Sécurité Sociale de l’Alimentation : de l’utopie à la réalité

© Sébastien Lapostolle

Étendre le principe de la Sécurité sociale à l’alimentation en permettant à tous les Français d’acheter des produits conventionnés, choisis démocratiquement, grâce à une carte dédiée. Le principe de la Sécurité sociale alimentaire est simple, sa mise en oeuvre moins. Celle-ci implique en effet une bataille majeure contre les acteurs qui gèrent aujourd’hui ce secteur, notamment l’agro-business et la grande distribution, mais aussi l’obsession libre-échangiste de l’Union européenne. Petit à petit, l’idée essaime pourtant un peu partout en France, à travers des expérimentations locales. Alors qu’une proposition de loi pour une massification a été déposée, des questions majeures, portant notamment sur le financement, cherchent encore des réponses.

Il y a un peu plus d’un an, les Restos du Cœur lançaient une vaste campagne d’appel aux dons, annonçant être submergés face à une demande croissante d’une partie de la population n’arrivant plus à se nourrir face à l’inflation. Encore aujourd’hui, la crise reste d’actualité, les files d’attente pour l’aide alimentaire ne disparaissent pas du paysage français. A titre d’exemple, un rapport publié le 17 octobre par l’association Cop1, révèle que 36 % des étudiants sautent régulièrement un repas faute de moyens, tandis que 18 % d’entre eux dépendent de l’aide alimentaire. Par ailleurs, l’isolement social accompagne les difficultés alimentaires : « 41 % des étudiant.e.s se sentent toujours ou souvent seul.e.s », contre 19 % dans la population générale. La crise cependant n’épargne pas les autres tranches d’âge. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne baisse pas, atteignant aujourd’hui 2,4 millions, selon le dernier rapport d’activités des Banques Alimentaires.

Une réponse démocratique à la faim et à la misère agricole

À l’autre extrémité de la chaîne de production, l’agonie du monde paysan et agricole se prolonge. Alors que les élections des chambres d’agriculture se tiendront en janvier 2025 et que l’UE s’apprête à signer un désastreux traité de libre-échange avec le MERCOSUR, les tensions restent vives. Dans un contexte de forte couverture médiatique, les mouvements agricoles tentent de décrocher de nouveaux engagements : une rémunération juste du travail, le partage équitable de la valeur ou le rééquilibrage des rapports de force face à la grande distribution. À cela s’ajoutent des revendications pour des simplifications administratives, certaines pourtant, enfermées dans le modèle de l’agro-business, vont à l’encontre des objectifs écologiques.

Pour toutes ces raisons, l’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) fait son chemin. Encore peu connue, cette proposition se construit à travers diverses expérimentations, et apparaît de plus en plus souhaitable à chaque nouvelle crise. À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre 2024, plusieurs publications se sont penchées sur le sujet. Le 14 octobre, l’Institut Rousseau argumente l’idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation » en soulignant « l’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel ». Quelques jours plus tôt, la Fondation Jean Jaurès publiait une note appelant à la création de nouveaux droits pour agir sur les déterminants de santé. Ces deux rapports mettent en lumière des enjeux majeurs et bien réels.

Seulement, mettre uniquement en avant certaines dimensions de la Sécurité Sociale de l’Alimentation risque d’en limiter l’ambition, ou du moins de ne pas en percevoir le sens profond. En se focalisant sur des enjeux concrets tels que les inégalités alimentaires ou la santé publique, on peut perdre de vue une finalité première de la SSA : celle de la transformation profonde des institutions et d’une réinvention de la citoyenneté par la démocratisation du processus de production, de distribution et de consommation de l’alimentation. Cet objectif exige une rupture et l’émergence d’institutions nouvelles. Il s’agit ici de questionner la chaîne alimentaire dans son ensemble. Ainsi, parler de crise paysanne et de crise alimentaire peut nous amener à en oublier la division accrue du travail, et donc des étapes intermédiaires. Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution. Ce retour aux principes démocratiques de la SSA doit alors se faire au regard des stratégies de généralisation et des leçons tirées des expérimentations en cours. 

Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution.

La SSA : entre idée neuve et reprise historique 

L’histoire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) se situe à l’intersection de l’innovation théorique et de la réactivation de politiques historiques. Mais quels sont les fondements de cette idée qui a émergé au début des année 2010 au sein de la société civile et qui est aujourd’hui défendue par divers acteurs ?

La proposition d’une Sécurité sociale d’alimentation vise à étendre les principes du régime général de sécurité sociale dont nous profitons tous, établi en 1946 sous l’égide du ministre Ambroise Croizat, en les appliquant aux domaines de l’alimentation et de l’agriculture. L’objectif est de construire une organisation démocratique du système alimentaire. Cette initiative s’inspire de l’héritage de la Sécurité sociale, dont l’histoire est analysée entre autres par le collectif Réseau Salariat, ainsi que les contributions théoriques du sociologue Bernard Friot et les travaux de l’économiste Nicolas Da Silva

Depuis plusieurs années, un ensemble de collectifs, d’associations et de syndicats s’organisent sur le terrain. L’année 2019 marque la création d’un réseau national pour la promotion d’une Sécurité sociale de l’alimentation, conçu comme un espace commun permettant le partage des travaux. Ce réseau rassemble notamment des acteurs comme ISF Agrista, le Réseau CIVAM, Réseau Salariat, ou encore le syndicat agricole de la Confédération paysanne, ainsi que de nombreuses associations et collectifs locaux. La création de ce collectif représente un tournant historique, visant à structurer les échanges auparavant bilatéraux pour faire un premier état des lieux et amorcer un mouvement capable de porter ce projet dans le débat public.

Le mouvement prend appui sur plusieurs constatations. À la base des problèmes identifiés se trouve l’impossibilité de transformer l’agriculture sans l’adoption de politiques alimentaires de transformation en profondeur. De plus, il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie. C’est ainsi qu’on peut être amenés à réfléchir à partir du « déjà-là » et des réussites passées, notamment de l’établissement d’une organisation démocratique et universelle dans l’économie de la santé entre 1946 et 1959, rendue possible grâce à la branche maladie du régime général de sécurité sociale.

Il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie.

Concrètement, la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation s’appuie sur trois piliers fondamentaux. Le premier est l’universalité : la SSA s’appliquerait à toutes et tous, sans distinction. Cette approche peut surprendre, car elle inclut également les plus aisés. Pourtant, c’est bien cette universalité qui garantit la force et la légitimité de la mesure. Elle vise à éliminer les mécanismes d’exclusion et de discrimination, cherchant à rompre avec le contrôle social et administratif associé au « statut de la pauvreté » et donc à la stigmatisation des bénéficiaires. En faisant de l’accès à l’alimentation un droit universel, la SSA défie également l’argument de « l’assistanat ». Notre histoire sociale et politique, depuis 1789, montre en effet que les politiques universelles sont à même de créer et de stabiliser les droits de manière durable. 

Le deuxième pilier de la Sécurité Sociale de l’Alimentation repose sur un système de financement autonome, structuré autour de mécanismes de cotisations plutôt que sur la redistribution étatique. L’objectif est ainsi de limiter les risques de remises en cause futures, de détricotage, pour mieux pérenniser le système face aux arbitrages opposés aux politiques de solidarité. 

Enfin, le troisième pilier de la Sécurité sociale de l’alimentation repose sur un conventionnement des produits alimentaires, pensé pour être véritablement démocratique. Ce processus de décision collective est au cœur du « droit à l’alimentation » et permet aux citoyens de reprendre la maîtrise de la chaîne alimentaire. Concrètement, les acteurs du système alimentaire seraient sélectionnés et évalués selon un cahier des charges ou une charte reflétant les attentes citoyennes. Ce troisième pilier ouvre largement la porte aux expérimentations, car un conventionnement démocratique ne se décrète pas et ne s’impose pas d’en haut : il se forge plutôt par la pratique du terrain.

Pour concrétiser le projet de SSA, plusieurs scénarios sont envisagés. L’un d’entre eux propose un versement mensuel de 100 à 150 euros minimum sur une « carte de sécurité sociale », ou comme une extension de la carte Vitale, afin de garantir un accès suffisant à une alimentation saine. Ce montant, attribué aux parents pour les mineurs (sauf dans des cas spécifiques), servirait exclusivement à l’achat d’aliments auprès de producteurs et structures conventionnées. Les études montrent que 150 euros par mois par personne représentent un seuil minimal pour commencer à assurer un droit à l’alimentation. Cependant, comme le précise Mathieu Dalmais, agronome et membre de l’association Ingénieurs sans frontière, il reste loin d’être suffisant pour une alimentation équilibrée et digne en France.

Le droit à l’alimentation : condition de l’épanouissement de la citoyenneté 

Il faut commencer par constater l’absence d’application effective d’un droit pourtant reconnu comme fondamental : le droit à l’alimentation. Ce droit, inscrit au niveau international dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966, demeure encore largement absent dans de nombreuses régions du monde. La France n’est pas en reste. En analysant les textes de droit international et les lois françaises, Dominique Paturel, chercheuse à l’Institut national de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement (INRAE) et membre du collectif Démocratie Alimentaire, met en lumière les lacunes de la législation française en matière de sécurité alimentaire

A titre d’exemple, l’article 61 de la loi « EGalim » de 2018, introduit la lutte contre la précarité en visant à « favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Cependant, le texte privilégie l’aide alimentaire, refermant ainsi toute perspective de mise en place d’un véritable système de sécurité sociale. Il précise en effet que cette aide est fournie par « l’Union Européenne, l’État ou des acteurs associatifs », soulignant un rôle majeur des associations. Ce modèle, largement insuffisant, pose deux problèmes majeurs. D’une part, il limite l’élaboration d’un accompagnement durable, laissant aux associations la gestion d’un besoin prioritaire, tandis que l’État se désengage. D’autre part, il réduit l’accès à l’alimentation à un besoin individuel, sans reconnaître l’alimentation comme un droit fondamental qui caractérise le développement de la citoyenneté de l’individu au sein de la société. La loi « EGalim 2 » adoptée en octobre 2021 ne constitue aucunement un changement de philosophie. 

Sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire.

Les textes en vigueur légitiment ainsi une situation hautement problématique : sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire. Ce modèle peut contraindre plusieurs millions de personnes (entre 2 et 4 millions selon les chiffres en vigueur de l’INSEE rapportés par l’Observatoire des inégalités), à bénéficier du « surplus » de l’agrobusiness, issu d’un système productiviste et industriel. En favorisant un modèle de citoyenneté davantage consumériste et passif que véritablement actif, la puissance publique oriente vers une consommation faussement solidaire et démocratique.

Pourtant, l’idée d’un droit à l’alimentation peut être sans crainte comparé à des mobilisations historiques telles que la Révolution de février 1848, qui posa les fondations d’une République démocratique et sociale. Parmi les revendications, celle du « droit au travail » incarnait une réponse au paupérisme, portée depuis les années 1830 par des mouvements socialistes ainsi que la société civile engagée sur la question sociale. À l’époque, il s’agissait d’élargir une citoyenneté politique nouvellement acquise pour intégrer des droits sociaux autour de l’organisation du travail, et donc de l’existence quotidienne des classes populaires. Comme le souligne l’historienne et philosophe Michèle Riot-Sarcey, ce moment historique donna naissance à une volonté citoyenne de reprendre en main son destin : « Le moindre citoyen s’estime alors en droit de s’exprimer, en réunion, dans la rue, au sein des clubs. […] La révolution de février 1848 a su transformer cette coutume en expression de la volonté et donc de la souveraineté du peuple. ». 

Une organisation démocratique de l’économie

La SSA se dessine au sein d’un paradigme écologique nous imposant de repenser le rapport entre l’individu, son environnement et sa liberté de décision. L’enjeu est de favoriser une véritable démocratisation de l’économie, s’appuyant sur des mécanismes de planification participative, où les citoyens sont directement impliqués dans la prise de décision, non plus dans un processus consultatif mais où le dernier mot leur revient. Cette approche contraste nettement avec la démocratie libérale actuelle, qui se limite souvent à une participation à travers le vote, laissant ensuite les décisions quotidiennes aux mains des élus, sans mandat impératif.

Alors que la citoyenneté contemporaine est largement construite autour du statut de consommateur et que le pouvoir de consommation constitue l’inclusion sociale, la démocratie alimentaire vise un dépassement des fonctions discriminantes de l’alimentation en tant que déterminant social. Tanguy Martin, membre d’ISF Agrista, co-auteur avec Sarah Cohen de l’ouvrage La démocratie dans nos assiettes (2024), souligne que la Sécurité sociale de l’alimentation s’appuie sur une analyse structurelle des systèmes de domination, repensant en profondeur les rapports de pouvoir qui façonnent notre système alimentaire : « La démocratie dans son sens premier va fondamentalement à l’encontre de la logique de l’accumulation du capital qui régit aujourd’hui en grande partie les activités humaines et surtout organise l’espace social et matériel à partir de sa logique ».

La SSA n’impose pas, elle cherche à convaincre. Pourtant, ce principe est parfois encore difficile à comprendre dans les sphères militantes au fort capital culturel. Face à l’urgence de la bifurcation écologique, celles-ci sont souvent tentées par l’imposition de mesures strictes. Tanguy Martin abonde dans ce sens, rappelant qu’au départ, la proposition avait surpris certains milieux, où la mise en place de critères spécifiques était perçue comme évidente et urgente. Or, le conventionnement démocratique vise à légitimer socialement des décisions radicales qui pourraient, appliquées autrement, sembler punitives. Pour lui, il s’agit avant tout d’une question de principe que de « pragmatisme », puisqu’il permet d’ancrer ces choix dans une démarche collective et partagée : « tout ce qu’on met en place de manière autoritaire ne fonctionne pas », tout en insistant, « si nous voulons partager des idées fortes, comme celle d’une décroissance de la production et de la consommation d’énergie, nous devons le décider collectivement ».

Cet aspect central de l’organisation démocratique de la Sécurité sociale de l’alimentation est avant tout pédagogique. Elle rappelle l’expérience récente de la Convention Citoyenne pour le Climat qui – bien qu’ayant été en grande partie ignorée par le pouvoir politique – a démontré qu’un groupe de citoyens, non spécialistes, pouvait s’informer de manière rigoureuse, débattre avec des avis divergents, et aboutir à des propositions de politiques macro-économiques sérieuses et radicales. C’est là que réside la profondeur du conventionnement démocratique : il active le citoyen en mobilisant sa capacité à s’auto-éduquer socialement et renforce ainsi son engagement dans la prise de décision.

Le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser.

La démocratie alimentaire doit s’emparer pleinement de cette question de classe, du capital culturel, mais aussi du capital économique, d’autant plus nécessaire face aux limites de l’incitation à consommer bio et local. En effet, le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser. Alors que l’incitation à consommer bio devient contre-productive et suscite des caricatures, illustrant les limites atteintes dans l’espace social, la SSA représente une avancée vers un modèle supérieur. Elle redonne aux citoyens un pouvoir d’agir et la fierté d’accéder à des produits issus de l’agriculture biologique ou de haute qualité, sans que cela dépende d’un privilège économique ou d’une logique de distinction sociale.

Le conventionnement démocratique des acteurs devient ainsi un levier de participation pour une nouvelle planification démocratique de l’économie, orientée vers les impératifs écologiques. Aujourd’hui en France, le secteur de la grande distribution – principal point d’approvisionnement de la population et secteur fort de l’économie du pays – est dominé par quatre grandes enseignes, qui concentrent l’essentiel des ventes selon les données de 2023 : E.Leclerc (23,8 % de part de marché), Carrefour (19,7 %), Les Mousquetaires (16,7 %) et Système U (12 %). Cette concentration n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg de l’« agro-industrie », révélant l’emprise croissante des grands groupes sur nos choix alimentaires.

Autre exemple, l’annonce récente du géant Lactalis de réduire de 9 % sa collecte de lait en France d’ici 2030 illustre l’irresponsabilité de ces groupes envers la pérennité des fermes françaises tout comme illustre une stratégie visant à mettre en concurrence les producteurs laitiers à l’échelle mondiale. Cette approche s’oppose frontalement à l’idée d’une prise de décision citoyenne et démocratique sur la localisation de la production. L’organisation démocratique de l’alimentation soulève également la question cruciale de la répartition des terres. Alors que l’agro-industrie accapare les terres, la perspective du conventionnement citoyen doit s’emparer de l’enjeu foncier. 

Reste à concevoir l’institutionnalisation de cette planification démocratique de l’alimentation, visant à stimuler une politisation active des citoyens. Le débat est ouvert : avons-nous déjà les outils nécessaires, qu’il suffirait de réinventer, ou devons-nous créer un nouveau langage, de nouvelles institutions et des espaces inédits pour concrétiser le conventionnement démocratique ? Cette réflexion sur les moyens de donner corps à cette gouvernance citoyenne est déjà engagée à travers plusieurs expérimentations. 

La SSA à Cadenet : une expérimentation en milieu rural

L’initiative est audacieuse, elle sollicite l’imagination politique. Elle revient à « utopier » : c’est-à-dire se situer dans ces interstices entre rêveries et réalité. Comme l’affirme le sociologue Erik Olin Wright, les utopies réelles ne sont faites ni pour l’idéaliste ni pour le réaliste ; elles sont des pratiques concrètes qui ouvrent les possibles d’un futur alternatif.

La carte du site du collectif national pour la Sécurité sociale de l’alimentation permet de visualiser la répartition des initiatives locales à travers le pays : on compte plus d’une vingtaine de projets aux appellations variées. Régulièrement, de nouveaux projets rejoignent le mouvement, comme la « caisse commune de l’alimentation » récemment créée à Brest (Finistère). Les expérimentations s’adaptent aux spécificités locales : même si l’universalité et le financement par cotisation sociale restent aujourd’hui impossibles à mettre en œuvre à cette échelle, ces projets ont le mérite de placer la pratique démocratique au centre de leurs démarches. Sur le terrain, l’implantation locale devient donc un exercice de démocratie en acte qui alimente la théorie. 

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain.

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain. Après une première année de travail et la création d’un « Comité de pilotage » composé de citoyens engagés, les années 2022 et 2023 ont concrétisé la naissance d’une première convention citoyenne locale. La démarche, exigeante, s’organise sur six mois de rencontres hebdomadaires, permettant aux participants de se former par l’échange et de construire une base d’informations commune. Le groupe accueille également des experts pour éclairer chaque étape de la chaîne de production alimentaire.

Éric Gauthier, membre de l’association Au Maquis, qui participe au projet, a été frappé par l’engouement suscité dès le départ : « Ce qui était frappant, c’est la construction des pensées ensemble, tout en cherchant une égalisation des savoirs », observe-t-il. « On s’est interrogés sur notre façon de s’organiser, sur nos objectifs et la manière de les atteindre tout en laissant place à la controverse et la porte ouverte aux retours sur les décisions ».

Carte de l’avenir alimentaire désirable du Collectif Local d’Alimentation de Cadenet. © CLAC

Rapidement, dans des espaces publics mis à disposition ou chez les militants lorsque les salles municipales sont indisponibles, les premières réunions permettent de lancer un travail initial : retracer l’histoire du territoire et élaborer une « carte de l’avenir alimentaire désirable ». Ces moments vont au-delà de l’organisation formelle, ils dépassent la simple expression des voix pour tisser des relations plus profondes. Des liens immatériels se forgent, des amitiés se nouent. Les ateliers se prolongent souvent jusqu’à tard le soir. Au fil des semaines et des mois, les participants ne sont plus de simples voisins. Ils partagent, apprennent à se connaître, à se comprendre, échangent rires et anecdotes. Tout cela va bien au-delà du projet initial. Une association a été créée : le Collectif Local d’Alimentation de Cadenet (CLAC).

La création d’une caisse commune représente une étape cruciale pour le projet, nécessitant plus de dix mois de préparation à Cadenet. Le groupe a dû réfléchir à un modèle de financement pour le lancement, puis à une solution permettant de pérenniser l’initiative. Dans toutes les expérimentations, le financement devient le nerf de la guerre. Les collectifs doivent l’affronter, penser malgré les blocages qu’ils rencontrent. Il faut savoir faire tout en sachant qu’on ne peut pas mettre en place l’idée d’un système de cotisation universelle. Ce sera pour plus tard, en attendant, on plante déjà quelques germes à l’échelon local. 

Dans le cas de Cadenet, un soutien financier de la Fondation de France a permis de constituer cette caisse, l’expérimentation ayant fait le choix collectif de se passer de fonds publics. D’autres initiatives, quant à elles, fonctionnent sur le principe de la mutualisation. La caisse commune de Cadenet a officiellement ouvert en avril 2024, après de longs mois de préparation et des étapes clés. La sélection des habitants bénéficiaires a été pensée de manière démocratique. Les membres du collectif ont informé les villageois, distribué des tracts et participé à des événements locaux comme le salon des associations, pour présenter ce nouvel organe démocratique à l’échelle locale. En investissant les places, les marchés, et en réactivant des méthodes de diffusion de proximité telles que le bouche-à-oreille, ils ont créé un véritable élan communautaire. Une réunion publique a réuni 70 volontaires, dont 33 ont été tirés au sort pour participer. 

Concrètement, les bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés, en présentant leurs justificatifs.

Faute de monnaie locale, et confronté aux contraintes de gestion, le collectif a opté pour un système temporaire de remboursement plutôt qu’une distribution directe d’euros avant achat. Concrètement, les habitants bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés dans des points de ventes, en se présentant à l’association gérant la caisse munis de leurs justificatifs. Pour permettre l’organisation du système de conventionnement un groupe de travail a été créé pour définir une grille de critères de conventionnement des producteurs et des lieux de ventes. Les critères sont basés sur des notations allant de 1 à 10, ils concernent entre autres le respect des normes environnementales, la taille de l’unité de production, dans la mesure du possible l’indépendance vis-à-vis de l’agro-industrie, mais aussi le bien être au travail des salariés sur les sites de production. 

Preuve de la capacité d’adaptation et de l’enthousiasme qui animent autour du projet, suite à la fermeture inattendue de l’épicerie, principal point de vente des produits conventionnés, un groupe s’est formé en parallèle de l’expérimentation pour racheter les locaux et investir dans un système alimentaire local autonome. Cette initiative illustre une fois de plus le dépassement de l’idée initiale : le lancement d’une démocratie alimentaire suscite un enthousiasme qui dépasse les cadres initiaux du militantisme et vient dessiner une action citoyenne sur des espaces publics et privés autrement investis.

Réunion publique à Cadenet autour de la Sécurité sociale alimentaire. © CLAC

Vers une généralisation trop rapide ?

Si des expérimentations de ce type permettent aux participants de se familiariser avec de nouvelles méthodes de gestion d’un système alimentaire, le saut d’échelle vers une généralisation apparaît plus difficile à réaliser. Le 15 octobre dernier, le député écologiste Charles Fournier a déposé une proposition de loi visant à expérimenter une « sécurité sociale de l’alimentation », soutenue et co-signée par trois parlementaires de chaque groupe du Nouveau Front Populaire. Concrètement, ce texte propose la création et le financement de caisses alimentaires pour une période expérimentale de cinq ans, avec un fonctionnement inspiré de celui des caisses locales de santé qui ont précédé la mise en place de la Sécu. La proposition se fonde sur des expérimentations citoyennes déjà en cours un peu partout en France (Montpellier, Saint-Etienne, Lyon ou le département de la Gironde), tout en soulignant la nécessité d’un soutien financier et humain pour en garantir la pérennité et l’élargissement. Il prend modèle sur l’initiative « Territoire zéro chômeur de longue durée », instaurée en 2016, qui cherche à mettre fin à la privation durable d’emploi à l’échelle d’un territoire, en se basant sur le principe historique du droit au travail et créant des emplois dans des domaines non-pourvus localement.

Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle ou bien faut-il attendre une fenêtre propice pour maximiser les chances de succès ? 

Dans la conjoncture actuelle, les conditions d’adoption d’un tel texte sont quasi inexistantes. Dans un contexte dominé par la pression du capital et des marchés financiers, et face à une Assemblée nationale peu favorable, exposer la SSA pourrait risquer de diluer son impact ou de « griller des cartouches ». Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle, incluant les médias, des actions sur l’espace public ou encore des démarches auprès des organisations politiques ? Ou bien faut-il encore attendre une fenêtre propice avec plus de retours des expériences locales et un poids politique suffisant pour maximiser les chances de succès dans la bataille de la généralisation ? 

L’introduction des débats sur la SSA au Parlement soulève également la question de la composition des organes décisionnaires chargés de superviser l’expérimentation. À ce sujet, l’article 2 propose la création d’un « conseil scientifique et citoyen » pour suivre le projet, dont la « composition [serait] fixée par décret » plutôt que par une participation directe des citoyens. Ce conseil aurait pour mission d’évaluer le dispositif et de remettre « un rapport d’ensemble au Parlement et aux ministres en charge de l’alimentation, de l’agriculture et de la solidarité » avec des recommandations pour l’avenir. Cela pose à nouveau l’incontournable question d’un réel pouvoir citoyen sur les décisions finales, et inversement des autres intérêts pouvant faire pression sur les élus.

On peut aussi se questionner sur la structure de l’association chargée de gérer le fonds national d’expérimentation de la SSA : selon l’article 3 du texte, le conseil d’administration serait également défini par décret en Conseil d’État, avec une liste de catégories de représentants, sans garantir pour autant une participation démocratique citoyenne équilibrée, voire majoritaire. Or, au regard de l’histoire de la Sécurité Sociale, où les luttes d’influence ont souvent opposé des intérêts divergents, il s’agit d’un enjeu majeur.

Ce débat sur la stratégie à adopter se reflète également au sein des organisations militantes œuvrant pour la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Dans les espaces de travail communs, la diversité des cultures politiques engendre parfois des tensions, mais aussi de belles coopérations, avec un déploiement d’efforts sur divers fronts. Un consensus émerge cependant : préserver la SSA comme un projet collectif et non personnalisé, un bien commun que chacun peut défendre à sa manière, selon ses compétences et ses ressources.

Le chemin reste également long pour faire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation une priorité des programmes des organisations politiques de gauche. À titre d’exemple, la mesure n’était pas directement présente dans les principaux programmes lors de l’élection présidentielle de 2022, bien que la France insoumise proposait une « expérimentation visant à une garantie universelle d’accès à des aliments choisis » et EELV promettait une « démocratie alimentaire » offrant « une alimentation choisie, de qualité, en quantité suffisante et accessible à toute la population quels que soient ses revenus ». Aucune mention de la SSA en revanche dans le volet « Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne » du programme de la NUPES ou dans le contrat de législature élaboré en urgence par le Nouveau Front Populaire.

Dans le monde syndical et agricole, le constat est similaire. L’idée de la Sécurité Sociale de l’Alimentation y reste largement méconnue, souligne Clément Coulet, qui a participé en animation tournante au collectif SSA pour le compte des CIVAM et par ailleurs rédacteur au Vent Se Lève. Il faut dire que les principales organisations syndicales – notamment l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale – défendent des politiques agro-industrielles, qu’elles soient orientées vers le libre-échange mondialiste ou vers le nationalisme économique. Le Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et le troisième syndicat agricole, la Confédération Paysanne, font toutefois figure d’exception, participant depuis plusieurs années aux réflexions collectives autour de cette initiative.

Philippe Jaunet, paysan bio installé à Yzernay dans le Maine-et-Loire et militant pour « des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement », souligne l’importance d’une démocratisation du monde agricole : « L’objectif est aujourd’hui de redonner un sens à la terre et à la production par l’intervention citoyenne ». Il précise que cette intervention pourrait remettre en question la logique corporatiste du système alimentaire, et notamment celle de la production agricole, encore trop opaque. « Actuellement, les citoyens n’interviennent pas, ce qui permet à certaines organisations de monopoliser les instances de décision concernant les politiques mises en place ». Il prend notamment pour exemple le modèle de subventions de la Politique Agricole Commune (PAC), créée en 1962, aujourd’hui principal poste de dépense de l’Union européenne, dont la France bénéficie à hauteur de 9,5 milliards d’euros. Ce système financé par deux fonds européens – le Fonds européen agricole de garantie, FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) – redistribue des aides aux agriculteurs sans consultation publique pour informer la population et lui permettre d’intervenir.

L’échelon européen pose problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’UE en matière de politique agricole, qui organise une concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange.

L’échelon européen pose enfin un autre problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’Union européenne en matière de politique agricole, qui organise une mise en concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange. Mettre en œuvre la SSA impliquera d’une manière ou d’une autre une remise en cause de ce modèle de concurrence tous azimuts, et donc un lien avec les mouvements européens et internationaux pour une agriculture plus juste.

La SSA ne se limite donc pas à une solution conjoncturelle face aux crises actuelles, elle s’inscrit dans un héritage social et démocratique, éveillant une citoyenneté active et collective autour de la terre et de l’assiette. En ce sens, elle incarne la résistance à un système en bout de course et l’image d’un souffle transformateur qui se lève. Que ce soit la poursuite d’un « déjà-là » communiste ou l’émergence d’une société éco-socialiste, la Sécurité sociale de l’Alimentation appartient au futur. Une alternative qu’il reste largement à bâtir. En somme, cela revient à choisir entre être collectivement libres jusqu’au fond de l’assiette ou ne pas l’être dans le dogme de la consommation passive. 

État d’urgence pour l’agriculture française

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L’agriculture française est à un tournant. Les négociations avec les distributeurs tournent au bras de fer, consacrant l’échec des lois censées rééquilibrer leurs rapports avec les producteurs. Dans le même temps, les négociations en cours sur la PAC engageront la France pour les années à venir. Les moyens publics mobilisés pour appuyer l’agriculture ne suffisent plus à endiguer la paupérisation de ce métier, victime des dérives d’une économie exposée à un libéralisme à tout crin. Définir une agriculture durable, garantissant à la fois une alimentation saine, la souveraineté alimentaire et l’adaptation au dérèglement climatique, impose de s’interroger sur la pérennité des revenus agricoles.

Depuis 30 ans, le prix de la viande de bœuf ou de veau payé au producteur n’a pas varié. Pourtant, le prix pour le consommateur s’est envolé au cours de la même période, augmentant de plus de 60 %. Cette évolution symptomatique pose une question essentielle : où passe l’argent du secteur agricole, alors qu’éleveurs et distributeurs s’affrontent ?

Tout d’abord, il faut rappeler que l’agriculture est un secteur contrasté, qui présente de fortes inégalités. Entre 1982 et 2019, le nombre d’agriculteurs a été divisé par 4. La France, qui comptait alors 1,6 million d’actifs agricoles, n’en recensent désormais plus que 400 000. Or, sur les seules 20 dernières années, la valeur ajoutée du secteur agricole avait bondi de près de 30 %. Une création de richesse qui semble aujourd’hui échapper aux producteurs dans leur ensemble.

Un secteur miné par les inégalités

Le secteur agricole se caractérise par de fortes inégalités, comme le montre le tableau suivant produit par l’INSEE. Ainsi, les déciles des revenus des agriculteurs exploitants s’échelonnent de 1 à 11 en moyenne (écart entre les 10% d’exploitants ayant le plus fort revenu et ceux ayant le plus faible). Cet écart s’étend même de 1 à 15 pour les cultures spécialisées comme les légumes, les fleurs, la vigne ou l’arboriculture. Surtout, 20 % des actifs agricoles sont confrontés à des revenus nuls. Ainsi, le regroupement des terres agricoles, le remembrement – c’est à dire la réunion de plusieurs parcelles – et la course à la taille des exploitations n’ont pas permis de sécuriser les revenus agricoles dans une logique malthusienne. Au contraire, ils ont accéléré un mouvement de paupérisation du monde agricole.

Revenus d'activité mensuels des non salariés agricoles - source INSEE 
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4470766?sommaire=4470890
Revenus d’activité mensuels des non salariés agricoles – source INSEE

Ces écarts se présentent sous différentes formes. Tout d’abord, il existe un effet spécifique lié à l’âge de l’exploitant. En effet, la possession d’un capital foncier permet d’en tirer des revenus, ce qui avantage les exploitants plus âgés. En outre, certaines filières sont plus valorisées que d’autres. La viticulture, par exemple, bénéficie de fortes exportations. Des tensions apparaissent donc entre les différentes filières depuis de nombreuses années, notamment sur la répartition des aides de la Politique Agricole Commune (PAC).

Ces aides sont au cœur des débats actuels. L’Union européenne souhaite revoir à la baisse ses budgets dédiés à la politique agricole, au profit d’autres priorités et en raison du Brexit. Cette politique arrive à rebours des politiques menées par les autres grandes puissances. A l’heure actuelle, 30 % des exploitants perçoivent moins de 5.000€ d’aides. Dans le même temps, près de 10 % du budget est distribué à un tout petit nombre d’exploitants recevant plus de 100.000€ en subventions. Selon une étude menée avec le ministère de l’Agriculture (1), cette disparité vient de l’absence de plafonnement des aides. Selon cette même étude, les aides représentent 88 % du résultat des entreprises agricoles, avec là encore des différences très variables selon les secteurs. Les aides représentent moins de 10 % pour la production horticole ou viticole, et plus de 100 % pour la viande bovine ou la culture d’oléagineux.

Les aides représentent 88 % du résultat des entreprises agricoles.

Ces chiffres démontrent l’extrême dépendance du secteur agricole aux aides européennes, et les fragilités d’un secteur livré aux aléas du libéralisme. Tout d’abord, ces sommes ne permettent pas de garantir un revenu digne aux exploitants. Un sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Or ils ne bénéficient par pour autant de prestations sociales, en raison de leur statut.

Les auteurs de l’étude font valoir que, pour des exploitants indépendants, la faiblesse des revenus est compensé par la valeur du capital détenu, qui doit être liquidé au moment de la retraite. Si ce constat est juste, il faut néanmoins considérer que ce capital est grévé par un endettement croissant. Le taux d’endettement dépasse les 40 % pour les entreprises du secteur, et est là encore est marqué par de fortes disparités. Le besoin en capital des exploitations est devenu plus important, notamment avec la mécanisation, et cela malgré la faiblesse des revenus. Le renchérissement du foncier, dont les prix ont fortement augmenté, expliquent aussi cet endettement. Inflation déduite, les prix des terres agricoles ont augmenté de 52 % entre 1995 et 2010, sous le double effet de l’extension des exploitations et de l’artificialisation des sols. Ceci s’explique également par l’indexation des aides européennes sur la surface exploitée.

Les prix à la consommation de certains produits augmentent bien plus que l’inflation. Dès lors, où passe l’argent de l’agriculture ? La grande distribution est souvent pointée du doigt : les prix d’achat aux producteurs sont victimes de la guerre des prix à laquelle les enseignes se livrent pour attirer les clients. L’alimentaire ne constitue pas le rayon le plus rentable, avec 0,8 % de marge seulement en moyenne, et fait donc office de produit d’appel. Mais dans cette confrontation entre producteurs et distributeurs, il y a un grand absent : l’industrie de la transformation, dont les publicités inondent pourtant nos écrans. En position de force vis à vis de producteurs morcelés, et malgré la pression des centrales d’achats, ces intermédiaires peuvent se ménager des marges importantes. Le cas le plus emblématique est celui du sucre, dont les marges atteignent 13 %. En effet, seules 10 entreprises pèsent pour 99,7 % du total de la transformation. La loi EGALIM, qui voulait ainsi proposer un cadre de négociation plus équilibré, s’est heurté à la brutalité des rapports de force économiques, et ne permet plus à l’État de se dérober de son rôle d’arbitre pour trouver des solutions structurelles.

Menaces tous azimuts

Si la question des revenus agricoles est si sensible, c’est qu’elle conditionne la pérennité d’un secteur confronté à de multiples menaces. Premièrement, la moitié des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans, ce qui représente un vrai défi pour assurer les successions dans les années à venir. Le regroupement des terres ne sera certainement pas suffisant pour enrayer la perte de surfaces agricoles, et l’expérience montre qu’il ne permet pas d’assurer les conditions d’une agriculture durable. Or, les attentes des exploitants en fin de carrière vont être confrontées aux faibles capacités des personnes désirant s’installer, au risque tout simplement de ne pas pouvoir céder leurs biens, et laisser des terres en jachère. Cette situation nécessite une politique active à tous niveaux, pour anticiper cette situation et ramener massivement vers l’agriculture des actifs pour répondre aux besoins à venir.

La recherche d’une souveraineté alimentaire et la mise en place de circuits courts sont largement plébiscités dans l’opinion. Pourtant, ces objectifs sont menacés par la poursuite des traités de libre échange, comme le CETA ou le projet d’accord avec le MERCOSUR. Les importations de produits agricoles ne sont pourtant pas à la traine, puisqu’elles ont doublé depuis l’an 2000 et concernent des denrées produites en France. Ces accords peu restrictifs créent une concurrence inique tant sur la qualité que sur le prix des produits, susceptible de menacer nos producteurs. Par exemple, concernant spécifiquement la viande bovine, la hausse des importations présente un impact négatif plus fort pour les producteurs que la baisse tendancielle de la consommation de viande. Par ailleurs, alors que le premier bilan du CETA apparaissait positif pour l’économie française (solde commercial de 800 M€ et gains de 50 M€ pour les exportations agricoles), celui-ci s’est complètement inversé au gré de la crise sanitaire. Au premier semestre 2021, les importations canadiennes à destination de la France ont plus que triplé, atteignant les 262 M€, principalement en raison de la hausse des importations de céréales. Crise sanitaire ou pas, le constat est clair : la logique du libre échange rend vulnérable l’agriculture française.

L’exemple du CETA montre que l’agriculture est rendue vulnérable par les traités de libre-échange.

La recherche de diversification des revenus par les agriculteurs risque pour sa part de mettre la production alimentaire au second plan. Faute de tirer les revenus suffisants de leur production, 37 % des exploitants déclarent une activité para-agricole en 2019. Parmi eux, 13 % exercent également dans la production d’énergie, grâce à des installations photovoltaïques et des éoliennes sur leur terrain, ou du biogaz. 5 % exercent dans l’agrotourisme. Ces activités permettent aux exploitations de se maintenir, compte tenu de la faiblesse des revenus agricoles. Il faut seulement veiller à ce que la pression sur les revenus ne finissent pas par détourner les paysans de leur vocation initiale, et d’aggraver ainsi la baisse de leur nombre.

Faire face au dérèglement climatique

Malgré ces difficultés financières, les fermes seront contraintes de s’adapter aux conséquences déjà perceptibles du dérèglement climatique. Sur les quatre dernières années, les dispositifs d’aides, privés comme publics, atteignent déjà 2,5 milliards d’euros. Ces aides, déployées en réponse à des événements climatiques inhabituels, viennent seulement combler l’écart entre les rendements attendus suivant le modèle conventionnel et la production réelle. Les événements climatiques hors-normes devenant systématiques ces dernières années, les systèmes de soutien, privés comme publiques, ne pourront continuer très longtemps à payer des factures qui s’alourdissent continuellement. La récente vague de gel du mois d’avril, qualifiée de “plus grande crise agronomique de ce début de XXIème siècle” par le Ministre de l’Agriculture, a de nouveau rappelé que le dérèglement climatique entraîne la perte de la saisonnalité régulière et l’apparition de phénomènes de plus en plus extrêmes.

Dès lors, la situation exige une adaptation structurelle des cultures et des méthodes. Évidemment, les besoins en investissements pour adapter l’agriculture au changement climatiques sont massifs. Le volet agricole du plan de relance ne propose pourtant que 455 millions d’euros de soutien au secteur, dont 70 uniquement fléchés sur la prévention des aléas climatique. Ce chiffre infime démontre à quel point la logique de prévention et d’adaptation est peu prégnante dans la vision politique. En outre, ce plan s’articule principalement autour du subventionnement d’investissements individuels, comme l’achat de matériel. Il délaisse les démarches collectives qui bénéficieraient au plus grand nombre et démultiplieraient l’effet qui serait celui d’investissements individuels. La gestion de l’eau est un exemple archétypal de cet écart. En effet, des projets individuels de retenues d’eau, contestables au demeurant, sont favorisés au détriment d’une meilleure gestion et d’un meilleur partage de cette ressource.

Protéger l’agriculture française

Pour éviter la disparition de l’agriculture et de nos agriculteurs, la question des revenus agricoles devient incontournable. Or, cette question de la viabilité des revenus est une condition des nouvelles installations et de la revalorisation de la profession, et des mesures structurelles s’imposent. Les dernières réformes (LME, EGALIM) ont continué de poursuivre une logique libérale consistant à redéfinir le cadre des négociations entre producteurs et distributeurs. Cela n’a pas empêché certains distributeurs de passer outre ces nouvelles règles. Mais plus encore, elles n’ont pas suffit à infléchir le rapport nettement défavorable aux producteurs dans les négociations. Dès lors, seul un rapport de force politique serait en mesure de redéfinir un équilibre en corrigeant un marché déséquilibré. Cela peut intervenir au travers d’un prix minimum, les pouvoirs publics acceptant d’intervenir dans les négociations commerciales afin de garantir un revenu digne. À l’échelle nationale pourrait s’appliquer une interdiction de vente à perte, comme c’est déjà le cas dans le commerce, pour limiter les effets néfastes de la concurrence. La période est favorable pour une telle mesure. L’impact sur le prix final au consommateur serait limité, contrairement aux menaces des analystes libéraux. En effet, la concurrence entre les enseignes poussent pour l’heure à la baisse des prix, comme évoqué précédemment.

Sur le plan technique, les débats sur la réorientation de la PAC sont anciens et toujours vifs. Ils traduisent la dépendance à ce système de financement, source de crispation entre les différentes filières pour leur répartition. Il faut prendre gare aux incitations, et aux effets pervers induits par les critères retenus. Le modèle actuel, fondé sur des primes à l’hectare, a contribué au renchérissement du foncier, et à la concentration des parcelles. À l’inverse une prime à la production présente des effets pervers, en pouvant générer une surproduction. Il devient complexe de définir un indicateur pertinent, permettant d’assurer un revenu décent et ne créant pas de biais. Cependant, agir pour réduire les inégalités devient urgent au travers de la mise en place d’un plafonnement des aides ou d’une meilleure progressivité.

En parallèle, le système actuel d’assurance sur les pertes agricoles pourrait être étendu et rendu public. Aujourd’hui ce dispositif n’est accessible qu’aux agriculteurs les plus aisés. Seul un quart des surfaces sont aujourd’hui couvertes par ce type de protection. Une telle garantie viendrait en substitution des fonds calamités agricoles, et permettrait d’assurer une solidarité entre les filières.

Le fort soutien public vient pour l’heure uniquement compenser les dérives du marché. Il pourrait au contraire venir en soutien à la reconquête de la souveraineté alimentaire, tout en répondant à la crise sociale.

Cette mesure pourrait s’accompagner d’une politique audacieuse avec une forte portée sociale. En effet, le fort soutien public vient pour l’heure uniquement compenser les dérives du marché. Il pourrait au contraire venir en soutien à la reconquête de la souveraineté alimentaire, tout en répondant à la crise sociale. En effet, la crise sanitaire a vu la coexistence aberrante de stocks de pommes de terre invendues et du retour de la faim pour les étudiants et les plus précaires, les deux bénéficiant d’aides distinctes. Il est ainsi urgent d’intervenir sur l’aide alimentaire, en imaginant de nouveaux modèles. Des distributions ciblées et organisées, sur le modèle de sécurité sociale alimentaire, sont à explorer. Il s’agirait d’attribuer à chaque citoyen une somme mensuelle, fléchée vers des produits nationaux, qui permettrait d’assurer des débouchés aux producteurs et d’aller vers une alimentation de meilleure qualité. En somme une version à grande échelle du “verre de lait dans les écoles“.

Enfin, un plan d’adaptation de l’agriculture aux conséquences du réchauffement climatique s’avère indispensable. Il faut adapter les variétés et les méthodes de production à cette nouvelle donne. Cette démarche suppose des investissements, qui ne sont pas à la portée de fermes qui ne dégagent pas de bénéfices. Elle pourrait également mobiliser de la main d’œuvre. Mais cela suppose d’aller bien au-delà des 70 millions d’euros dédiés dans le plan de relance. Cela suppose également de raisonner par filière et par territoire pour encourager la coopération plutôt que la compétition. C’est à ce prix seulement que la France pourra protéger son agriculture et continuer de se targuer d’un des meilleurs patrimoines gastronomiques du monde.

(1) PAC, soutiens et revenus : réflexions sur certaines tendances à l’œuvre, Vincent Chatellier et Hervé Guyomard, 13èmes Journées de Recherches en Sciences Sociales, Bordeaux, 12 et 13 décembre 2019

Agroécologie et PAC : l’impossible équation ?

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Le modèle agricole conventionnel est de plus en plus critiqué pour son impact sur le réchauffement climatique et l’environnement, mais aussi pour son incapacité à assurer des revenus suffisants aux producteurs. Les propositions en faveur d’un modèle agroécologique se multiplient, comme en attestent les mesures portées par la Convention citoyenne pour le climat relatives à l’alimentation et l’agriculture. La Politique Agricole Commune (PAC), qui alloue des fonds européens aux agriculteurs, continue quant à elle de promouvoir un modèle productiviste et agro-exportateur. Les gouvernements possèdent cependant une marge de manœuvre importante quant à l’utilisation de ces subventions. La France devra bientôt présenter un « plan stratégique national » définissant les interventions et les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle nationale.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe cherche à se reconstruire et à assurer à sa population la sécurité alimentaire. Les États-membres de la Communauté économique européenne (CEE) – la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas –, promeuvent alors un modèle d’agriculture productiviste dont l’objectif vise à maximiser la production alimentaire par rapport aux facteurs de production, qu’il s’agisse de la main d’œuvre ou du sol : l’agriculture se spécialise et s’intensifie en ayant recours à un usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides qui vont entraîner le déclin de la faune sauvage [1]. Ces pratiques agricoles ont simplifié les paysages en créant de grandes parcelles de monoculture, principalement du maïs et du colza ; les haies, qui permettaient de limiter l’érosion des sols, ont été arrachées afin de laisser circuler des engins agricoles de plus en plus gros. Les sols se sont ainsi appauvris, ils ont perdu leur matière organique et leur capacité de stockage du carbone.

Ces pratiques agricoles ont simplifié les paysages en créant de grandes parcelles de monoculture, principalement du maïs et du colza. Les sols se sont ainsi appauvris, ils ont perdu leur matière organique et leur capacité de stockage du carbone.

Toutefois, le processus pourrait être inversé si l’on restaurait la qualité des sols : selon le GIEC, 1,2 milliard de tonnes de carbone par an pourraient être stockées dans les sols agricoles [2]. Pour limiter l’augmentation des températures mondiales et respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, il apparaît donc nécessaire d’accompagner la transition vers un système agricole sans intrants chimiques, moins émetteur de gaz à effet de serre et qui permette d’assurer une rémunération juste aux agriculteurs. C’est l’ambition que se donne l’agroécologie, qui s’appuie sur la nature pour « produire une alimentation saine tout en restaurant les milieux naturels et en entretenant la fertilité du sol » [3].

La transition vers ce modèle est aujourd’hui plébiscitée par les citoyens. Le rapport rendu par la Convention citoyenne pour le climat [4] soulignait ainsi l’importance d’orienter la nouvelle PAC en faveur de la transition agroécologique [5]. Elle a été votée le vendredi 23 octobre 2020 par le Parlement européen mais de nombreuses associations s’inquiètent de sa capacité à répondre à l’ambition annoncée par l’exécutif européen, dans le cadre du Green Deal, d’une réduction à l’échelle du continent d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990). Le processus de discussion autour de l’allocation des aides européennes n’est toutefois pas terminé. Malgré le vote au parlement, le trilogue continue entre le Conseil, la Commission et le Parlement, et chaque États-membres devra dans les prochains mois présenter un « plan stratégique national », une déclinaison par pays des grandes orientations européennes de la PAC. Tentons de comprendre les changements que dessine la réforme de la future PAC.

Épandage de pesticides dans des champs de blé © hpgruesen

La PAC, organisme structurant du modèle agricole européen

La PAC, renouvelée tous les 7 ans, représente le premier poste de dépense de l’Union européenne avec un budget global d’environ 50 milliards d’euros (plus d’un tiers de son budget total) dont 9 milliards sont reversés à l’agriculture française. Elle est organisée autour de deux piliers principaux : le premier concerne le soutien des marchés et des revenus agricoles, dont le système d’aides aux agriculteurs constitue le nerf majeur. Le second est dédié à la politique de développement rural [6].

Les aides directes aux agriculteurs représentent aujourd’hui le principal instrument de la PAC (environ 70% du budget). Ces aides sont pour la plupart « découplées », c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas du type et des modes de production mais de la surface au sol ou du nombre de têtes de bétail que possède l’exploitation. Dans ce système, il est plus rémunérateur d’avoir une grande exploitation agricole avec de faibles rendements à l’hectare qu’une petite exploitation à hauts rendements. Cela fragilise les petites exploitations paysannes, et pousse à moderniser les systèmes d’exploitation et à favoriser la monoculture.

Dans ce système, il est plus rémunérateur d’avoir une grande exploitation agricole avec de faibles rendements à l’hectare qu’une petite exploitation à hauts rendements. Cela fragilise les petites exploitations paysannes, pousse à moderniser les systèmes d’exploitation et à favoriser la monoculture.

Dans un référé publié le 10 janvier 2019, la Cour des comptes indique que le montant de l’aide directe moyenne par exploitant pour les structures les plus grandes (22 701 euros) est supérieur de 37% à celui des exploitations les plus modestes (16 535 euros), toutes spécialisations confondues [7]. La répartition des aides apparaît donc fortement inégalitaire en encourageant à l’agrandissement des exploitations plutôt qu’au développement de pratiques agricoles plus vertueuses d’un point de vue écologique. En effet, plus les exploitations sont grandes, plus elles requièrent l’usage d’intrants chimiques et de machines, et moins elles encouragent l’emploi. Le modèle agro-alimentaire actuel est ainsi dominé par l’agro-industrie, où quelques grandes entreprises imposent leur modèle au reste de la filière. C’est ce phénomène qui est actuellement dénoncé par la campagne « Basta » du collectif Pour une autre Pac !. L’organisation accuse les plus grandes entreprises agricoles, telles Charal, Lesieur, Savéol, Beghin Say et Soignon, de capter une large part de la manne financière dégagée par la PAC.

Selon le groupe des Verts au Parlement européen, il y a « de moins en moins d’agriculteurs pour cultiver des exploitations de plus en plus grandes » [8]. En France, leur nombre a en effet été réduit de moitié entre 1998 et 2016 passant de 1 million à 437 000, alors que la taille moyenne de la propriété agricole a augmenté de 28 à 63 hectares sur la même période [9]. Le déclin du nombre d’agriculteurs est l’un des enjeux majeurs auxquels fait face le monde agricole en France. Pour pallier ce problème, les Verts en appellent à des aides calculées en unité de main d’œuvre et non plus selon les hectares, de façon à « mieux répartir les aides pour soutenir les petits paysans » [10]. 

C’est également la proposition soutenue par France Stratégie qui propose d’allouer l’aide en fonction de l’unité de travail par exploitation, et non plus en fonction de la taille de l’exploitation. La proposition est simple : une petite ferme de maraîchage en bio qui nécessite de faire travailler 10 personnes sur peu d’hectares, recevrait plus d’aides qu’une exploitation plus importante faisant vivre moins d’agriculteurs. Les petites exploitations aux pratiques agroécologiques se verraient ainsi revalorisées car elles impliquent généralement plus de main d’œuvre. Cette idée d’aides à l’actif est défendue depuis longtemps par le syndicat agricole, la Confédération Paysanne. Son porte-parole Nicolas Girod, interrogé en novembre 2019 affirmait ainsi que « pour s’affranchir des pesticides par exemple, il va falloir plus de travail, plus de main d’œuvre, et d’autres pratiques culturales sur une même surface. C’est ce changement-là que doit accompagner la PAC, car il répond aussi à une demande sociétale qui est celle de manger mieux » [11]. 

Les éco-régimes : des aides au verdissement aux contours flous

Une des nouveautés de cette nouvelle PAC est le dispositif des éco-régimes, un système de primes versées aux agriculteurs dans le cadre des paiements du premier pilier pour soutenir leur participation à des programmes environnementaux plus exigeants. Ce dispositif vient remplacer les anciennes aides au verdissement, dont le volume resterait le même puisqu’il correspondrait à un pourcentage de 30 % du premier pilier – que le Conseil propose de limiter à 20%. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a salué l’accord trouvé autour de ces éco-régimes obligatoires pour tous les États-membres.

Selon le communiqué du Conseil Agriculture et Pêche des 19 et 20 octobre 2020, ces programmes pourront inclure « des pratiques comme l’agriculture de haute précision, l’agroforesterie, l’agriculture biologique, mais les États seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins » [12]. Une grande latitude est donc laissée aux États-membres de l’Union européenne dans la mise en œuvre des éco-régimes.

Le cahier des charges et les critères d’attribution de ces éco-régimes ne sont pas définis. Dans un avis remis en 2019, la Cour des comptes européenne jugeait qu’il serait difficile « de savoir comment la Commission vérifierait si ces plans sont ambitieux d’un point de vue environnemental et climatique » [13]. Aurélie Catallo, coordinatrice de la plateforme pour une autre PAC, qui regroupe diverses associations, ONG et syndicats, s’inquiète du fait que les éco-régimes intègrent des pratiques incohérentes d’un point de vue écologique comme l’agriculture de précision (techniques numériques, robotisation, surveillance par drones…) qui ne sont pas des méthodes réduisant directement les émissions de CO2 [14].

Quoi qu’il en soit, une marge de manœuvre importante est donc laissée aux États quant à l’usage de ces fonds, qui reste en grande partie indéterminée. De quoi justifier une mobilisation pour une utilisation écologique de ces subventions ?

La PAC et la transition agroécologique

L’agroécologie vise à favoriser des systèmes agricoles fondés sur la valorisation des processus écologiques. La massification de cette pratique agricole pourrait permettre de limiter l’empreinte carbone de l’agriculture, en revitalisant les sols et en assurant leur fertilité. L’agroécologie consiste en effet à utiliser de manière optimale les ressources apportées par la nature pour développer une agriculture qui utilise moins d’intrants de synthèse. L’objectif est d’accroître la résilience et l’autonomie des exploitations en diversifiant les cultures, en allongeant les rotations et en renforçant le rôle de la biodiversité comme facteur de production. Les insectes prédateurs permettent de réguler la présence de ravageurs tels que les pucerons. Il s’agit de repenser le système de production en revalorisant le savoir agronomique pour utiliser au mieux les fonctionnalités et les interactions naturelles présentes dans les écosystèmes du sol.

L’objectif est d’accroître la résilience et l’autonomie des exploitations en diversifiant les cultures, en allongeant les rotations et en renforçant le rôle de la biodiversité comme facteur de production. Il s’agit de repenser le système de production pour utiliser au mieux les fonctionnalités et les interactions naturelles présentes dans les écosystèmes du sol.

De nombreuses associations comme Pour une agriculture du vivant sont en effet favorables à un changement de paradigme des pratiques agricoles afin de redonner à l’agriculture sa capacité à stocker dans les sols un maximum de carbone et d’accueillir la biodiversité. Cela permettra à la fois de les rendre plus fertiles et d’absorber une partie des émissions anthropiques de CO2 en limitant le réchauffement climatique.

Ver de terre présent dans les sols © Natfot

Que penser des propositions émises pour faire de la PAC un levier de la transition agroécologique ? France Stratégie suggère d’utiliser les paiements du premier pilier pour financer un système de bonus-malus à hauteur des bénéfices environnementaux apportés à la société. Dans son rapport Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique [15], l’institution défend l’idée que les aides subventionnant des activités polluantes soient supprimées et qu’un système de taxes sur les externalités négatives soit mis en place. Avec ce mécanisme de marché, la diversification des cultures serait encouragée via un bonus financé par une taxe sur les engrais et sur les pesticides. L’objectif affiché est de proportionner progressivement les aides aux services environnementaux rendus par les surfaces concernées. Il s’agit donc de privilégier les incitations plutôt que les interdictions, quotas et prescriptions de pratiques agricoles à travers une combinaison de bonus et de malus, afin de soutenir les exploitations qui s’engagent dans des pratiques bénéfiques pour l’environnement. Si tant est qu’un quelconque changement puisse être attendu à l’échelle européenne…

Si les orientations de la nouvelle PAC, votée par le parlement en octobre 2020, ne répondent pas aux impératifs de transition agroécologique, une marge de manœuvre subsiste : l’utilisation des éco-régimes n’étant pas déterminée, une mobilisation massive des mouvements écologistes en France pourrait permettre de « verdir » leur utilisation.

La déclinaison de la PAC dans les Plans stratégiques nationaux

Reste désormais à suivre l’avancée du processus et les annonces du gouvernement sur son Plan stratégique national (PSN) pour voir comment seront traduits les objectifs de la PAC dans la politique française. Le ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation a organisé, entre le 23 février et le 7 novembre 2020, un débat public nommé imPACtons qui a mobilisé plus de deux millions de citoyens. Parmi les 1083 propositions issues du débat public, une meilleure rémunération des producteurs et une véritable transition agroécologique ont été mises en avant. Le ministère doit trancher ce jour, mercredi 7 avril, pour indiquer son positionnement par rapport aux propositions formulées lors du débat. Affaire à suivre.

Sources :

(1) « La majorité des pesticides ont des effets sublétaux, c’est-à-dire des effets insidieux, liés à des expositions plus longues où répétées à ces produits », analyse Olivier Cardoso, écotoxicologue à l’ONCFS, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. https://www.franceculture.fr/environnement/les-pesticides-principale-cause-de-la-disparition-des-oiseaux-en-franc

(2) Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 4 pour 1000, les sols pour la sécurité alimentaire et le climat. https://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/1509-climat-4pour1000-fr-bd.pdf

(3) Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l’Homme, Comment lutter contre la désertification ?, 15 juin 2017. https://www.fondation-nicolas-hulot.org/lutter-contre-la-desertification-un-defi-mondial/

(4) La Convention citoyenne regroupe 150 citoyens tirés au sort ayant reçu pour mandat de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».

(5) Rapport de la Convention citoyenne pour le Climat, 2019. https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/le-rapport-final/

(6) Vincent Lequeux, Politique agricole commune : comment ça marche ?, 24 février 2017. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-comment-ca-marche.html

(7) Laura Dulieu, La PAC, pilier essentiel mais obsolète de l’UE, France culture, 25 avril 2019. https://www.franceculture.fr/politique/la-pac-pilier-essentiel-mais-obsolete-de-lue

(8) Vincent Lequeux, Politique agricole commune : comment ça marche ?, 24 février 2017. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-comment-ca-marche.html

(9) Laurence Girard, La France présentera son plan stratégique agricole en 2021, Le Monde, 21 octobre 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/21/la-france-presentera-son-plan-strategique-agricole-en-2021_6056821_3234.html

(10) Noémie Galland-Beaune, Politique agricole commune : les 3 principaux sujets de débat autour de la réforme, 22 octobre 2020. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-les-3-principaux-sujets-de-debat-autour-de-la-reforme.html

(11) Anne Laure Chouin, La PAC, un levier pour la transition écologique ?, France culture, 22 octobre 2019. https://www.franceculture.fr/environnement/la-pac-un-levier-pour-la-transition-ecologique

(12) Noémie Galland-Beaune, Politique agricole commune : les 3 principaux sujets de débat autour de la réforme, 22 octobre 2020. https://www.touteleurope.eu/actualite/politique-agricole-commune-les-3-principaux-sujets-de-debat-autour-de-la-reforme.html

(13) Agriculture stratégie, Négociations de la PAC post 2020 : continuer ou repartir d’une page blanche ?, 5 juillet 2019. https://www.agriculture-strategies.eu/2019/07/negociations-de-la-pac-post-2020-continuer-ou-repartir-dune-page-blanche/

(14) Amélie Poinssot  La nouvelle politique agricole commune oublie le changement climatique, Médiapart, 3 décembre 2020. https://www.mediapart.fr/journal/france/241020/la-nouvelle-politique-agricole-commune-oublie-le-changement-climatique

(15) Julien Fosse, Faire de la politique agricole commune un levier de la transition agroécologique, France Stratégie, octobre 2019. https://www.strategie.gouv.fr/publications/faire-de-politique-agricole-commune-un-levier-de-transition-agroecologique

Relocaliser l’agriculture est une priorité

Le 28 novembre dernier, l’INRA organisait un grand colloque consacré à la reterritorialisation de l’alimentation, une question lancinante à l’heure où les intermédiaires se multiplient entre la production, la transformation et la commercialisation. Selon le rapport d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles[1], un produit parcourt en moyenne 3000 km avant d’arriver dans notre assiette, soit 25 % de plus qu’en 1980. Les petites exploitations qui tentent de s’imposer sur le marché local peinent à faire face à la concurrence des produits importés à bas coût, et le métier d’agriculteur est de plus en plus compliqué. Actuellement, un agriculteur se suicide tous les deux jours selon les données de l’Observatoire national de santé. Le coût environnemental et social de ce modèle impose une transformation des pratiques, par un regain par les territoires de leur capacité de production locale organisée autour de filières intégrant enjeux sociaux et environnementaux. Mais face à la mondialisation des échanges et à l’urbanisation croissante, comment encourager le développement de circuits courts de proximité ?


Circuits courts de proximité : quels avantages pour renforcer la durabilité des territoires ?

Selon la définition adoptée par le ministère de l’Agriculture en 2009, un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. Il en existe plusieurs formes : les magasins de producteurs, la vente directe à la ferme et sur les marchés, les points de vente collectifs (« La Ruche qui dit oui »), les paniers et AMAPs (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). La définition du ministère de l’Agriculture ne prend pas en compte de la distance parcourue par le produit. Ce qui est qualifié de circuit court n’est donc pas nécessairement synonyme de proximité. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a quant à elle proposé une définition du circuit court de proximité[2] qui inclut le kilométrage parcouru par le produit, de 30 km pour un produit agricole à 80km pour les produits transformés. En matière de durabilité, cette définition n’est cependant pas suffisante. L’ADEME définit l’agriculture durable comme celle qui répond à un certain nombre d’enjeux qui sont à la fois la sécurité alimentaire des pays et populations, la rémunération de l’ensemble de la chaîne de production, le respect de l’environnement et la qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments[3]. En outre, un aliment « local » n’est pas nécessairement cultivé sans pesticides et son mode de production peut avoir un impact énergétique important. Faire pousser des tomates sous serres chauffées en hiver, bien que tout près de chez soi, aura par exemple un impact désastreux pour l’environnement. Pour mesurer la durabilité d’un produit, il convient donc de prendre en considération l’ensemble du cycle de vie du produit, soit sa production, sa transformation, son conditionnement et son transport jusqu’au lieu de consommation.

Les modèles d’alimentation durables sont les circuits courts de proximité fondés sur des techniques agricoles favorisant la préservation de la qualité des sols et la qualité nutritive des aliments (agroécologie, transformation sans additifs) plus favorables à l’environnement et garantissant un modèle économique viable pour le producteur. Dans une interview pour le journal l’Humanité, Marc Dufumier[4] explique que « les agriculteurs sont devenus des ouvriers payés à la pièce. Et si la pièce présente le moindre défaut, l’agro-industrie en diminue le prix. La pression à la baisse des prix est incessante ». Les agriculteurs sont pris dans un système capitaliste qui les pousse à produire au plus bas prix, rendant leurs conditions de vie précaires. Ainsi, le développement des circuits courts de proximité est un moteur d’emploi sur le territoire qui dynamise l’économie locale et permet de rémunérer le travail du producteur de manière décente. Derrière les circuits courts, c’est donc la perceptive d’un nouveau rapport à l’espace qui grandit, un nouveau moyen de faire société et de renouer avec son territoire.

Quels sont les freins au développement de ces producteurs locaux ?

La loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt du 13 octobre 2014 a marqué une avancée en matière de relocalisation de la production agricole et alimentaire. Cette loi a mis en place les PAT (Plans d’alimentation territoriaux) qui ont pour objectif d’associer les producteurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs dans des projets alimentaires locaux. Néanmoins, l’objectif annoncé d’avoir 500 PAT en 2020 n’a pas été tenu, puisqu’aujourd’hui seule une centaine de PAT ont vu le jour sur le territoire national.  Ouverts en 2017, les États généraux de l’alimentation marquaient la possibilité d’avancées en matière de réglementation alimentaire. La loi EGalim du 30 octobre 2018 qui en est ressortie a en effet permis certaines avancées. Elle prévoit notamment qu’au 1er janvier 2022, les repas servis en restauration collective dans tous les établissements chargés d’une mission de service public comptent 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques[5]. Néanmoins, l’obligation d’intégrer une part de produits locaux dans les aliments servis dans les cantines n’a pas fait l’objet d’un article dans la loi. En outre, en raison du principe fondateur de l’Union européenne de libre circulation des marchandises, il n’est pas possible de favoriser un produit local sur le critère qu’il est produit sur son sol. Or, face aux faibles coûts de production des denrées dans certains pays qui ont recours à une main d’œuvre bon marché, force est de constater que les producteurs locaux ne réussissent pas à rivaliser. Il apparaît donc nécessaire d’orienter les marchés publics en fonction de critères de durabilité[6].

Pour combler cette lacune, les subventions pourraient être accordées selon la durabilité des modèles d’agriculture. Mais là encore le bât blesse puisque les aides européennes allouées à l’agriculture à travers la PAC (politique agricole commune[7]) sont accordées en fonction de l’unité de surface. Autrement dit, plus on a d’hectares, plus on a de subventions. Ce système a ainsi poussé les agriculteurs à agrandir leurs exploitations et à moderniser leurs techniques sur la base d’un modèle productiviste d’agriculture intensive (croissance de pratiques agricoles nuisant à la santé des sols, perte de contenu organique, surutilisation de pesticides). Le système de la PAC a fait de la terre nourricière une source de rente.  Dans un dossier de la revue Alternatives économiques[8], Antoine de Ravignan[9] souligne que lors de la définition de son cadre pluriannuel, la PAC a cherché à inciter à de meilleures pratiques agricoles en conditionnant 30% des paiements directs (soit 12 milliards d’euros par an) au respect de meilleures pratiques agricoles. Cependant, un rapport de la Cour des comptes européenne souligne ainsi que « ce verdissement n’a suscité de changements dans les pratiques agricoles que sur quelques 5% des surfaces ». Selon ce rapport, en l’absence d’objectifs clairs (baisse de polluants, amélioration de matières organiques dans les sols), le paiement vert reste une aide au revenu, mais ne permet pas d’avancées environnementales.

Enfin, pour encourager le développement d’un modèle alimentaire durable pour les territoires, il est impératif de rendre possible la possession des terres par les agriculteurs. En France, de plus en plus de personnes morales achètent des terres au détriment des agriculteurs. Ces investisseurs alimentent la spéculation autour du foncier agricole dont le prix explose, rendant son accès impossible aux agriculteurs. Ces investisseurs, en encourageant le modèle des grandes exploitations d’agriculture intensive et de monoculture, représentent un danger pour la préservation de la fertilité des sols, mais aussi pour l’emploi et la qualité nutritionnelle des aliments. Emmanuel Hyest, président de la FNSafer a, à plusieurs reprises, alerté les pouvoirs publics sur l’irréversibilité de ce phénomène aux conséquences dramatiques. La dérégulation du marché foncier menace aujourd’hui la soutenabilité du modèle agricole. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle souligne ainsi l’urgente nécessité d’une loi foncière.

« il en va de la souveraineté alimentaire, de la lutte contre le changement climatique et de la vitalité de nos espaces ruraux ».

En somme, reterritorialiser notre alimentation en encourageant le développement des modèles de production plus durables apparaît aujourd’hui fondamental pour assurer la préservation de l’environnement, la juste rémunération des producteurs et la qualité nutritive des aliments. Cela ne sera pas possible sans une révision de la logique de la politique agricole commune et la lutte contre la concurrence dérégulée. Par ailleurs, Emmanuel Macron avait promis une loi pour 2019 sur la protection du foncier agricole, cette loi semble se faire attendre. Pourtant, elle est fondamentale pour encadrer la bonne distribution des surfaces agraires et garantir notre souveraineté alimentaire.

 

[1]Rapport d’information n°2942 sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles, Brigitte Allain, 7 juillet 2015.

[2] ADEME, rapport « Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des Français en 2030 »,2015.

[3] ADEME, rapport « Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des Français en 2030 », 2015.

[4] Marc Dufumier est professeur honoraire à AgroParisTech, président de la nouvelle association pour la Fondation René-Dumont, membre du comité scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot, président de Commerce équitable France et administrateur du Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI)

[5] C’est notamment ce que préconisait le rapport d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et industrielles

[6] 9 milliards d’euros sont versés chaque année à 300 000 exploitations en France

[7]Qualité de vie, écologie, innovation, les campagnes sont de retour Alternatives économiques, n°16, Décembre 2018

[8] Antoine de Ravignan, Rédacteur en chef adjoint d’Alternative économiques

[9] Rapport d’information sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, N° 4363