Les leçons de la mobilisation étudiante contre la loi ORE et Parcoursup

Mobilisations étudiantes, mai 2018 © Julian Calfuquir

Le printemps dernier a été marqué par une mobilisation inédite des étudiants contre les projets de loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) et Parcoursup. Avec une intensité qui n’avait pas été vue depuis plusieurs années, ce mouvement social a permis de cristalliser l’engagement des jeunes contre les politiques de plus en plus ouvertement néo-libérales du gouvernement. Cette mobilisation étudiante a pris corps dans un climat social sous tension, marqué par la grève des cheminots, les mobilisations contre la loi Asile et immigration et la grève des personnels des services hospitaliers. Aujourd’hui, le projet de loi d’augmentation des frais d’université pour les étudiants étrangers ravive les débats du printemps dernier et interroge plus largement les menaces qui pèsent sur le système public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Alors, quelles leçons tirer de la mobilisation du printemps dernier ? Par Julian Calfuquir-Henriquez et Manon Coléou.


 

Aux origines de la mobilisation

Les contours de la loi qui a donné naissance au dispositif Parcoursup ont été annoncés en octobre 2017 par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal. Son annonce a d’emblée entraîné le mécontentement des étudiants et du corps enseignant. En effet, un parallèle s’est rapidement dessiné avec la mobilisation Devaquet de 1986 : tout comme le gouvernement de l’époque, celui d’Edouard Philippe souhaitait mettre en place une sélection sociale à l’entrée de l’université. La logique aurait a priori voulu que les premiers concernés, les lycéens qui formulent leurs vœux d’orientation post-bac, soient en état d’alerte et mobilisés à l’annonce du vote d’une telle réforme. L’attente d’une mobilisation lycéenne était d’autant plus forte qu’un mouvement étudiant d’importance semblait peu probable. En effet, la déception de la mobilisation contre la loi travail de 2016 qui n’avait pas empêché l’amendement de la loi El-Khomri. Le temps de respiration avant une nouvelle mobilisation semblait insuffisant. Cependant, la mobilisation a touché principalement le milieu étudiant, alors qu’elle n’a au contraire que très peu atteint les lycéens. Bien que les premières actions annoncées officiellement par des organisations de jeunesse sont issues des organisations lycéennes, la mobilisation a pris racine dans les universités dès le mois de janvier. Il a néanmoins fallu attendre la rentrée universitaire de février pour voir apparaître des assemblées générales d’ampleur notable.

Les premières assemblées générales se sont ainsi organisées dans des universités culturellement habituées aux mobilisations. On recense parmi elles Paris 1 – Tolbiac, Rennes 2 ou Toulouse – Le Mirail, qui comptent beaucoup d’étudiants venus des classes moyennes ; mais aussi, à l’inverse, des universités comme Nanterre ou Paris 8, plus diverses sociologiquement. Plus ponctuellement, certains climats de tension sociale ont donné lieu à une contestation plus ample, comme à l’université du Mirail à Toulouse qui était déjà en plein débat interne sur le projet de fusion et d’IDEX, ou encore Paris 8 qui se mobilisait à l’époque pour l’accueil des personnes migrantes.

Néanmoins, certaines actions de répression du mouvement ont aussi encouragé sa diffusion, comme par exemple à Montpellier, où un commando cagoulé a tabassé des étudiants lors d’une occupation. De même, l’intervention des CRS dans les universités de Bordeaux et de Nanterre lors d’assemblées générales, ou la mise sous tutelle du Mirail ont pu participer à la consolidation de la mobilisation.

De nouvelles modalités d’organisation pour une mobilisation inédite

Les syndicats étudiants ont traditionnellement toujours joué un rôle central dans l’organisation des mobilisations sociales. Or, la spécificité de la contestation étudiante du printemps 2018 vient de l’absence notable des syndicats étudiants. Elle est visible aussi bien dans les lieux de déclenchement des mobilisations que dans les formes de représentation à l’échelle nationale dont se dotent les étudiants mobilisés. L’une des conséquences a été une plus grande difficulté pour faire pression sur le gouvernement, mais aussi l’émergence de nouvelles formes de contestation. En effet, le mouvement n’a pas manqué de militants organisés et formés pour faire naître ou maintenir les mobilisations. Ainsi, cette mobilisation à la forme inédite a permis la naissance d’organisations autonomes, désireuses d’indépendance, alors que les organismes traditionnels peinaient à convaincre. Le militantisme étudiant s’est donc structuré autour de réseaux indépendants, et non d’une organisation centrale. La mobilisation de 2016 avait justement permis ce changement de mode de coordination et favorisé l’émergence de ces réseaux dans les manifestations, les débats universitaires, et le mouvement Nuit Debout. Si ces mobilisations étudiantes successives ont formé des « agitateurs professionnels » selon les termes employés par le gouvernement, celles-ci ont également renforcé la rigidité des moyens de répression de celui-ci. Les administrations d’universités ont su combiner des épisodes de répression puis de communication post-répression, ce qui témoigne de l’acquisition nouvelle d’un savoir-faire pour gérer et rationaliser les mobilisations.

La CNE, véritable structuration du mouvement étudiant ?

Les organisations traditionnelles ont certes été dépassées, mais remplacées par un cadre nouveau : la Coordination nationale étudiante, déjà en place lors des précédentes mobilisations. Avec un fonctionnement de mandatement, les étudiants envoyaient des délégations en fonction de la taille de leurs assemblées générales afin de décider d’une stratégie nationale pour le mouvement, appelant principalement à des dates de mobilisation déjà définies par l’agenda syndical des cheminots ou bien en soutien à diverses luttes comme « Justice pour Adama Traoré », ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Bien que les délégations soient majoritairement composées de membres d’organisations politiques, la CNE n’est pas parvenue à imposer son rôle politique. Tout d’abord, elle ne représente pas l’ensemble des étudiants. Elle est ainsi devenue le bureau d’enregistrement des revendications de la gauche radicale et le terrain de lutte entre groupes politiques pour remporter une place fantôme de leader du mouvement. La CNE a néanmoins voté de nombreuses initiatives, comme les marches du 5 et du 26 mai, mais elle se rendait parfois inaudible en se concentrant uniquement sur les groupes politiques lui accordant de l’intérêt, et non pas sur les étudiants en lutte ou tout simplement intéressés par la contestation de Parcoursup. C’est donc finalement autour d’événements ponctuels, ou au niveau local que la mobilisation a pris forme, et non à travers un bras de fer national contre le gouvernement.

C’est un mouvement davantage désordonné et réduit qui a fait face à l’administration de Frédérique Vidal. Néanmoins, le mouvement a permis l’émergence de débats intéressants avec le gouvernement. Le cas de Tolbiac vient l’illustrer parfaitement. En effet, l’occupation de ce campus a probablement été l’événement le plus médiatisé de ce mouvement étudiant pour une raison particulière. Elle s’est déroulée sur le site des premières et deuxièmes années de l’Université Paris I. Or, on sait aujourd’hui que la politique néo-libérale se doit de distinguer deux choses : les bonnes et les mauvaises facultés. Dans cette répartition, Paris I se veut, en tant qu’université reconnue de la Sorbonne, un laboratoire idéal pour ce clivage social. D’ailleurs, dans la répartition des « bons élèves » Parcoursup, Paris I ambitionnait de sélectionner les meilleurs élèves au détriment des autres universités qui n’avaient pas aussi bonne réputation.

Il s’agit donc d’un symbole de l’excellence tant désirée qui veut attirer les meilleurs bacheliers, les enfants de classe moyenne ou supérieure pour renforcer les clivages sociaux. Elle a l’ambition d’être une fac d’élite en compétition directe avec les grandes écoles ou les classes préparatoires dans la logique de concurrence entre les établissements du supérieur. Cette occupation a donc eu un important retentissement médiatique car elle venait directement se heurter aux projets du gouvernement dans les lieux de reproduction de l’élite étudiante. On peut par ailleurs remarquer que l’occupation de Paris 8 a duré plus longtemps que toutes les autres, avec très peu d’échos médiatiques. Au contraire, quand les occupations concernent la Sorbonne, la préfecture n’a pas hésité à envoyer deux groupes distincts de CRS, l’un à Tolbiac pour faire diversion, l’autre à la Sorbonne pour déloger les étudiants qui voulaient commencer une occupation. Il s’agit bien d’un effort conséquent de la préfecture pour qu’aucune occupation ne démarre sur le site historique et réputé de la Sorbonne. Le même phénomène s’est produit lors des tentatives d’occupation de Sciences Po Paris, où l’occupation a elle aussi été interrompue instantanément.

Les raisons et les conséquences de la mobilisation

Lorsque les mots d’ordre ne sont pas clairs, le risque d’un mouvement extrêmement divisé et qui ne répond plus à la demande initiale des étudiants devient très grand. Entre les agendas des occupations, ceux des examens, les contextes locaux de fusion, l’absence d’une organisation au sens premier, remplacé par une structuration locale, chaque comité de mobilisation s’est ainsi trouvé seul face à lui-même et maître de son propre agenda. Les rapports de force ont donc pris une tournure plus locale que nationale. Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par une plus grande facilité de mobilisation sur place, et la préoccupation directe pour l’avenir de son université. L’éveil des consciences a été au rendez-vous, néanmoins l’organisation des militants est un autre défi. D’autres sujets de mécontentement n’ont été ainsi abordés que trop tard, comme par exemple la question des algorithmes locaux de Parcoursup ou encore la composition des commissions qui auraient pu être un objectif concret de la mobilisation. De plus, l’essentiel des assemblées générales d’étudiants faisaient déjà le constat de leur impuissance en déléguant la question des manifestations aux cheminots ou à une hypothétique convergence des luttes.

Néanmoins, ce mouvement a aussi rappelé les souvenirs de l’échec de la mobilisation de 2010 contre la loi LRU. Malgré l’intensité de la mobilisation, les réformes contestées ont tout de même été entérinées à la fin de l’année scolaire. Face à ce constat, on ne peut que redouter les futures réformes du gouvernement Macron en termes d’éducation, comme la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers.

Une communication limitée et un traitement médiatique ambigu

Si les trois quarts des universités se sont mobilisées contre la loi ORE et Parcoursup, la plupart des citoyens français n’en ont pourtant pas eu conscience. Seuls quelques « coups de buzz », souvent limités au milieu étudiant ou politisé ont permis une diffusion virale des informations, mais principalement sur les réseaux sociaux. Les actions menées contre la mobilisation, comme le commando cagoulé, ou l’expulsion de Tolbiac ont ponctuellement été médiatisées. Le relai de l’information a donc pêché, et cela s’explique par plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la présence de mouvances autonomes a influencé la direction de la mobilisation. Le principe même de ne pas prendre de photographies lors des assemblées générales ou des manifestations a largement limité la communication autour des actions mises en place. Tandis que les médias étaient sur le qui-vive à la rentrée de septembre 2017, ils semblent s’être ensuite progressivement désintéressés de cette question quelques mois plus tard lorsque celle-ci a commencé à prendre de l’ampleur. En effet, alors que des assemblées générales rassemblaient plus de 3000 personnes, et que des universités étaient occupées, les grands médias nationaux passaient ces rassemblements sous silence. Ces informations réapparaissent sporadiquement lorsque les opposants au mouvement s’agitaient. Il a fallu un laps de temps pour que l’action du commando cagoulé soit mise en lumière, mais la poursuite de la mobilisation montpelliéraine n’a pas été suivie ni retransmise.

Juste avant l’accueil de la CNE dans ce qui est devenu “la Commune Libre” de Tolbiac, les médias ont ainsi mis en avant la “violence” des occupants. Georges Haddad, le président de l’université Paris 1 a ainsi déclaré sur le plateau d’Elkabbach qu’au sein de l’antenne de l’université occupée on trouve « de la violence, de la drogue, du sexe », voire même de la « prostitution ». Quelques jours plus tard, Tolbiac était évacuée très tôt dans la matinée alors que les étudiants mobilisés sur place dormaient encore. L’évacuation a donné lieu à de nombreux heurts avec la police, mais la préfecture a pourtant déclaré que l’évacuation s’était déroulée sans violence. Malgré les images saisissantes, l’idée que tout pourrait se passer dans le calme sans les étudiants qui bloquent “pour le plaisir de faire des barbecues” et “dégrader les lieux” est la plus médiatisée. Par ailleurs, l’incompréhension ou le manque de volonté de comprendre les enjeux de la sélection et de Parcoursup ont joué en faveur du traitement médiatique du gouvernement. La dimension politique de la mobilisation était totalement occultée des analyses des journalistes de plateaux télé. La décrédibilisation et le manque de relai ont donc participé à la difficile mise en place d’un espace de dialogue.

Si la médiatisation du mouvement a pêché, celui-ci s’est grandement organisé sur les réseaux sociaux. La réflexion autour d’une nouvelle communication et d’une structuration par les réseaux sociaux est désormais devenue un outil fondamental de visibilisation les luttes sociales.

L’apport du mouvement et ses perspectives futures

Ce mouvement a tiré sa force d’événements de grande ampleur et médiatisés, comme les blocages d’universités ou d’examens, les assemblées générales massives, ou les occupations. Cependant, son manque d’élargissement au-delà de la sphère de ce qui compose habituellement la gauche radicale est regrettable. En effet, cette mobilisation est plus ou moins parvenue à toucher les étudiants selon leur faculté d’origine. Par exemple, la filière STAPS, très touchée par le phénomène de sélection et le manque de moyens, n’a vu que très peu d’étudiants de ses filières se mobiliser au niveau national. Il en va de même pour les filières de droit. L’échec technique de Parcoursup dès la rentrée 2018 a ainsi confirmé que les revendications entendues pendant ces mois de mobilisation avaient déjà cerné les défauts de ce principe de sélection à l’université.

Aujourd’hui, les réseaux de militants convaincus de la nécessité d’une alternative pour les universités reprennent leurs mantras. On voit déjà apparaître des campagnes sur la question des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, tandis que la mobilisation contre la sélection à l’université et la réforme du bac reviennent au cœur du débat. Cependant, ici encore, la structuration autour d’organisations qui n’ont rien de traditionnel doit aussi interroger ses débouchés possibles afin de répondre aux attentes des étudiants.

Réforme de l’éducation : bonnet d’âne pour Jean-Michel Blanquer

S’il est un ministre qui fait peu parler de lui et qui parvient à conserver une certaine popularité, il s’agit de Jean-Michel Blanquer. Ancien directeur de l’ESSEC et directeur de l’enseignement scolaire auprès de Luc Chatel sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il n’essuie que peu de critiques au fil de ses réformes, qu’il mène en martelant une volonté de « retour à l’excellence » ou encore de « liberté ».


L’année scolaire 2018-2019 se situe « dans le sillon » de « l’école de la confiance » selon les dires du ministre. Pour comprendre la philosophie qui sous-tend les réformes actuelles, un tour d’horizon et un décryptage des réformes passées ou en cours sont nécessaires. Celles qui sont actuellement menées par l’actuel ministre de l’Education Nationale étaient déjà augurées dans son ouvrage programmatique L’Ecole de demain (Odile Jacob, 2016)notamment à travers la réorganisation des filières et des séries, et la refonte du baccalauréat.

Une réforme de la filière professionnelle à rebours des enjeux actuels

C’est ainsi sous une relative indifférence que le personnel des établissements professionnels s’est mobilisé contre la réforme de leur filière, le jeudi 27 septembre 2018. Cette réforme avait vu sa trame annoncée au mois de mai dernier sans pour autant susciter l’enthousiasme des syndicats et des professeurs. Elle remet en effet en cause la philosophie même de cette filière souvent dévalorisée, mais concernerait pourtant 38% des lycéens.

Tout d’abord, un recours accru à l’apprentissage en dehors des salles de classe émergerait, ce qui entraînerait mécaniquement une diminution du volume horaire des enseignements. Cette diminution peut être estimée à une perte de 60 heures par an pour ce qui est des enseignements dits “professionnels”, et une baisse de 276 heures dans les enseignements “généraux” comme l’histoire-géographie ou encore le français. Cette diminution pose plusieurs problèmes et la refonte de la filière ne garantit pas sa revalorisation.

La réforme permet également d’envisager des suppressions de postes et sous-tend un rapport éminemment utilitariste aux disciplines « générales ». En effet, là où l’histoire-géographie, les langues vivantes ou encore le français participent de l’épanouissement et de la formation de l’esprit critique d’un citoyen en devenir, leur diminution et la mise en place d’heures dites en « co-intervention » vont à l’encontre de cette conception. Ces dernières lieraient les enseignements généraux et professionnels, orientant par exemple les cours de français vers la rédaction de lettres de motivation. L’origine sociale déterminant très largement le choix des filières (46% des enfants issues de familles ouvrières ayant choisi le bac professionnel en 2012 contre 10% des enfants de cadres supérieurs selon une enquête de l’Observatoire des inégalités), ce sont des catégories déjà fragiles qui verront leur accès à un bagage culturel émancipateur restreint.

Si l’accès à l’enseignement supérieur était chose peu aisée pour les lycéens issus des filières professionnelles, comment prétendre à des passerelles avec la définition d’attendus sur la plateforme Parcoursup ? Malgré la restriction engendrée par ces attendus, les bacheliers des filières professionnelles ne seront pas pour autant prêts à rejoindre le monde du travail une fois le baccalauréat obtenu.

La spécialisation de ces bacheliers sera par ailleurs reculée d’un an. Elle n’interviendra plus qu’à l’entrée en classe de première, la classe de seconde proposant une découverte de « familles de métiers ». Le bac professionnel avait déjà vu sa durée raccourcie d’un an en 2008 en étant passé d’une formation en 3 plutôt qu’en 4 années (deux années de BEP suivies de deux années de Bac pro). Avec une formation résolument plus générale et déjà assez courte, c’est finalement l’insertion professionnelle dans un contexte de chômage élevé qui va être rendue plus difficile. Si les « familles de métiers » (hôtellerie-restauration ou encore relation client pour ne citer qu’elles) ont ceci de rassurant qu’elles laissent un choix apparent, elles ne donnent finalement qu’un aperçu scolaire là où la technicité attendue est grande et nécessite du temps. À l’heure où émergent de nouvelles professions et de nouveaux besoins liés notamment aux enjeux climatiques, aux nouvelles énergies qui constituent des domaines d’avenir et sur lesquels il est salutaire d’agir, ne serait-ce pas sur les vocations et leur précision qu’il faudrait au contraire se focaliser?

Un baccalauréat à la carte : à la recherche du lycéen economicus ?

La réforme du baccalauréat simplifie un examen souvent jugé complexe et coûteux. Cependant, elle modifie le rapport du lycéen à sa scolarité en créant un « parcours à la carte » qui a pour conséquence d’individualiser tant la réussite que l’échec.

Les élèves auront ainsi à choisir entre deux enseignements de spécialité en seconde, trois en première et finalement deux en terminale. Cela implique un nombre de combinaisons, de stratégies importantes : 36 combinaisons en seconde, 265 en première et enfin 57 en terminale en omettant les options. Si un élève indécis n’a pas pris telle ou telle option, il pourra se voir refuser l’accès à certaines formations dans le supérieur du fait de la mise en place d’« attendus » par Parcoursup. Cela induit une forte inégalité entre les grands établissements, qui pourront proposer un large panel d’enseignements, d’options (comment faire tenir dans un emploi du temps autant de possibilités ?) et les autres.

Une inégalité qui se répercute directement sur les élèves. Certains pourront ainsi bénéficier des conseils et arbitrages tant des parents que du personnel éducatif là où d’autres seront encore davantage livrés à eux-mêmes. Les acteurs pourront dès lors se rabattre sur les combinaisons perçues comme « sûres » et reconstitueront de fait les filières qui existent actuellement : si un bac scientifique avec une spécialité mathématiques constitue aujourd’hui la filière dite « reine », pourquoi se risquer à faire des choix optionnels et des combinaisons risquées ? Aussi, les asymétries d’informations et de moyens pourront, si elles ne rendent pas inefficaces la réforme, créer d’importantes inégalités entre les élèves. Les filières actuelles présentent des limites et sont souvent remises en cause, mais l’individualisation des parcours finalement en conformité avec le projet macroniste peut à terme induire une forme de sélection induite et légitimée par de « mauvais » choix qui auraient été faits en amont dans la scolarité, là où la relative uniformité des filières protège.

A cela vient s’ajouter une dose de contrôle continu dans les épreuves du baccalauréat. Le temps accru consacré aux évaluations induit mécaniquement une diminution des heures d’enseignement. Si une commission académique aura en charge l’harmonisation des notes, le risque est de rapporter la note à l’établissement et à son prestige, là où l’épreuve nationale atteste des compétences acquises par les lycéens et ce, indépendamment de leur établissement d’origine. C’est donc à terme un baccalauréat estampillé par tel ou tel établissement qui sera délivré.

Des vertus du dédoublement des classes

Lors de sa conférence de presse du 29 août 2018, Jean-Michel Blanquer s’était félicité des dédoublements des classes qui recevait une approbation qui dépassait « tous les clivages politiques ». Au total, 87% des communes sont parvenues à dédoubler physiquement de REP+ et de CP en 2017. Cette mesure a été étendue aux classes de CE1 dans les zones considérées comme difficiles soit 190 000 écoliers. Partant du constat que 20% des élèves ne maîtrisent pas les « fondamentaux » au sortir de l’école primaire, ces dédoublements ont pour objectif de renforcer le suivi des élèves. Ils supposent le redéploiement de professeurs dans les établissements, au moment même où des suppressions de postes ont été annoncées. Si cette mesure a en soi permis à certains élèves de progresser, les redéploiements à l’heure d’une crise des vocations et dans un contexte plus large de suppression de postes pose problème.

Le ministre avait annoncé en effet la suppression de 1 800 postes dans l’Éducation Nationale quelques jours avant la rentrée scolaire, soit 0,2% des emplois du ministère. Pour compenser cela, il suggérait la mise en place d’heures supplémentaires qui sont exonérées de cotisations salariales. Ces suppressions de postes se rattachent plus largement au programme porté par Emmanuel Macron et rappelé par Édouard Philippe à la rentrée, à savoir « supprimer 50 000 postes à l’horizon 2022 ».

Aussi, ce double mouvement de réduction des effectifs et de suppression de postes justifié par la volonté de rendre plus efficace et de moderniser l’action de l’Etat permet de déceler l’aporie des politiques issues du New public management : il reconnaît en effet la nécessité d’un suivi accru, de plus de moyens pour permettre la réussite de chacun, là où les suppressions de postes, le recours toujours plus important au numérique (qui occupe une place importante dans le rapport Cap 22) viennent défaire un lien social déjà fragilisé.

Des territoires mis en concurrence ?

“Les territoires ruraux ne doivent plus être la barrière d’ajustement. Il n’y aura plus aucune fermeture de classe dans les écoles rurales” avait déclaré Emmanuel Macron en juillet 2017. Pourtant, plusieurs centaines de classes vont être fermées en zones rurales à la rentrée prochaine. Une promesse en passe de ne pas être tenue ? Un premier test pour Jean-Michel Blanquer en tout cas, au vu de la contestation suscitée par cette annonce.

Dans son discours du 18 juillet 2017 au Sénat, le Président Macron avait en effet promis que les fermetures de classes dans les zones rurales cesseraient, tout en investissant dans l’école avec le dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP et REP+. Christophe Castaner avait d’ailleurs insisté sur cette annonce, précisant qu’elle prendrait effet dès la rentrée scolaire 2017. En ce sens, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est présenté sur ce dossier comme un fervent défenseur des écoles rurales, tout en annonçant dans le même temps la fermeture de 200 à 300 classes à la rentrée. Le ministre précisait également qu’à l’échelle nationale, « on ouvrait plus de classes qu’on en fermait ». Le solde officiel arrêté le 12 mars fait pourtant état de 783 ouvertures pour 990 fermetures dans les 45 départements les plus ruraux, réalité d’autant plus problématique que les ouvertures se concentrent dans les villes de ces départements, selon les syndicats.

Il est intéressant de noter que cette décision semble unanimement condamnée par l’opposition : à l’Assemblée nationale, des députés Les Républicains, dont le vice-président du parti Guillaume Peltier, mais aussi de La France insoumise et du Front national, se sont faits entendre ces dernières semaines, pour rappeler le président Macron à ses engagements pris l’été dernier. À la rentrée 2017, le dédoublement des classes de CP en REP+, en zone d’éducation prioritaire renforcée, a nécessité la création de 2 400 postes. En septembre 2018, cette mesure s’étendra aux CP en REP, aux CE1 de REP+ et REP, ce qui nécessitera, selon les syndicats, 7 200 postes en plus. Les syndicats ont recensé pour leur part jusqu’à 816 fermetures de classes rurales contre 183 ouvertures. Ils dénombrent parallèlement à ces fermetures l’ouverture de 3 642 postes dans les zones d’éducation prioritaires. Pour expliquer ces différences avec les chiffres du gouvernement, les syndicats pointent du doigt les fermetures de classes dans des zones rurales, mais qui ne font pas nécessairement partie des 45 départements considérés comme ruraux. À cette guerre des chiffres correspondent en effet des manques de moyens croissants sur le terrain. Pour la secrétaire nationale du SNUipp, Francette Popineau, pourtant favorable au dédoublement des classes de REP, « ce qui est mal vécu, c’est la fermeture d’une classe à 15 élèves dans une école rurale et l’ouverture d’une classe à 12 à quelques dizaines de kilomètres, en éducation prioritaire ». Elle regrette par ailleurs le fait que « le ministère met en concurrence les enfants des champs et les enfants de villes ».

« Des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves »

Le gouvernement justifie néanmoins ces décisions par la baisse de la démographie : à la rentrée 2018, 32 000 élèves de moins rentreront en maternelle, une baisse d’autant plus sensible dans les zones rurales. À cet argument s’oppose le sentiment des parents, qui ont l’impression de payer notamment pour les fameux dédoublements des CP et CE1 en REP, mesure phare du gouvernement. En Touraine, le président a déclaré que « des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves ». Un nombre qui s’avère déjà très élevé et qui remet en cause le suivi des élèves.

Emmanuel Macron affirmait en préambule de son programme que « face aux multiples défis auxquels la France et les Français sont confrontés, l’école est le combat premier. Seule l’éducation pourra garantir la cohésion sociale et la prospérité ». Le candidat y dénonçait également le creusement des inégalités à l’école et la place croissante du déterminisme. Sans exclure cette promesse de fermer des classes, la question se posait dès lors de réduire ces inégalités. En effet, ces fermetures de classes, quand il ne s’agit pas de fermetures d’écoles, vont avoir pour conséquence d’augmenter le nombre d’élèves par classe. En ce sens, le souhait de renforcer le lien entre les professeurs et les élèves va être difficile à exaucer. À terme, c’est la fermeture de certaines écoles qui est en jeu, et il incombera donc aux parents, dans les zones rurales, d’assurer le transport de leurs enfants dans des zones éloignées.

Des mesures qui remettent donc en cause l’égalité d’accès à l’éducation

Les services publics ont pour principes l’égalité, la continuité, la mutabilité et l’accessibilité, sur l’ensemble du territoire national. Ces principes ont de plus valeur juridique. Or, les fermetures de classes remettent justement en cause ces principes d’égalité, de continuité et d’accessibilité. La rupture d’égalité en termes de continuité introduit une discrimination entre ceux qui ont accès facilement au service et ceux qui en sont privés. La Charte française des services publics indique ainsi qu’« elle suppose aussi dans son acceptation actuelle la présence de services publics rénovés et polyvalents dans les zones rurales et les quartiers urbains en difficulté ». S’il ne s’agit pas de mettre en concurrence les enfants scolarisés dans les écoles rurales et les élèves de zones d’éducation prioritaires, on voit là une déclinaison de la stratégie qui consiste à rééquilibrer la situation en donnant à certains en prenant à d’autres. Cependant, cela va avoir des conséquences directes tant sur la qualité de l’enseignement que sur le bien-être des élèves, ce dernier étant bien évidemment corrélé à la réussite scolaire.

Sur le terrain, les projections ne sont donc pas optimistes, et le discours général du gouvernement sur la fonction publique, présentée comme un vivier d’économies par le gouvernement, ne rassure personne. Un dispositif « qui vampirise un grand nombre de postes au détriment des dispositifs de scolarisation de moins de trois ans, des remplacements mais surtout des dispositifs en territoire ruraux », déplorait sur Europe 1 Hervé-Jean Le Niger, vice-président national de la FCPE, fin février. De son côté, le député de la Somme François Ruffin, dans une interview à Marianne, rappelle qu’il était favorable à ce dédoublement des classes de CP et CE1, tout en dénonçant un « bricolage » de la part du gouvernement : « le problème, c’est qu’aucun moyen n’est dédié à la réalisation de cette mesure. Afficher des ambitions, trop d’ambition, sans mettre de moyens ce n’est pas sérieux. » Il faut dire que le département de la Somme affiche le deuxième plus haut taux de difficultés de lecture (17,5% de jeunes, derrière le département de l’Aisne à 17,7%, contre moins de 8% à Paris), et est l’un des départements à avoir le moins de candidats au baccalauréat. Pourtant, le gouvernement prévoyait d’y supprimer pas moins de 63 classes. Un chiffre finalement limité à 38 classes, à la suite de luttes de la part des syndicats et parents d’élèves. De telles fermetures de classes mettent à nouveau en scène un exécutif bradant les principes républicains d’égalité d’accès aux services publics, malgré ses déclarations d’intentions. Simplement pour préserver une mesure phare, emblématique de la campagne du candidat Macron. Quitte à fragiliser encore un peu plus le système éducatif français.

Les réformes de Jean-Michel Blanquer bénéficient d’un certain soutien notamment du fait d’une communication qui se concentre sur les dédoublements de classe et sur le recours perpétuel à l’idée d’un retour à l’excellence. Cependant, ces politiques qui reconnaissent les limites du système actuel sont toujours guidées et circonscrites par des objectifs d’économie ou d'”efficacité” budgétaire. Là où il faudrait augmenter le nombre de postes pour assurer un soutien plus individualisé et éviter l’échec, l’accent mis sur le primaire se fait au détriment du secondaire. Là où il faudrait mieux préparer les lycéens professionnels à des métiers qui changent, c’est en fait de la précarité en devenir qui est façonnée. Là où la liberté est mise en avant, c’est en fait l’esquisse d’une future sélection à l’entrée de l’Université qui émerge.

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La catastrophe Parcoursup : bilan des premières semaines

Détournement du tableau “La malédiction paternelle”, Nanterre, 12 mars 2018

Depuis le 22 mai, les lycéens reçoivent – pour les plus chanceux – leurs premières propositions d’admission en première année dans l’enseignement supérieur, sur la nouvelle plateforme Parcoursup. D’après les données publiées le 7 juin, seuls 36% des candidats ont accepté définitivement une proposition d’admission. Retour sur des semaines angoissantes pour les centaines de milliers de lycéens qui passent le bac dans quelques jours.


Les laissés-pour-compte de Parcoursup

Face à l’inquiétude des parents d’élèves et des lycéens, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, martèle dans les médias que la plateforme est plus performante que la précédente. Pourtant, l’année dernière, à la suite de la première phase d’APB, 80,7% des lycéens avaient une proposition d’admission, qui concernait pour 49,6% d’entre eux leur premier vœu. Les chiffres des premières semaines de Parcoursup vérifient ce que les syndicats et associations de parents d’élèves dénoncent depuis plusieurs mois : la loi « Orientation et réussite des étudiants » instaure bel et bien une sélection à l’entrée de l’université et le portail Parcoursup a été programmé en ce sens. Loin de permettre une démocratisation de l’enseignement supérieur, Parcoursup relègue une partie des lycéens hors des universités.

20% des lycéens n’ont toujours aucune proposition et sont en liste d’attente, y compris pour accéder à des licences. En pleine période de révision du bac, ils doivent se connecter quotidiennement pour guetter les nouvelles propositions et surveiller l’évolution de leur « rang » dans la liste d’attente.

Une partie des candidats a été éliminée dès le début. Nouveauté avec Parcoursup, les lycéens ne sont plus obligés de faire des vœux en licence – autrefois « pastille verte ». Cela permettait de s’assurer qu’un lycéen qui candidate à des formations sélectives (classes préparatoires, IUT, BTS etc.) soit admis quoiqu’il arrive dans l’enseignement supérieur public. Ainsi, pour tous les lycéens – souvent mal renseignés – qui n’ont mis que des vœux sélectifs et n’ont obtenu que des refus, Parcoursup s’arrête. A ce jour, cela représente 23 145 candidats, soit environ le nombre d’étudiants d’une université comme Paris 8, éliminés depuis le 22 mai. Ils pourront tenter leur chance pendant la phase complémentaire qui débute le 26 juin, si des places se libèrent d’ici-là.

« Cela représente 23 145 candidats, soit environ le nombre d’étudiants d’une université comme Paris 8, depuis le 22 mai. »

Des milliers d’inscrits ont choisi de quitter définitivement Parcoursup. Leur nombre n’a cessé d’augmenter pour atteindre en tout 36 866 candidats. Si l’on a peu d’informations sur les motivations de ces départs, on peut envisager qu’ils soient des renoncements à poursuivre des études ou des redirections vers le secteur privé de l’enseignement supérieur.

Les « privilégiés » qui ont eu au moins une réponse positive ne sont pas pour autant tirés d’affaire. Si des places se sont effectivement libérées au fur et à mesure, la moitié des jeunes ayant au moins une proposition d’admission n’a validé aucun vœu et attend de recevoir de meilleures propositions d’admission.

Les disparités sont importantes selon les lycées d’origine. Le syndicat Sud Éducation organise un recensement des résultats de Parcoursup lycée par lycée.[1] Leur étude montre que le type de baccalauréat préparé par les lycées joue beaucoup sur le nombre d’élèves qui n’ont aucune réponse positive. Sur un panel de 11 000 élèves, 60% de ceux qui viennent de la voie professionnelle, et 58% pour la voie technologique, n’avaient aucune proposition d’admission le 1er juin. Alors que dans la filière générale scientifique, ils sont 42% à être dans cette situation. Les syndicats opposés à la réforme assurent qu’avec la mise en place de la loi ORE, les élèves des quartiers populaires subissent une sélection plus forte que les autres sur Parcoursup. Les chiffres, lycée par lycée, que transmettent des enseignants engagés contre la réforme, vont effectivement dans ce sens, mais le gouvernement refuse pour le moment de rendre publique une analyse par académie et par type de bac.

Source : Ministère de l’éducation nationale, Tableau de bord – Phase principale d’admission de Parcoursup, 07/06/2018

Une catastrophe volontaire ?

Le 15 mai dernier, la ministre Frédérique Vidal déclarait à propos de Parcoursup : « C’est un processus plus fluide qui remet de l’humain dans la procédure. ». Au vu des premiers chiffres de la semaine, ces éléments de langage sonnent comme une mauvaise blague pour ceux qui craignent encore de ne pas pouvoir faire les études qu’ils veulent. Des spécialistes nous alertent depuis longtemps : avec la fin de la hiérarchisation des vœux, la suppression des « pastilles vertes » et le calendrier dans lequel les « offres » se font de façon diffuse, l’algorithme de Parcoursup serait un enfer pour les lycéens.

« Le désastre de ces premières semaines était si prévisible, que l’on peut supposer que c’est ainsi que le gouvernement a voulu Parcoursup. »

Le désastre de ces premières semaines était si prévisible, que l’on peut supposer que c’est ainsi que le gouvernement a voulu Parcoursup. Il est, tout du moins, en parfaite cohérence avec le processus de sélection  prévu par la loi ORE et mis en pratique sur la plateforme. En effet, les jeunes doivent, dès leurs 17 ans, anticiper leur place dans la société et faire ce choix déterminant en fonction de leurs « capacités ». Avant le cauchemar du 22 mai, où la moitié d’entre eux a reçu comme réponse « Non » ou « En attente », ils ont dû rédiger des CV, des lettres de motivation et se tenir à carreau en cours pour espérer que le conseil de classe donne un avis favorable à leur projet d’orientation. Tout cela crée, délibérément, un climat d’incertitude et de concurrence. Les laissés-pour-compte, les listes d’attente interminables et le stress qu’elles génèrent, forment avec toute cette procédure très managériale une suite tout à fait logique qui illustre très bien ce que produit en matière de violence la bureaucratie néolibérale, lorsqu’elle veut s’étendre au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Gare à celui qui voudrait protester, la répression sera au rendez-vous. Des lycéens, que les résultats de Parcoursup n’ont pas tétanisés, organisaient une assemblée générale au Lycée Arago (Paris 12ème). L’action était non-violente, mais les CRS ont interpellé 128 personnes dont 40 mineurs. Ils passeront plusieurs heures enfermés dans un bus, dans le noir, avant de se voir notifier leur garde à vue. Celle-ci durera 48 heures. Un collectif de parents d’élèves a saisi le 29 mai le défenseur des droits[2] contre ce qu’ils considèrent comme de la « maltraitance caractérisée ». Il ne fait pas bon être lycéen dans la Start-up Nation.

[1] http://www.sudeducation.org/Parcoursup-le-bilan-du-formulaire.html

[2] http://www.liberation.fr/debats/2018/05/29/lycee-arago-pourquoi-nous-saisissons-le-defenseur-des-droits_1654960

La mise en place de Parcoursup nous conduit dans le mur

Des étudiants mobilisés à l’occasion de “la fête à Macron” ©Vincent Plagniol

La réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche est fortement contestée depuis de nombreuses semaines. Malgré la communication du gouvernement autour de la loi ORE, les critiques se multiplient dans le champ universitaire. Tribune de Clément Fradin et de Pierre-Yves Modicom.

Parcoursup : pour qui ?

Les éléments de langage distillés sur les antennes de France depuis des semaines par la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et ses relais médiatiques ou syndicaux pour vendre la loi Orientation Réussite Étudiants (ORE) et la plate-forme Parcoursup qui l’accompagne, reposent sur des éléments simples et apparemment évidents : meilleure gestion des flux, une orientation choisie et donc réussie face à l’échec en licence, des moyens pour l’accompagnement des étudiants les plus faibles, de nouvelles places ouvertes dans les cursus en tension, etc. Face à l’insuffisance des contre-argumentaires journalistiques sur un sujet il est vrai assez technique, une vague conséquente d’analyses, venues le plus souvent d’universitaires, a montré les non-dits ou les grossiers mensonges de cette communication tout en soulignant le but non-avoué : sélectionner et en finir avec le baccalauréat comme premier grade universitaire. Un fort mouvement étudiant, suivi plus qu’accompagné par une mobilisation timide du côté enseignant, a dans la foulée achevé de mettre en avant la réalité des universités françaises, sous-dotées et mal considérées, où le malaise des étudiants fait pendant à celui de nombreux personnels.

Cette critique – à nos yeux juste et légitime – de la loi ORE est balisée et bien connue. En tentant de comprendre la logique générale de la loi et ses ressorts idéologiques on retrouve en réalité le fil du temps long, celui dans lequel s’inscrivent les prescripteurs d’opinion et les idéologues derrière les réformes successives de l’ESR et, en dernière instance, c’est sous le chapeau de l’Union européenne et de l’OCDE qu’on débusque le diable.

Décentrer le regard

L’actualité européenne offre parfois des télescopages intéressants : tandis que l’université française est secouée par un mouvement contre la généralisation de la sélection à l’entrée en premier cycle et le démantèlement des cursus de licence, en Espagne, une pétition contre l’étranglement financier de l’enseignement supérieur et de la recherche par les gouvernements successifs recueille plusieurs centaines de milliers de signatures, une grève historique des personnels enseignants touche les universités anglaises en même temps que les scandales de mauvaise gestion de l’argent des frais d’inscription s’y multiplient, et enfin, en Autriche, le gouvernement de coalition des droites radicales présente un projet de généralisation de la sélection et d’augmentation des frais d’inscription.

Partout, lorsqu’on y regarde de plus près, on retrouve les mêmes ingrédients, souvent regroupés hâtivement sous l’étiquette de « marchandisation du savoir » : on pense notamment à la restriction de l’accès à l’université, à l’assèchement financier des organismes de service public, voire à leur fermeture dans certains cas (en France, l’exemple le plus actuel est la liquidation programmée de l’ONISEP, le service public de l’orientation), et au passage à une logique de contractualisation des relations entre l’État et les opérateurs et entre ceux-ci et les étudiants, cette dernière prenant le plus souvent la forme d’une augmentation des frais d’inscription.

Mais il ne faudrait pas oublier un élément central des conflits en cours dans des pays comme la France ou la Grande-Bretagne : le rôle d’une strate managériale académique notoirement surpayée, comme cela a particulièrement été relevé en Angleterre (les émoluments mirobolants des présidents de ComUe français tentent vaillamment de donner le change de ce côté de la Manche). Ces managers échappent bien évidemment à tout contrôle par leurs pairs. Ce mandarinat d’un nouveau genre, qui n’a rien à envier à celui que le 1968 européen pensait avoir mis à bas, est en réalité engagé dans une fuite en avant vers « l’excellence », « l’innovation » plus ou moins creuse, et en dernière instance la différenciation du paysage universitaire et scientifique entre un service public paupérisé qui recueille le tout-venant et des poches élitistes engagées dans une compétition mondiale pour les meilleurs talents. Il est d’ailleurs significatif de voir que les acteurs de cette couche managériale en Europe se cooptent volontiers dans des comités stratégiques ad hoc : si l’Europe de l’émancipation par le savoir patine, celle des nouveaux mandarins fleurit à l’ombre de deniers publics dont le flux ne se tarit pas pour tout le monde, et que les incitations venues de l’Union européenne ne font que renforcer.

Cet état de fait n’est pas pour surprendre : les systèmes universitaires et scientifiques européens convergent de longue date vers une situation alliant les logiques de marché (la fameuse « marchandisation », qui n’est pas qu’une affaire de profit mais aussi de fixation des mécanismes de détermination de la valeur comme fait social) et un glissement autoritaire et bureaucratique de plus en plus marqué. Il s’agit même d’un programme, dont le libellé européen fut formulé à Lisbonne en 2000 (après une première ébauche à Bologne en 1998) sous le concept d’économie de la connaissance, emprunté à des modèles économiques dérivés de la théorie du capital humain.

D’où viens-tu, Parcoursup ?

Parcoursup n’est en réalité qu’une étape – décisive il est vrai – dans l’alignement de l’université publique française sur les recommandations de l’OCDE et de l’UE en matière d’ « économie de la connaissance » : la loi « Orientation et réussite des étudiants », au-delà de la sélection, est d’abord et avant tout une loi de différenciation du paysage universitaire entre des établissements dorénavant autorisés à sélectionner ad libitum en réduisant leurs capacités d’accueil en première année et d’autres qui se spécialiseront dans un créneau d’ « universités de bassin », faiblement sélectives, destinées à recueillir la population jeune d’une zone d’activité économique spécialisée. Dans tous les cas, et notamment dans le second, il s’agit de proposer des enseignements « modulaires et capitalisables » « dans une perspective de formation tout au long de la vie » (pour reprendre les termes d’un amendement Les Républicains à la loi ORE voté comme un seul homme par le groupe LaReM). Le patron de la Conférence des Présidents d’Université a récemment parlé du rapprochement entre formations de premier cycle et formation continue comme de la « mère de toutes les batailles » : on reconnaît là un grand principe de la théorie du capital humain promue par la triade Banque Mondiale-OCDE-UE : l’essentiel est de former une main-d’œuvre selon des modules de compétences ajustables en fonction des aléas d’une activité économique dont le présupposé veut qu’elle se concentre de plus en plus dans des métropoles interconnectées et en concurrence globale – les villes qui auront l’heur d’accueillir les « universités d’excellence ». La fin de l’égal accès au service public va donc de pair avec l’abandon du principe de continuité territoriale.

Des étudiants mobilisés à l’occasion de “la fête à Macron” ©Vincent Plagniol

On reconnaît là un des mantras des « réformes structurelles » tant vantées par les dirigeants européens (Wolfgang Schäuble en parlait encore dans une interview au JDD le 29 avril dernier), et dont la restructuration de l’hôpital public fournit un autre exemple saisissant – y compris d’ailleurs sur le plan de la « marchandisation », puisque la tarification des inscriptions universitaires au module de compétence voire au crédit ECTS, telle qu’elle a été instaurée en Espagne et qu’elle menace en France, n’est pas sans rappeler le principe de la tarification à l’acte dans les hôpitaux. La cohérence de ces réformes est indéniable, et renvoie à la formule qui avait fait florès lors du débat français sur la constitution européenne en 2005 : la « concurrence libre et non faussée » comme seul mode de relations entre les personnes, mais aussi entre les territoires, les groupes sociaux et les institutions.

Un chemin qui ne mène nulle part

Mais notre propos n’est pas de verser dans une déploration complaisante de la puissance et de la cohérence de « l’ennemi » qui mènerait à une forme de tétanisation face au « cauchemar qui n’en finit pas ».

Notons par exemple que plusieurs travaux récents montrent en réalité une tendance globale à la déconcentration de la recherche et de « l’innovation » qui place les partisans de la spécialisation des territoires et de la mise en concurrence des métropoles en porte-à-faux vis-à-vis d’évolutions qu’ils prétendent accompagner. De même, depuis quinze ans que le mouvement de concentration et de différenciation a été amorcé en France, ses résultats à l’aune des « classements internationaux » censés légitimer le projet sont restés nuls. Sans rentrer dans le déclinisme de certains, on pourrait même dire que les universités et les instituts de recherche français ont pâti des réformes enchaînées depuis 2003 et particulièrement des lois Pécresse de 2007/2008.

Parallèlement, ailleurs en Europe ou dans les pays de l’OCDE, une marche arrière s’enclenche : la parenthèse des frais d’inscription dans les universités allemandes a été refermée, et en Angleterre, le gouvernement de Theresa May, sous pression du Labour de Jeremy Corbyn qui a fait de la dette étudiante un de ses chevaux de bataille, envisage d’abaisser le montant maximal des frais d’inscription légaux.

De même, l’étude de ces réformes d’un pays à l’autre montre une forte persistance de spécificités nationales qui sapent le travail des réformateurs, notamment du côté du système français, historiquement « dual », et des grandes écoles, où pour un ensemble prêt à jouer le jeu de l’excellence pour s’arroger le titre d’ « université d’excellence » (Paris Sciences et Lettres, organisé autour de l’ENS), force est de constater que de nombreux établissements rechignent au point de mettre en péril les projets des différents gouvernementaux qui se succèdent (et se ressemblent) : ainsi, Polytechnique a préféré renoncer à l’ « Initiative d’Excellence » que de se fondre dans l’université de Paris-Saclay ; Centrale Nantes a préféré aller au conflit avec ses partenaires que de fusionner dans la Nouvelle université de Nantes tant souhaitée (et qui devrait finalement voir le jour sous une forme châtrée) ; l’Institut National Polytechnique de Bordeaux a préféré constituer un réseau avec Grenoble, Toulouse et Nancy que de passer dans l’ombre de la super-université voisine… et Sciences-Po Paris, après de longues tergiversations, a préféré renoncer au label IDEX que de renoncer au statut sui generis de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Compte tenu de la place prééminente de ces établissements en France, que ce soit dans le tissu économique ou dans la formation et la reproduction des élites administratives et politiques, leur volonté de maintenir un modèle spécifique et largement décrié pour son lien insuffisant à la recherche aux yeux des réformateurs représente un échec majeur pour ces derniers.

Du point de vue des opposants à la vague des réformes, ce constat pourrait n’être qu’une victoire à la Pyrrhus, mais il pointe surtout une des sources de résistance les plus fortes aux injonctions de Bruxelles : la tendance à l’uniformisation au moins-disant sous couvert d’universalisme trouve certains de ses adversaires les plus déterminés à l’intérieur même des institutions politiques et universitaires nationales. C’est qu’on touche là aux « masses de granit » des États européens : les structures profondes des systèmes d’enseignement supérieur sont un héritage des chemins tortueux suivis par les différents pays vers l’État-nation et la démocratie. Le paysage universitaire d’un pays est un miroir de ses pratiques politiques de long terme. Autrement dit, du point de vue matérialiste, l’université universelle ne se réalisera pas dans la dénégation des singularités sociales et démocratiques, et la défense de la diversité des systèmes d’enseignement supérieur constitue un point d’appui incontournable dans les premières étapes d’un chemin progressiste, émancipateur… et universaliste.

Quoi que l’on pense des réformes en cours, il reste que l’essentiel est là : le programme néolibéral de convergence des systèmes d’enseignement supérieur repose sur des conceptions mythologiques de l’économie, de la science et de la sociologie des élites. Il est possible que Parcoursup s’impose. Mais non seulement il ne réglera aucun des problèmes dont il prétend être la solution, cela il n’est plus guère besoin de l’étayer après les débats houleux des derniers mois, mais il échouera aussi à produire un système viable et stabilisé. À la clé, il y aura, on le sait, plus d’injustice, plus de souffrance au travail pour les personnels, plus de précarité… et plus de profits pour certains. Mais il y aura aussi l’exigence pour nous de prendre date : le monde de Parcoursup n’est pas tenable, tant à l’échelle de son univers d’application privilégié, l’ESR, que dans la société dans son ensemble, et il incombe donc dès aujourd’hui à ses critiques de travailler à construire celui qui lui succédera si nous voulons qu’il marque un retour aux idéaux de critique, de partage et d’émancipation sans lesquels la science ne peut servir l’intérêt général.