Dominique Simonnot : « Le consensus actuel sur l’hôpital psychiatrique est mortifère »

Dominique Simonnot, © T.Chantegret pour le CGLPL

Comment s’assurer que les droits fondamentaux des personnes placées en prison ou dans un hôpital psychiatrique soient respectés ? Depuis sa création le 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) assure un contrôle sur les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté comme les patients psychiatriques, les détenus ou les enfants délinquants. Cette autorité indépendante, peu connue du grand public – et semble-t-il trop peu écoutée -, constitue une garantie indispensable à l’État de droit. « On ne sort pas toujours soigné de l’Hôpital psychiatrique » nous a avoué Dominique Simonnot, Contrôleure générale, que nous avons rencontrée pour Le Vent Se Lève. Propos recueillis par Gaspard Bouhallier.

LVSL – Votre parcours professionnel est atypique. Vous avez été éducatrice dans l’administration pénitentiaire et, à partir des années 1990, vous avez commencé une carrière dans le journalisme, d’abord à Libération puis au Canard enchaîné. Depuis octobre 2020, vous avez remplacé Adeline Hazan à la tête du CGLPL. Comment passe-t-on de journaliste spécialisée dans les comparutions immédiates à Contrôleure général des lieux de privation de liberté ?

Dominique Simonnot – Le fait est que je n’ai pas postulé du tout. Je n’ai jamais pensé ni même rêvé d’arriver là. Être Contrôleure, cela ne m’a pas effleuré du tout dans ma carrière de journaliste et un jour ça m’est tombé dessus. Après réflexion, je me rends compte que ce poste est une conclusion cohérente à ma carrière parce qu’il s’agit de l’ensemble des sujets que j’ai toujours traités en tant que journaliste. C’est pour moi une belle manière de conclure mon travail.

LVSL – Pouvez-vous dire en quelques mots comment vous concevez votre mission actuelle en tant que Contrôleure des lieux de privation de liberté ?

D. S. – Je trouve que c’est le plus beau métier que j’ai exercé. Parce qu’il s’agit de faire respecter les droits fondamentaux des plus vulnérables d’entre nous. Les prisonniers – même si l’on peut dire qu’ils ont fauté, qu’ils ont commis des infractions et qu’ils sont punis pour ça, une fois qu’ils sont en prison – se retrouvent tout de même dans un état de grande vulnérabilité. Je ne parle évidemment pas des grands caïds, mais pour la majorité d’entre eux c’est un fait incontestable.

Tous les gens dont on est chargé d’examiner le respect des droits sont parmi les plus vulnérables qui soient. Les malades mentaux, les enfants dans les centres éducatifs fermés et dans les prisons, les prisonniers, les étrangers enfermés dans les centres de rétention, les gardés à vue sont tous à un moment donné en situation de faiblesse par rapport à nous, par rapport à toute la société. Ils sont en même temps des gens que les autres n’aiment pas voir, qu’on n’aime pas tout court et que l’on rejette.

Je trouve donc que c’est un beau métier que de participer à leur acceptation dans la société et à diffuser l’idée dans la sphère publique que leurs droits doivent absolument être respectés parce qu’autrement nous sortons de la civilisation humaine et de l’espace démocratique. Une société qui ne respecte pas ses prisonniers est au fond une société méprisable.

LVSL – Justement, comment faites-vous pour faire respecter ces droits les plus élémentaires ? Quels sont les moyens techniques, humains et légaux du CGLPL ? Ces moyens sont-ils suffisants au regard de la surpopulation des institutions carcérales et de la crise de la pédopsychiatrie que vous évoquez dans votre rapport d’activité de 2022 ?

D. S. – Le CGPLP dispose d’un ensemble de moyens significatifs. Tout d’abord nous sommes une autorité administrative indépendante. Ce qui fait que la parole du CGLPL est entièrement libre. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je n’ai pas été nommée pour plaire au pouvoir politique ni pour plaire à quiconque d’ailleurs.

Concrètement, nous sommes une équipe constituée de soixante-six personnes, au sein de laquelle on trouve des contrôleurs permanents, des chefs de mission qui partent sur le terrain quinze jours tous les mois à la tête d’une équipe. Pendant ces quinze jours, mes collègues sont confrontés à des réalités difficiles. En ce qui me concerne, je vais autant que je peux sur site.

Parfois on peut observer des modes de gestion et des conditions de traitement qui nous rassurent un peu. Malheureusement le plus souvent nous sommes confrontés à des situations qui nous effraient, qui nous révoltent et qui nous donnent l’occasion de proposer de profonds changements. Toute notre activité est publique. Après chaque visite nous produisons un rapport. J’essaie de peser de toutes mes forces pour qu’il soit rendu le plus rapidement possible. Nous avons d’ores et déjà réussi à raccourcir certains délais.

Enfin, par ordre croissant de gravité, nous disposons de modes d’interpellation des pouvoirs publics tels que la lettre au ministre quand la situation nous paraît grave et qu’elle doit être soulignée, les recommandations simples et les recommandations d’urgence. Dans ce dernier cas, les ministres sont obligés de nous répondre ce qui peut parfois les embarrasser. C’est pour cela que je dis que notre institution n’est pas là pour plaire. Dernièrement, nous avons semble-t-il agacé le ministre de l’Intérieur en faisant part de nos réflexions sur les gardes à vue liées aux manifestations contre la réforme des retraites.

LVSL – Comment êtes-vous amenée à contrôler telle ou telle structure psychiatrique ou pénitentiaire ? Qui vous saisit ? Les patients, l’administration pénitentiaire ?

D. S. – Tout d’abord, il y a les endroits que nous n’avons pas visités depuis longtemps. Ensuite, il y a les endroits qui nous sont signalés par les lettres. Par exemple, des lettres des patients, des détenus, de leurs proches, des associations, des visiteurs de prison. Nous intervenons le plus rapidement possible et sans prévenir.

LVSL – Et c’est une pratique systématique de ne pas prévenir les établissements ?

D. S. – Oui, sauf dans certains hôpitaux. Dans certains cas, il est nécessaire de prévenir parce qu’il peut y avoir des contextes dramatiques dans lesquels il faut à tout prix éviter de faire dysfonctionner le service. La problématique des déserts médicaux est également critique dans le secteur psychiatrique. Dans les hôpitaux où l’on traverse des services où il y a moins de 30 % de soignants, il y a forcément des conséquences sur la qualité de la prise en charge des patients et notre présence ne doit pas constituer un problème supplémentaire. Dans tout autre cas, nous ne prévenons jamais. Dans les prisons, nous ne prévenons jamais de notre venue.

LVSL – On vous connaît pour vos prises de position critiques sur les prisons et notamment sur la surpopulation carcérale. Qu’en est-il de la psychiatrie publique ? Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des établissements hospitaliers et médico-sociaux en psychiatrie ?

D. S. – Il faut considérer ces situations dans leur ensemble. Si vous y pensez bien les racines du problème se forment dès l’enfance. Une proportion considérable des gens que l’on retrouve sur les bancs des comparutions immédiates ou en prison sont des gens jeunes qui sont passés par les centres éducatifs fermés, les centres pour enfants, mais qui avant venaient de l’aide sociale à l’enfance et qui avaient été placés dans des foyers. Des foyers qui, bon sang, ne sont pas ce qu’ils devraient être, parce que dans notre pays, les familles d’accueil, les foyers, la jeunesse en difficulté, ne bénéficient pas de tout le soin et l’attention que la communauté nationale leur doit. D’autre part, ces espaces sont très mal contrôlés. Je rappelle au passage que les enfants enfermés bénéficient de trois quarts moins d’heures de cours d’enseignement que leurs camarades du dehors.

C’est à peu près du même ordre en ce qui concerne la pédopsychiatrie. Il y a des territoires entiers qui sont dépourvus de services de pédopsychiatrie et de pédopsychiatres tout court. Quand les troubles ne sont pas pris en charge chez les jeunes, ne sont pas détectés, ne sont pas soignés, il ne faut pas s’étonner qu’ils deviennent de plus en plus graves et qu’arrivés à un certain âge, à l’adolescence, à l’âge adulte, cela produise des décompensations tragiques pour eux et pour la collectivité. Si aucune mesure, aucun geste n’est fait avant ou fait de façon aléatoire, trop parcellaire, il est évident qu’on laisse advenir les catastrophes. Or, la psychiatrie publique devient elle-même une sorte de catastrophe sociale du fait du manque de moyens en pédopsychiatrie, du fait du manque de soignants et de médecins hospitaliers aussi, eux qui sont souvent remplacés par des formes de praticiens mercenaires… Tout cela ne permet pas de construire une société du soin et du respect dû à la souffrance humaine.

LVSL – Vous devenez Contrôleure général en octobre 2020, quelques mois après le premier confinement. Pouvez-vous nous dire qu’elles ont été les conséquences de la Covid 19 et des mesures de confinement sur les droits fondamentaux des patients en psychiatrie, et plus généralement des détenus ?

D. S. – Dans les prisons il y a eu tout un tas de restrictions apportées aux visites des proches. Dans les parloirs tout d’abord, puis évidemment les listes d’objets que l’on pouvait apporter de l’extérieur aussi, enfin le fonctionnement des cantines. L’ensemble de la vie quotidienne dans ces lieux a été heurtée de plein fouet. Dans les hôpitaux psychiatriques également, il y a eu beaucoup de restrictions et qui ont perduré après la fin du confinement. Cela a eu une influence significative sur les droits fondamentaux.

À ce moment-là, je débutais dans cette fonction, donc je découvrais tout avec des yeux novices, car quand vous êtes journaliste, ce sont des endroits qui vous sont interdits. La presse n’accède à la prison qu’à travers des visites guidées. Quant à l’hôpital psychiatrique, je l’ai connu, mais il y a très longtemps, il a beaucoup changé depuis. Les centres de rétention étaient purement et simplement interdits d’accès aux médias. J’ai le sentiment de tout redécouvrir aujourd’hui.

LVSL – Quand on lit de vos rapports de visite de 2021, on a l’impression que les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, si elles sont inégales selon les établissements, sont souvent réalisées dans des conditions dégradantes et ne respectant pas l’intimité des patients. De surcroît, on a l’impression que les équipes soignantes peinent à les réduire. Quel est votre avis sur ces mesures ? Accompagnez-vous par ailleurs les équipes pour les réduire, du moins celles qui veulent les réduire ?

D. S. – Il est vrai que sur place on se retrouve face à des équipes très accueillantes, qui ont envie d’échanger avec nous sur leurs pratiques et qui se rendent compte chemin faisant, qu’elles peuvent être prises dans des routines dysfonctionnelles. On a croisé des choses effarantes. Des mineurs isolés enfermés dans des chambres avec un grand hublot qui les laissaient à la vue de tous quand on passait dans le couloir, ou bien même des mineurs en contention. Autant d’individus pour lesquels il faut bien se rendre à l’évidence que le consentement n’est souvent pas respecté. Il faut bien voir qu’il y a également un gros problème avec les mineurs qui sont placés à la demande de leurs parents. On considère pratiquement que leur consentement est admis à travers leurs parents. Nous voulons que les choses soient plus précises sur le consentement des mineurs car ce sont des personnes à part entière.

Il y a également des endroits où nos équipes constatent que la loi sur l’isolement et la contention est détournée. C’est-à-dire que la contention ou l’isolement sont fractionnés de façon à ne pas passer devant le juge. Par ailleurs, je pense qu’en sus de la répugnance envers ces pratiques, les magistrats n’aiment pas trop s’embarrasser de ce type de procédures. Les médecins aussi. Ces audiences leur prennent du temps, diluent leur activité dans des monceaux de paperasse.

Il n’empêche qu’un regard extérieur sur ce qu’on peut appeler le pouvoir médical est essentiel et que le simple fait qu’il y ait ce regard du juge participe à restreindre ces mesures d’isolement et de contention. Il est vrai cependant que souvent je me suis trouvée, non pas durant les visites, mais pendant des colloques face à des médecins psychiatres assez remontés contre nos contrôles et qui disaient qu’on n’y comprenait rien et nous vantaient les vertus thérapeutiques de l’isolement et de la contention. Ce que je conteste totalement!

Vidéosurveillances des chambres d’isolement, © T.Chantegret pour le CGLPL

LVSL – Le 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l’article L-3222-5-1 du Code de la santé publique qui encadre les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie. Ce n’est toutefois que depuis les débats sur la loi portant sur le financement de la Sécurité Sociale pour 2022 qu’un article a été rajouté de façon à renforcer le pouvoir du juge des libertés. Avez-vous interpellé le gouvernement ou les élus sur ce sujet ?

D. S. – Non. Mais on a donné nos avis pour que le champ du juge soit le plus grand possible. On rencontre énormément d’avocats impliqués, notamment les avocats de Versailles. Ils sont une quarantaine et ont formé un groupe qui intervient énormément dans les hôpitaux psychiatriques. Ce genre d’initiative est salutaire et la spécialisation des avocats me paraît essentielle car j’ai déjà eu l’occasion d’assister à des séances où tant le juge que l’avocat semblaient perdus devant les subtilités de ce type de situation.

LVSL – Perdu ? Voulez-vous dire qu’ils ne connaissaient pas la procédure ?

D. S. – Il faut comprendre que les magistrats sont noyés sous les ordonnances et les prescriptions. Ils se demandent souvent si ils sont bien légitime moralement à statuer sur des restrictions de libertés aussi particulières. Cette gêne morale bien compréhensible, complique beaucoup les procédures.

LVSL – En dehors des professionnels de santé et des associations de patients, la situation de la psychiatrie publique ne fait l’objet que d’une attention relative de la part des parlementaires. Pourtant, et vous l’avez bien décrit, c’est un secteur en crise structurelle, notamment en pédopsychiatrie. Estimez-vous qu’un débat national sur la psychiatrie serait nécessaire pour la régler ?

D. S. – Oui ! À condition que ce ne soit pas l’énième débat sur la psychiatrie se concluant par un satisfecit trompeur. Tous ces débordements de la prison et de la psychiatrie, tous ces manques, toutes ces carences, tous ces défauts, toute cette façon de ne pas prendre les problèmes à bras le corps, vont nous coûter très cher sur le temps long. Plus cher que de construire un hôpital, plus cher que de désincarcérer les gens, c’est-à-dire de juguler les entrées et de favoriser les sorties. Parce que les troubles psychiques qui ne sont pas pris à temps empirent, ce qui paraît logique ! Tout cela va nous coûter en termes de récidive, de risques psycho-sociaux. Si les pathologies ne sont pas prises à temps peut être qu’elles dureront plus longtemps, peut être que cela se traduira par des hospitalisations plus longues et donc plus coûteuses. Ce sont des calculs à la petite semaine qui sont fait à travers les logiques austéritaires actuelles.

Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas un vaste plan de recrutement des psychiatres et des soignants ni pourquoi on ne rend pas ce métier plus attractif. Et je ne comprends pas qu’on ne puisse pas dire cela sans se voir rétorquer que le Contrôle n’avait qu’à ne pas ajouter de la paperasse avec l’isolement et la contention. Il faut agir pour restaurer une institution et pas chercher à tout prix à sauvegarder un consensus aujourd’hui mortifère.

La privatisation du système carcéral : l’économie libérale du temps suspendu

journalistsresource.org

Les détenus ont-ils une valeur marchande ? La privatisation du milieu carcéral dans de nombreux pays a enrichi une kyrielle de multinationales. Force de travail à moindre frais, consommateur enchaîné, la politique d’incarcération de masse a été soutenue par de puissants lobbys. De la prison ferme à l’immigration, en passant par la liberté conditionnelle, la privatisation s’attaque à l’ensemble du système correctionnel pour en tirer profit, au détriment de l’intérêt sociétal. Par Arthur Deveaux-Moncel et Florian Mattern.


Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault date l’apparition du phénomène carcéral massif à la Révolution française, et plus précisément à la Constituante de 1791. « Entre le crime et le retour au droit et à la vertu, la prison constituera un espace entre deux mondes, un lieu pour les transformations individuelles qui restitueront à l’État les sujets qu’il avait perdus », écrit Jonas Hanway en 1775 dans The Defects of Police. Auparavant, la prison occupait une place résiduelle dans la hiérarchie des peines : l’ordonnance criminelle de 1670 limite son rôle aux lettres de cachet et à l’incarcération de mauvais débiteurs. Le changement faisant suite à la Révolution française est soudain et foudroyant, comme en témoigne le projet de Code criminel présenté à la Constituante par Le Peletier, qui proposait encore une diversité des châtiments : un « théâtre des peines ». En quelques années, la détention devient la forme essentielle du châtiment, transformation consacrée par le Code pénal de 1810. À cette époque, on assiste à une « colonisation de la pénalité par la prison » en Europe, écrit Foucault. Cette mutation touche en effet tant le Saint-Empire de Joseph II que la Russie de Catherine II, qu’elle dote d’un « nouveau code des lois ». À partir de la Restauration, 40 à 43 000 détenus peuplent les prisons françaises, soit un prisonnier pour 600 habitants.

Cette solution uniforme prête le flanc à de nombreuses critiques : « De manière que si j’ai trahi mon pays on m’enferme ; si j’ai tué mon père, on m’enferme ; tous les délits imaginables sont punis de la manière la plus uniforme. Il me semble voir un médecin qui pour tous les maux a le même remède », écrivait par exemple le parlementaire Charles Chabroud[1].

Les besoins issus de cette révolution pénale sont immenses et l’État s’en remet donc à des entreprises privées, « les renfermées ». En échange d’un prix de journée payé par l’État, l’entrepreneur pourvoit à tout : le système de « l’entreprise générale » est mis en place, bien que violemment critiqué. De Tocqueville à Jaillant, on s’émeut de l’insalubrité de lieux qui permettent à certains de s’enrichir : « Le détenu devient l’homme… ou plutôt la chose de l’entrepreneur… l’affaire de l’entrepreneur est de gagner de l’argent ; et le gouvernement, en traitant avec lui, a nécessairement soumis plus ou moins l’intérêt public à l’intérêt privé ». « Jusqu’à présent le service des maisons centrales a été organisé principalement du point de vue financier », dénonce Jaillant en 1873 à l’occasion d’une  commission d’enquête parlementaire. La Troisième République, et plus généralement la première moitié du XXe siècle, seront l’occasion d’une prise en main de la gestion des prisons par le pouvoir public.

La Troisième République, et la première moitié du XXe siècle seront l’occasion d’une prise en main de la gestion des prisons par le pouvoir public.

Néanmoins, cette dynamique s’inverse à partir de la seconde moitié du XXème siècle. Les systèmes carcéraux de nombreux pays subissent le déferlement de privatisations des années 1980, en premier lieu les États-Unis, victimes du durcissement des politiques pénales amorcé par Nixon dès 1969. Ce changement de ton de la politique américaine en matière de criminalité va faire exploser le nombre de prisonniers et mettre à mal les prisons gérées par les États et le gouvernement fédéral. Face à cette incessante War on Drugs des autorités américaines en pleine explosion néolibérale reaganienne, la solution privée s’impose : la cession de certaines prérogatives d’État en matière carcérale à des entreprises privées. S’établit alors rapidement une industrie carcérale privée dont la survie économique s’appuie sur le nombre de détenus pris en charge dans ses établissements. Ce sont au total 7 millions d’individus qui vivent sous le joug correctionnel dont plus de 2,3 millions de détenus et de prisonniers, et ce sur le seul territoire américain. Le modèle étasunien est un cas à part entière : les  États-Unis détiennent à eux-seuls ¼ de la population carcérale mondiale, alors qu’ils représentent moins d’1% de la population globale.

Déléguer pour économiser, la stratégie des États

Le modèle carcéral privé est très différent en fonction du pays dans lequel il s’exerce. Environ 11 pays, essentiellement anglo-saxons, sont concernés par un certain niveau de privatisation, dans une proportion plus ou moins notable. On compte aussi parmi eux le Japon, l’Allemagne, la France, mais aussi le Chili, qui devient le premier pays d’Amérique du Sud à signer un contrat complet avec des compagnies pénitentiaires, ou encore le Pérou en 2010. Si le phénomène de privatisation carcérale affecte les États-Unis plus que tout autre pays dans le monde, celui-ci s’est bien propagé en particulier en Angleterre, en Écosse ou encore en Australie. En 2011, ces deux derniers détenaient respectivement 17 et 19% de leurs prisonniers dans des établissements privés. En Australie, ce pourcentage est le résultat d’une augmentation de 95% de la population carcérale privée entre 1998 et 2011[2].

Les partenariats public-privé fleurissent depuis 2008, date à laquelle Rachida Dati signe avec Bouygues un contrat concernant la construction, la gestion et l’entretien de trois nouvelles prisons.

La France n’est pas non plus épargnée par le mouvement de privatisations. Ainsi, les partenariats public-privé fleurissent en particulier depuis le 19 février 2008, date à laquelle Rachida Dati, alors ministre de la Justice, signe avec Bouygues un contrat concernant la construction, la gestion et l’entretien de trois nouvelles prisons. La chancellerie plaide pour une diminution des coûts, idée largement critiquée par la Cour des comptes dans un rapport paru en 2010 qui pointe du doigt d’une part les généreuses marges réalisées par les prestataires au détriment de l’intérêt des détenus, d’autre part un coût de la formation professionnelle des détenus inefficient (7,28€ en gestion publique, contre 17,23€ en gestion déléguée).

Aux États-Unis, la première prison privée est créée en 1984 au Texas. Aujourd’hui, un dixième des quelques 2,3 millions de prisonniers étasuniens le sont dans un établissement entièrement géré par le privé. Une moyenne fédérale qui cache d’importantes disparités puisqu’une vingtaine d’États interdit l’existence de prisons privées, tandis que le record est détenu par le Nouveau-Mexique, qui en compte 43,1%. En échange de la construction et de la gestion des prisons, le gouvernement s’engage par des « clauses d’occupation » à ce que les lits soient occupés entre 80 et 100%, sous peine de pénalités. GEO group et Core Civic (anciennement Corrections Corporation of America ou CCA) se partagent les 3,5 milliards de revenus annuels issus de ce marché.

Le gouvernement s’engage par des « clauses d’occupation » à ce que les lits soient occupés entre 80 et 100%.

Au Royaume-Uni, le marché est tenu par deux grandes multinationales : d’un côté G4S, entreprise active dans 125 pays, employant 657 000 personnes et dont le chiffre d’affaires en 2014 culminait à 6,8 milliards de livres sterling. Toutefois, en 2018, le ministère de la Justice a repris la gestion de la prison de Birmingham à l’opérateur privé G4S, après qu’une inspection des services pénitentiaires ait révélé un état “épouvantable” de l’établissement qui accueille plus de 1 200 détenus. De l’autre côté se trouve Serco, surnommée “la plus grosse entreprise dont vous n’avez jamais entendu parler[3]“.

Le tableau général est esquissé : la prison est devenue un marché à conquérir dans de nombreux pays, bien que certains, en particulier l’Allemagne, aient décidé de faire marche arrière. De plus, cette privatisation s’accompagne de politiques d’exploitation, et prône une désastreuse politique d’incarcération de masse.

Les politiques de profit, les stratégies des entreprises

Le prisonnier, un travailleur exploité aux États-Unis

La notion de travail est intrinsèque à l’idée de rédemption du prisonnier. La prison Rasphuis à Amsterdam, ouverte en 1596 et destinée aux mendiants et jeunes malfaiteurs, rend le travail obligatoire contre un salaire. L’objectif de la prison étant la réinsertion, l’oisiveté, mère de tous les vices, doit être combattue, et il faut apprendre aux jeunes personnes de nouvelles compétences. Néanmoins, des failles juridiques ont permis de faire des prisonniers une main d’œuvre quasiment gratuite.

Aux  États-Unis, le 13e amendement de la Constitution adopté par le Congrès le 6 octobre 1865 abolit l’esclavage. Il laisse cependant un vide juridique dans lequel vont s’engouffrer les intérêts privés. Il dispose en effet : « Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment condamné, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction ». Cette subtilité juridique sert de base constitutionnelle à l’exploitation en milieu carcéral. Ainsi, le salaire moyen horaire en prison aux États-Unis est de 0,63$ par heure. Une moyenne qui cache de fortes disparités puisque dans les États du Texas, de Géorgie ou d’Alabama les prisonniers ne sont pas payés du tout, et sont même obligés de travailler sous menace de sanctions disciplinaires. L’esclavage ne se définit pas autrement.

Et pour quel travail ? La majorité des détenus sert à entretenir la prison, ce qui permet aux entreprises gestionnaires de diminuer leurs coûts puisque l’impact du facteur travail est négligeable. Toutefois, il ne s’agit pas toujours de travaux d’entretien. Ainsi, en Californie, 11,65% des pompiers de l’État sont des prisonniers, travaillant pour un salaire de 3 à 4$ par jour[4]. Ironie du sort, ces aptitudes seront inutiles sur le marché du travail puisque la loi californienne interdit de recruter des pompiers ayant un casier judiciaire. Phénomène résiduel mais néanmoins révélateur, certains détenus, endettés, rejoignent l’industrie du spectacle, servant de distraction dans des corridas. En effet, environ 90% des prisonniers aux États-Unis ne sont pas passés devant un juge[5], puisque tout le monde ne peut pas s’offrir un avocat et que le procureur enquête uniquement à charge ; ceux-ci ont donc fait l’objet d’un accord à l’amiable avec le procureur : pas de procès contre une demande de peine réduite.

https://www.youtube.com/watch?v=AjqaNQ018zU&t=421s
En Louisiane, des jeux de poker de prisonniers au milieu d’une corrida sont désormais la meilleure source de revenus pour certains détenus. © “Prison Labor”, Last Week Tonight with John Oliver (HBO, 5 août 2019)

Par ailleurs, de nombreuses entreprises privées les utilisent comme main d’œuvre à faible coût. Ainsi, l’entreprise d’élevage de volaille Kock Foods a fait l’objet d’une enquête sur l’utilisation du travail de prisonniers dans l’industrie de la volaille d’Alabama par le Southern Poverty Law Center (SPLC) qui estime que, dans au moins sept États, « des dizaines d’entreprises de la volaille » tirent avantage de la main d’œuvre carcérale. Les conditions dans l’industrie sont brutales pour tous les travailleurs du secteur de la volaille. Selon des données fédérales, les usines de transformation des volailles comme celles d’Ashland ont des taux de blessés parmi la main d’œuvre qui atteignent presque le double de la moyenne nationale. Les maladies liées au lieu de travail sont environ six fois plus élevées que la moyenne nationale : traumatismes liés à un stress répétitif, problèmes respiratoires en raison de l’exposition à des produits chimiques, etc. Depuis 2015, 167 cas d’accidents, comprenant huit morts et plusieurs amputations, ont officiellement fait l’objet d’une enquête par les autorités fédérales. Dans les données produites par les États de Géorgie et de Caroline du Nord, le SPLC a découvert qu’au «moins deux dizaines de détenus ont été blessés depuis 2015 dans leur emploi au sein du secteur de la volaille».

Plus connus du grand public, de grandes enseignes comme McDonald’s, Walmart ou encore Victoria’s Secret, par l’intermédiaire de son sous-traitant Third Generation, embauchaient des détenus avant que le scandale n’éclabousse la célèbre marque de lingerie. Le secteur carcéral produit approximativement 1,5 millions de dollars de valeur marchande dans le textile. Pour dénoncer cette exploitation, les prisons étasuniennes ont subi une grève largement suivie du 21 août au 9 septembre 2018, les prisonniers n’ayant plus de syndicats pour les défendre depuis une décision de la Cour suprême de 1977[6].

Enfermement et consommation, les chaînes du prisonnier privé

Si la stratégie initiale de privatisation du système carcéral semble être un reflet des politiques budgétaires en vigueur, celui-ci a ouvert un véritable marché, pléthore d’opportunités économiques que les investisseurs n’ont pas ignorées. Dès l’ouverture de la première prison privée américaine en 1984, les entreprises ont commencé à développer un modèle économique spécifique, propre au système judiciaire et carcéral en place. Plus de 4 000 entreprises américaines ont donc conquis ce nouveau marché, infiltrant chaque branche du secteur carcéral pour y remplacer l’État. S’il est évident que les nouvelles entreprises privées ont d’abord assumé la direction, la construction, et l’entretien d’établissements carcéraux classiques et privatisé l’aspect sécuritaire, le secteur privé s’est aussi accaparé les secteurs médicaux, des télécommunications, de surveillance mais surtout des libertés surveillées et conditionnelles[7].

Si la couverture santé publique américaine était loin d’être performante auparavant, la stratégie des coûts réduits pratiquée par le secteur privé pousse des entreprises – comme Corizon et Wexford – à réduire le personnel présent mais surtout à faire payer l’accès à la santé encore plus cher que ne le fait déjà l’État américain. Les témoignages d’abus de la part des médecins et infirmiers engagés dans ces contrats sont innombrables, en plus de la difficulté d’accès aux onéreux premiers soins et aux premières nécessités pour les détenus. C’est le cas notamment de l’accès aux protections hygiéniques féminines, payantes pour toute détenue sauf en cas d’ordonnance de la part du médecin de la prison. Le hic ? La consultation du médecin de garde de l’établissement est elle aussi payante.

Le secteur des télécommunications, et plus particulièrement de la téléphonie, a été investi par des entreprises comme JPay et Securus afin de rentabiliser les appels passés par et pour les détenus. Bien qu’il soit impossible d’établir un coût moyen des appels passés tant les entreprises impliquées dans ce secteur sont nombreuses, il n’est pas rare de voir le prix dépasser le dollar par minute. Ces frais téléphoniques faramineux pénalisent en particulier des familles souvent très précaires, qui doivent ainsi lutter chaque mois pour se payer un appel téléphonique régulier afin de ne pas perdre le contact avec un membre de la famille en prison ou en maison d’arrêt.

Si le terme  « prison » évoque avant tout une image de cellule avec des barreaux aux fenêtres, l’essentiel du système carcéral – plus des deux tiers aux États-Unis – ne coïncide pas avec cet imaginaire collectif de la geôle. En effet, l’immense majorité du système correctionnel consiste en une forme de liberté partielle, qu’elle soit surveillée ou conditionnelle. Puisqu’il est impossible de garder 2% de la population américaine derrière les barreaux, les entreprises privées ont largement augmenté l’utilisation des libertés conditionnelles – et ce depuis 1976 -, sans oublier d’en faire un secteur économiquement rentable. L’opportunité de sortir de prison plus tôt ou d’éviter une incarcération – que de nombreux procureurs proposent pour éviter un procès ou lorsque la caution est trop élevée, tout particulièrement dans le cas de délits mineurs -, devient alors un fardeau économique pour les détenus. Les entreprises sont alors dans la capacité d’imposer de nombreux frais obligatoires aux condamnés, que ce soit des frais de supervision, d’éthylotests, de tests de drogue, etc. Et en cas d’impayés, le détenu en liberté conditionnelle risque de retourner en prison, ce qui le pousse à tout faire pour payer l’entreprise en question, qui peut, dès lors, fixer les prix souhaités.

Mais le « succès économique » de la liberté conditionnelle pour les acteurs du carcéral privé s’explique aussi par l’explosion des méthodes de surveillance des détenus, comme la pose de bracelets de chevilles électroniques afin de géolocaliser en permanence les détenus. Si cette méthode a été initiée dans les années 1960, la privatisation carcérale en a fait un élément majeur de son modèle de fonctionnement, augmentant ainsi de plus de 65% entre 1998 et 2014 son utilisation, ce qui génère par ailleurs plus de 300 millions de dollars par an aux entreprises pratiquant cette méthode. Et depuis 2009, 49 États américains (à l’exception de Hawaï) autorisent les entreprises à facturer le port de ces bracelets de cheville à leurs porteurs. Mais si l’idée des dispositifs GPS pour lutter contre la surpopulation carcérale ou simplement comme alternative pour des délits mineurs est intéressante, ses résultats, hormis les logiques financières plus que contestables, sont très mitigés. Un très grand nombre d’alertes déclarées par ces appareils – plus de 70% dans une étude de 2007 faite en Arizona – se révèlent être erronées, simplement provoquées par des zones blanches, et poussent ainsi une forme de laxisme de la part des agents chargés de cette surveillance. Ces appareils de surveillance ont de surcroît fait l’objet de très nombreuses plaintes de douleurs physiques quotidiennes (brûlures, abrasions, infections, enflures, céphalées, etc.), et créent une réelle stigmatisation sociale – tant l’image du criminel est forte au vu de la taille du bracelet.  En ce sens, Erving Goffman, définit le « stigmate » par la possession d’un attribut susceptible de jeter le discrédit sur celui qui le porte[8].

Le détenu se retrouve alors prisonnier d’un modèle de consommation extrêmement sournois qui lutte contre toute velléité de réinsertion.

L’ensemble de ces stratégies entrepreneuriales a notamment été qualifié de « McDonaldization »[9] des prisons privées, une recherche perpétuelle du bas coût et de la rentabilité immédiate au détriment de la juste supervision des détenus et des conditions de travail du personnel. Le détenu se retrouve alors prisonnier d’un modèle de consommation extrêmement sournois qui lutte contre toute velléité de réinsertion et qui pousse à la récidive et donc à l’augmentation globale de la criminalité.

Le secteur carcéral privé, un marché d’influences politiques

Immigration et privatisation, le marché de l’enfermement des étrangers

Lorsque l’on parle du secteur carcéral privé, on a souvent tendance à oublier que la pénalisation de l’immigration rend nécessaire la construction de centres de détention. Ici encore, un intérêt privé émerge, avec un incroyable potentiel de croissance dont s’emparent les multinationales de la prison.

D’après la sociologue Louise Tassin, l’Europe développe une tendance à un “marché de l’enfermement des étrangers”[10]. En effet, concernant l’incarcération de migrants en Italie, c’est l’entreprise française GEPSA (qui gère 16 prisons et vend ses services à 10 centres de rétention administrative en France), filiale de Cofely appartenant au groupe GDF Suez, qui investit dans les Centres d’identification et d’expulsion (CIE), en échange d’un loyer versé par l’État. Pour gagner plus de parts de marché, GEPSA met en place une politique de concurrence par les prix, au détriment des demandeurs d’asile.

© Lethbridge, Jane “Privatisation des services aux migrants et aux réfugiés et autres formes de désengagement de l’État, (2017), Public Services International & European Public Service Union.

Au Royaume-Uni, le marché est dominé par une poignée de multinationales de sécurité, se répartissant 73% des migrants détenus par le Service de Contrôle de l’Immigration et des Douanes, et la quasi-totalité des centres. La privatisation du secteur est amorcée dans les années 1970 sous le gouvernement conservateur d’Edward Heath et, en 2015, sur la totalité de ces établissements, seuls 2 IRC (Immigration Removal Centres, dans lesquels les migrants peuvent être enfermés indéfiniment) sont gérés par l’organisation gouvernementale Her Majesty’s Prison Service. Le reste est réparti entre G4S, GEO Group, Serco, Mitie et Tascor. Le coût annuel de détention est en moyenne de £94,56 par personne et par jour. Très critiqué, le dispositif de détention des migrants britanniques est connu pour être l’un des plus irrespectueux des droits des personnes détenues « Detained fast track » (DFT). Au total, le Home Office a passé plus de 780 millions de livres de contrats pour la détention et l’expulsion de migrants entre 2004 et 2022.

Les pays nordiques (en particulier le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède) ont la réputation d’être plus généreux envers les demandeurs d’asile, mais ont eux aussi privatisé un grand nombre de services. Si, en 1990, 12 % des centres d’accueil de demandeurs d’asile en Norvège étaient privés, c’était le cas de 77 % d’entre eux en 2013. Toutefois, les prestataires de services – notamment le groupe norvégien Adolfsen – fournissaient à l’origine des services de santé et d’aide sociale et non des services pénitentiaires. Ce qui conduit à une prise en charge bien plus respectueuse des migrants.

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Le Christmas Island Immigration Detention Centre en Australie © Wikimedia Commons

En Australie, le système de détention de migrants est entièrement géré par des compagnies privées, qui privilégient une gestion délocalisée. Le scandale du camp de l’île Christmas, à 1500 km des côtes australiennes (dirigé par le contractant Transfield Services et Wilson Security), est particulièrement médiatisé puisqu’en août 2016, une série de documents contenant des plaintes et des récits de mauvais traitements infligés au sein du centre a été publiée par le quotidien The Guardian. Elle contient des preuves de violences sexuelles faites aux enfants, de traumatismes, d’automutilations et de conditions de vie inacceptables. Suite à de multiples enquêtes et rapports parlementaires, le centre est fermé en 2018, mais rouvert en 2019, suite à une défaite historique de l’exécutif, ce qui témoigne d’une volonté de durcissement de la politique migratoire, sujet particulièrement politique en Australie.

Aux États-Unis, Marie Gottschalk, professeure de sciences politiques à l’université de Pennsylvanie, dénonce une “crimmigration”, c’est-à-dire l’inflation des politiques pénales répressives contre les migrants, enfermés désormais dans des “centres de rétentions”. Ainsi, 30 jours de détention sont désormais prévus pour les migrants soupçonnés d’immigration illégale. Core Civic – qui a délaissé le nom CCA en 2016 pour se détacher des scandales qui le concernaient – gère plus de 60 complexes dans 19 États, avec un volume de « vente » de centres de rétention gonflé de 500% en 20 ans. L’entreprise a gagné d’importantes parts de marché depuis le passage de la loi SB 1070 dans l’Arizona, qui crée un nouveau délit : celui de ne pas avoir sur soi ses documents d’immigration. Si la loi prévoyait à l’origine la possibilité d’arrêter sans mandat tout individu soupçonné d’être clandestin, la Cour suprême a limité son application. Un policier peut désormais contrôler l’identité et le statut d’une personne arrêtée pour une infraction, s’il a des « soupçons raisonnables » que cette personne pourrait demeurer aux États-Unis illégalement. Cette loi, rédigée par le lobby ALEC (dont CCA était alors un membre éminent), a permis de remplir les centres de détention. De plus, en Arizona, CCA exerce un monopole dans la détention des migrants. Un marché qui représente tout de même plus de 11 millions de dollars par mois.

Lobbying et politiques d’incarcération de masse

Si la lutte contre la criminalité a pris un tournant majeur dans les années 1970 avec Richard Nixon, ardent défenseur d’une politique dure sur ce sujet, plus connue sous le nom de doctrine Law & Order, celle-ci s’est intensifiée jusqu’aux années Obama. D’abord poussée par des raisons politiques et électorales – le 37e président des États-Unis ayant notamment besoin du vote des populations blanches traditionnellement démocrates – cette doctrine s’est progressivement affinée pour devenir un pilier du système politico-judiciaire américain. La présidence de Ronald Reagan (1980-1988) a vu l’apogée du durcissement des politiques pénales en matière de trafic de drogue, ce qui a largement contribué à l’apparition du carcéral privé pour soutenir l’État. L’Anti-Drug Abuse Act, adopté en 1986, a par exemple consacré les peines minimales pour une grande partie du système judiciaire. Ces peines ont donc rapidement fait augmenter le nombre de condamnations, servant ainsi les intérêts économiques des acteurs émergents. Cependant, si la présidence démocrate de Jimmy Carter (1976-1980) avait quelque peu interrompu la tendance, Bill Clinton (1992-2000) brise le clivage démocrate/républicain en étant le premier démocrate à défendre lui aussi une fermeté sur le sujet de la criminalité. Cela culmine en 1994 avec l’Anti-Violence Strategy qui vise à lutter contre la récidive en instaurant la règle des Three Strikes, une règle qui ordonne une condamnation à perpétuité en cas de troisième condamnation avec au moins un crime majeur. Soutenues par la privatisation à marche forcée du système carcéral, les politiques pénales américaines prennent alors définitivement le chemin de la tolérance zéro et de l’incarcération de masse.

ALEC propose une moyenne de 1 000 textes législatifs par an, dont environ 20% deviennent lois.

En revanche, pour comprendre l’ampleur de la privatisation carcérale américaine, il est crucial de prendre en compte le rôle joué par les lobbyistes de ces entreprises pour orienter la législation dans un sens qui leur est favorable. À ce jeu-là, le plus grand acteur est l’American Legislative Exchange Council (ALEC), une organisation conservatrice très influente qui rédige et propose des textes de lois aux élus américains.

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L’American Legislative Exchange Council, groupe de lobbying conservateur très puissant et très influent dans le domaine pénal © Wikimedia Commons

En effet, celle-ci propose une moyenne de 1 000 textes législatifs par an, dont environ 20% deviennent lois. Fondée en 1973, cette organisation de lobbying politique prend rapidement de l’importance dans les domaines judiciaire et carcéral, au point d’être à l’origine des Three Strikes susmentionnées, ainsi que des peines minimales, mais aussi la SB-1070, les Stand Your Ground Laws (qui élargissent grandement le concept d’auto-défense en autorisant la simple suspicion de menace comme justification) et plus de 30 modèles de législation au niveau étatique et fédéral. Nombre des membres d’ALEC entretiennent des liens étroits avec le milieu carcéral, comme ce fut le cas dans les années 1990 lorsque le président de la Criminal Justice Task Force – de l’organisation chargée de rédiger des propositions de loi fermes en matière pénale – n’était autre qu’un cadre supérieur de CCA, la plus grande entreprise américaine de gestion privée de prisons.

Si les membres d’ALEC démentent continuellement toute collusion avec les géants du privé carcéral comme CCA ou GEO Group, les preuves de cette coopération ne font pas défaut. Un rapport des actionnaires de CCA de 2012 recommande par exemple de lutter contre tout laxisme et indulgence dans le cas des condamnations, des libertés conditionnelles et contre la décriminalisation de certaines activités. Par ailleurs, les entreprises comme CCA s’emploient à un lobbying extrêmement puissant et tentaculaire, dépassant l’échelle d’ALEC pour financer directement de très nombreuses institutions fédérales. CCA finance notamment le département de Justice, le US Marshall Service, le Bureau fédéral des prisons, le département pour la Sécurité nationale, l’immigration et la douane ou encore le Sénat, le département du Travail, le Bureau des affaires indiennes et l’administration pour les enfants et les familles. Pour ces institutions, les dépenses en lobbying atteignent certaines années jusqu’à quatre millions de dollars. Cependant, CCA et GEO Group font également pression sur les politiques judiciaires servant leurs intérêts en finançant directement des campagnes politiques ou des membres hauts placés de l’administration fédérale. En 2014, CCA a versé de l’argent à 23 sénateurs et 25 congressmen, et GEO Group à dix sénateurs et 28 congressmen. Ces entreprises, ainsi que Community Education Centers, Corizon Correctional Healthcare ou encore Global Tel Link, embauchent chaque année une centaine de lobbyistes dans divers États, un certain nombre d’entre eux étant même d’anciens membres du Congrès. Ce lobbying ne se limite pas à l’échelle fédérale puisque les campagnes des gouverneurs sont aussi très prisées. La campagne d’Arnold Schwarzenegger de 2003 est une des innombrables campagnes financées en partie par le carcéral privé, celui-ci ayant reçu 21 200$ pour rouvrir la prison de McFarland au nord de Los Angeles.

S’il est évident que les lobbyistes d’ALEC, de CCA et des autres entreprises s’intéressent à la rédaction de lois servant leurs intérêts, ces derniers s’attachent aussi à lutter contre toute « contre-réforme » et empêchent toute loi de passer l’épreuve camérale, comme le Private Prison Information Act de 2015,  qui aurait forcé les prisons privées à rendre publiques les informations sur la violence au sein de leurs établissements. La même année, le Justice Is Not For Sale Act du Sénateur indépendant Bernie Sanders – qui aurait aboli la privatisation carcérale dans sa totalité et à toutes les échelles, pour rendre la gestion de la criminalité et de la justice « à ceux qui répondent des électeurs et non des investisseurs » – a subi la pression des lobbyistes et n’a donc pu devenir loi.

Tout comme ALEC, CCA et GEO Group démentent régulièrement les accusations de lobbying et affirment, comme ici en 2013, « ne pas prendre position ou parti pour ou contre une réforme législative spécifique en matière d’immigration ». Toutes les dépenses de ces entreprises prouvent pourtant le contraire, leur survie économique étant largement dépendante des politiques judiciaires et migratoires.

Les échecs du carcéral privé

De la condamnation à la réinsertion, en passant par les secteurs de l’immigration, de la surveillance, de la santé, de la consommation, du travail, de l’exploitation, le système carcéral privé s’empare de concepts juridiques et sécuritaires pour en faire un modèle économique inhumain dont la première commodité est l’humain. Mêlé aux considérations politiques et idéologiques, aux lobbys et aux intérêts financiers des entreprises, ce système a substitué la réhabilitation des prisonniers à l’enrichissement privé et l’incarcération de masse. En plus de considérations morales, le carcéral privé montre constamment ses lacunes face au modèle public tant ses résultats sont pauvres. Le nombre de violences (entre détenus et entre détenus et gardes) y est une à deux fois supérieur, les plaintes des détenus ne se dirigent plus contre la gestion disciplinaire ou procédurale mais contre l’accès aux soins et la violence des gardes, les familles s’endettent lourdement pour maintenir le lien avec un détenu qui n’a bien souvent même pas eu le droit à un juste procès. Si les failles juridiques du 13e amendement ne sont pas l’apanage des entreprises carcérales, celles-ci sont exploitées sans vergogne, tournant ainsi en dérision les droits constitutionnels si chers aux Américains.

Ce système a substitué la réhabilitation des prisonniers à l’enrichissement privé et l’incarcération de masse.

La privatisation carcérale à outrance dans le paysage américain – mais aussi à l’international – a notamment perverti tout un équilibre de la société qui aspire pourtant à faire baisser le niveau de criminalité. Et sur ce point, la prison s’avère inefficace et inefficiente. Si certains médias se gargarisent de faits divers macabres pour justifier une violente répression carcérale, le taux de récidive, échelle de Richter de l’efficacité du système carcéral, devrait faire entendre raison aux responsables politiques – 63% de re-condamnation en France après une première incarcération. Les errances de la privatisation du système carcéral nous amènent à soulever la question du rôle que l’État doit jouer dans la réhabilitation et la réinsertion de ses citoyens qui enfreignent la loi, et plus largement interroger le fonctionnement de la prison en elle-même.

Cependant, ce n’est visiblement pas le chemin pris par la plupart des États que nous avons cités. Entre 1987 et 2007, les États-Unis ont augmenté les dépenses pour le milieu carcéral de 127% sans que les dépenses pour l’éducation n’ait augmenté de plus 21%. La préconisation de Victor Hugo, « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons », s’éloigne de plus en plus.


[1] Ch. Chabroud, Archives parlementaires, t. XXVI p.618

[2] Cody Mason, « International growth trends in prison privatization », August 2013

[3] Migreurop, La détention des migrants dans l’Union européenne : un business florissant, juillet 2016

[4] « Prison Labor », Last Week Tonight with John Oliver (HBO, 5 août 2019)

[5] The 13th, documentaire réalisé par Ava DuVernay en 2016

[6] « Jones v. North Carolina Prisoners’ Labor Union (NCPLU) ». Contre le directeur du département des services correctionnels de cet État, David Jones.

[7] La liberté surveillée correspond ici au terme « probation », qui indique que le condamné purge sa peine à l’extérieur d’une prison suite à un accord lors du procès. La liberté conditionnelle correspond ici au terme « parole », qui indique une réduction de peine après avoir été en prison.

[8] Erving Goffman, Stigmates, (1963)

[9] Terme utilisé en 2011 par Gerry Gaes, ancien Directeur des Recherches à l’Office Fédéral des Prisons

[10] Louise Tassin « Quand une association gère un centre de rétention, le cas de Lampedusa (Italie) », Ve Congrès de l’association française de sociologie, 04/09/2014

Notre prison brûle et nous regardons ailleurs

@Illustration Nassim Moussi

L’actualité tragique de l’épidémie de Covid-19 nous rappelle à quel point la conception architecturale du système carcéral français pose question. Si les prisons sont historiquement liées à l’évolution du droit et des réformes pénitentiaires, force est de constater que l’inflation des mesures pénales favorise l’incarcération. Surpopulation carcérale, effet pathogène des lieux d’enfermement, taux de récidive, cette industrie punitive participe aux logiques de l’ordre et à la manifestation spatiale du pouvoir. Diverses stratégies comme la mise à distance et l’invisibilité relative des établissements utilisent la prison comme fondement d’un « antimonde »[1], entendu comme espace de relégation et de contrôle social. L’urgence nous impose de redéfinir de nouvelles conditions d’organisation spatiale et d’imaginer ensemble de nouveaux espaces de retenue. Cet article ambitionne d’esquisser un projet collectif : « Les Tiers-Lieux de la liberté ».


Un état des lieux alarmant

La prison fascine autant qu’elle effraie. L’épidémie du coronavirus s’empare du sujet et nous impose une réorganisation de notre manière de concevoir la privation de liberté. Dès la Révolution française, la privation de liberté par enfermement des individus devient la réponse de principe des pouvoirs publics en matière pénale et pour la prise en charge des aliénés. Si bien que les architectes du XIXe siècle ont conjointement abordé le sujet de la prison et de l’hôpital psychiatrique avec l’enthousiasme des idéaux des Lumières.

Cette solution institutionnelle aux questions sociétales de la criminalité et de la folie s’organisa autour d’un nouveau paradigme qu’Erving Goffman nommera : l’institution totale[2]. Archétype fordisé, il ridiculise les individus dans leur dignité et leurs droits ; pourtant les institutions pénitentiaires et psychiatriques restent un outil plébiscité par la société, qu’elles débarrassent de ses individus « gênants ».

Aujourd’hui, les agences d’architecture qui construisent des prisons prennent le risque de la réprobation et de partenariats entre secteur public et secteur privé catastrophiques. De fait, l’architecture carcérale est très peu enseignée dans les écoles, sans doute à cause de l’influence de mai 68 et son slogan « Ni asiles ni prisons ». D’un côté, les riverains souhaitent éloigner les nuisances des prisons, voire cacher le stigmate carcéral. De l’autre, l’architecture même des prisons accentue cette obsession séparatrice : démarquer le dedans du dehors et séparer les détenus entre eux[3].

Pourtant, la société telle que nous la connaissons n’a jamais cessé de construire des prisons. Aujourd’hui, la justice restaurative (consistant à faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions) s’est manifestée comme un terrain de recherche criminologique très important dans les débats sur les réformes de la justice pénale et de la justice des mineurs. Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Plus le parc pénitentiaire s’étend, plus on incarcère. L’encellulement individuel est indispensable pour le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT). La baisse du nombre de détenus due à l’épidémie de coronavirus est synonyme d’espoir, pour appliquer ce principe inscrit dans la loi depuis 1875.

Mais la précarité affective et économique qui en résulte est propice à de nouvelles infractions, 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans. Peut-on encore considérer que la prison protège la société ? La Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christiane Taubira elle-même soulevait en 2014 que « la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales ». Mais l’incarcération n’est pas seulement une privation de liberté. Elle est aussi une privation de « nature »[4]. Alors que les architectes de prison essaient de réintroduire des parterres gazonnés ou de la végétation basse entre les murs, alors que des projets de jardin en prison se développent, pourquoi donc tant de détenus tiennent à s’asseoir dans l’herbe, embrasser un arbre, ou voir la mer au moment de leur sortie de prison ?

L’horreur récente des mutineries nous rappelle combien il devient urgent de repenser ces structures architecturales. De l’Italie aux Etats-Unis, comme en Algérie où la machine judiciaire continue de sévir malgré la pandémie, comme s’il y avait une compulsion de punir[5], il nous incombe de réfléchir collectivement pour en finir avec la surpopulation carcérale. Comment envisager d’autres formes d’accompagnement pénal et social qui tiennent compte de la personne ? Comment diminuer le recours à l’enfermement par la nature et l’architecture ?

Les directeurs de prison réclament « la création d’un secrétariat d’État aux questions pénitentiaires », chargé de « mettre en marche la prison et la probation du XXIe siècle » en donnant à l’Administration pénitentiaire les moyens d’entrer véritablement dans la modernité. Il y a urgence, sans évangéliser l’abolitionnisme pénal, mais en interrogeant le sens des pénalités. Est-il possible de s’extraire de l’héritage ecclésiastique du châtiment et de l’enfermement par une approche alternative totale ? L’épidémie qui nous touche durement a balayé tous les impossibles, il ne sera en effet plus jamais possible de prétendre que l’encellulement individuel constitue un objectif inatteignable. Les directeurs de prison appellent à faire de l’encellulement individuel « une priorité », alors que les reliquats de la détention après la condamnation demeurent non pensés en France. Sans croire à une solution miracle, ce billet tente de jeter un pont exploratoire entre théorie et pratique. Il s’inscrit dans une démarche de pensée libre qui a pour but de proposer une prison expérimentale : « Les Tiers-Lieux de la liberté ».

©Observatoire International des Prisons

Chronologie d’une gestion de la folie

Expiation et amendement partent d’une conception philosophique de la peine et trouvent leur origine dans le christianisme, qui prône le rachat de ses fautes, voire la purification, par le châtiment infligé. Il conviendra donc de redresser le détenu afin de lui faire perdre sa dangerosité, de le « normaliser » en le rendant plus obéissant aux lois, même s’il ne devient pas forcément un être meilleur. C’est dans cet esprit dès l’Ancien Régime, que plusieurs types de peines étaient appliquées : peine légère, pécuniaire, afflictive, infamante et enfin la peine capitale.

Néanmoins, en 1764 paraît l’ouvrage Des délits et des peines, par le juriste Cesare Beccaria (1738-1794) en Italie. Aristocrate italien, marquis éduqué chez les jésuites, Beccaria est souvent présenté comme l’un des premiers réformateurs de la criminologie et l’un des inspirateurs de certains systèmes pénaux contemporains. Son ambition réformatrice était de réformer les lois et les peines criminelles, pour surpasser les passions, en façonnant un système général pour « le plus grand bonheur du plus grand nombre ».

La privation de liberté s’est donc avérée être l’instrument de gestion par excellence des populations délinquantes et folles, délaissées au sein de la société.

Cet ouvrage établira les bases et les limites du droit de punir : il enjoint à proportionner la peine au délit, tout en jugeant barbare la torture et la peine de mort. Il préconise en outre de séparer le pouvoir religieux du pouvoir judiciaire et de prévenir le crime plutôt que de le réprimer, amorçant ainsi le premier mouvement abolitionniste. Fou pour les uns, visionnaire pour d’autres, ce livre paru anonymement (de crainte de représailles politiques) frappera l’opinion dans l’Europe des Lumières.

Les thèses humanistes amenèrent à repenser la folie et la délinquance, ainsi que les réponses à leur apporter, en croyant à la curabilité de la folie, en l’amendement possible de l’homme délinquant. Une vision appuyée par Bentham et son système panoptique, selon laquelle la transformation morale et le bien-être du prisonnier peuvent être réalisés en partie dans et par l’architecture. La privation de liberté s’est donc avérée, dès le XVIIIe siècle, être l’instrument de gestion par excellence des populations délinquantes et folles, délaissées au sein de la société. Permettant de placer l’individu en disposition pour le soin ou la rééducation, il permet aussi sa neutralisation, à l’abri du monde ordinaire. Cette nécessité de mise à l’écart et cette volonté de réformation de l’individu permettent ainsi l’élaboration progressive de la structure psychiatrique[6].

Comment la prison a remplacé l’hôpital psychiatrique

Une étude publiée dans la revue « Punishment and Society » analyse 150 ans de statistiques pénitentiaires et psychiatriques en France, démontrant que la prison et l’hôpital psychiatrique ont tendance à se « compenser » sur la longue durée : quand l’incarcération diminue, l’hospitalisation psychiatrique augmente, et inversement. À partir des années 1980, c’est la prison qui a remplacé l’hôpital en France : le nombre de lits en psychiatrie a été divisé par trois, pendant que le taux d’incarcération a doublé sur la même période. Ce type de mouvement de balancier peut être observé à plusieurs reprises depuis le XIXème siècle.

À partir des années 1980, c’est la prison qui a remplacé l’hôpital en France : le nombre de lits en psychiatrie a été divisé par trois, pendant que le taux d’incarcération a doublé sur la même période.

Prisons, camps de concentration, asiles, couvents, mais aussi internats, orphelinats, semblent être considérés comme des institutions totales et disciplinaires. En effet, elles le sont à plusieurs titres : coupure du monde extérieur, besoins pris en charge par l’institution, mode de fonctionnement bureaucratique, changement de la temporalité, c’est le service public qui sert désormais d’assise à ces institutions. L’espace carcéral devient un actant à part entière de l’enfermement. Un service public qui est lui-même une institution[7] et permet ainsi un passage en douceur entre deux modèles : prison et hôpital psychiatrique.

Comme le rappelle l’architecte Christian Demonchy[8]: « Il y a des détenus-patients qu’on immobilise dans des cellules-chambres réparties de part et d’autre d’un couloir de service. De temps en temps, des surveillants-infirmiers les conduisent au plateau technique ; un cours s’ils sont analphabètes, un service de soin s’ils ont une pathologie, un parloir s’ils ont une visite. Le problème de ce modèle architectural, c’est qu’il ne se pose jamais la question de la vie sociale. Dans un hôpital, ce n’est pas grave : ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Dans une prison, les détenus restent des mois, voire des années. »

Industrie de la punition : contrats en or, prisons en carton

La surpopulation carcérale s’explique par la politique pénale. La crise aidant, cette industrie punitive a en effet un impact humain mais aussi économique considérable. En augmentation ces dernières années, le budget de l’administration pénitentiaire reste engorgé par un poste de dépense principale : l’intensification du parc carcéral. Les dépenses autorisées à ce titre sont colossales : plus de 380 millions d’euros en 2020 contre 63,5 millions pour le développement des alternatives et aménagements de peine. 41,3 millions pour les activités en prison, alors que la prison demeure synonyme de temps vide, avec en moyenne 3h40 d’activités par jour en semaine, moins d’une demi-heure le week-end[9].

Le problème central est sans doute que les prisons constituent une industrie lucrative tant pour leur gestion que pour leur production. Cette industrie carcérale est parfois considérée par l’exécutif comme un facteur de développement, et de nombreuses collectivités territoriales se portent candidates lorsqu’un projet de construction d’une prison est décrété, tout ceci dans un but d’encourager l’emploi local.

Le problème central est sans doute que les prisons constituent une industrie lucrative, tant pour leur gestion que pour leur production.

Ainsi, dans un environnement concurrentiel peu favorable, le passage de la commande publique traditionnelle (CPT) aux partenariats public-privé (PPP) peut conduire à une situation d’oligopole, lorsqu’il y a sur un marché un nombre faible d’offreurs (vendeurs) disposant d’un certain pouvoir de marché et un nombre important de demandeurs (clients)[10]. Dans les faits, cela devrait permettre à l’Etat de sous-traiter la construction et la gestion du bâti carcéral. Mais cela coûte cher et les prestations servicielles sont de moins en moins bonne qualité pour les détenus.

C’est un gouffre financier à la profondeur abyssale « Contrats en or, prisons en carton » titrait l’Express, 14 établissements sur les 171 prisons françaises coûteront finalement près de cinq milliards d’euros au contribuable. Tous versés à des poids lourds du BTP : Bouygues, Spie Batignolles, Vinci et Eiffage, propriétaires de ces 15 % de places en cellule, lesquelles enrôlent annuellement près de 40 % des crédits immobiliers de la justice, soit environ 220 millions à l’année, jusqu’en 2036. Un marché carcéral en capacité d’extraire une rente, donc. La prison de Réau, l’une des 14 en PPP, a ainsi dévoilé des failles de conception au moment de l’évasion en juillet 2018 de Redoine Faïd. Celle des Baumettes nouvelle génération, à Marseille, a été entachée dès le départ de multiples vices. Face à l’immensité des irrégularités et malfaçons, la garde des Sceaux confirmait en mars dernier qu’aucune des nouvelles prisons à construire au cours des deux prochains quinquennats ne le serait sous forme de PPP. Ainsi, le secteur pénitentiaire est un véritable business model pour lequel on fait appel à des entreprises de construction de prison, des entreprises d’équipement de matériel, mais également des entreprises de fourniture de services, dont la restauration et le nettoyage.

L’idée progressive d’alternatives carcérales

Comment donc lutter contre la surpopulation carcérale, sans multiplier le nombre d’établissements pénitentiaires ? Dénonçant cette obsession carcérale, plusieurs alternatives ont été mises en place à tous les stades de la procédure pénale. On parle alors de suivi en milieu ouvert. Ces mesures restent insuffisamment utilisées comme réelle alternative à la prison, qui reste la peine de référence. Pourtant, la récidive est toujours moindre en cas de recours à des mesures alternatives à l’incarcération.

L’accès à l’emploi, à une formation professionnelle, aux soins, au logement sont autant de difficultés auxquelles le détenu va être confronté. Il lui est difficile d’y répondre seul après avoir été mis à l’écart de la société pendant un certain temps. L’autonomie, la sociabilité, la responsabilité sont des principes de citoyenneté qui s’ajustent, se mesurent d’autant plus aisément que leur acquisition peut être favorisée par un tiers accompagnant.

C’est dans cet esprit que l’on voit apparaître la médiation animale en milieu carcéral ; l’animal apaise, met en confiance, et facilite la réinsertion des détenus. Il existe 3 grands types de médiation animale en milieu carcéral : avec des chiens visiteurs, avec des petits animaux (rongeurs, furet…) et la médiation équine. Une manière de lutter contre la dépersonnalisation : les codes et les règles de la vie carcérale conduisent les détenus à adopter une personnalité plus forte. Face à l’animal on ne peut pas tricher, la personne va retrouver de l’authenticité et se montrer telle qu’elle est.

Très présent dans les pays scandinaves, à l’image de la prison ouverte sur l’île de Suomenlinna à Helsinki, en Finlande : « Ici, il n’y pas de clé. La clé, c’est la confiance », confie la directrice, Sinikka Saarela. C’est un projet réussi de transition progressive vers la liberté. Autre argument : un jour de prison coûte 213 euros à l’État et 149 euros dans les prisons ouvertes, avec 100 détenus et un budget annuel de 4,2 millions d’euros. Les détenus sont également très actifs : ils nettoient les chambres, préparent la nourriture et contribuent aux activités agricoles, ce qui réduit sensiblement le nombre du personnel. En France, le coût moyen d’une année de prison pour une personne détenue est estimé à 32 000 euros, alors que le coût moyen annuel en milieu ouvert, tel un sursis avec mise à l’épreuve, est estimé à 1 014 euros par personne.

Ainsi, il existe 2 prisons françaises à pouvoir revendiquer le statut de prison ouverte, le centre de détention de Mauzac en Dordogne (1986) et le centre de détention de Casabianda (1948), situé en Haute-Corse. Intéressantes tant du point de vue des valeurs qui les sous-tendent que de leurs résultats, ces prisons pensées comme des villages intégrés ont connu depuis leur création peu de cas de suicide et le taux de récidive y est très faible.

Au milieu d’un domaine agricole, le centre de détention de Mauzac compte 251 personnes, installées dans des pavillons dissimulés dans le paysage avec comme objectif d’être un établissement pour peine orienté vers la réinsertion. À ce site se greffe une ferme-école où les détenus peuvent recevoir une formation horticole et travailler en cultivant des légumes et herbes aromatiques et médicinales.

Néanmoins, certains détenus sont transférés à Mauzac pour désengorger les établissements surpeuplés de la région et n’entrent pas dans les critères car il faut être éligible à un aménagement de peine (placement à l’extérieur). Ainsi, Mauzac « accueille des gens qui n’ont rien à y faire et doit refuser des détenus qui y auraient toute leur place », dénonçait la CGT en 2013.

« On est là pour réduire la hauteur de la marche entre la prison et la sortie. »

Un autre exemple unique en France est la ferme de Moyembrie dans l’Aisne, un établissement rural de réinsertion pour personnes écrouées en aménagement de peine. Présentes pour 9 mois en moyenne, elles trouvent à la fois un logement, un travail et un accompagnement pour favoriser le retour au monde extérieur. Elles ont fait elles-mêmes une démarche auprès des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et de la juridiction de l’application des peines compétentes.

Ici, ni barreaux ni surveillants, pas même de système électronique de contrôle des allers et venues. 18 hommes d’origines et d’âges divers à travailler la terre, à ramener les chèvres des pâturages avant le lever du soleil pour la traite ou à travailler à la fromagerie. « On est là pour réduire la hauteur de la marche entre la prison et la sortie », résume Simon Yverneau, l’un des six salariés. La ferme travaille en partenariat avec les établissements pénitentiaires proches : le centre pénitentiaire de Laon (Aisne) et le Centre pénitentiaire de Liancourt (Oise). Structure associative, son montage économique est soutenu par Emmaüs pour développer le modèle, déjà en cours de duplication dans l’Aude avec la ferme du Pech.

Un projet : « Les Tiers-lieux de la liberté »

Même si toutes les structures alternatives ne sont pas parfaites, c’est dans la continuité de ces réflexions que l’objet de ce projet est de mettre en place des « Tiers-lieux ouverts », davantage orientés vers la réinsertion. En échange de conditions de détention plus souples, les détenus s’engageraient à respecter des règles de vie et un parcours personnalisé.

Le projet de création d’un « Tiers-lieu de la liberté » est d’accueillir une dizaine de détenus volontaires sous main de justice pour une période de 6 à 12 mois avant leur levée d’écrou, en aménagement de peine (peine inférieure ou égale à 2 ans). Le modèle se structurerait en tant qu’entreprise d’insertion (EI), association intermédiaire (AI) ou atelier et chantier d’insertion (ACI).

Cela permettrait d’accorder aux personnes détenues des droits fondamentaux dès aujourd’hui, plutôt que de les limiter avec des tâches abrutissantes et sous-payées[11]. Le code du travail et le SMIC habituel ne s’appliquent pas aux personnes détenues travaillant en prison. De plus, la population carcérale est loin d’être homogène, le passé carcéral est souvent associé à des difficultés sociales multiples qui nécessitent un accompagnement facilitant la réadaptation sociale à la sortie de prison. On pourrait ainsi envisager des offres différentes selon les profils au sein d’un même tiers-lieu. Pour les personnes atteintes de troubles psychiques importants, pour les personnes n’ayant jamais travaillé et enfin pour les personnes détenues capables de réaliser le même travail que n’importe quel salarié à l’extérieur.

La difficulté du projet résidera aussi dans sa valeur foncière : quels contrats domaniaux pour quelles visées juridiques, sur quels fonciers intervenir et quels mécanismes de propriétés adopter ? La complexité de ces schémas ne pourrait-elle pas se formuler sur la revitalisation rurale des centres-bourgs, mais aussi sur de nouvelles formes de gouvernance foncière rurale au service d’installations agricoles respectueuses de l’environnement ?

Dans les faits, si l’on explore la première piste, conjointement avec les bailleurs sociaux locaux, chaque bâti possédant une vacance locative forte pourrait être mis à disposition pour héberger des détenus qui en contrepartie s’engageraient à rénover une partie du parc immobilier. Ils bénéficieraient d’outils de formation professionnelle sur mesure en BTP, ainsi que d’un accompagnement en création d’entreprise. Ils pourraient ainsi s’investir localement pour construire leur projet de vie.

Ensuite, la seconde piste serait de mettre en place un projet de « coopérative agricole pénitentiaire » avec le dispositif d’« espaces-tests agricoles »[12] permettant à une personne potentiellement non issue du milieu agricole ou en reconversion professionnelle, de tester un projet agroalimentaire en conditions réelles et réversibles sur une période oscillant entre 1 et 3 ans, tout en réduisant les risques associés à l’acquisition de foncier.

En effet, une grande majorité des centres-bourgs dépendent d’exploitations agricoles locales, qui elles-mêmes font face à une pénurie de « transmission ». Par exemple, l’opportunité d’une personne en aménagement de peine pourrait coïncider entre le calendrier de départ d’un cédant et celui de l’installation. Ces reprises par des porteurs de projets non issus de la famille agricole sont souvent une opportunité pour maintenir des fermes de petite taille avec des pratiques plus respectueuses de l’environnement (agriculture durable ou biologique, par exemple) et recréant des liens sociaux et économiques sur le territoire (circuit court, AMAP, etc.)

Bien qu’aujourd’hui de nombreuses exploitations soient vendues entières ou démantelées pour agrandir des fermes existantes faute de repreneurs prêts à s’installer immédiatement, dans un contexte de foncier rare et cher, les espaces-tests apparaissent comme un outil pertinent permettant aux porteurs de projets d’acquérir une pratique agricole et entrepreneuriale suffisante en vue d’installations pérennes.

De plus, la dévitalisation des centres urbains moyens s’aggrave au profit des grandes agglomérations. Pour mettre en place des solutions efficaces afin de développer l’attractivité de ces centres-bourgs, les personnes en aménagement de peine participeraient activement aux différentes consultations engagées par l’État et se positionneraient comme des compagnons-clés des futures opérations de revitalisation du territoire. Cela inciterait les investisseurs bailleurs à rénover les logements anciens et dégradés dans les centres-villes des 222 communes ciblées par le dispositif « Action cœur de ville ».

Une aide fiscale encouragerait de fait les travaux de rénovation dans des zones où les espaces agricoles et les logements sont vides ou en mauvais état, et pourrait faire l’objet d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés du terrain carcéral des communes qui se porteraient volontaires. Cette vision des opérations en coût global enracinerait ainsi ces chantiers de la liberté dans une économie circulaire avantageuse surtout lorsque l’on sait que le coût de construction d’une cellule varie entre 150 000 et 190 000 euros[13]. L’idée serait donc créer des « filières intégrées agricoles autogérées » avec l’administration pénitentiaire et de renforcer ces initiatives avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation, en faisant émerger un programme de duplication, tout en adaptant ces structures foncières aux spécificités de chaque territoire.

Ainsi, les détenus auraient une double opportunité ; intervenir de front dans les centres-bourgs avec des bailleurs sociaux localement implantés ou intégrer à proximité une coopérative agricole pénitentiaire et y développer une agroécologie paysanne en travaillant la terre. Dans les deux cas de figure c’est aussi permettre le maintien d’emplois, agricoles saisonniers ou permanents. Les anciens détenus transmettraient ainsi leurs savoir-faire et formeraient les nouveaux arrivants.

L’objectif est de proposer un sas de réadaptation et de reconstruction avant la liberté, en partageant une vie quotidienne dans un collectif et où l’être humain est réhabilité dans toute sa dignité.

La pratique agroécologique par des détenus réintroduirait de la diversité dans les systèmes de production agricole locale et permettrait ainsi une mosaïque paysagère diversifiée des cultures. La production pourrait alimenter en produits frais une partie des habitants locaux. Chaque détenu résiderait sur place par le biais de structures manuportables en ossature bois sur pilotis, élaborées et préfabriquées dans les centres pénitentiaires avoisinant.

L’objectif est de proposer un sas de réadaptation et de reconstruction avant la liberté, en partageant une vie quotidienne dans un collectif et où l’être humain est réhabilité dans toute sa dignité. Véritable lieu de « réapprentissage » de la liberté en tant que fabrique d’insertion, ces chantiers de la liberté en pleine campagne ou centres-bourgs viseront à briser le triptyque enfermement-exclusion-récidive.

Si le contrat de travail est une base du parcours d’insertion, la préparation à la sortie reste le maillon faible de la prison. Les enjeux d’un accompagnement global de la personne placée sous-main de justice (PPSMJ) en milieu ouvert sont déterminants. Sur le terrain juridique comme sur le terrain des consciences, il va donc falloir convaincre le législateur de la dimension politique de l’action collective. Il apparait dès lors évident que les véritables réformes carcérales se feront par-delà les murs, par le « réancrage » des questions de sécurité, au cœur d’une réflexion politique et d’un projet de société.

©Nassim MOUSSI Architecte

Quel lendemain pour le système carcéral ?

Penser la ville de demain, c’est aussi penser à ceux que l’on ne voit pas, mais encore faut-il penser la ville d’aujourd’hui avec ces mêmes invisibles. La présente étude constitue une première contribution, à titre exploratoire, mais il y la nécessité urgente de travailler collectivement sur l’expérience carcérale et les innovations pénales. Ce projet refuse d’être une solution par sa dimension architecturale comme réponse ultime à la déviance ou la délinquance. L’inertie historique lourde des institutions carcérales a été bouleversée par l’épidémie du Covid-19, mais les suicides et la surpopulation n’ont pas attendu ce virus.

L’architecture des prisons a prouvé qu’elle n’était pas un « art solution ». Elle a brillamment traduit la pauvreté de ces définitions et l’abondance indéfinie des discours architecturaux descriptifs jamais exhaustifs. Les mots sont perçus comme aseptisés parce qu’ils paraissent usés à force d’avoir été trop utilisés. Un peu à l’image des grands ensembles d’habitation de l’après-guerre, la prison témoigne du même grand écart entre les utopies architecturales proclamées et un quotidien bien plus complexe, signe d’une vie sociale qui ne se laisse pas régenter par quelques murs.

On retrouve cette croyance dans le geste urbanistique du Corbusier, « …que le problème social dont la solution dépend de l’architecture et de l’urbanisme »[14]. On trouve la même ambition totalisante de la ville nouvelle à la prison[15], le même souhait de concilier les fonctions, le même recours strict au zonage – « attribuer à chaque fonction et à chaque individu sa juste place ». Ironie du sort, quand on sait qu’il admirait ses logements comme des cellules.

Il s’agira d’œuvrer collectivement avec des convictions chevillées au corps en questionnant la prison au sein même de la société.

Il aura donc fallu attendre, depuis la mise en place du confinement le 17 mars dernier, 44 mutineries (recensées officiellement) et 85 cas de décès liés au Covid-19, pour que le ministère libère 10.000 détenus le 18 avril 2020, auxquels s’ajoutent 48 détenus testés positifs et 925 autres placés à l’isolement sanitaire. Mais loin de fustiger le législateur en place, il va nous falloir regarder au-delà de l’horizon sombre. Tout en conservant les missions régaliennes de l’Etat, il s’agira d’œuvrer collectivement avec des convictions chevillées au corps en questionnant la prison au sein même de la société.

S’intéresser aux détenus mais aussi au personnel, à toute la population carcérale et donner du sens à une détention s’avère être un processus long. Nous avons tous un processus interprétatif de la peine, mais laissons derrière nous cette vision séculaire et sacrosainte des châtiments comme outil punitif, laissons le discours catastrophiste et l’ethnicisation des débats sur la délinquance. Personne ne peut rester indifférent à ce qui écrase l’homme, mais comprenons que chaque échec transmet des informations précieuses ouvrant ainsi la voie à une recherche pénale radicalement nouvelle qui remettrait l’humain au centre.

« Je ne perds jamais. Soit-je gagne, soit j’apprends. » Nelson Mandela


[1] Pour reprendre l’expression d’Olivier Milhaud et Marie Morelle : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01025228

[2] Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux.

[3] Olivier Milhaud avancera même que « la prison est une peine géographique »

[4] Pour reprendre l’expression d’Olivier Milhaud https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01374452/

[5] « La compulsion de punir » de Tony Ferri, l’Harmattan, 2015.

[6] Caroline Mandy « La prison et l’hôpital psychiatrique du XVIIIe au XXIe siècle : institutions totalitaires ou services publics ? »

[7] Laurent Mucchielli, La Frénésie sécuritaire : retour à l’ordre et nouveau contrôle social, Paris, La Découverte, 2008

[8] Christian Demonchy spécialisé dans la construction de prison, « Histoire de l’architecture carcérale », Bibliothèque Zoummeroff, (2008).

[9] https://oip.org/decrypter/thematiques/budget-administration-penitentiaire/

[10] J’invite le lecteur à lire l’étude de Leroux I., Rigamonti E. (2018), “L’inefficience des partenariats public-privé appliqués aux prisons françaises”, Revue d’Economie Industrielle, 162.

[11] 20% du SMIC https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/150218/comment-reformer-le-travail-en-prison

[12] Le réseau associatif « Terre de liens » est un des pionniers en France https://terredeliens.org/le-reseau-associatif.html

[13] Source OIP

[14] Le Corbusier (1971), La Charte d’Athènes. Entretien avec les étudiants des écoles d’architecture. Avec un discours liminaire de Jean Giraudoux, Paris, Le Seuil, 190 p.

[15] L’enfermement ou la tentation spatialiste. De « l’action aveugle, mais sûre » des murs des prisons d’Olivier Milhaud

Prisons françaises : détruire plutôt qu’instruire

Un article du Monde publié le 1er juin relatait qu’un détenu, Michel Cardon, avait été « oublié » en prison par le Parquet de Lille. Entré en 1977, il n’a été libéré « en conditionnelle » que le 1erjuin dernier. Les expertises relèvent « une dégradation importante des fonctions cognitives du détenu ». Ce que nous montre ce fait divers, ce n’est pas tellement l’incompétence de la justice que la mauvaise fonction qu’on lui a assignée et qui fut historiquement légitimée. Il convient de remettre à nouveau la fonction disciplinaire en question : veut-on punir les détenus pour soulager les familles ou veut-on éduquer un individu qui n’a pas su se comporter en société ? Pour l’instant, la prison a toujours préféré la première option.


La destruction du corps du prisonnier

Historiquement [2], commettre un crime en société, c’est insulter directement le roi. En effet, commettre un acte en désaccord avec les lois que le roi a données au pays, c’était être en désaccord avec le roi. Donc la punition qui frappait le prisonnier, par la torture notamment, était une manière symbolique pour le roi de marquer le prisonnier de son pouvoir et de lui rappeler à qui il devait obéir. Enfin, l’enfermement, ce n’est pas seulement la privation de liberté, c’est aussi une façon d’éloigner le prisonnier de la société.

Entre le XVIIIe et le premier XXe siècle, la punition s’est rationalisée en terreur, de façon bien plus efficace, bien plus rapide et économique en moyens. En ce sens, l’invention de la guillotine est une innovation technologique considérable qui économise du temps, de la souffrance, et de l’argent. Viennent ensuite la chaise électrique et l’injection létale, jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981 par la loi Badinter. Quel rôle la prison remplit-elle depuis quarante ans ? Puisqu’on n’élimine plus les prisonniers les plus dangereux, qui ne méritent donc plus de vivre en société, l’univers pénitentiaire aurait-il changé de fonction ?

Le mirage d’une prison éducative

Aujourd’hui, dans les prisons, des cours sont dispensés pour apprendre à lire et à écrire. Il y a notamment un suivi psychologique et médical des détenus, et à leur sortie, des organisations de réinsertion s’occupent d’eux. Serait-on donc passé d’une prison disciplinaire à une prison éducative ?

Si l’on souhaite une prison qui éduque ses détenus, les moyens assignés à cette fonction sont loin d’être efficaces. Le taux d’occupation des prisons françaises est de 119% [3]. Cela signifie qu’on a plus de prisonniers que de places dans nos prisons. Par exemple, 1 648 détenus dorment sur un matelas à même le sol ou dans des lits superposés, alors même que le principe d’encellulement individuel était réaffirmé par la loi pénitentiaire de 2009 [4].

Entendue au sens large comme la recondamnation d’une même personne pour des crimes ou délits qui peuvent être différents, la récidive concerne 61% des individus dans les cinq années qui suivent leur sortie de prison [5]. Ce chiffre énorme montre une prison française qui produit du crime et du délit plus qu’elle ne le réduit. Il y a, de fait, un problème avec la justice française. Les détenus qui n’ont pas fait de prison ferme récidivent eux en moyenne deux fois moins que ceux emprisonnés fermement [6].

La prison française produit des « bons délinquants »

En France, depuis que la torture et la peine de mort sont interdites, la prison s’est assignée une autre fonction que disciplinaire, elle est devenue un moyen pour les plaignants d’obtenir réparation et vengeance. En effet, qu’est-ce que la simple mort à côté d’un enfermement à perpétuité ? Comme nous l’avons vu, elle ne remplit aucune fonction éducatrice, puisque la récidive n’est pas fréquente mais banale.

Ce que la lecture de Foucault nous apprend, c’est que les prisons produisent de « bons délinquants », en ceci qu’ils créent toute une économie de la délinquance : les “bons délinquants” sont multirécidivistes et apolitiques. Ils créent, à leur manière, de la richesse parce qu’ils emploient du personnel pénitentiaire, carcéral, judiciaire… et montrent un exemple à ne pas suivre. Économiquement profitable, cette prison française est également politiquement neutre.

Le cas de Michel Cardon est probablement rare et isolé, mais là n’est pas le sujet. Il ne témoigne non pas de l’incapacité de la justice française qui oublie ses détenus — la plupart du temps, lorsqu’il s’agit d’écrouer, elle écroue très bien. Non, c’est la façon dont la prison française abîme le corps de ses citoyens qui est choquante, alors qu’elle devrait en éduquer l’esprit.

 


[1] Les informations historiques proviennent de Michel Foucault, Surveiller et punir, Tel Gallimard, Paris, 1975

[2] cf. http://www.europe1.fr/societe/la-surpopulation-carcerale-en-cinq-chiffres-2816041

[3] cf. article 716 du Code pénal

[4] 61% des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées à une peine de prison ferme dans les cinq ans, cf. http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf, p. 5

[5] Ibid.

Une prison condamnée ? Entre réforme illusoire et privatisation

Alors que l’exécutif a dévoilé début mars un ambitieux projet de réforme de la prison qui se veut une restructuration du système carcéral français, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a publié ce 28 mars son rapport annuel, qui dresse un bilan mitigé de l’état de la prison. L’occasion de s’interroger sur l’intérêt du gouvernement à réformer un système en crise depuis longtemps, dans un contexte propice à la réinsertion de la prison dans le domaine de la loi.


La prison comme enjeu politique

Le 9 mars, le premier ministre Édouard Philippe et la garde des sceaux Nicole Belloubet ont présenté la nouvelle réforme de la Justice, restitution de 5 mois de travaux visant à réformer en profondeur le système carcéral français.

Parmi les principaux axes de la réforme concernant le domaine de la prison, se distinguent notamment la fin des partenariats public-privé pour la construction des prisons, et la décision que les peines de 1 à 6 mois s’effectueront en dehors de l’établissement de détention, via le développement des travaux d’intérêt général. Ainsi, le fond de cette réforme apparaît être la limitation du recours systématique à la détention, en particulier dans le cas des courtes peines, pour lesquels la détention est synonyme de désocialisation et de risque de récidive.

La réforme semble audacieuse, ayant pour mérite de mettre en exergue la crise dans laquelle s’embourbe le système carcéral depuis de trop nombreuses années. La prise en charge politique du système carcéral n’a jamais été véritablement lisible, et s’est toujours opérée de manière sporadique. Pour cause, la prison a longtemps été vue comme un enjeu non politique. L’institution carcérale était alors un établissement total, en rupture avec le reste de la société, et la mise à l’agenda n’était pas profitable politiquement. Le rôle de diffusion d’informations sur la prison est par ailleurs un certain temps resté sans acteurs. Cela explique le fait que le droit pénitentiaire ait été aussi longtemps de nature réglementaire, intervenant uniquement par nécessité budgétaire ou immobilière.

À partir de 1973, le droit européen a permis le désenclavement progressif du normatif pénitentiaire en élaborant des standards internationaux, qui, bien que non contraignants, ont incité à la comparaison entre États. De plus, l’accroissement de la lisibilité du phénomène de la délinquance en col blanc a conditionné la prise en compte de la prison comme objet politique, puisque l’appartenance sociale avantageuse de ces condamnés, bien qu’ils soient minoritaires, a permis à leurs revendications d’avoir un écho.

Le Parlement a peu à peu investi la question du système carcéral, notamment avec l’instauration du droit de visite en prison des parlementaires. L’analyse de la prison à travers le prisme de la question des droits de l’homme a achevé d’en faire un dossier politique.

En devenant un enjeu politique, la prison est aussi devenue un « vecteur de réactivation de concurrences institutionnelles préexistantes entre pouvoir législatif et exécutif »¹, comme le décrit Jeanne Chabal. Ces concurrences limitent une réelle réflexion sur l’intérêt de la prison, alors même que la situation carcérale française demeure critique avec une surpopulation carcérale de 116 % au 1er février 2018, dont 1 569 détenus sur un matelas à même le sol.

L’administration pénitentiaire prend en charge environ 250 000 personnes pour un budget annuel de 2,79 milliards hors pensions. 36 prisons ont d’ailleurs été condamnées par la justice française ou par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de leurs conditions dégradantes de détention. Cette situation est source de tensions qui se manifestent à intervalles réguliers, par exemple par des grèves de surveillants, non sans conséquences sur les détenus. 

Réforme des chantiers de la Justice : un écran de fumée ?

Si la réforme entend endiguer la surpopulation des prisons françaises, elle est aussi pensée en rupture avec la vision utilitariste de la peine. Mais se focaliser sur les courtes peines, est-ce vraiment le plus important, alors que d’après l’avocat Éric Dupond Moretti, « jamais les peines n’ont été aussi lourdes » ? La détention sera moins systématique, mais en sera d’autant plus rédhibitoire, creusant encore plus un fossé entre le condamné et la société. Le syndicat de la magistrature a d’ailleurs exprimé dans un communiqué son inquiétude quant aux conséquences de la réforme sur l’emprisonnement ferme.

En effet, la décision que les peines de plus d’un an s’effectueront en détention font de cette durée une peine couperet. Les peines de plus d’un an ne seront effectivement plus aménageables, une mesure qui porte le risque de la dénaturation de l’individualisation de la peine. De plus, la possibilité de promouvoir la mise en place de peines hors les murs de la prison est conditionnée par l’extension du bracelet électronique. Or, la banalisation de cette mesure peut tendre vers un brouillage du clivage entre milieu libre et milieu carcéral, qui dessert davantage encore l’éventuel sens de la peine.

Emmanuel Macron a exprimé la nécessité d’une « vraie réflexion sur le contenu moral et politique que nous devons donner au sens de la peine ». Le sens apparaît être l’articulation du travail comme élément central de l’exercice de réinsertion.

Pourtant des alternatives à la détention existent déjà, mais le manque de moyens limite leur mobilisation. Aujourd’hui, entre 24 et 35 % des détenus seulement ont accès au travail. La procédure pour s’en voir octroyer un est complexe et nécessite de passer par une demande écrite. De plus, le droit du travail ne s’applique pas en prison, l’emploi est acté par un simple engagement signé entre le détenu et l’employeur. L’exclusion du droit du travail explique la modicité des salaires (entre 4,32 et 1,92 € de l’heure), ceux-ci devant être supérieurs à 45 % du SMIC pour les activités de production et 30 % pour le service général. Les détenus n’ont pas accès à l’arrêt maladie ou l’accident de travail, mais sont en revanche tenus de cotiser. Le système de cotisation est lui-même discutable, puisqu’un an de cotisation leur revient équivalent à un trimestre. On perçoit donc un profond décalage entre l’idéal normatif de l’intérêt du travail et la réalité du terrain.

Pourtant, d’autres pays européens ont su mettre en place des dispositifs plus progressistes, à l’instar de l’Espagne où les détenus sont affiliés au régime général de la sécurité sociale et disposent d’une couverture maladie.

Des détenus comme valeur marchande

C’est en 1987 que le secteur privé se voit autorisé à accéder à la prison, avec la loi Chalandon qui lui confère certaines prérogatives de construction de prison. Avant cela, l’administration pénitentiaire bénéficiait d’une importante autonomie fonctionnelle et politique ; elle a souvent été qualifiée en ce sens de modèle d’autogestion de type corporatiste. Elle occupe malgré tout une place centrale dans la définition des politiques publiques, explicable par la tradition syndicaliste de ce corps.

La loi Chalandon entraîne l’entrée des entreprises dans l’univers pénitentiaire, et pour la première fois la prison est modélisée par un acteur extérieur. Cela va contribuer à un changement de regard sur la prison puisqu’elle apparaît comme un potentiel débouché économique. La figure du détenu est modifiée ; il devient usager d’un certain nombre de services.

La délégation de la conception, la construction, et la maintenance d’établissements pénitentiaires aux entreprises privées a été dénoncée à maintes reprises par la Cour des comptes, en raison notamment du coût considérable que ces partenariats font peser à long terme sur les finances publiques. Il est donc positif qu’un axe majeur de la réforme de la Justice consiste en la suppression des partenariats public-privé.

La fin de ce dispositif annonce-t-elle néanmoins celle de l’intervention du secteur privé dans le monde carcéral ? Bien au contraire, il apparaît que le cahier des charges élaboré par le ministère de la Justice est très suivi par les acteurs privés. Le contexte économique actuel conditionne un inquiétant intérêt grandissant pour les marchés publics. Et pour cause, « l’industrie » de gestion carcérale est prometteuse : le modèle étasunien l’illustre parfaitement comme l’analyse le sociologue Loïc Wacquant dans son livre Les prisons de la misère, où sont décrits les ravages d’un néo-libéralisme destructeur qui s’exerce sans concession dans les institutions pénitentiaires. La situation étasunienne semble être la suite logique du désinvestissement grandissant de l’État français face au secteur privé.

L’écran de fumée de la régulation politique de l’emprisonnement s’est aussi illustré au Pays-Bas, où la solution à la crise de surpopulation carcérale a été la fermeture des prisons. Néanmoins ce discours progressiste cache la réalité du sous-traitement de l’incarcération à laquelle recourt désormais le pays.

Ainsi, si la réforme des peines vante la fin des PPP, le secteur privé sera en réalité d’autant plus présent grâce à celle-ci via le développement des travaux d’intérêt général. Outre les collectivités et l’État, les entreprises seront mobilisées pour la structuration de cette mesure.

Au vu des salaires reversés aux détenus, cela leur permettra donc de dégager un profit non négligeable et équivalent à une délocalisation avantageuse. L’exploitation paraît aisée puisque la population détenue n’a pas de propension à la mobilisation ou aux revendications collectives contre les conditions salariales. La logique salariale devient structurante dans le nouveau dispositif pénitentiaire.

La promotion du travail en prison n’est pas le seul moyen pour les prestataires privés d’investir l’univers carcéral ; le « cantinage », système d’achat par les détenus via un catalogue répertoriant des produits non fournis par la prison, est un autre domaine lucratif.

Le prise en charge de ce service par le secteur privé a mené à une augmentation des prix de 25 % environ. Ainsi, le dentifrice par exemple est 55 % plus cher que les premiers prix disponibles en supermarchés. La Cour des comptes a déjà pointé du doigt les importantes marges de bénéfices qui découlent de ce système. La dénonciation est cependant vaine car les conventions actuelles ne définissent pas assez précisément les critères de fixation de prix, et leur modification à l’initiative de l’administration carcérale entraîne des indemnités pour celle-ci. Ainsi se banalise la « prison comme marché de biens et services traditionnels parfaitement intégrés dans l’économie, faisant de l’emprisonnement une marchandise et source banalisée de profit et d’emploi », comme le prophétisait déjà en 2003 le criminologue Nils Christie dans son livre L’industrie de la punition. Prison et politique pénale en Occident.

La logique de l’entreprise poussée à l’extrême n’est jamais compatible avec celle du service public, pourtant la restructuration progressive de tous les services publics par le gouvernement va en ce sens. On assiste à la banalisation d’une nouvelle forme de gestion publique empreinte de pratiques et d’outils issus du privé. La référence au marché est l’élément central d’une nouvelle conception alarmante du secteur pénitentiaire.

Notes :

¹ Jeanne Chabal, Changer la prison : rôles et enjeux parlementaires.