinaire le Ministre de l’économie pour se retrouver propulsé au premier plan de la scène médiatique ?

Macron incarne « le renouveau » et « la modernité »

Libéral « de gauche », comme la quasi-totalité des membres du gouvernement Hollande ; européen convaincu, comme l’extrême majorité de ses collègues. Les solutions économiques qu’il préconisait face à la crise, celles du Parti Socialiste depuis 1983, n’avaient décidément rien d’original. Diplômé de Sciences Po, énarque nommé au ministère après un passage par la banque : son parcours n’était pas non plus particulièrement atypique.

Ce n’est pas l’avis de nos éditorialistes : « l’iconoclaste » Macron incarne selon eux le « renouveau » et la « modernité ».

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017
Captures d’écran – Le Monde, BFMTV, L’Express et LCI

Les journalistes s’enthousiasment, les rédacteurs en chef jubilent. Emmanuel Macron inspire des élans lyriques à Laurent Joffrin et Nicolas Beytout, rédacteurs en chef de Libération et de l’Opinion.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017
Captures d’écran – Libération et L’Opinion

Ce sont les mêmes raisons qui ont été avancées par les actionnaires de ces médias pour justifier leur sympathie vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Ainsi, si Pierre Bergé (actionnaire au Monde et à l’Obs) et Vincent Bolloré (actionnaire à Canal+) lui apportent leur soutien, c’est parce qu’ils sont respectivement charmés par sa jeunesse et sa “modernité“.

Macron le romantique

Avis aux fayots et aux ambitieux parmi les lycéens : coucher avec sa prof de Français semble être un bon moyen pour faire la une des médias pendant plusieurs semaines. C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser au regard du nombre de couvertures et d’articles dédiés à la vie sentimentale du ministre.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017
Couvertures de Paris Match et VSD (2017)

La presse people n’est pas la seule à s’être penchée sur la vie sentimentale du ministre. Le cas Brigitte Macron est devenu une question âprement débattue au sein de la presse politique.

L’idylle du couple Macron, réminiscence d’une forme d’amour courtois à la française ? C’est ce qu’incitent à penser Le Monde ou Le Figaro, selon lesquels la relation entre Brigitte et Emmanuel Macron permet d’expliquer le succès du ministre de l’économie auprès de l’électorat féminin.

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Captures d’écran – Le Figaro Madame et Le Monde

Plus féministe, Libération y voit le signe d’une égalisation des conditions.

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Capture d’écran – Libération

L’analyse de l’Express est plus métaphorique. Selon ce quotidien, l’accueil négatif que recevrait ce couple serait symptomatique du refus qu’opposent les Français à la modernisation de leur système politique et social.

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Capture d’écran – L’Express

Brigitte Macron n’était pas la seule caution romantique du ministre de l’économie. Sa barbe de trois jours a par exemple défrayé la chronique journalistique.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Barbe
Selon Les Échos, le port de la barbe constituerait une transgression de le part d’Emmanuel Macron. Un élément qui permet de comprendre pourquoi la presse trouve un caractère “subversif”, “iconoclaste” et “anti-système” à Macron ? – Captures d’écran – L’Obs, Le Point, France Bleu, Le Parisien, L’Express et Les Échos

L’épopée connaît un rebondissement inattendu. Emmanuel Macron, souhaitant retrouver sa peau imberbe d’antan, décide de se faire raser au salon de coiffure ; cette séance lui a valu une égratignure. Les journalistes, le souffle coupé par la nouvelle barbe d’Emmanuel Macron, manquent à nouveau de perdre leur souffle.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Barbe
Captures d’écran – L’Express, Le Huffington Post, Gala et RTL

Prophétie auto-réalisatrice : quand les prédictions des médias deviennent réalité

Les semaines passent et se ressemblent : Macron fait la une des médias, il obtient le soutien de nombreux analystes, politologues et « experts » invités sur les plateaux télés. Prenant sans doute la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron pour le symptôme d’un engouement populaire, un nombre croissant de journalistes plaide, implicitement ou directement, pour une candidature du Ministre de l’économie à l’élection présidentielle.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Candidature
Captures d’écran – L’Express, France Culture et Le Monde

Considérant sans doute que ces appels à candidature témoignent d’une attente populaire authentique, les médias présentent alors l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron comme un soulagement généralisé :

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Captures d’écran – Le Monde, France Inter et L’Obs

Engouement factice ou véridique ? S’il est permis de s’interroger sur l’authenticité de cet enthousiasme au sein des classes populaires, elle ne fait aucun doute pour les élites médiatiques. Le jour même de sa démission, Emmanuel Macron faisait les gros titres de la grande presse. Le JT de France 2 a consacré 22 minutes à cet événement, soit les deux tiers de l’émission. Même chose sur TF1, où Emmanuel Macron était personnellement invité pour une interview d’une durée de 17 minutes...

http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/91515/david-pujadas-confirme-au-jt-de-20h-de-france-2.html
Le JT de France 2 est quotidiennement regardé par 4 à 5 millions de téléspectateurs. Ce que les présentateurs affirment sur un ton apparemment neutre possède un impact décisif sur les événements politiques. Capture France 2

Il est permis de se demander dans quelle mesure l’exposition permanente des moindres faits et gestes d’Emmanuel Macron a encouragé, voire en grande partie créé l’adhésion de l’opinion (à en croire les sondages) à la campagne d’En Marche. Selon David Pujadas, la démission d’Emmanuel Macron constitue « bien sûr […] un moment important dans la campagne présidentielle qui s’annonce ». Ces mots étant prononcés à une heure de grande écoute (plusieurs millions de téléspectateurs), l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron devient effectivement un moment important pour la campagne présidentielle.

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La Macron-mania médiatique : cause ou conséquence de son succès ? – Couvertures de L’Obs, L’Express et Libération

Macron l’anti-système

Macron avait beau faire, son parcours incarnait à lui seul les collusions entre le monde politique et les grands intérêts financiers ; un candidat aussi peu suspect de sympathies marxistes que François Bayrou a même pu s’en émouvoir. Rien de tel, lorsqu’on est porté par le système, que de se déclarer « anti-système » pour se refaire une virginité. Que le diplômé de Sciences po, l’énarque, le banquier, le ministre Macron puisse se déclarer « anti-système » est une chose. Que cette information loufoque soit relayée avec autant de sérieux par la grande presse en est une autre.

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Captures d’écran – L’Obs, Le Monde et Libération

Dernière en date : après avoir déclaré que Macron représentait un « danger » pour la « séparation entre la sphère politique et la sphère financière », François Bayrou finit par conclure que s’il s’allie avec Emmanuel Macron, ils feront « sauter la Banque ».

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Capture d’écran – L’Express

Le « phénomène » Macron

Jeune, romantique, anti-système : après avoir présenté l’ex-ministre sous ces traits élogieux pendant des mois, après avoir fait de sa démission le point de départ d’une nouvelle révolution, la presse n’a plus qu’à se féliciter du travail accompli en constatant le progrès d’Emmanuel Macron dans les sondages.

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Captures d’écran – Le Point, RTL, Yahoo Actualités et BFMTV

Conséquence de ce bourrage de crâne intense et systématique, Emmanuel Macron est désormais crédité de plus de 20 % et considéré comme la personnalité politique préférée des Français dans un sondage réalisé pour BFM-TV.

La palme revient, comme souvent, à Libération. Le quotidien « progressiste » « de gauche » financé par Patrick Drahi et Edouard de Rothschild qualifie le phénomène Macron d’ « incontestable » mais aussi « d’imprévisible ».

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Capture d’écran – Libération

Imprévisible, vraiment ? Après plus de 17 000 articles mentionnant Emmanuel Macron dans la grande presse, des centaines de reportages élogieux à la télévision et le soutien constant et systématique des élites médiatiques françaises ?

– Édition et mise en page LHB pour LVSL (2017)

“Emmanuel Macron veut liquider le modèle social français” – Entretien avec Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah a publié avec Thomas Porcher un ouvrage sur Emmanuel Macron, intitulé Introduction inquiète à la Macron-économie, publié en 2016 aux éditions Les petits matins. Nous avons pu nous entretenir avec lui sur l’avenir que nous propose Emmanuel Macron, et sur les liens de l’homme avec le patronat.


LVSL – Vous êtes l’auteur, avec Thomas Porcher, d’une Introduction inquiète à la macron-économie, sortie en 2016 aux éditions Les petits matins. Dans cet essai, vous décryptez douze déclarations d’Emmanuel Macron et en faites la critique argumentée. Moderne, l’homme fustige les « corporatismes » et les « rigidités » au profit de la souplesse et de la liberté. Vous réhabilitez ces « corporatismes » et ces « rigidités », pouvez-vous nous en dire plus ?

Frédéric Farah – Ces corporatismes et ces rigidités sont souvent invoqués mais sans que jamais on ne dise de quoi il s’agit vraiment. Plane au-dessus d’eux un halo de significations qui pourrait se résumer à mon sens par la dénonciation des syndicats, des protections des travailleurs sur le marché du travail, et du statut de la fonction publique. En somme et à en croire certains dont Emmanuel Macron, le pays se meurt économiquement car régnerait une culture du conflit, une fonction publique sclérosée et un marché du travail insuffisamment réactif.  Ce contexte écraserait la mentalité d’entreprise.

Ce discours n’a rien de neuf. Si on relit par exemple « La science économique et l’action » de Pierre Mendes France et Gabriel Ardant publié en 1954  qui fait entre autres retour sur la crise des années 1930, on ne peut qu’être frappé par le propos : «  la rigidité de l’économie est un fait réel et il n’était pas inutile de le souligner ni, dans une certaine mesure et dans certaines conditions, de la corriger. Ce qui était erroné, c’était d’en faire la cause unique, exclusive, de la dépression et du chômage : c’était méconnaitre les autres facteurs de déséquilibre économique ».

A mon sens, un double effort conceptuel et historique est nécessaire pour comprendre comment ce discours d’inspiration libérale est devenu un peu l’air qu’on respire. Si l’on prend la question des rigidités pour commencer, une grille économique et sociologique s’impose pour saisir les enjeux de la question.

Introduction inquiète à la Macro-Économie
Introduction inquiète à la Macro-Économie, Les petits matins, 2016

Économiquement, l’appel à la flexibilité revient, selon la logique de l’économie standard, à attendre des prix flexibles qu’ils régulent l’activité économique. Ainsi si le marché du travail était flexible selon les canons de la théorie néo-classique, c’est-à-dire, si la résolution des déséquilibres, comme la pénurie de main d’œuvre ou le chômage, se faisait uniquement en fonction des prix (ici les salaires), alors le problème du chômage serait résolu. En gros, cela veut dire que s’il y a du chômage, c’est que le SMIC est trop élevé.

L’objectif essentiel de la flexibilité sur le marché du travail est de modérer les salaires qui ne sont perçus que comme un coût. A en croire les Macron et autres Fillon pour ne citer que ceux-là, nous aurions à faire à un marché du travail ultra rigide.

Nous montrons dans le livre qu’il n’en est rien. Depuis 1980 , le recours aux emplois temporaires a été multiplié par 5 pour l’intérim, par 4 pour les CDD et par 3 pour les CDD et les contrats aidés.  Pire encore, la littérature scientifique révèle clairement qu’il n’est pas possible d’établir de lien positif entre une plus grande flexibilité et une création d’emplois ou une réduction du chômage.

L’OCDE pourtant chantre du libéralisme est revenu sur sa croyance en la flexibilité. En 2004, elle reconnaissait que les mesures de flexibilisation n’étaient pas la martingale en matière d’emploi. La flexibilité permet parfois des ajustements plus rapides des besoins en main d’œuvre mais ne crée pas d’emplois. Il ne faut pas oublier le rôle que jouent demande globale, c’est-à-dire le carnet de commande des entreprises, et les contraintes de l’euro.

Le marché du travail français est largement flexible et la loi El Khomri ne créera probablement aucun emploi. Lorsque l’autorisation administrative de licenciement a été supprimée en 1987, combien d’emplois ont été crées dans la foulée ? Tout simplement aucun. Au cours des Trente glorieuses, le marché du travail a vu naitre le SMIC, les contrats à durée indéterminée, une protection sociale élargie, le chômage a-t-il cru ? Absolument pas.

La modération salariale ne nous parait pas une bonne chose loin de là. Le dernier rapport du BIT s’inquiète de la modération salariale dans le monde et reconnait des vertus aux divers salaires minimums comme le SMIC. Par ailleurs en France entre 2003 et 2014, le niveau de vie des 10% les plus pauvres a diminué. Plus de flexibilité n’apportera guère plus d’emplois et encore moins de pouvoir d’achat.

La lecture uniquement économique des choses n’est pas suffisante. Il faut inscrire notre propos dans une approche sociologique pour montrer combien un emploi stable et protégé contribue à l’intégration sociale des individus. Le travail n’est pas qu’une marchandise comme les libéraux veulent nous le faire entendre, mais le travail doit demeurer un projet.

Repartons si vous le voulez du sociologue Robert Castel,  penseur clef de la société salariale dont le livre les « Métamorphoses de la question sociale » reste fondateur. Robert Castel affirmait que l’individu n’existe pas tout seul, qu’il doit  s’inscrire dans des collectifs. C’est un beau paradoxe et pour le dire avec les mots de Norbert Elias, pour être «  je » il faut en passer par un «  nous ». Il employait le terme de supports. Il s’agit d’une série de droits que Castel nomme à la suite d’Alfred Fouillé : la propriété sociale et la propriété des non propriétaires (protection contre les risques sociaux). C’est de la sorte que le salariat, loin d’être uniquement une source d’exploitation, peut devenir source de droits. Dans cette perspective, les conditions de travail et les conditions du travail sont essentielles. Les conditions du travail renvoient à la nature de contrat dont on dispose ( CDI, CDD etc). Ces supports sont fondamentaux et en leur absence les individus peuvent connaître des situations de désaffiliation sociale.

Pour nous, l’important est de renverser la perspective et d’insister sur la nécessité de garantir aux citoyens les conditions qui permettent de se projeter dans le temps. Le travail, pour qu’il reste ce grand intégrateur, a besoin de garanties et de protection. Il n’est pas qu’un coût à réduire, ou l’objet d’un chantage à l’emploi. La mobilité vantée par les libéraux comme Macron est bien souvent synonyme de précarité pour beaucoup de travailleurs.

Aujourd’hui on voit bien combien ces supports au sens de Castel  sont essentiels. Le récent conflit Uber montre que la question sociale reste d’actualité et n’a rien perdu de son acuité. Il apparait nécessaire, comme cela a été fait avec l’affirmation de la société salariale, d’imaginer un statut protecteur des salariés à l’ère du numérique et du monde post-industriel. Les mutations économiques ne doivent pas être le moment du triomphe du précariat sur le salariat.

Quant aux corporatismes, là aussi il faudrait savoir de quoi on parle dans le fond. La France affiche un taux de syndicalisation particulièrement faible. Il est de 8,7% dans le secteur marchand privé et 19,8% dans le secteur public. Sont-ce nos syndicats qui représentent des corporations étouffantes et rendent impossibles la négociation collective ? On peut en douter.

Certains sont plus prompts à dénoncer la CGT que le MEDEF. Quant à la fonction publique, elle est un acteur clef de la création de richesses dans notre pays et les administrations publiques sont loin d’être le nid protecteur des emplois protégés. La contribution au PIB des administrations publiques est de 333 milliards d’euros en 2012 comme le souligne l’économiste Christophe Ramaux.

Les emplois publics, eux aussi, sont de plus en plus marqués par la précarité. L’université française tourne grâce à 40 000 vacataires peu ou pas syndiqués et mal protégés. l’État est un des grands pourvoyeurs de précarité. C’est un drame. On contourne le statut de la fonction publique de 1946 qui est un véritable progrès, et met à l’abri les fonctionnaires de l’arbitraire politique.

En somme le discours sur les corporatismes et les rigidités veut construire un monde binaire dans lequel il y aurait un monde en marche déterminé à entreprendre face au monde des syndicats repliés sur les acquis des trente glorieuses et sur une vieille fonction publique rétive au changement et crispée sur le statut de 1946.

LVSL – Pendant son meeting du 10 décembre, Emmanuel Macron a évoqué la question des négociations collectives entre partenaires sociaux à tous les échelons. Il a néanmoins explicité sa préférence pour les accords d’entreprise, et a déclaré que « c’est comme cela que nous créerons cette République contractuelle à laquelle nous croyons » et que « dans cette République, je veux privilégier le contrat à la loi ». Contrairement aux apparences, cette déclaration est très chargée, car la République, c’est précisément la supériorité de la loi générale et égale pour tous, sur les contrats, qui, loin d’être purement volontaires, sont emplis de rapports de force, et, plus précisément, de rapports de classe. Qu’en pensez-vous ?

F.F. – Vous avez raison, cette déclaration est lourde de sens car elle porte en elle une formidable régression, et, disons le, elle exprime des rapports de classe.

L’idée du contrat est chère à un certain libéralisme. Il y a un vieil adage de droit d’Alfred Fouillé « qui dit contractuel dit juste ». Macron, par sa formule de « République contractuelle » essaie d’habiller théoriquement son entreprise de communication politique. Elle implique la croyance que deux parties en situation de parfaite égalité se donnent mutuellement des obligations. Cette conception fait fi des rapports de force.  Pour bien le comprendre, il faut se tourner vers le droit du travail. Dans ce domaine, tout le progrès social a consisté à donner une spécificité au contrat de travail qui n’est pas un contrat comme un autre. Il a cette caractéristique de contenir ce lien de subordination qui contient un rapport de force.  Imaginer faire disparaître ce rapport de force est une mystification.

Mais l’approche contractuelle d’Emmanuel Macron est quelque peu pauvre. Il reprend à son compte une théorie juridique de l’autonomie de la volonté qui reposerait – selon l’un de ses vulgarisateurs Gounot – sur le fait que «  nul ne peut être obligé sans l’avoir voulu », et sur le fait que « tout engagement libre est juste ». On retrouve le fond libéral de Macron pour qui la volonté individuelle serait tout. Cette approche fait débat en droit et l’article 1134 du code civil affirme au contraire que «  la loi sanctionne les conventions, elle leur prête leur force ». C’est toute la force de la loi qui garantit l’exécution des contrats s’ils respectent les conditions posées.

« Entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit »

Macron veut procéder de la sorte à un vaste retour en arrière déjà présent dans la loi El Khomri. C’est un monde fantasmé qui ferait de l’entreprise un nœud de contrats plus à même de décider de l’avenir de ses salariés. C’est l’abandon  de la formule de Lacordaire « entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi est jugée oppressive, attentatoire à la liberté d’entreprendre dans le libéralisme mode Macron.

LVSL – On s’étonne parfois de la similitude entre les propositions du MEDEF et celles d’Emmanuel Macron. Quels liens y-a-t-il entre En Marche et l’organisation patronale ?

F.F. – Les liens avec le MEDEF me paraissent nombreux. Je dirais, si je dois caricaturer Goethe, qu’entre le MEDEF et Macron les affinités électives sont nombreuses. Il y a un discours, une philosophie qui sont voisines. La nomination de Françoise Holder comme l’une des figures de proue d’En Marche ne doit pas surprendre. Elle a cofondé avec son mari les boulangeries Paul, et surtout elle est adhérente du MEDEF.

“Emmanuel Macron ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme son souhait de liquider le modèle social français”

Certes il ne s’est pas rendu à l’université d’été du MEDEF en 2016, mais c’est de la stratégie communicationnelle. Lorsque Kessler affirmait en 2007 dans Challenges qu’il fallait en finir avec les idées du Conseil National de la Resistance et les réformes conduites après-guerre, Emmanuel Macron ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme son souhait de liquider le modèle social  français.

Le MEDEF nourrit le réformisme de droite de Macron. Il faut distinguer le réformisme de droite et celui de gauche. Ce dernier est dans les limbes et attend une réelle incarnation. Le réformisme de droite se caractérise par une croyance qu’il faut libérer les forces de marché pour mieux organiser la société et les richesses. Il y a chez Macron comme au MEDEF une absolutisation de l’économie. Le social doit suivre, il lui est subordonné. C’est une pensée somme toute assez pauvre.

Emmanuel Macron revendique pour lui une politique d’abaissement du coût du travail et d’augmentation des marges des entreprises, alors que celles-ci ont beaucoup remonté depuis leur plus bas de 2013. Néanmoins, la balance commerciale de la France est toujours déficitaire tandis que l’euro nous empêche de dévaluer. Quels liens y-a-t-il entre les contraintes de la zone euro, les exigences de Bruxelles, et le programme d’Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron se veut euro compatible. Son programme s’inscrit parfaitement dans la logique d’une abdication de souveraineté entreprise plus largement depuis Maastricht. De ce point de vue, son apparent pragmatisme est une manière habile de déguiser sa résignation. Il veut nous vendre les chaines de l’euro comme expression de la liberté collective.

La zone euro illustre d’abord un beau paradoxe libéral, le libéralisme économique réclame de la flexibilité à tout va mais étrangement en matière de change, il défend une rigidité terrifiante. Comme le disait Jean-Paul Fitoussi dans les années 1990, l’Union européenne est gouvernée par la doctrine. De ce fait comme il n’est pas possible d’ajuster le change de l’euro, la flexibilité perdue doit se retrouver sur le marché du travail. Il suffit de relire à ce sujet, les recommandations récentes du conseil européen de février 2016. Dans les lendemains de la ratification du traité de Maastricht, la flexibilisation des marchés du travail est devenue le maitre mot des gouvernements européens. Ces dernières années les lois s’enchaînent : loi Treu, loi Biaggi, Job act en Italie, lois Hartz en Allemagne et Loi Macron puis Loi El Khomri – en réalité Loi Macron II – en France.

L stratégie de Lisbonne souhaitait faire de l’économie européenne l’économie de plein emploi et la plus compétitive à l’horizon 2010 voulait combler cinq déficits :  déficit de productivité, déficit d’emploi, déficit d’activité, déficit de recherche et développement et déficit dans la politique environnementale.

“Il ne s’agit de rien d’autre que de créer un ordre économique et social favorable aux marchés.”

Le social n’était pas absent de cette stratégie mais il était arrimé aux besoins du marché, il ne devait en rien constituer un frein aux marchés et à leur bon fonctionnement. C’est la logique d’adaptation. Dans ce cadre, l’État et ses interventions ne disparaissaient pas mais muaient au profit du marché. Ici toute la puissance de l’ordolibéralisme se faisait sentir puisqu’il ne s’agit de rien d’autre que de créer un ordre économique et social favorable aux marchés.

Cette stratégie n’ayant pas abouti, elle fut amendée mais conservée dans le fond par la stratégie Europe 2020. Cette architecture est renforcée à l’extérieur par le choix du libre échange comme l’illustre la promotion du TAFTA et du CETA. Pour s’assurer de la pérennité du dispositif, la crise dite des dettes souveraines a ouvert une fenêtre d’opportunité pour renforcer la discipline punitive avec le TSCG, le semestre européen, et autres dispositifs du genre. L’État social est alors mis au pas.  La Grèce devient le laboratoire de l’avenir social et économique du continent.

L’architecture qui s’est dessinée en plus de 20 ans laisse peu de place à d’autres politiques, car désormais le capital circule librement alors que les institutions de la protection sociale sont arrimées aux nations, et que le travail n’est pas aussi mobile que le capital. Désormais il ne reste alors que des politiques de l’offre c’est-à-dire créer des conditions favorables au capital : avantages fiscaux, moins disant social et flexibilité. Le capital aura toujours un coup d’avance. Et Macron dans tout ça me direz-vous ?

S’il souhaitait incarner une vraie rupture,  c’était sur ce point là qu’il fallait la mettre en œuvre.  C’est au regard de cette soumission à l’Europe telle qu’elle va et surtout telle que ne va pas, qu’Emmanuel Macron est à la fois un leurre politique et en incapacité à faire barrage au Front National. Son discours du dix décembre jugé par certains comme fondateur ne dit rien sur l’Union européenne. Il n’a fait que réitérer le catéchisme européen. Tant que l’architecture que nous avons décrite n’est pas remise en cause – à savoir  l’euro, le corps doctrinal de la politique monétaire, les politiques de production des normes, la financiarisation de l’économie, et le tout marché dans une optique ordolibérale – alors tout le reste ne sera que bavardage et mauvaise distraction.

“Macron n’est encore une fois que la énième expression de la soumission de nos élites à un ordre européen injuste et inefficace.”

Il poursuit la même voie suicidaire que la plupart de nos hommes politiques et de nos anciens présidents de la République. C’est-à-dire abandonner davantage de souveraineté pour gagner en influence en Europe. Sur le plan externe, il endosse les traités de Libre échange.

Cette stratégie a été perdante et depuis trente ans nous a couté très cher. Le choix de la désinflation compétitive des années 1980 et ses trois piliers – franc fort austérité et modération salariale – a été désastreux en matière de chômage, et a joué un rôle négatif pour notre industrie. La marche à l’euro dans les années 1990 nous a conduit à la croissance molle. L’euro fort de 2001 à 2008 a accéléré notre désindustrialisation.

Aujourd’hui, après 30 ans de réformes pour ne pas dire de régressions, Emmanuel Macron et autres Fillon demandent avec plus ou moins de brutalité d’épouser une voie allemande en matière sociale, c’est-à-dire d’accélérer la liquidation de notre modèle social. Pour eux, il faut désormais soumettre l’économie française à marche forcée à ce projet européen dont la forme brutale s’est exprimée dans les pays du sud et particulièrement en Grèce. Yannis Varoufakis l’a bien dit : l’objectif de Schäuble est l’État social français. Jean-Claude Juncker a quant à lui clairement dit que la loi El Khomri était le minimum que pouvait faire la France. Macron c’est la version high tech de ce projet tandis que François Fillon incarne la version Tweed et défense des clochers, mais en définitive il s’agit de la même histoire.