La prochaine guerre mondiale aura-t-elle lieu en Arctique ?

Un navire dans la banquise arctique. © NOAA

Avec la fonte des glaces, les grandes puissances, États-Unis, Chine et Russie en tête, investissent de plus en plus le Grand Nord. La disparition de la banquise offre en effet l’opportunité d’exploiter de nombreux gisements d’hydrocarbures et de terres rares et de développer le trafic maritime. Mais l’intérêt pour la région n’est pas qu’économique : alors que la Chine affirme sa puissance et qu’une nouvelle guerre froide émerge entre la Russie et les Etats-Unis, l’Arctique se remilitarise. Article de l’économiste James Meadway, originellement publié par Novara Media, traduit par Jean-Yves Cotté et édité par William Bouchardon.

L’onde de choc de l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est propagée dans le monde entier, des frontières de l’Oural jusqu’au point le plus septentrional du globe. Début mars, pour la première fois depuis sa création, les travaux du Conseil de l’Arctique – un forum fondé en 1996 par les huit pays dont une partie du territoire se trouve dans le cercle arctique (Canada, Danemark, Islande, Finlande, Norvège, États-Unis, Suède et Russie) – ont été suspendus. 

Invoquant le fait que la Russie assure pendant deux ans la présidence tournante, les sept autres membres ont condamné la « violation des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale » par cette dernière et mis le Conseil en pause en suspendant provisoirement ses activités. Le représentant de la Russie au Conseil a riposté en dénonçant les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, compromettant ainsi « la coopération dans les hautes latitudes ».

Bien qu’il se soit élargi depuis sa fondation en conférant le statut d’observateur à des pays « proches de l’Arctique », tels le Royaume-Uni et la Chine, le Conseil avait en vingt-six ans d’existence évité de s’impliquer dans des conflits entre pays membres. La déclaration d’Ottawa relative à la création du Conseil interdit en effet expressément de se saisir des questions d’ordre militaire et, pendant un quart de siècle, ce consensus a été maintenu, le Conseil se concentrant sur les questions civiles et scientifiques. Cependant, alors que la crise climatique s’accélère, l’équilibre politique au sein du Conseil – véritable microcosme des conflits liés aux ressources et des litiges territoriaux que la dégradation de l’environnement entraîne à l’échelle mondiale – se désagrège.

Sous la banquise, des sous-sols convoités

Bien que la guerre en Ukraine a entraîné un niveau de confrontation inédit depuis la Guerre froide entre l’Occident et la Russie, cette suspension des travaux du Conseil de l’Arctique s’explique aussi par d’autres enjeux liés à la fonte de la banquise arctique. Cette dernière s’accélère : en été, la couche de glace ne représente plus que 20 % de ce qu’elle était dans les années 1970. Ce dérèglement climatique crée trois sources de compétition interétatique potentielles, menaçant la fragile coopération qui régissait les relations dans le cercle arctique.

Premièrement, la fonte des glaces met au jour de nouvelles sources de matières premières. Ces dernières années, la prospection pétrolière et gazière et les projets d’exploitation minière se sont rapidement multipliés – 599 projets ont déjà vu le jour ou sont en chantier – et la production pétrolière et gazière devrait croître de 20 % dans les cinq prochaines années. Les banques occidentales, dont on estime qu’elles auraient contribué au financement de projets liés au carbone arctique à hauteur de 314 milliards de dollars, ainsi que les grandes compagnies pétrolières, comme la française Total Energies et l’américaine ConocoPhillips, investissent dans la région aux côtés d’entreprises publiques ou soutenues des états, tels la China National Petroleum Company ou le Fonds de la Route de la soie, un fonds souverain chinois. Total Energies s’est par exemple engagée avec la société russe Novatek et des investisseurs soutenus par l’État chinois dans Yamal LNG et Arctic LNG 2, deux sites géants de gaz naturel liquéfié (GNL) qui devraient être mis en service au cours des prochaines années.

Selon le Wall Street Journal, le sous-sol du cercle arctique recèlerait mille milliards de dollars de terres rares.

Par ailleurs, selon le Wall Street Journal, le sous-sol du cercle arctique recèlerait mille milliards de dollars de terres rares. Paradoxalement, l’intensification des efforts de décarbonation rend ces gisements potentiels de plus en plus précieux. On estime ainsi que le Groenland possèderait un quart des réserves mondiales de terres rares, indispensables aux véhicules électriques et aux éoliennes. La transition mondiale en faveur des énergies renouvelables exacerbe en effet la lutte pour découvrir de nouvelles sources de terres rares. Les pays occidentaux sont particulièrement demandeurs de nouvelles sources d’approvisionnement, étant donné que la Chine contrôle actuellement 70 % des gisements connus. Parallèlement, Inuit Ataqatigiit (IA), un parti de gauche indépendantiste, a été élu à la tête du Groenland l’an dernier après avoir fait campagne contre les projets miniers. L’extraction d’uranium a depuis été interdite et le moratoire illimité sur la prospection pétrolière et gazière dans les eaux groenlandaises a été reconduit. Alors que la demande continue à croître, les pressions s’exerçant sur ce gouvernement devraient être de plus en plus fortes dans les années à venir.

De nouvelles routes commerciales

Deuxièmement, la diminution de la banquise arctique a permis d’ouvrir des routes maritimes autrefois impraticables la majeure partie de l’année. D’une part, la route maritime du Nord relie d’Est en Ouest les détroits de Behring et de Kara, longeant sur 4000 kilomètres la côte la plus septentrionale de la Russie. D’autre part, le passage du Nord-Ouest serpente entre le Canada et l’Alaska. Avec la fonte de la banquise arctique, ces étendues océaniques deviennent autant de voies de navigation rentables.

Selon d’anciennes prévisions, les routes arctiques ne devaient pas devenir commercialement viables avant 2040. Mais la fonte des glaces plus rapide que prévu, alliée à la compétition internationale, pousse à les utiliser sans plus attendre. Les volumes de fret empruntant la route maritime du Nord atteignent des records, le trafic ayant été multiplié par 15 au cours de la dernière décennie, l’essentiel du trafic étant composé de méthaniers transportant du GNL, dont la demande ne cesse d’augmenter. Il y a cinq ans à peine, la navigation était pratiquement impossible pendant les mois d’hiver. L’hiver dernier, 20 navires par jour en moyenne ont emprunté cette route. Parallèlement, la première traversée du passage du Nord-Ouest en hiver sans l’aide d’un brise-glace a été réalisée en 2020 par un bateau norvégien, réduisant de 3000 miles nautiques le trajet entre la Corée du Sud et la France.

Malgré le défi climatique, l’appel à faire transiter le transport maritime par le toit du monde est donc de plus en plus fort. Il y a une dizaine d’années, Vladimir Poutine le rappelait déjà : « La route la plus courte entre les plus grands marchés d’Europe et la région Asie-Pacifique passe par l’Arctique. » La route par le toit du monde entre, mettons, l’Asie de l’Est et l’Europe est bien plus courte que la route actuelle par le canal de Suez : environ 3000 miles nautiques et 10 à 15 jours de moins. Un raccourci qui pourrait générer d’énormes économies, estimées entre 60 et 120 milliards de dollars par an rien que pour la Chine.

L’intérêt de la Chine pour ces nouvelles routes commerciales est d’ailleurs manifeste. Actuellement, 80 % des importations de pétrole de l’Empire du milieu transitent par le détroit de Malacca, entre la Malaisie et l’Indonésie, véritable goulet d’étranglement que pourrait bloquer une puissance ennemie. Ses exportations vers l’Europe doivent quant à elles emprunter le canal de Suez, dont le blocage par l’Ever Given l’an dernier a été à la source d’un chaos économique. Les exportations chinoises vers l’Amérique du Nord passent quant à elles par le canal de Panama, qui est un fidèle allié des Etats-Unis.

Outre le commerce maritime, la Chine s’emploie depuis plusieurs années à accroître discrètement sa présence dans l’Arctique en associant investissements directs et diplomatie.

C’est pour surmonter de tels obstacles que la Chine a décidé d’investir massivement dans ce qu’elle appelle les nouvelles routes de la soie, un ensemble gigantesque de nouveaux investissements routiers et ferroviaires qui se déploie à travers l’Asie et en Europe. La perspective d’une nouvelle route maritime, cependant, ne se refuse pas. Les économies sont phénoménales et la Chine s’emploie déjà activement à les promouvoir en fournissant des itinéraires détaillés aux armateurs. En 2018, sa politique arctique évoquait ainsi le développement d’une nouvelle « route polaire de la soie » par le Grand Nord, et décrivait la Chine comme un « État proche de l’Arctique ».

Outre le commerce maritime, la Chine s’emploie depuis plusieurs années à accroître discrètement sa présence dans l’Arctique en associant investissements directs et diplomatie. L’Islande, durement touchée par la crise financière de 2008, s’est ainsi tournée vers la Chine pour obtenir une aide économique, devenant en 2013 le premier État européen à signer avec elle un accord de libre-échange. La Chine finance désormais des recherches dans les universités de Reykjavik et les investisseurs chinois ont entamé des pourparlers pour deux nouveaux ports en eau profonde sur l’île, destinés au transbordement au large des nouvelles voies maritimes arctiques.

Sur le plan diplomatique, la Chine a été admise comme observateur au Conseil de l’Arctique 2013. Elle a également construit de nouveaux brise-glaces et commandé des patrouilleurs « renforcés pour les glaces». Mais cette puissance inquiète de plus en plus. Les intérêts chinois croissants au Groenland ont amené le Danemark à exprimer officiellement son inquiétude, tandis que la Russie – même si elle coopère avec la Chine pour l’exploitation de gisements de gaz arctiques, en particulier la raffinerie de gaz naturel liquéfié Yamal sur la côte sibérienne – s’est fermement opposée à l’utilisation de brise-glaces étrangers le long de la route maritime du Nord (bien que la déclaration conjointe des deux pays en février les engagent à « intensifier la coopération pratique pour le développement durable de l’Arctique »). La Lituanie a elle ajourné les investissements chinois dans le port de Klaipeda, porte d’entrée du passage du Nord-Est, arguant de son appartenance à l’OTAN et d’un prétendu danger pour sa sécurité nationale.

Comme l’a illustré la crise de Suez en 1956 (où la France et le Royaume-Uni tentèrent de bloquer la nationalisation du canal par Nasser, ndlr), le contrôle d’une route commerciale est déterminant dans une économie capitaliste mondialisée. Et, comme pour le canal de Suez, la course à la puissance donne lieu à une présence militaire croissante lourde de menaces.

Branle-bas de combat

La troisième et dernière source de conflit potentielle découle également de la position géographique privilégiée de l’Arctique. La militarisation de l’Arctique, situé à la distance la plus courte possible entre les deux principales masses continentales du globe, est depuis longtemps une réalité. Les postes d’écoute de Skalgard (Norvège) et de Keflavik (Islande), établis pendant la guerre froide pour surveiller les mouvements de la flotte sous-marine soviétique, et par la suite russe, de la mer de Barents, témoignent de l’intérêt stratégique du grand Nord. Avec la montée des tensions entre Washington et Moscou ces dernières années, la région est de plus en plus réinvestie par la Russie et les États-Unis sur le plan militaire.

La Russie a ainsi rouvert 50 postes militaires datant de la guerre froide situés sur son territoire arctique, comprenant 13 bases aériennes et 10 stations radar. Elle a également testé des missiles de croisière hypersoniques et des drones sous-marins à propulsion nucléaire destinés à l’Arctique, conduisant le Pentagone à exprimer officiellement son inquiétude au sujet de sa « voie d’approche » des États-Unis par le Nord. Renforcée au cours de la dernière décennie, la Flotte du Nord russe, composée de sous-marins nucléaires, de cuirassés et d’engins de débarquement, ainsi que de brise-glaces et de bâtiments de soutien, forme depuis 2017 la pièce maîtresse de la stratégie arctique de la Russie.

En face, l’OTAN a achevé le mois dernier son exercice semestriel dans l’Arctique norvégien, avec 30 000 soldats engagés, soit le plus grand contingent depuis la fin de la guerre froide. Début avril, Ben Wallace, le secrétaire d’État à la Défense britannique, a quant à lui promis des troupes supplémentaires pour le Grand Nord lors de sa rencontre avec son homologue norvégien. Dans le cadre de la coopération entre les deux États, des sous-marins nucléaires britanniques ont été accueillis dans un port norvégien pour la première fois. Alors que la Norvège est historiquement attachée au principe de neutralité, son armée a pour la première fois participé à l’exercice semestriel Mjollner dans le Grand Nord en mai, aux côtés des forces armées du Danemark, de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne. Le Canada accroît lui aussi sa présence militaire dans l’Arctique, notamment par l’achat de deux nouveaux brise-glaces et de 88 avions de chasse.

Malgré la tragédie environnementale monumentale que vit l’Arctique, le système capitaliste continue de remodeler la planète pour ses propres besoins.

La volonté de la Finlande et de la Suède d’intégrer l’OTAN s’inscrit dans le contexte d’une intensification de l’activité militaire dans l’Arctique, leur entrée potentielle faisant de la Russie la dernière nation de la région à ne pas appartenir à l’OTAN. Enfin, la nouvelle stratégie de l’armée américaine dans la région, publiée au début de l’année dernière et baptisée « Dominer à nouveau l’Arctique », propose de «redynamiser » des forces terrestres arctiques qui opéreraient aux côtés de forces navales et aériennes élargies.

Ainsi, malgré la tragédie environnementale monumentale que vit l’Arctique (extinction de masse, destruction de communautés indigènes, perte d’une nature sauvage irremplaçable), le système capitaliste continue de remodeler la planète pour ses propres besoins. De l’« unification du monde par la maladie » à la création d’un système alimentaire fondé sur les monocultures, le capitalisme a en effet toujours remodelé l’environnement qu’il exploite, et n’a jamais cessé de s’adapter à ces évolutions pour poursuivre sa soif de croissance intarissable. Le redécoupage en cours de l’Arctique n’est donc qu’une étape supplémentaire dans un processus séculaire de compétition et d’exploitation. Le capitalisme ne détruira pas le monde, mais il le refaçonnera. Dans un tel contexte, la résistance à ce processus, comme celle organisée par les écosocialistes indigènes au pouvoir au Groenland, devient donc un impératif politique de plus en plus fondamental.

Alain Gras : « Je suis pour une électricité à la mesure de ce dont on a besoin »

Envoyé par A. Gras
Alain Gras lors d’une conférence à Valencia, Espagne.

L’électricité est souvent considérée comme une solution miracle face aux changements climatiques. Décrite comme propre et durable, nombre de personnalités la pensent comme une alternative concrète aux énergies fossiles. Nous avons interrogé le chercheur Alain Gras, spécialiste des techniques et fondateur du centre d’études des techniques, des connaissances et des pratiques. Dans son dernier livre La Servitude électrique, du rêve de liberté à la prison numérique qu’il signe avec Gérard Dubey, il nous invite à réfléchir et à penser la relation malsaine qu’entretiennent nos sociétés avec l’électricité et notre rapport à la consommation énergétique.

LVSL – Vous montrez dans votre livre que depuis son invention, l’électricité est perçue comme une énergie propre, presque « magique ». Quelles sont les conséquences de ce discours, qui n’a que très peu évolué depuis plusieurs siècles ?

Alain Gras – La « fée électricité » est un terme inventé lors de l’exposition universelle de 1889. L’idée de magie conférée à cette technique était déjà présente chez les alchimistes du XVIIIe siècle. Le seul courant électrique que l’on connaît est la foudre, apanage des dieux, de Jupiter dans le cas des Romains et de Taranis chez les Gaulois. Tous les premiers dieux de l’espace indo-européen possèdent la foudre comme pouvoir suprême. Ce discours qu’on tient aujourd’hui est lié à cette apparition première de l’électricité. Elle est pensée comme quelque chose qui est hors de la terre, qui n’est pas susceptible d’avoir les difficultés et les défauts de ce qui est terrestre. C’est ce phénomène qui lui confère son aspect magique. L’électricité apparaît comme un élément qui n’a aucun aspect négatif. Pourtant, elle est produite par des éléments terrestres fossiles, le charbon au XIXe siècle, le pétrole, le gaz et l’uranium aujourd’hui. L’électricité n’est donc pas propre en soi, elle a l’apparence de la propreté.

LVSL – Certains politiques, à l’instar de Joe Biden, misent sur les énergies renouvelables pour stimuler une « croissance verte » et vertueuse. Pourtant, ce mode de développement, en apparence durable, est-il à même de nous sortir de l’impasse climatique ?

A. G. – Si je veux vous parler de manière sincère, je dois alors répondre à votre question par la négative. Premièrement car les énergies dites renouvelables sont intermittentes et ne peuvent ainsi assurer un courant continu à nos industries ou à nos ménages. Il nous sera impossible de remplacer l’électricité industrielle par des éoliennes ou du solaire. Ensuite, ces énergies conduisent irrémédiablement aux mêmes problèmes que les carburants thermiques. S’il n’est pas possible d’affirmer que ces dernières sont prédatrices de la même manière que les énergies fossiles, nous pouvons néanmoins penser qu’elles restent destructrices. Les technologies solaires ou éoliennes nécessitent ainsi une extraction d’une multitude de terres et de métaux rares. Ces processus d’extraction sont très énergivores et in fine nocifs pour l’environnement. Par exemple, pour obtenir 1 kilogramme de lutécium, il faut extraire 1200 tonnes de roche. Il est par ailleurs dommage que nous n’abordions que le problème du Peak Oil, ou pic pétrolier, dans l’espace public. Comme l’a montré dans ses ouvrages Philippe Bihouix, nous allons également devoir affronter un Peak All, à savoir le déclin des réserves mondiales de métaux. Cela vaut aussi bien pour le cuivre que pour les terres rares…

LVSL – De même, certains responsables promettent de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre grâce aux nombreuses innovations relatives aux batteries électriques ou à l’hydrogène. Certains pays, à l’instar de l’Allemagne, financent de larges projets afin de développer ces technologies. Ces inventions, souvent destinées à des usages individuels, sont-elles réellement des « révolutions » capables de répondre aux problèmes environnementaux modernes ?

A. G. – Pour moi, l’hydrogène comme la batterie ne peuvent être considérés comme des révolutions. L’hydrogène est un leurre total. Il est fabriqué par électrolyse à l’aide de l’électricité, elle-même étant en général produite par une énergie thermique. L’hydrogène est également comprimé à 700 bars dans de très lourds réservoirs, ce qui exige de l’énergie, pour ensuite redonner de l’électricité au moteur, curieux cycle plus vicieux que vertueux ! Un ensemble de conditions rend cette technologie non rentable mais l’hydrogène sert en réalité à compenser les défauts du renouvelable, à savoir son imprévisibilité et son intermittence. Il remplace la batterie, c’est pourquoi on le range dans la catégorie « piles à combustible ». Contrairement à ce qu’affirment nombre de responsables politiques, son usage pour l’aéronautique est largement incertain. Gérard Théron, membre de l’Académie de l’air et de l’espace, estime qu’avec un trafic aérien égal à celui d’avant la crise sanitaire que nous traversons, l’aviation à hydrogène consommerait entre 30% et 40% de la production électrique mondiale. Malgré tous les doutes que nous pouvons émettre vis-à-vis de l’hydrogène, dont la liste que nous avons dressée ici n’est pas exhaustive, la France suit l’exemple de l’Allemagne et a investi 7 milliards d’euros dans l’hydrogène.

Pour une analyse détaillée de l’utilisation de l’hydrogène dans la transition énergétique, lire sur Le Vent Se Lève la synthèse de Julien Armijo : l’hydrogène : quel rôle dans la transition énergétique ?

LVSL – D’autant plus qu’en donnant à ces technologies un caractère sacro-saint, on oublie bien souvent de réfléchir à des moyens de faire décroître notre production et nos besoins.

A. G. – Totalement ! On nous vend ces technologies en nous promettant que rien ne changera par rapport à aujourd’hui. Ni notre mode de consommation, ni notre façon d’habiter la terre. On nous promet un monde propre et parfait sans que l’on change notre façon d’être. C’est une pure illusion ! Je donne toujours l’exemple du premier usage domestique de l’électricité lorsque Edison a introduit l’éclairage électrique dans le quartier de Manhattan à Pearl Street. Les bourgeois ont vu que leur intérieur n’était plus pollué par le gaz, ce qui était formidable. Pourtant à cinq kilomètres de là, il y avait deux centrales thermiques qui consommaient plusieurs tonnes de charbon par jour et jetaient leurs déchets dans l’Hudson. C’était une simple délocalisation de la pollution et le processus est resté le même. C’est pourquoi ce subterfuge originel joue un rôle éminent dans la promotion de l’électrique et nous avons baptisé « modèle Edison » cette propreté apparente.

LVSL – Les énergies « renouvelables » sont finalement l’apanage de la « société d’externalisation » …

A. G. – Actuellement en Chine, les voitures électriques fonctionnent en partie avec la fumée du pays Ouïghour qui est le plus grand producteur d’électricité du pays. On pollue quelque part et on fait croire que c’est propre ailleurs. Pour la planète, ça ne change rien… Le problème majeur aujourd’hui est celui de la démesure. 

Les États et les GAFAM sont habités par la même « quantophrénie », autrement dit la même fascination pour la quantification du réel.

Je ne suis pas contre l’électricité, au contraire, je suis pour une électricité à la mesure de ce dont on a besoin. Toutefois la question philosophique voire métaphysique, si j’ose dire, qui se pose aujourd’hui est celle de l’abondance du superflu qui conduit à des absurdités. A-t-on besoin d’une électricité verte obtenue par la destruction de nos milieux de vie ? Avons-nous besoin de produire cette énergie pour faire rouler des voitures faussement « propres », alimenter des datacenters [centres de données, ndlr.] ou faire fonctionner des « mines » à bitcoins d’une gourmandise gigantesque, apogée de la futilité marchande et financière totalement hors-sol?

LVSL – Dans votre livre, vous montrez d’ailleurs que « derrière le fonctionnement automatique des machines est un jeu de volonté, consciente ou non, d’effacement du sujet, soit une stratégie « d’évitement du politique », de la conflictualité sociale et des rapports de force qui le définissent ».

A. G. – Ce que vous dites là vaut pour l’ensemble de la technologie moderne qui est une façon de nier les rapports de force. Nous nous projetons dans un avenir qui n’a plus aucun sens mais un seul objectif : le développement technologique pour le compte du marché libéral. On nous donne maintenant le modèle du numérique, issu de l’électricité, comme étant l’avenir de ce monde. Seulement, avons-nous envie d’être des objets numériques ? La technologie n’est pas neutre contrairement à ce que prétendent nombre de cercles bien-pensants. Les algorithmes nous imposent une logique binaire du comportement, une véritable morale qui est celle de l’ingénieur informaticien mais pas celle de l’humain ordinaire. Inutile de chercher bien loin, le distanciel numérique en est un exemple flagrant. Nous avons tous pu faire à cette occasion l’expérience que le monde « en distanciel » n’est plus celui de l’animal social que nous sommes. On nous fait perdre l’intérêt pour le jeu politique qui s’efface petit à petit derrière des contraintes apparemment objectives.

LVSL – Justement, la technologie nous est imposée, et il n’est plus possible de la remettre en cause.

A. G. – Absolument, il n’y a qu’à regarder la 5G. Il y avait un mouvement en Angleterre qui dégradait des antennes mais la crise sanitaire a très vite occulté cette question. On ne discute plus du tout de cette technologie, qui est pourtant un élément éminemment politique.  Nous sommes dans une période de rupture sur tous les plans. On a urgemment besoin d’un débat sur la technologie, de savoir où nous emmène la science. Je défends la technique tant qu’on la maîtrise. La technologie est fournie par la science qui est devenue, à mon sens, totalement anémique sur le plan éthique. Je pense qu’en réfléchissant à notre usage de la technologie comme peut le faire François Ruffin [député français affilié à la France Insoumise, ndlr.], on peut questionner sa rationalité scientifique. La science est perçue comme bonne et souhaitable en soi et le progrès scientifique trop souvent pensé comme un horizon immaculé, sans tâches.

Pour en savoir plus sur le dernier livre de François Ruffin, lire sur LVSL l’entretien réalisé par Arthur Beuvry : François Ruffin : « Emmanuel Macron poursuit une politique au service de sa classe »

LVSL – Comme vous l’analysez dans votre livre, la numérisation de nos activités n’est pas à voir d’un bon œil, tant pour des raisons écologiques que sociales. Les États se posent-t-il en protecteurs face à ce phénomène ou favorisent-ils son déploiement ?

A. G. – Avez-vous déjà entendu un État parler contre le numérique, contre le « progrès » technologique que nous apporte la numérisation du monde ? On n’en connaît aucun qui s’y oppose. Le RGPD – Règlement Général sur la Protection des Données, par exemple peut donner l’impression que les États ont le souci de protéger les libertés fondamentales des individus contre les géants du numériques comme les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Mais entre ces fameux GAFAM, parfois présentés comme de dangereux prédateurs plus puissants que n’importe quel pays, et ces mêmes États, il y a plus qu’une connivence, un lien de parenté. Tout d’abord les États modernes partagent avec les GAFAM le même goût pour la puissance et la démesure. Ensuite leur puissance repose très largement sur leur capacité à compter, dénombrer, recenser tout ce qui existe. La même « quantophrénie », autrement dit la même fascination pour la quantification du réel les habite. À l’échelle moléculaire leur rivalité est donc en partie factice, sur jouée, puisqu’ils ne peuvent en réalité ni exister ni croître les uns sans les autres. Les États modernes ont besoin de la puissance algorithmique et des grands réseaux pour accroître leur contrôle des populations qu’ils administrent. Les GAFAM ont besoin d’eux pour installer et protéger leurs infrastructures vitales. On pense souvent ces dernières comme des entités déterritorialisées, mais elles sont pourtant physiquement implantées sur nos territoires. Nos paysages sont par ailleurs remodelés par des travaux de transformation titanesques engagés à l’occasion de chaque changement de standard technologique, comme le montre la 5G.  Les débats actuels sur le « passeport covid » ou la cybersécurité en apportent chaque jour de nouvelles preuves. Pour ne prendre que ce dernier exemple, les cyber-attaques récentes sur des centres hospitaliers français à Dax et Villefranche-sur-Saône, ont mis le doigt sur les dangers qui existent quant à la numérisation de nos données les plus personnelles. Mais rien n’y fait. En réponse à ces attaques, l’État français annonce le déblocage d’un milliard d’euros pour le financement des recherches en cybersécurité. Il valide et accélère à cette occasion le processus de numérisation de la santé et de l’intimité qui va avec. Les besoins en cybersécurité vont continuer à se faire sentir et vont directement provoquer une consolidation du système numérique qui entrainera à son tour de nouvelles menaces et de nouveaux besoins en protection. La seule manière de sortir ce cercle vicieux électro-numérique passe sans doute par la prise de conscience du caractère mortifère de cette puissance sécuritaire. Nous avons besoin pour ce faire d’opérer un travail sur les couches les plus enfouies de l’imaginaire social. Peut-être a-t-il déjà commencé ?

Pourquoi il faut un moratoire sur la 5G

Une antenne 5G de Vodafone en Allemagne. © Fabian Horst

Alors qu’a lieu l’attribution des fréquences pour le réseau 5G, le déploiement de cette technologie fait de plus en plus débat. Le 12 septembre dernier, 70 élus, pour la plupart étiquetés EELV et France Insoumise, ont appelé à un moratoire et à un débat démocratique sur le sujet. Ils rejoignent ainsi les préconisations de la Convention Citoyenne pour le Climat. Le Président de la République leur a répondu négativement le lendemain, arguant qu’il ne croyait pas au « modèle amish ». Derrière cette polémique, les sources d’inquiétudes autour de cette infrastructure sont en effet nombreuses. Elles nous invitent à questionner les technologies avant de les introduire dans notre quotidien.


« On n’arrête pas le progrès »

Alors que les zones blanches sont encore nombreuses dans notre pays, la dernière génération de réseau mobile, la 5G, devrait bientôt faire partie de notre quotidien. Les enchères auront lieu le 29 septembre 2020. Grâce à l’usage de nouvelles fréquences, les débits seront très fortement améliorés (ils devraient être multipliés par 10) et les temps de latence beaucoup plus faibles. Au-delà d’un confort accru dans nos usages numériques, la 5G est surtout l’infrastructure nécessaire à la poursuite de la numérisation de toute l’économie. De nombreux nouveaux usages sont prévus : automatisation des usines, véhicules autonomes, télémédecine, jeux vidéo en ligne, gestion plus « intelligente » des villes… 

Pour certains dirigeants politiques, ces promesses de développement de nouvelles activités sont une aubaine. En effet, la croissance économique stagne depuis des années. Ainsi, Emmanuel Macron a de nouveau prôné l’urgence du déploiement de ce nouveau réseau le 13 septembre dernier devant un public conquis d’entrepreneurs du numérique. Les défenseurs de la start-up nation estiment en effet impératif de ne pas se laisser distancer. En Chine ou en Corée du Sud, la couverture 5G dans les villes est de fait de plus en plus large. 

Pourtant, cet enthousiasme pour le « progrès » n’est pas partagé par tous. D’abord, la question du risque sanitaire n’est toujours pas résolue. Les différentes études sur le sujet se contredisent. En France, une étude complète de l’ANSES à ce sujet est d’ailleurs très attendue, sauf par le gouvernement et les opérateurs. Ces derniers souhaitent mettre en place le nouveau réseau le plus rapidement possible. Le refus des quatre grands opérateurs français d’attendre cette étude a d’ailleurs conduit à une récente attaque en justice par 500 militants écologistes au nom du principe de précaution. 

Par ailleurs, ce nouveau réseau pose d’importantes questions de souveraineté numérique. Pour l’heure, le leader mondial des équipements 5G n’est autre que le groupe chinois Huawei, dont la proximité avec le Parti Communiste Chinois n’est plus à prouver. Le risque de fuite des données produites par les milliards d’objets connectés à la 5G est donc réel, autant vers Pékin que vers Washington, qui jamais eu de scrupule à espionner ses alliés européens. Les européens sont en train de multiplier les obstacles à la mainmise de Huawei sur le réseau du futur. Ils emboîtent ainsi le pas aux États-Unis qui mènent une guerre tous azimuts contre le géant chinois des télécoms. Mais auprès de qui se fournir ces équipements télécom ? Si les compagnies européennes Nokia et Ericsson en produisent, ils ne sont pour l’instant pas aussi avancés que ceux de Huawei. Cela a conduit le ministre de l’Intérieur allemand, Horst Seehofer, à déclarer que le déploiement de la 5G prendrait un retard de « 5 à 10 ans » sans Huawei. 

La précipitation du Président de la République et des opérateurs mobiles pose donc question. Plutôt que de se précipiter vers des fournisseurs américains, la France (ou l’Europe) ne devrait-elle pas plutôt prendre le temps de développer des technologies souveraines ? Cela mettrait un terme à l’espionnage de masse par les puissances étrangères Si l’on excepte ces questions de souveraineté numérique, la technologie 5G est désormais prête. Mais faut-il pour autant croire aux promesses de la start-up nation ?

Un impact environnemental désastreux

Malgré les promesses d’optimisation de la consommation énergétique de ce nouveau réseau et des appareils connectés, la consommation énergétique globale augmentera très probablement. D’une part, la nécessité de multiplier les antennes pour assurer une bonne couverture contredit le discours des opérateurs et du gouvernement. Surtout, « l’effet rebond » encouragé par l’arrivée de la 5G a toutes les chances de gonfler encore la consommation énergétique exponentielle du numérique. Les voitures autonomes, le e-sport, la télémédecine, la croissance des usages vidéos, la multiplication des objets connectés ou encore l’intelligence artificielle sont en effet autant de nouveaux usages amenés à se développer considérablement avec l’arrivée de la 5G, puis de la 6G. D’après Waymo, la filiale de Google dédiée au développement de véhicules autonomes, la quantité de données produite par un voiture en un jour varie entre 11 et 152 terabytes ! Le stockage et le traitement de telles quantités de données supposent donc une construction massive de datacenters énergivores. Ainsi, selon une étude de l’industrie des semi-conducteurs publiée en 2015, nos usages numériques nécessiteront en 2040 la totalité de l’énergie mondiale produite en 2010 si le rythme de croissance actuel se maintient. Selon cette étude, des gains de performance énergétique d’un facteur 1 000 ne feraient reculer cette échéance que de dix ans.

« L’effet rebond » encouragé par l’arrivée de la 5G a toutes les chances de gonfler encore la consommation énergétique exponentielle du numérique.

Au-delà de la seule consommation d’électricité, l’impératif de renouvellement des terminaux mobiles et la multiplication d’objets connectés s’annonce désastreuse pour l’environnement. Les ventes mondiales de smartphones stagnent autour d’un milliard et demi par an depuis 2016. La 5G apparaît donc comme un argument de poids des fabricants pour relancer les ventes. Or, les progrès technologiques des nouveaux modèles sont devenus de plus en plus superficiels ces dernières années. Il semble qu’il soit temps de concevoir enfin des produits plus durables et plus réparables. Au contraire, ces nouveaux appareils vont copieusement accroître nos besoins en terres rares (souvent extraites dans des conditions désastreuses pour l’environnement et les travailleurs) et les conflits géopolitiques qui y sont liés. Par ailleurs, la quantité de déchets informatiques ainsi créés a toutes les chances d’aggraver les problèmes de pollution dans les pays pauvres où ils sont exportés. Le recyclage des « e-waste » demeure en effet embryonnaire.

Derrière la technologie, des choix de société

Si les enjeux environnementaux liés à la 5G sont de plus en plus pointés, notamment par la Convention Citoyenne pour le Climat, les promesses d’un monde toujours plus connecté sont moins discutées. À l’heure où de plus en plus de jeunes découvrent la réalité déshumanisante de la « continuité pédagogique » à travers les cours en ligne, un grand débat sur la numérisation de la société s’avère nécessaire. D’abord les avancées de la digitalisation amplifient sans cesse les fractures sociales, en particulier lorsqu’elles sont corrélée à la disparition des services publics de proximité. L’ampleur de « l’illectronisme » devrait pourtant nous interroger. Selon l’INSEE, 15% de la population française âgée de 15 ans ou plus n’a pas utilisé Internet au cours de l’année 2019. 38% manque d’au moins une compétence informatique de base.

Un graffiti contre la surveillance de masse à Londres. © KylaBorg

Quant aux innovations permises par la 5G, elles vont bien au-delà des gadgets contemporains que sont les fourchettes ou frigos connectés. La voiture autonome dont rêve Uber afin de pouvoir se passer de main-d’œuvre humaine risque d’encourager des usages irraisonnés. Une étude de 2018 dans la baie de San Francisco dont les participants disposaient d’une voiture à leur disposition sans avoir à la conduire indique un grand nombre de trajets supplémentaires et l’augmentation des distances parcourues, en particulier le soir. Pire, de nombreux trajets se faisaient à vide. Le manque de stationnements dans les grandes villes pourrait encourager les voitures autonomes à errer en attendant leurs passagers. De plus, la prouesse technologique que représente la télémédecine nous fait oublier que nos problèmes de santé viennent surtout d’un environnement pollué et stressant. De même, le renoncement aux soins (pour motifs financiers, géographiques, temporels…) s’aggrave dans notre pays. Développer la télémédecine semble intéressant, mais à quoi bon avec un corps médical déjà surchargé ?

Enfin, la 5G devrait donner un grand coup d’accélérateur à la surveillance de masse. Le cabinet de conseil Gartner estime ainsi que le plus gros marché pour les objets connectés dans les 3 prochaines années sera celui des caméras de surveillance. Grâce à la 5G, ces caméras pourront d’ailleurs se connecter à d’autres appareils de surveillance, comme les détecteurs de mouvement ou les drones. Avec l’amélioration de la qualité des images transmises, la reconnaissance faciale pourrait aisément se généraliser. Ce processus a déjà débuté : la Chine a largement déployé ces outils et les exporte désormais, notamment en Afrique. Pourtant, l’efficacité de ces technologies de la « safe city » n’est jamais débattue. Le sociologue Laurent Mucchielli a publié un livre sur la vidéosurveillance. Il y démontre qu’elle n’a pratiquement aucun impact sur la criminalité et n’aide que rarement à résoudre des affaires. Quant aux invasions de la vie privée et aux usages répressifs de ces technologies, ils ne sont plus à prouver.

Les amish, un modèle ?

Pour toutes ces raisons, le déploiement de la 5G n’a rien d’anodin. Plus que de potentiels risques sur la santé, ce nouveau réseau présente surtout des risques certains pour l’environnement et notre vie privée. Pourtant, tout débat sur ces questions semble interdit au nom du « progrès » que représenterait un meilleur débit. Or, ce progrès à marche forcée semble surtout faire les affaires des grandes entreprises du numérique dont le business model est fondé sur l’exploitation des données. Avec ces montagnes de données, les GAFAM et quelques autres sont en passe d’obtenir un contrôle incroyable sur nos vies. Dans La nouvelle servitude volontaire, Philippe Vion-Dury explique combien les algorithmes des géants du web sont de plus en plus capables « d’anticiper nos désirs, nos comportements et nos vices et de percer l’intimité de nos opinions ou le secret de nos préférences », et, sous couvert de liberté et de plaisir, nous conditionnent à consommer toujours plus. Derrière l’apparente neutralité d’une technologie, il y a souvent un projet politique, ici celui de la Silicon Valley.

Derrière l’apparente neutralité d’une technologie, il y a en effet souvent un projet politique, en l’occurrence celui de la Silicon Valley.

L’opposition historique du mouvement écologiste à certaines technologies, comme le nucléaire (civil ou militaire) et les OGM, nous rappelle d’ailleurs qu’il n’existe guère de neutralité de la technique. Jacques Ellul et Bernard Charbonneau sont deux intellectuels célèbres par leur regard critique sur le progrès technique. Ce dernier sacralise en effet l’efficacité et nous enferme toujours plus étroitement dans le productivisme et le consumérisme. Par ailleurs, questionner le « progrès » n’implique pas nécessairement de le rejeter en bloc comme le font les néo-luddites. Il est possible de reconnaître les bienfaits qu’apporte une technologie tout en étant conscient de ses impacts négatifs, et donc de se battre pour en retrouver le contrôle. Le courant émergent autour des low tech, qui défend des technologies simples, réparables, utiles et abordables, témoigne ainsi d’une volonté de reprendre le contrôle sur les outils techniques qui nous entourent.

Au vu des impacts environnementaux et sociétaux considérables de la 5G, il est donc regrettable de voir que le débat politique sur cette question demeure finalement, et paradoxalement, technocratique. Le principal grief des adversaires de la 5G reste en effet la question du risque sanitaire, qui mérite certes d’être posée, mais est secondaire. Il ne faut pas se contenter d’attendre la sortie du rapport de l’ANSES sur le sujet et de laisser ce débat à des « experts » jamais véritablement indépendants. Un vrai débat démocratique global sur la 5G est nécessaire, comme le réclament les 70 élus de gauche dans leur tribune. Pour Macron et les apôtres du progrès technique, une telle demande est synonyme de retour à la bougie. Cela explique sa petite pique sur les Amish. Mais qui souhaite vraiment imiter cette société fermée et très conservatrice ? Le Danemark nous fournit un exemple plus facilement imitable. Depuis les années 1980, des « conférences de consensus » réunissant des citoyens tirés au sort ou choisis par appel à candidature permettent de questionner les répercussions culturelles, psychologiques et sociales des nouvelles technologies. En France, la réussite de la Convention Citoyenne pour le Climat, bien qu’elle n’ait disposé que d’un temps limité pour traiter de sujets particulièrement complexes, a montré qu’il était possible de rompre avec le monopole des experts et des représentants politiques sur des questions qui nous concernent tous. Les propositions radicales qui en ont émergé (dont un moratoire sur la 5G que le Président de la République s’était engagé à prendre en compte), plébiscitées par près des trois quarts des Français, devraient nous inspirer. À quand un vrai débat de société, suivi d’un référendum, sur la 5G ?

L’espace et la mer, nouveaux horizons de la guerre des métaux rares ? Entretien avec Guillaume Pitron

Guillaume Pitron © Thinkerview

Lithium, cobalt, terres rares… l’importance prise par les métaux rares dans les processus de production n’est plus à démontrer. En janvier 2018 est paru l’ouvrage de Guillaume Pitron La guerre des métaux rares, consacré à l’analyse des conséquences environnementales et géopolitiques de l’extraction et du raffinage de cette ressource. Sont notamment pointés du doigt son coût écologique – à rebours de l’enthousiasme des prophètes d’une transition écologique fondée sur les métaux rares – et son caractère belligène. À lire l’ouvrage de Guillaume Pitron, l’empire des métaux semble analogue à celui du pétrole en bien des aspects. Alors que le second décline, le premier est en pleine expansion : il génère aujourd’hui des conflits sur les cinq continents pour le contrôle des sous-sols, mais aussi des mers et, désormais, de l’espace. Entretien réalisé par Pierre Gilbert, Nathan Dérédec et Vincent Ortiz, retranscrit par Jeanne du Roure.


LVSL – La pandémie de Covid-19 a été l’occasion de l’ouverture d’un débat médiatique – timoré – sur les limites de la mondialisation. Votre livre La guerre des métaux rares met en évidence la destruction de filières d’extraction et de raffinage des métaux rares des pays occidentaux (au profit de la Chine) à l’issue de décennies d’ouverture des frontières économiques, d’une gestion court-termiste et d’un éclatement à l’infini des chaînes de production. Est-on face à une succession d’erreurs conjoncturelles commises par les gouvernements occidentaux ou est-ce tout un paradigme économique qui est en cause ?

Guillaume Pitron – Il ne s’agit pas d’erreurs conjoncturelles mais systémiques. La mondialisation se caractérise par un éclatement des chaînes de production visant à développer des milliers de sous-traitants. Elle consiste dans un transfert, vers les pays qui produisent à moindre coût, de la production de biens de consommation et de haute technologie. C’est la logique de spécialisation des économies, chère à Ricardo : des pays se spécialisent dans certains composants industriels, et leur spécialisation s’ajoute à celle du voisin. Si on additionne des dizaines ou des centaines de spécialisations, il en résulte des produits semi-finis, qui ensuite sont assemblés dans un produit fini.

Ce paradigme a donc conduit les pays occidentaux à délocaliser la production des technologies vertes – mais aussi numériques – notamment vers la Chine. Il ne s’agit pas seulement de la fabrication des éoliennes, des panneaux solaires et des téléphones portables, mais aussi de la production des ressources minières nécessaires à l’avènement de la transition énergétique et numérique. Nous nous retrouvons face à une délocalisation accélérée de la production minière occidentale vers différents pays qui peuvent produire du lithium – je pense en particulier à certains pays d’Amérique latine comme la Bolivie ou le Chili – mais également du cobalt, comme la République démocratique du Congo, ou du chrome, comme le Kazakhstan. La Chine, quant à elle, peut produire toutes sortes de métaux rares nécessaires aux technologies vertes. Elle extrait le minerai mais le transforme également en métal : elle prend en charge l’extraction mais aussi le raffinage, de sorte qu’elle est ensuite en capacité de produire l’ensemble des métaux nécessaires aux technologies vertes.

Le droit de la mer et de l’espace évoluent à la faveur d’une plus grande appropriation par les États. Les Zones économiques exclusives revendiquées par les États autour de leurs territoires immergés s’étendent de manière à ce qu’ils puissent contrôler toujours davantage de mers en vue d’y extraire un jour des métaux rares.

Cette destruction de filières occidentales d’extraction et de raffinage des métaux rares est bien le produit d’une gestion court-termiste, dans la mesure où le seul impératif qui préside aux choix des gouvernements – mais aussi des consommateurs -, c’est de se procurer des produits à moindre coût. La question de la souveraineté de nos approvisionnements, de notre indépendance minérale, du transfert de pollution vers des pays comme la Chine, qui extraient et raffinent les métaux selon des règles environnementales et sociales moins exigeantes qu’en Occident, n’ont pas été posées. Cette vision court-termiste s’oppose à la gestion de long terme de la Chine. Celle-ci, qui accepte le coût environnemental des technologies numériques, se prépare depuis longtemps à une remontée progressive de la chaîne de valeur.

[Lire sur LVSL l’article de Nathan Dérédec : « Comment son quasi-monopole sur les métaux rares permet à la Chine de redessiner la géopolitique internationale »]

LVSL – Votre ouvrage détaille justement la stratégie mise en place par la Chine pour s’assurer une hégémonie globale sur les principales filières de métaux rares. Elle repose sur la capacité du gouvernement à inonder un marché concurrent de productions à bas coût, afin de le pousser à la faillite et de le racheter. L’utilisation accrue de métaux rares par la Chine pour sa propre consommation, dont on peut prévoir qu’elle s’accroîtra considérablement dans les décennies à venir du fait de l’élévation du niveau de vie de la population, ne risque-t-elle pas de restreindre ses capacités d’exportation, et, à terme, de faire vaciller l’hégémonie chinoise en la matière ? 

GP – La Chine va inévitablement voir son niveau de vie s’élever et sa consommation d’électricité et de produits numériques s’accroître. Elle va donc produire dans le même temps une quantité croissante de métaux rares pour répondre à cette demande. La Chine a conscience qu’une partie de plus en plus importante de sa production est destinée à son marché intérieur plutôt qu’aux marchés extérieurs. C’est à partir de cela que l’on peut comprendre sa politique de restriction des exportations de métaux rares vers le reste du monde : la Chine cherche à favoriser les acteurs de son propre marché.

Cela risque-t-il de restreindre les capacités d’exportation de la Chine ? Oui, mais c’est une dynamique qui est déjà à l’œuvre depuis vingt ans. Cela fera-t-il vaciller l’hégémonie chinoise en la matière ? Pas nécessairement. La Chine va continuer à produire ces métaux rares pour elle-même, mais va également vendre une partie de ces technologies finies ; elle ne vend plus seulement le métal, elle vend également la technologie qui est conçue avec ce métal. Elle se voit en grande exploratrice non plus de métaux rares, mais de technologies vertes. Elle va nourrir de ce fait une grande industrie exportatrice de technologies vertes, ce qui va augmenter la puissance de son commerce international et aggraver le déséquilibre de la balance commerciale avec d’autres pays. L’hégémonie chinoise en matière de métaux rares, plutôt que de vaciller, risque donc de se doubler d’une nouvelle hégémonie fondée sur l’exportation de technologies.

Naturellement, la Chine ira chercher à l’étranger d’autres matières premières qu’elle ne peut pas produire sur son propre sol, comme elle le fait aujourd’hui avec le cobalt congolais. L’important pour elle est de ré-importer ces matières premières à un état relativement brut depuis le Congo, pour ensuite transformer ce cobalt en produit semi-fini ou fini et le vendre au reste du monde. Ainsi, l’hégémonie chinoise pourrait même s’étendre vers des pays producteurs des matières premières dont elle détient tout ou partie de la production.

LVSL – L’empire chinois des métaux rares commence à être bien connu, les ambitions du gouvernement américain en la matière le sont peut-être moins. N’assiste-t-on pas à une réaction agressive de l’administration Trump depuis 2016 sur plusieurs théâtres d’opérations ? En République démocratique du Congo, le nouveau gouvernement de Félix Tshisekedi subit des pressions de la part de son homologue américain pour mettre un terme aux concessions faites aux entreprises chinoises dans le domaine des métaux rares ; le Dodd-Frank Act, qui punissait depuis 2010 les entreprises américaines utilisant des minerais de sang congolais dans leur processus de production, a en outre été révoqué. En Bolivie, un coup d’État soutenu par les États-Unis a renversé l’année dernière le président Evo Morales, qui exploitait ses mines de lithium conjointement avec l’État chinois. Les actions de l’entreprise américaine Tesla – spécialisée, entre autres, dans la production de batteries lithium – ont explosé le jour du coup d’État. Ne peut-on pas voir dans ces décisions prises par le gouvernement américain les signaux faibles d’un agenda visant à disloquer l’empire chinois des métaux rares ?

[Lire sur LVSL notre dossier consacré au coup d’État bolivien de novembre 2019]

GP – Il y a bien une velléité américaine de remettre en cause l’hégémonie chinoise sur ces ressources. On le constate à la lecture des rapports qui ont été commandés depuis 2017 par la Maison Blanche sur la situation des minerais critiques américains, qui visent à comprendre les ressorts de la dépendance américaine aux productions et exportations de métaux rares chinois. Tout un courant politique, mené notamment par les sénateurs américains Marco Rubio et Ted Cruz, vise à renforcer l’indépendance minérale des États-Unis. Cela passe par la réouverture de mines américaines, de métaux rares notamment, mais également la relance d’usines de raffinage de métaux rares, et à terme la relance du secteur des aimants de terres rares américains.

On peut comprendre que Donald Trump souhaite remettre en cause l’hégémonie chinoise, puisque les métaux rares sont l’un des talons d’Achille des Américains dans la guerre commerciale qui les oppose à la Chine. Ce talon d’Achille ne peut pas durer indéfiniment : les Chinois menacent régulièrement de cesser les exportations de métaux rares vers les États-Unis. Tout récemment, le Financial Times a annoncé que la Chine cessait ses exploitations de certains métaux rares à destination de l’entreprise de défense américaine Lockheed Martin.

Plutôt que de critiquer Trump à tout va – ce qui est légitime mais relève parfois du politiquement correct – il faut reconnaître les orientations positives qu’il prend. Nous serions bien inspirés, en Europe, de développer une stratégie de souveraineté minérale depuis la mine jusqu’à la production de technologies finies.

LVSL – Votre livre se conclut par un passage en revue des nouveaux communs (en particulier la mer et l’espace), qui risquent de faire l’objet d’une convoitise accrue de la part des États, du fait des métaux rares dont ils recèlent. Dans la droite ligne de Barack Obama, Donald Trump a signé plusieurs décrets visant à imposer le droit à l’appropriation et à la marchandisation de la richesse de l’espace – alors que le droit international considère, en l’état, l’espace comme un bien commun inappropriable. Comment faut-il considérer cet encouragement donné aux orpailleurs spatiaux de la Silicon Valley ? Faut-il y voir un effet d’annonce spectaculaire, ou les prémisses d’une démarche à même de faire vaciller l’empire chinois des métaux rares ?

GP – Qui dit métaux rares dit espace et océans. Vous noterez le paradoxe de la transition énergétique, qui a pour but de limiter l’impact de l’homme sur les écosystèmes alors qu’en réalité elle contribue à l’accroître. Aujourd’hui, on n’extrait quasiment pas de métaux au fond des océans ; une entreprise canadienne, Nautilus, qui en extrait au large de la Papouasie-Nouvelle Guinée, fait exception. Il n’y a pas davantage d’extraction dans l’espace. Mais on observe que le droit en la matière est en train de changer.

Il évolue à la faveur d’une plus grande appropriation par les États. Les Zones économiques exclusives revendiquées par les États autour de leurs territoires immergés s’étendent de manière à ce qu’ils puissent contrôler toujours davantage de mers en vue d’y extraire un jour des métaux rares. La France est bien positionnée puisqu’à ce jour c’est le second territoire maritime au monde derrière les États-Unis.

C’est la même chose pour l’espace. En 2015, Barack Obama a signé un Space Act qui constitue une remise en question de l’espace comme bien commun, en vertu du traité international de 1967. Ce Space Act considère que l’espace appartient à tout le monde mais qu’un orpailleur spatial qui voudrait aller chercher des métaux sur une astéroïde serait propriétaire du produit de son extraction. Cela ne remet pas en cause le fait que l’astéroïde en question n’est pas américain ; cependant, le produit de la mine spatial le sera. C’est une brèche dans le droit international, qui risque de s’accentuer : nous nous dirigeons sans doute vers un système où l’on va remettre en cause le droit de 1967 et ajouter des patch de propriété privée là où l’on trouve des ressources spatiales à extraire.

On ne va cependant pas extraire un seul gramme de métal rare dans un astéroïde avant des dizaines, voire des centaines d’années ; cela ne se produira d’ailleurs peut-être jamais. Il faut donc rester mesuré. Si l’on parvient un jour à en extraire, ce sera quelques centaines de kilos, voire quelques tonnes, mais pas une quantité suffisante pour remettre en cause l’hégémonie chinoise.

On observe dans tous les cas que l’espace devient enjeux de confrontation, entre autres parce que s’y joue une compétition pour l’accaparement des ressources comme les métaux rares, qui peut inciter les acteurs publics et privés à aller revendiquer le produit de leur exploitation. Cela n’ira pas sans tensions.

LVSL – L’expression de « transition numérique » s’est généralisée dans les médias, les discours politiques ou encore les rapports de la Commission européenne. Elle a acquis une connotation similaire à celle de « transition écologique », à laquelle elle est fréquemment accolée. Le dernier accord européen conditionne explicitement le déblocage de fonds de relance par la mise en place de mesures destinées à accélérer la « transition écologique et numérique » (green and digital transitions). Votre livre met pourtant en lumière le coût environnemental considérable des technologies numériques, hautement dépendantes des métaux rares. Comment expliquer que l’on considère pourtant transition écologique et numérique comme les deux faces d’une même pièce ?

GP – L’une ne va pas sans l’autre. La transition écologique, dans son versant énergétique, consiste dans le passage à l’après-pétrole, en substituant aux technologies thermiques les technologies vertes – grâce aux panneaux solaires, aux éoliennes ou aux voitures électriques.

Il ne faut pas prendre la décroissance comme un tout ; il faut chercher à faire décroître les secteurs qui sont les plus polluants et consommateurs de ressources, au profit de secteurs qui en sont plus économes.

Ce n’est pas tout d’avoir des technologies vertes : encore faut-il qu’elles puissent fonctionner de façon optimale. Or, elles fonctionnent de façon alternative : un panneau solaire ne peut fonctionner que s’il y a du soleil, une éolienne que s’il y a du vent. À l’entrée du réseau électrique, il y a une quantité croissante de sources d’électricité qui sont intermittentes et à la sortie, un nombre accru de prises d’électricité pour satisfaire un plus grand nombre de besoins. On utilise aujourd’hui de nombreux écrans dans la vie quotidienne, on aura besoin de recharger notre trottinette électrique, notre vélo électrique, notre voiture électrique, etc. Il y a une diversification des sources d’approvisionnement en électricité de la même façon qu’il y a une diversification des modes de consommation. Cela complexifie donc la gestion du réseau électrique, puisqu’il faut que la bonne dose soit produite à l’entrée du réseau afin qu’elle puisse être consommée à sa sortie au bon moment, en espérant que le moins possible ne soit gaspillé au passage. À cette fin, il faut des outils numériques qui permettent de calculer précisément quelle offre se trouve en face de quelle demande.

Green et digital sont deux énergies qui se complètent. Je vous renvoie aux travaux de Jeremy Rifkin, l’auteur de La Troisième Révolution industrielle. Il y explique que le réseau électrique de demain sera de plus en plus décentralisé ; tout un chacun pourra produire de l’électricité avec la possibilité de se l’échanger. Celle-ci ne sera pas issue d’une centrale nucléaire qui produirait de l’électricité pour des millions de personnes, mais d’une personne lambda qui produira pour elle-même ou pour son voisin. Ces nouveaux réseaux vont nécessiter davantage d’interactions entre consommateurs : il sera nécessaire de passer par des outils digitaux pour pouvoir s’échanger l’électricité. On voit donc que le numérique est absolument indispensable dans leur mise en œuvre.

LVSL – La dépendance de la « transition écologique » aux métaux rares – à laquelle vous consacrez une partie de votre ouvrage – est un objet de controverses. Il semblerait que les panneaux solaires puissent s’en passer, de même que la plupart des éoliennes ; seules les éoliennes offshore à aimants permanents en consomment, et de nouveaux prototypes cherchent à s’en passer. Il semblerait donc que le problème réside davantage dans un manque de volonté politique que dans les énergies alternatives elles-mêmes. Le véritable problème des métaux rares ne concernerait-il pas les industries militaires et numériques, plutôt que la transition écologique ? N’est-ce pas davantage comme matières premières (des industries militaires et numériques) que comme sources d’énergie que nous dépendons des métaux rares ?

GP – Il n’y a pas de transition écologique sans métaux rares. Aujourd’hui, nous avons besoin de toute sorte de matières premières rares pour fabriquer des technologies vertes. Venons-en aux éoliennes. Aujourd’hui, 25 % d’entre elles dans le monde ont besoin de métaux rares et plus précisément de néodyme pour les aimants permanents. Attention à l’étude de l’ADEME parue en 2019 sur les terres rares liées aux éoliennes : elle est en partie trompeuse. Elle ne parle que des terres rares, et que de la France. En France, il n’y a peut-être que 3 % d’éoliennes qui contiennent des terres rares, mais ce chiffre de 3 % ne tient pas en compte du parc éolien mondial. Par ailleurs, c’est très bien de dire qu’il n’y a pas de terres rares dans une batterie, mais cela ne règle pas la question du cobalt, du graphite, du lithium, du nickel… des ressources pourtant contenues dans les accumulateurs.

En ce qui concerne les panneaux solaires, une faible partie a besoin d’indium et de gallium pour fonctionner. J’explique dans mon livre que par métaux rares on entend deux choses : une rareté géologique – les métaux rares sont plus rares que les métaux abondants – et une rareté industrielle – ce sont des métaux qui ne sont pas forcément rares mais dont la production industrielle est excessivement complexe et génère un risque de pénurie. Le silicium métal, qui sert à faire des panneaux solaires, est considéré comme critique par la Commission européenne. Il faut voir la liste de 2017 et qui sera mise à jour cette année : produire du silicium métal pur à 99,99 % est tellement complexe que l’industrie n’est pas forcément assez productive pour répondre à la demande croissante. Cela crée des risques de pénurie de l’approvisionnement. J’englobe les métaux rares et critiques dans la même définition. Pour produire du silicium, il faut notamment le transformer, et pour cela il faut de l’électricité. Cela se passe en Chine qui produit la majorité du silicium dans le monde et 60 à 70 % de l’électricité chinoise vient du charbon. Il est donc très polluant de produire du silicium et des panneaux solaires.

LVSL – Vous proposez de rouvrir des mines en France pour exploiter des métaux rares d’une manière davantage respectueuse de l’environnement que dans les pays du Sud, et diminuer notre dépendance envers ceux-ci. Quid de l’option du recyclage, visant à récupérer les métaux rares jetés par les consommateurs, pour les réintégrer dans des objets de consommation, dans un schéma circulaire ?

GP – Il faut recycler au maximum les métaux rares. Je rappelle qu’une grande partie ne l’est pas : les terres rares ne le sont qu’à 1 %, et le lithium que l’on peut considérer comme rare est recyclé à moins de 1 % également.

Néanmoins, on ne parviendra jamais à recycler 100 % de ces métaux rares-là. Il y aura forcément des pertes. À supposer que l’on y parvienne, cela n’empêcherait pas de retourner à la mine car notre consommation de ces matières premières explose. Pour certaines d’entre elles, c’est un accroissement de leur consommation à deux chiffres par an. Entre le moment où vous extrayez un métal du sol et celui où ce métal va être recyclé, s’écouleront cinq, dix ou vingt ans ; entre-temps, le rythme de croissance annuel de notre consommation de métaux rares aura été de l’ordre de 5, 10 ou 20 %. Vous pouvez être sûrs que dans ce laps de temps, la consommation mondiale aura doublé.

La réouverture de nouvelles mines pour compenser le différentiel sera toujours nécessaire. On ne se passera pas de la mine car la transition énergétique exigera toujours davantage de ressources. C’est à l’aune de cet état de fait qu’il faut comprendre la nécessité de produire du minerai de façon moins polluante. Méfions-nous des discours de certains écologistes sympathiques qui sont hors-sol. 

LVSL – Plus largement, l’horizon que vous proposez est celui d’une adaptation de l’économie française à notre dépendance aux métaux rares (visant à les extraire et les raffiner nous-même, avec des clauses écologiques et sociales dignes de ce nom). Pourquoi ne pas envisager une réduction de notre dépendance, par une politique volontariste de lutte contre la croissance sans fin des industries de consommation ?

GP – La question est légitime. Mais comment peut-on défendre une telle politique en espérant être élu en 2022 ? Personne aujourd’hui n’en a envie. Une sobriété des usages est bien sûr nécessaire : on peut questionner notre usage de l’électricité, du numérique et diminuer cette consommation-là.

Faut-il la décroissance ? Je ne sais pas. Il faut dans tous les cas de la décroissance, ce qui est différent. Il faut que notre consommation, nos achats de téléphones portables neufs baissent dans le monde, que les loueurs de téléphones portables voient leur business se développer dans le même temps que les vendeurs de téléphones portables voient le leur baisser. Si vous louez votre téléphone portable à Orange, l’entreprise aura intérêt à ce que vous le gardiez le plus longtemps possible puisqu’il en tirera un profit mensuel. Il aura moins intérêt à vous vendre un bien technologique. Il faudrait également que l’économie servicielle se développe – ce qui est une forme de croissance, mais qui vise à la décroissance de secteurs plus énergivores.

Il ne faut pas prendre la décroissance comme un tout ; il faut chercher à faire décroître les secteurs qui sont les plus polluants et consommateurs de ressources, au profit de secteurs qui en sont plus économes. Peut-être parviendra-t-on alors à quelque chose de plus responsable et respectueux de l’environnement. Mais encore une fois, ne nous leurrons pas. Personne n’en a envie, surtout pas dans les pays occidentaux, et je ne crois que modérément à la plausibilité d’un tel scénario.

Comment son quasi-monopole sur les métaux rares permet à la Chine de redessiner la géopolitique internationale

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_and_PRC_delegation_at_the_2018_G20_Buenos_Aires_Summit.jpg
© Dan Scavino

Si nul ne sait quelle sera l’issue de la crise sanitaire que le monde traverse actuellement, un constat semble faire consensus : la Chine pourrait bien en sortir renforcée. Tout en louant son succès face à l’épidémie, Pékin veut tirer profit des conséquences économiques et diplomatiques de la crise du Covid-19 pour renforcer son pouvoir à l’échelle internationale. Le déclin de la puissance américaine, couplé à l’escalade des tensions entre un Washington affaibli et un Pékin revigoré, ne fait que conforter la puissance de l’Empire du Milieu. La Chine a-t-elle remporté la bataille géopolitique ? Il semble trop tôt pour le dire. Cependant, le quasi-monopole dont elle dispose sur la production des métaux rares permet d’ores et déjà à la Chine d’influer fermement sur les relations internationales. Du fait de leur importance économique et stratégique, la concentration des métaux rares entre les mains de Pékin lui confère un considérable avantage géopolitique. La Chine est alors à même de redessiner la géopolitique internationale, de manière directe ou indirecte, confortant son ambition de devenir la première puissance mondiale dans un futur proche.


Ressources indispensables à la transition énergétique et numérique, les métaux rares ne sont connus et exploités que depuis peu. Il n’a cependant fallu que quelques dizaines d’années à la Chine pour en conquérir le marché. Aujourd’hui, plus de 90% des métaux rares sont produits par la Chine. Pékin, s’étant vu déléguer par les États occidentaux l’extraction des métaux rares, a alors su profiter de cette délocalisation des entreprises sur son territoire pour en quasi-monopoliser la production, tout en s’accaparant progressivement les projets d’exploitation situés à l’étranger. L’empire chinois des métaux rares est aujourd’hui incontestable [voir ici Métaux rares : l’empire global de la Chine, une publication Le Vent Se Lève]. De ce fait, Pékin en tire un avantage économique certain. Cependant, cet avantage se veut également géopolitique.

2010, L’ANNÉE OÙ TOUT A BASCULÉ

De cet avantage géopolitique, la Chine en a toujours eu conscience ; dès 1992, l’ancien Président chinois Deng Xiaoping affirmait qu’« il y a du pétrole au Moyen Orient, la Chine a des terres rares »[1]. Bien qu’également conscient de cette concentration progressive entre les mains de Pékin, le reste du monde, quant à lui, ne s’en inquiétait pas outre mesure ; du moins jusqu’à la survenance d’un événement en 2010. C’est en effet cette année-là que les États ont véritablement réalisé leur dépendance à la Chine.

Contextualisons cet événement : depuis des décennies, la Chine et le Japon se disputent la souveraineté des îles – japonaises – de Senkaku, du fait de leurs abondantes réserves en hydrocarbures. En septembre 2010, à la suite d’un indicent diplomatique survenu sur l’archipel, la Chine a décrété un embargo informel de deux mois sur les livraisons de terres rares au Japon. Cette mesure, qui a frappé de plein fouet un Japon largement tributaire des terres rares chinoises pour la conception de ses produits high-tech, a également impacté les États importateurs de produits japonais. Les conséquences furent de deux ordres : flambée du prix des terres rares et flambée des réactions internationales. Les États occidentaux se sont empressés de condamner l’embargo chinois, tandis que les importateurs de métaux rares s’affolaient, réalisant la potentielle volatilité des fournitures chinoises.

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Les îles Senkaku, administrées par le Japon, sont également revendiquées par la Chine sous le nom d’îles Diaoyu. En 2010, un incident diplomatique survenu au large de cet archipel a conduit la Chine à fomenter un embargo informel sur ses exportations de terres rares vers le Japon.
© VOA Photo

Si la Chine mettait pour la première fois en place un embargo sur des exportations de métaux rares, utilisant pour alors sa position monopolistique comme une arme diplomatique et politique, Pékin recourait à une politique de quotas sur ses exportations bien avant 2010. En effet, dès le début des années 2000, Pékin a progressivement réduit ses exportations et établi des quotas à la vente, dans le but d’asseoir sa domination commerciale. De l’ordre de 65 000 tonnes en 2005, ses quotas à l’exportation de terres rares n’étaient plus que de 50 000 tonnes en 2009 et 30 000 tonnes en 2010[2]. Plusieurs plaintes contestant ce recours aux quotas ont alors été déposées devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

En 2011, le Japon, l’Union européenne et les États-Unis ont porté plainte contre la Chine en estimant que ses restrictions à l’importation de terres rares étaient contraires aux règles de l’organisation. L’organe de règlement des différends de l’OMC a ainsi épinglé la Chine, qui a renoncé à ces restrictions en 2015. Néanmoins, en mettant en place des quotas, Pékin montre au reste au monde qu’il contrôle les stocks de métaux rares et qu’il peut à tout moment réduire, voire stopper ses exportations, ce qui interromprait rapidement l’approvisionnement mondial. L’équation est simple : Pékin peut faire pression sur ses partenaires en suspendant ses exportations dans l’optique d’obtenir un avantage diplomatique. En d’autres termes, le recours aux quotas constitue un outil déterminant pour la politique étrangère chinoise.

Le recours aux quotas constitue un outil déterminant pour la politique étrangère chinoise.

Si Pékin n’a pas – pour le moment – fomenté d’autre embargo sur ses exportations et si les prix des métaux rares se sont normalisés, les tensions n’ont pas pour autant disparu ; elle se sont même cristallisées. Dans le contexte de la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine depuis le début de mandat de Donald Trump, le Président américain se veut très offensif à l’encontre de Pékin, estimant que les guerres commerciales sont « bonnes et faciles à gagner ». Toutefois, Pékin tient à rappeler à Washington qu’il peut utiliser l’arme du quasi-monopole des métaux rares pour remporter ce conflit, et ce d’un « simple geste »[3].

En mai 2019, les tensions sont montées d’un cran, lorsque l’administration Trump a décrété que les entreprises américaines ne pourraient plus vendre de technologies au groupe chinois Huawei, pour des motifs de sécurité nationale. Google a ainsi annoncé que Huawei ne pourrait plus utiliser son système opérateur Android. Fruit du hasard ou menace à peine voilée, toujours est-il que le Président chinois Xi Jinping visitait, juste après les annonces américaines, un site de production de terres rares situé dans le sud-est du pays ; une visite au cours de laquelle il a réaffirmé l’importance stratégique des terres rares.

L’occasion, donc, de sortir l’arme diplomatique et de rappeler à Donald Trump que les stocks de terres rares des États-Unis – de même que la plupart des autres États – dépendent largement des exportations chinoises et que la Chine peut à tout moment fermer le robinet. S’engouffrant dans la brèche, les médias chinois avaient alors mis en garde les États-Unis en appuyant le quasi-monopole chinois, le Global Times estimant notamment que les déclarations des officiels chinois indiquaient clairement que le pays pourrait utiliser les métaux rares comme une arme. Ces ressources constituent donc un moyen de pression extrêmement efficace. Bien que Pékin n’ait, à ce jour, toujours pas bloqué ses exportations, les tensions sont plus vives que jamais et ne peuvent que s’accroître au vu de l’importance de certains secteurs directement impactés par les pressions chinoises.

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© U.S. Department of State

DES ARMÉES OCCIDENTALES DÉPENDANTES DES APPROVISIONNEMENTS CHINOIS

Il est en effet un domaine sensible dans lequel la position monopolistique de Pékin lui confère une considérable supériorité : le domaine militaire. Les métaux rares sont indispensables à la fabrication d’armes telles que les drones, les chars, les avions radar ou les mines antipersonnel. De plus, l’extension du champ de bataille dans le domaine numérique et électronique ne fait que renforcer les besoins en métaux rares, même si ceux-ci restent pour le moment très limités.

Néanmoins, les innovations militaires appellent à terme à une utilisation plus massive de ces ressources, tandis que le risque d’une rupture des approvisionnements chinois pourrait impacter les capacités militaires des États. Ainsi, même si cette dépendance reste marginale, les armées occidentales de même que l’OTAN voient leurs capacités quelques peu assujetties à Pékin. Bien que Donald Trump semble vouloir se poser en rempart face à l’hégémonie chinoise, les États-Unis n’échappent pas à la règle et, pour Pini Althaus, directeur général de la société USA Rare Earth, « du point de la sécurité nationale, il n’est tout simplement pas prudent que l’armée américaine dépende de la Chine en ce qui concerne ses chasseurs et ses missiles de croisière Tomahawk »[4].

Pékin exerce notamment un monopole sur la production des aimants à bases de terres rares nécessaires aux technologies militaires de pointe, comme les missiles intelligents et les avions de combat dernière génération, dont les chasseurs américains F-35. Ironie de la situation : la fabrication de ces aimants fut un temps assurée par des industriels américains, notamment la société Magnequench spécialisée dans ce domaine. Conscient de l’aubaine militaire et stratégique que représenterait l’obtention de la production de l’entreprise et de ses secrets sur les technologies balistiques américaines, Pékin s’est démené pour acquérir Magnequench. Ayant réussi avec brio à acheter la société dans les années 1990, sans rencontrer aucune objection de la part de l’administration Clinton, la Chine l’a ensuite délocalisée sur son territoire au début des années 2000. Sans véritablement le réaliser, la défense américaine a, ce jour-là, perdu de sa superbe.

En effet, il a suffi que « cette usine quitte le territoire américain pour que la première puissance militaire mondiale se retrouve subordonnée à Pékin pour la fourniture de certains des composants les plus stratégiques de ses technologies de guerre »[5]. Le coup de poker de l’Empire du Milieu ne s’arrête pas là ; si, des frasques de Bill Clinton, l’opinion publique ne semble se souvenir que du « Monicagate », il est un autre scandale d’autant plus dangereux pour les États-Unis qui a émaillé le mandat de l’ancien Président démocrate : le « Chinagate ». Dans les années 1990, les États-Unis ont sciemment révélé des secrets relatifs à leurs technologies militaires dépendantes des terres rares à la Chine. L’administration Clinton aurait ainsi partagé ces informations stratégiques avec Pékin en échange du financement de la campagne électorale démocrate de 1996 au cours de laquelle Bill Clinton était candidat à sa réélection.

L’achat de Magnequench, couplé aux révélations du « Chinagate », a pu permettre à Pékin de mettre la main sur des renseignements américains stratégiques, mais lui a surtout permis de conforter son monopole sur la production d’aimants à base de terres rares tout en acquérant les technologies nécessaires à l’amélioration de son arsenal militaire. D’ores et déjà fortifié par son utilisation des métaux rares, l’arsenal militaire chinois fut grandement perfectionné par ces technologies nouvellement acquises. L’opération fut un succès et l’avantage militaire et géopolitique de l’Empire du Milieu en fut consolidé.

LA MER DE CHINE AU CŒUR DES TENSIONS

Pékin peut notamment mettre cet avantage à l’œuvre en mer de Chine. Stratégique de par ses nombreuses ressources en hydrocarbures et au cœur des flux commerciaux, la mer de Chine est au centre des tensions internationales. L’on ne compte plus les innombrables contentieux territoriaux et maritimes opposant les États de la région à ce sujet. Revendiquant la quasi-totalité de la mer de Chine, Pékin y déploie ses forces et les incidents diplomatiques s’y multiplient, suscitant l’inquiétude des États littoraux.

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Les revendications maritimes en mer de Chine méridionale. Pékin en revendique la quasi-totalité.
© Voice of America

Cette présence accrue de la Chine dans la région n’est pas non plus sans inquiéter les États-Unis qui, inquiets de l’expansion chinoise et désireux de conserver une influence dans la zone, y massent également leurs troupes. Pékin profite d’ailleurs de la crise du Covid-19 pour renforcer sa présence dans la région, à une heure où la communauté internationale focalise toute son attention sur la lutte contre l’épidémie, ce qui n’est pas sans susciter l’ire de Washington. Bien que les États-Unis soient frappés de plein fouet par la pandémie, le Pentagone tient néanmoins à rappeler au monde – et en particulier à la Chine – que ses capacités militaires n’en sont en rien affaiblies. Cette recrudescence des tensions dans la région, couplée à la détérioration des relations bilatérales qu’entretiennent Pékin et Washington, font plus que jamais de la mer de Chine une véritable poudrière et le terrain privilégié du déclenchement d’un conflit sino-américain.

Les nouvelles technologies militaires de Pékin sont donc à même de bouleverser les rapports de force dans la région.

Néanmoins, l’issue d’un tel conflit serait plus qu’incertaine et Washington le sait pertinemment. Sophistiquée par les métaux rares, l’armée chinoise pourrait être à même de repousser toute intrusion américaine un peu trop ambitieuse en mer de Chine, tandis que ses missiles Dongfeng-26 sont en principe désormais capables d’atteindre l’île de Guam[6], base arrière des opérations navales américaines dans le Pacifique. Les nouvelles technologies militaires de Pékin sont donc à même de bouleverser les rapports de force dans la région. Déjà fragilisés par leur dépendance aux exportations chinoises de métaux rares, les États-Unis sont d’autant plus affaiblis par l’avantage militaire dont bénéficie Pékin en mer de Chine. Washington pourrait alors reculer ses troupes dans la région et laisser le champ libre aux manœuvres expansionnistes de l’Empire du Milieu.

Aussi, pour Guillaume Pitron, « il y a donc un lien direct entre la production monopolistique de la Chine en métaux rares, et le rapport de force entre les deux pays dans cette zone »[7]. Un tel repli renforcerait indubitablement les ambitions de la Chine qui, non contente de s’approprier les archipels de la région, pourrait également tourner son regard vers Taïwan, toujours considéré comme partie intégrante de son territoire. Un tel scénario ne se veut qu’alarmiste et fictionnel. Néanmoins, l’exacerbation du nationalisme chinois, la recrudescence des tensions entre Taipei et Pékin et les déclarations de Xi Jinping n’excluant pas de reprendre l’île par la force, couplées à la prééminence militaire chinoise et à un hypothétique retrait américain en mer de Chine, n’éluderaient pas totalement cette éventualité.

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Des navires de guerre américains évoluant en mer de Chine.
© U.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 1st Class David Mercil

L’empire des métaux rares chinois pourrait alors être à même de redessiner la géopolitique internationale, sans que cela ne se limite à la mer de Chine. Le quasi-monopole sur les métaux rares constitue désormais une arme incontestable, permettant à Pékin d’avancer ses pions en Afrique, en Amérique latine ou au Moyen-Orient, à grands renforts de campagnes diplomatiques et commerciales, tout en cherchant à mettre la main sur les productions de métaux rares dans l’optique de conforter sa mainmise à l’échelle internationale. Son influence grandissante auprès des autres États passe notamment par son colossal projet de Nouvelle Route de la Soie, lequel lui permettrait de « créer un vaste réseau d’infrastructures capable d’innerver un empire commercial s’étendant sur tous les continents et soutenu par une puissance militaire sinon incontestée, en tout cas suffisante pour dissuader le peer competitor américain »[8].

DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS ET INTENSIFICATION DES TENSIONS A L’ÉCHELLE INTERNATIONALE

Par effet domino, l’empire chinois des métaux rares a aussi des conséquences non négligeables sur les manœuvres géopolitiques de la communauté internationale. Dans l’optique de contrer le quasi-monopole chinois, les États passent à l’offensive, dans une compétition accrue pour la mainmise sur les ressources. L’embargo chinois de 2010 a en effet poussé les différents acteurs de la scène internationale à vouloir s’émanciper de la tutelle chinoise en matière d’approvisionnement en métaux rares. Dans cette course aux ressources, de nouveaux marchés apparaissent et des alliances voient également le jour, plaçant les métaux rares au cœur d’un véritable « mikado diplomatique – c’est-à-dire la multiplication des accords bilatéraux afin de sécuriser les approvisionnements en métaux rares »[9].

Prenons l’exemple du Japon, frappé de plein fouet par l’embargo de 2010. Suite à cet événement, Tokyo, usant de sa force diplomatique, s’est tourné vers des États riches en métaux rares mais dénués d’infrastructures à même de les exploiter, tels le Kazakhstan, la Mongolie ou l’Inde[10]. En 2014, le premier ministre japonais Shinzo Abe et son homologue indien Narendra Modi ont ainsi signé un accord de production conjointe de terres rares, lequel permet au Japon d’importer ces ressources d’Inde afin de s’affranchir de sa dépendance aux exportations chinoises. En 2017, 30% des importations japonaises de terres rares provenaient ainsi d’États asiatiques autres que la Chine[11]. Le pays du Soleil levant semble vouloir tirer les leçons de l’embargo chinois.

L’attrait des métaux rares permet de transcender les différends diplomatiques.

En outre, l’attrait des métaux rares permet de transcender les différends diplomatiques. En dépit des relations politiques toujours belliqueuses entre les deux Corées, les pharamineux gisements de terres rares nord-coréennes intéressent particulièrement Séoul, dont le taux d’autosuffisance en métaux rares ne dépasse pas les 1%. Les investisseurs sud-coréens cherchent alors à exploiter les métaux rares de leurs voisins du Nord et des discussions en matière d’exploitation commune ont d’ores et déjà vu le jour. Le récent rapprochement entre les deux États pourrait renforcer ce projet.

En outre, le soutien sans faille des États-Unis aux sanctions onusiennes interdisant à la Corée du Nord de vendre ses terres rares pourrait également se voir être motivé par la volonté de Washington de contrer la stratégie chinoise de monopolisation des métaux rares. En effet, sitôt les sanctions levées, Pékin pourrait mettre la main sur les terres rares nord-coréennes avec la bénédiction de Pyongyang, moyennant le financement de l’énergie solaire du pays. Et cela, les États-Unis ne le souhaitent pas, de même qu’ils voient d’un mauvais œil l’influence grandissante de la Chine sur le continent africain, où Pékin étend sa mainmise globale sur les métaux rares.

Si les deux puissances se disputaient d’ores et déjà les hydrocarbures africains[12], elles pourraient également entrer en compétition pour les métaux rares du continent. Riche en métaux rares, l’Afrique fait l’objet d’une offensive de charme chinoise visant à contrôler ces ressources à l’échelle du continent. Néanmoins, les gisements africains attirent également l’attention de Washington et des autres États soucieux de s’affranchir de l’emprise chinoise. L’Afrique fait en effet figure d’alternative « non négligeable pour les géants de la technologie américains et de l’Occident »[13].

En 2017, Gakara, la première mine de terres rares du continent africain, a vu le jour au Burundi, sous la direction de la société britannique Rainbow Rare Earth qui « ambitionne de devenir un fournisseur stratégique clé pour le marché mondial de terres rares »[14]. Désormais, de multiples entreprises étrangères, majoritairement occidentales – et bien souvent courtisées par Washington –  tentent de s’implanter en Afrique pour s’accaparer les nombreux métaux du continent. Le canadien Mkango Resources et l’australien Globe Metals & Mining et Lynas Corporation au Malawi, le canadien Namibia Critical Metals en Namibie, l’australien Peak Resources en Tanzanie… La liste ne saurait être exhaustive et peut même être étendue à l’Amérique latine.

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Le désert de sel d’Uyuni, en Bolivie, est riche en lithium.
© Dan Lundberg

Le continent sud-américain est en effet riche en métaux rares et pourrait bien en posséder près de 40% des réserves mondiales[15]. En dépit de cette abondance, les ressources d’Amérique latine restent sous-exploitées. Pourtant, les exemples attestant de la richesse du continent sont légion. La Colombie foisonne de coltan, le sol brésilien abonde de niobium, tandis que l’Argentine, le Chili et la Bolivie regorgent de lithium.

Si l’Amérique latine a progressivement pris conscience des richesses de ses sols, l’Empire du Milieu l’a également remarqué. Les entreprises chinoises produisent d’ores et déjà des métaux rares dans certains pays du continent. Le monde occidental n’est cependant pas en reste et compte bien profiter de ce nouvel eldorado ; dans les années 2010, l’Union européenne a progressivement passé des accords avec le Chili, l’Argentine, l’Uruguay ou encore le Mexique en vue d’exploiter leurs métaux rares, notamment le précieux lithium. Véritablement crucial, ce métal devrait voir son utilisation augmenter de plus de 50% sur la période allant de 2014 à 2025.

Principal détenteur de lithium à l’échelle internationale, la Bolivie « socialiste » d’Evo Morales avait fait le pari de l’indépendance en proposant une extraction, une industrialisation et une exportation purement nationales, au grand dam des sociétés multinationales. Face aux difficultés rencontrées et désireuse d’élargir ses horizons, la Bolivie s’était résolue à former des partenariats avec des entreprises étrangères, à condition que celles-ci acceptent, entre autres conditions, la participation majoritaire de l’État bolivien aux projets à hauteur de 51%. Le pays a alors attiré l’attention de la communauté internationale ; en 2015, pas moins de 86 délégations en provenance de 15 États avaient déjà visité les usines de lithium du pays[16], dont le français Bolloré. Une fois de plus, la Chine a su tirer son épingle du jeu ; début 2019, le consortium chinois Xinjiang TBEA Group a conclu un partenariat à hauteur de 2,3 milliards de dollars avec le gouvernement bolivien en vue d’exploiter conjointement les réserves de lithium du pays. Néanmoins, le coup d’état d’octobre 2019 – fomenté avec la bénédiction certaine des États-Unis – ayant déposé Evo Morales est venu rebattre les cartes.

Les multinationales occidentales se frottent les mains et Washington savoure cette aubaine. Pour Evo Morales, interrogé par l’Agence France Presse, aucun doute possible : « c’est un coup d’État pour le lithium ». Si cette allégation paraît fallacieuse, peut-on lui donner complètement tort, lorsque l’on sait à quel point cette ressource est désormais vitale ? Interrogé par Le Vent Se Lève, Luis Arce Catacora, ancien ministre des finances sous Morales et candidat à l’élection présidentielle de 2020 – laquelle a été reportée sine die en raison de l’épidémie de Covid-19 –, affirme que le nouveau gouvernement bolivien dirigé par une Jeanine Áñez néolibérale et ouvertement pro-américaine se préparerait à privatiser les ressources de lithium du pays et négocierait leur exploitation avec des entreprises américaines. La question du lithium occupe donc une place centrale dans les conséquences du coup d’état et Washington compte bien en profiter pour s’en emparer.

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© Thierry Ehrmann

Désormais, plus un État en développement est riche en métaux rares, plus il éveillera l’intérêt des pays développés qui tenteront de le courtiser ou d’y interférer diplomatiquement, voire militairement. Aussi, pour le professeur Patrice Gourdin, « le fait que le Kosovo dispose d’importants gisements de métaux rares utilisés dans la fabrication des armes, comme le tungstène et le zircon, n’aurait pas été totalement étranger au soutien massif apporté aux populations albanaises de cette région par les États-Unis et leurs alliés européens de l’OTAN en 1999 »[17]. Une fois encore, géopolitique et métaux rares semblent indissociables.

La course aux métaux rares place également les États en développement en position de force, tant ceux-ci sont désormais à même d’imposer leurs conditions d’exploitations et d’exportations aux pays développés. Ces derniers se trouvent donc à la merci d’États leur étant initialement subordonnés et l’accroissement des nationalismes miniers ne va faire qu’accentuer ces nouvelles subalternisations. Les rôles de la géopolitique internationale sont redistribués.

LA NOUVELLE STRATÉGIE DE PÉKIN

Ce développement des productions de métaux rares à l’échelle internationale est-il à même de fragiliser l’empire chinois ? Va-t-on passer d’une situation de monopolisation du marché à une multiplication des productions ? Pour Guillaume Pitron, la Chine a tout prévu et Pékin entend « partager le fardeau des mines tout en conservant son hégémonie sur le marché des minerais stratégiques »[18]. Comment Pékin compte-t-il s’y prendre ? Pour les spécialistes, Pékin utilise sa situation monopolistique pour manipuler les cours à la baisse comme bon lui semble, fragilisant les autres producteurs. Interrogé par Guillaume Pitron, le stratégiste Christopher Ecclestone estime que « la stratégie chinoise n’est pas de faire mourir tous ces projets, mais de la faire stagner. Pékin attend, puis fera main basse sur tous ces gisements pour trois fois rien »[19].

Il semble que la Chine ait encore un coup d’avance. Outre sa domination du marché des métaux rares, l’Empire du Milieu cherche également à dominer la troisième révolution industrielle basée sur les technologies vertes et numériques, telle que décrite par Jérémy Rifkin dans son New Deal vert mondial[20]. Se référant à Wang Yang, vice-Premier ministre chinois, Jérémy Rifkin affirme qu’ « au cours de mes deux premiers déplacements, le vice-Premier ministre m’a assuré de la détermination de son gouvernement de faire de la Chine un des leaders de la Troisième révolution industrielle »[21]. L’appétit chinois peut sembler sans limites.

LES LIMITES DE LA STRATÉGIE CHINOISE

Sans limites, vraiment ? Il n’en est rien. D’aucuns seraient tentés de croire la situation irréversible ; la Chine aurait d’ores et déjà remporté la « guerre des métaux rares » présentée par Guillaume Pitron dans son ouvrage éponyme. Relativisons néanmoins la prédominance chinoise. En dépit de son indéniable monopolisation des métaux rares, la stratégie menée par Pékin rencontre des limites, tout d’abord sur le plan national. Guidée par des motivations économiques – puis stratégiques –, la Chine a sacrifié son environnement pour produire des métaux rares jusqu’à en contrôler le marché. Les répercussions environnementales découlant de l’exploitation des métaux rares sont véritablement désastreuses, tandis que son impact sur la santé humaine n’est pas négligeable. La situation écologique est catastrophique : ayant longtemps joué la carte de l’indifférence, la Chine s’en inquiète désormais. La protection de l’environnement constitue dorénavant un enjeu crucial pour la société civile chinoise qui accentue la pression sur les autorités de Pékin.

Parallèlement à cette prise de conscience écologique, les besoins en métaux rares de la population chinoise s’accentuent. Ainsi, l’on observe une utilisation grandissante de la production de métaux rares chinois pour satisfaire sa propre consommation. Principal producteur de métaux rares, la Chine en est aussi le principal consommateur. En conséquence, la Chine réduit ses exportations de métaux rares à l’international ; si cette réduction peut menacer l’approvisionnement en métaux rares des autres États, cela peut également favoriser l’apparition des marchés concurrents à même de mettre en péril le quasi-monopole chinois. Par ailleurs, si la menace chinoise visant à stopper les exportations constitue une véritable épée de Damoclès pour les États, l’arme est à double tranchant. En effet, en mettant ses menaces à exécution, la Chine ne ferait là aussi que favoriser le développement de productions alternatives.

MAKE OUR MINES GREAT AGAIN ?

De nombreuses solutions alternatives s’offrent aux États désireux de s’émanciper de l’emprise chinoise. Si les États en développement, conscients du potentiel économique et stratégique de leurs réserves de métaux rares, cherchent à exploiter leurs ressources, les États développés prônent de plus en plus la relocalisation de leurs productions. De nombreux projets de recherche visant à découvrir et à exploiter des métaux rares localement ont vu le jour ces dernières années. Ce nationalisme minier est notamment prêché par Washington, premier adversaire de Pékin, qui développe des projets miniers sur le sol américain.

L’administration Trump en a fait une priorité stratégique. De 1965 à 1985, la mine californienne de Mountain Pass produisait la majeure partie des terres rares du monde. Incapable de résister à l’appétit chinois, ce site a été mis à l’arrêt en 2002 ; il a toutefois rouvert ses portes en janvier 2019, aidé par le Pentagone comptant assurer la production locale de terres rares. D’autres projets visant à rendre les États-Unis autosuffisants ont également vu le jour. Au Texas, par exemple, la montagne de Round Top regorge de métaux rares, dont du lithium. Spécifiquement créée pour mener à bien le projet d’extraction des métaux de Round Top, la société USA Rare Earth estime que les ressources présentes dans cette montagne pourraient permettre d’approvisionner les États-Unis en métaux rares pendant 130 ans[22]. La construction de la mine pourrait commencer en 2021, la production en 2023.

D’un point de vue souverain, stratégique et même écologique, il conviendrait de rouvrir nos mines et d’assurer une production nationale.

Quid de la France ? Paris a-t-il un avenir minier ? Loin d’être autosuffisante, la France dépend grandement de ses importations de métaux rares chinois, alors même que le groupe Rhône-Poulenc basé en Charente-Maritime produisait encore, dans les années 1980, plus de 50% des terres rares de la planète[23]. Dès 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, prônait la réouverture des mines françaises. Un rapport conjoint de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies de 2018, évaluant les besoins français en métaux rares, estime que la France a un avenir minier possible[24]. Selon ce rapport, « la Nouvelle-Calédonie fournit déjà du nickel, du chrome et du cobalt » tandis que « la Guyane présente un potentiel pour différents métaux : niobium, tantale, tungstène, étain, lithium, cobalt et or »[25].

L’Hexagone présente également un certain potentiel, notamment dans le Massif armoricain et le Massif central. Alors, faut-il rouvrir les mines ? Le nationalisme minier peut-il nous permettre d’arracher notre indépendance aux exportations chinoises ? L’Outre-Mer constitue-t-elle le salut de la production française de métaux rares ? D’un point de vue souverain, stratégique et même écologique, il conviendrait de rouvrir nos mines et d’assurer une production nationale. Les États pourraient également se tourner vers le recyclage des métaux rares, ce qui limiterait drastiquement leurs besoins et atténuerait l’impact environnemental causé par leur production. Néanmoins, le recyclage n’apparaît pas rentable ; ainsi, aujourd’hui, seul 1% des métaux rares est recyclé.

Si la puissance chinoise n’est pas illimitée, toutes les cartes se trouvent pour le moment entre les mains de l’Empire du Milieu.

De telles alternatives pourraient permettre aux Etats dépendants des exportations chinoises de s’en détacher. Bien qu’extrêmement puissante, la Chine n’en reste pas moins un colosse aux pieds d’argile dont les Etats pourraient se défaire. Dans cette nouvelle guerre pour les ressources, les Etats et les entreprises doivent cependant composer avec un ennemi beaucoup plus redoutable que la Chine : leur propre appât du gain. La logique néolibérale tend à favoriser la délocalisation des productions nationales pour des motifs économiques, quand bien même ces productions seraient d’ordre stratégique. Conscients de leurs erreurs passées, les Etats occidentaux – et, plus largement, l’ensemble de la communauté internationale – ont désormais pleinement conscience de l’avantage dont dispose la Chine et de la nécessité d’y remédier.

Cela reviendrait cependant à saper les fondements mêmes du modèle néolibéral ; les Etats sont-ils prêts à franchir le pas ? En effet, « les terres rares ont beau être l’une des clés de la résilience du capitalisme, leur exploitation nécessiterait d’en défier la logique. Mais serons-nous capables d’apprendre de nos erreurs ? »[26] Rien n’est moins sûr. Si la puissance chinoise n’est pas illimitée, toutes les cartes se trouvent pour le moment entre les mains de l’Empire du Milieu. Cependant, quand bien même un sursaut collectif pourrait venir ébranler l’avantage géopolitique dont dispose la Chine, le constat suivant s’imposerait quand même : le 21ème siècle sera chinois.

 

[1] CHANG Norbert, « Countering China’s Grip on Rare Earth Commodities », in Future Directions International, 7 novembre 2019. Disponible au lien suivant : http://www.futuredirections.org.au/publication/countering-chinas-grip-on-rare-earth-commodities/

[2] SEAMAN John, « Rare Earth and Clean Energy : Analyzing China’s Upper Hand », Institut français des relations internationales (IFRI), septembre 2010. Disponible au lien suivant : https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/42/052/42052647.pdf

[3] SPROSS Jeff, « How China can win a trade war in 1 move », in The Week, 6 avril 2018. Disponible au lien suivant : https://theweek.com/articles/765276/how-china-win-trade-war-1-move

[4] VINOSKI Jim, « The U.S. Needs China For Rare Earth Minerals? Not For Long, Thanks To This Mountain », in Forbes, 7 avril 2020. Disponible au lien suivant : https://www.forbes.com/sites/jimvinoski/2020/04/07/the-us-needs-china-for-rare-earth-minerals-not-for-long-thanks-to-this-mountain/#14c0f1dc28b9

[5] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 10 janvier 2018.

[6] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[7] « L’empire des métaux rares », in Le Grand Continent, 13 janvier 2018. Disponible au lien suivant : https://legrandcontinent.eu/fr/2018/01/13/lempire-des-metaux-rares/

[8] GALACTEROS Caroline, « La Chine et la Nouvelle Route de la Soie : vers le plus grand empire de l’Histoire ? », Vers un nouveau Yalta, recueil de chroniques géopolitiques 2014-2019, Editions SIGEST, 6 septembre 2019.

[9] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[10] VESAKI Kristin, « China’s Control of Rare Earths Metal », entretien de The Pacific Energy SummitThe National Bureau of Asian Research, 13 août 2019. Disponible au lien suivant :   https://www.nbr.org/publication/chinas-control-of-rare-earth-metals/

[11] Idem.

[12] LAGARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », in Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005. Disponible au lien suivant : https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/900

[13] KANSOUN Louis-Nino, « Terres rares : l’Afrique peut devenir la principale alternative à la domination chinoise », in Ecofin, 31 mai 2019. Disponible au lien suivant : https://www.agenceecofin.com/la-une-de-lhebdo/3105-66613-terres-rares-l-afrique-peut-devenir-la-principale-alternative-a-la-domination-chinoise

[14] Idem.

[15] KLINGER Julie, « Latin America’s New Mining Frontiers », in Diálogo Chino, 8 février 2018. Disponible au lien suivant :  https://dialogochino.net/en/extractive-industries/10584-latin-americas-new-mining-frontiers/

[16] SAGARNAGA Rafael, « Bolivia’s lithium boom : dream or nightmare ? », in  Diálogo Chino, 15 septembre 2015. Disponible au lien suivant : https://dialogochino.net/en/extractive-industries/3459-bolivias-lithium-boom-dream-or-nightmare/

[17] GOURDIN Patrice, Manuel de géopolitique, Broché, 4 septembre 2019. Extrait en question disponible au lien suivant : https://www.diploweb.com/6-Les-ressources-naturelles.html

[18] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[19] Idem.

[20] RIFKIN Jérémy, Le New Deal vert mondial, Les Liens Qui Libèrent, 16 octobre 2019.

[21] Idem.

[22] VINOSKI Jim, op. cit.

[23] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[24] « Stratégie d’utilisation des ressources du sous-sol pour la transition énergétique française. Les métaux rares », Rapport commun de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies, mai 2018. Disponible au lien suivant : https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rc_transition_energie_0718.pdf

[25] Idem.

[26] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

Métaux rares : l’empire global de la Chine

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Le président chinois Xi Jinping © 美国之音

De l’âge de l’or noir, entrons-nous dans celui des métaux rares, fers de lance de la transition numérique et énergétique ? L’essor du recours aux technologies numériques, ou dans une moindre mesure aux énergies renouvelables, repose sur ces métaux devenus essentiels ; ils suscitent un intérêt croissant pour la plupart des acteurs de la scène internationale. Néanmoins, dans cette nouvelle course aux ressources, un seul État semble tirer son épingle du jeu : la Chine. A l’échelle globale, l’essentiel de ces ressources est possédé par Pékin qui dispose donc d’un quasi-monopole de production et de distribution sur le marché des métaux rares. Comment la Chine a-t-elle obtenu cette mainmise sur ces métaux ? Loin de n’être qu’un hasard, cette concentration de la production des métaux rares entre les mains de la Chine est le résultat d’une stratégie minutieuse qui est orchestrée par Pékin depuis des années.


De l’importance des métaux rares

Fer, argent, gaz, cuivre… Autant de ressources naturelles nécessaires à l’alimentation des activités économiques de l’être humain. Successivement, des ressources telles que le charbon et le pétrole ont marqué la première et la deuxième révolutions industrielles. S’il est peut-être abusif de parler d’une « troisième révolution industrielle »[1] due à l’importance croissante prise par les métaux rares, celle-ci est loin d’être anecdotique. L’ampleur de la transition énergétique et numérique, laquelle n’est plus à prouver, tend à progressivement émanciper l’être humain de sa dépendance aux énergies fossiles – aussi bien comme matière première que comme source d’énergie. On assiste alors à l’essor du recours aux technologies estampillées vertes, véritables clés de voûte de cette transition. Toutefois, ces technologies dépendent d’une nouvelle ressource : les métaux rares. On parle ici de de cobalt, de lithium, de terres rares… Peu connues mais primordiales, ces ressources sont essentielles et se voient même être surnommées « the next oil », comme l’écrit Guillaume Pitron, spécialiste de la question et auteur de l’ouvrage La guerre des métaux rares[2].

Nos sociétés et nos modes de consommation sont tributaires de ces nouvelles ressources et cette dépendance aux métaux rares ne va que s’amplifier.

Au-delà des énergies vertes, des secteurs stratégiques comme le numérique, la téléphonie ou encore l’électronique reposent presque intégralement sur ces métaux rares, à tel point que l’on ne peut aujourd’hui pas décemment passer une journée sans recourir à leur utilisation. Prenons l’exemple des terres rares : un disque dur d’ordinateur contient 4,5 grammes de terres rares, un moteur de véhicule hybride ou électrique de 1,2 à 3,5 kg, tandis que la fabrication d’une éolienne peut demander jusqu’à une tonne de ceux-ci[3]. Par ailleurs, la conception d’un smartphone nécessite l’utilisation de pas moins de 16 métaux rares. Le constat est donc le suivant : nos sociétés et nos modes de consommation sont tributaires de ces nouvelles ressources et cette dépendance aux métaux rares ne va que s’amplifier. En dépit de leur dénomination trompeuse, ces ressources sont présentes partout sur Terre ; mais, contrairement à des métaux tels que le cuivre ou le fer, leur présence dans nos sols se veut beaucoup plus ténue. Bel et bien présents – certes en faible quantité – aux quatre coins du monde, les métaux rares voient cependant leur production être concentrée entre les mains d’un seul État : la Chine.

Un quasi-monopole d’État

Aujourd’hui, on estime que plus de 90% de la production mondiale de métaux rares est assurée par la Chine. Non pas que le pays détienne l’ensemble des réserves de métaux rares ; environ un tiers seulement des réserves mondiales se trouve en territoire chinois[4]. Cependant, Pékin s’est progressivement vu déléguer la production des métaux rares alors même que des États comme la France et les États-Unis régnaient en maître il y a encore quelques décennies sur ce marché. En Charente-Maritime, le groupe français Rhône-Poulenc purifiait dans les années 1980 plus de 50% des terres rares de la planète[5]. Seulement, l’exploitation des métaux rares n’est pas sans causer de considérables dommages environnementaux. Leur production, indispensable à l’alimentation des nouvelles énergies et technologies alors en plein essor, ne pouvait s’effectuer sans un certain coût environnemental. À l’ombre de la production des métaux rares, de véritables catastrophes écologiques affectent l’environnement, les écosystèmes et la santé humaine. Leur extraction et leur exploitation relâchent des tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère tout en contaminant les terres et les rivières. Force est de constater que la situation apparaît quelque peu paradoxale. Pour Guillaume Pitron, deux constats s’imposent : en premier lieu, les nouvelles énergies vertes, qualifiées de propres, reposent en réalité sur l’extraction de métaux tout sauf propres. En second lieu, ces énergies vertes, également qualifiées de renouvelables, ne pourraient subsister sans l’exploitation de matières tout sauf renouvelables[6].

Comment l’Occident a sous-traité la production de métaux rares à la Chine

Dans un monde occidental de la fin des années 1980 s’ouvrant aux problématiques environnementales, les réglementations en la matière se sont faites plus restrictives tandis qu’une certaine conscience écologique commençait à émerger au sein de la société. Parallèlement, une Chine en pleine croissance et en voie de libéralisation cherchait à poursuivre son développement économique. Le pays, dans l’optique d’acquérir la production de métaux rares, a alors usé d’une double stratégie de dumping : un dumping social et un dumping environnemental. Doté d’une main d’œuvre à bas coût – dumping social – et bien moins regardant que les occidentaux sur les implications environnementales découlant de la production des métaux rares – dumping environnemental, l’Empire du Milieu s’est alors engouffré sur le marché avec des prix défiant toute concurrence. Pékin, bien conscient de l’importance à venir de ces nouvelles ressources, investissait largement dans le développement des technologies et des infrastructures à même d’assurer leur production.

Finalement, tout le monde y trouvait son compte : croissance économique pour les uns, production à bas coût sans pollution locale pour les autres.

Les États développés, confrontés au coût écologique de leurs productions nationales, y ont alors délocalisé leur production de métaux rares et, ce faisant, délocalisé leur pollution. Finalement, tout le monde y trouvait son compte : croissance économique pour les uns, production à bas coût sans pollution locale pour les autres. Guillaume Pitron résume cet agencement de la manière suivante : « dans les deux dernières décennies du XXème siècle, les Chinois et les Occidentaux se sont tout bonnement réparti les tâches de la future transition énergétique et numérique : les premiers se saliraient les mains pour produire les composants des green tech, tandis que les seconds, en les leur achetant, pourraient se targuer de bonnes pratiques écologiques »[7].

Le quasi-monopole chinois sur la production mondiale de métaux rares est indéniable.

Quelques décennies plus tard, le constat est sans appel : le quasi-monopole chinois sur la production mondiale des métaux rares est indéniable. Son territoire regorge désormais de sites d’extraction et de production de ces précieuses ressources, les principaux sites se trouvant dans les provinces de Mongolie intérieure et de Sichuan. À elles-deux, ces provinces représentent respectivement entre 50 et 60% et entre 24 et 30% de la concentration des métaux rares chinois[8]. Entre 1990 et 2000, la production chinoise annuelle de métaux rares a augmenté de 450%, passant de 16 000 tonnes métriques à 74 000 tonnes[9]. Ces chiffres n’ont cessé d’augmenter au cours des années suivantes, atteignant une production de 120 000 tonnes métriques en 2018, tandis que Pékin entend plafonner celle-ci à 140 000 tonnes métriques pour l’année 2020. Selon la Commission européenne, Pékin détenait notamment sur la période 2010-2014 69% de la production de graphite naturel, 87% de la production d’antimoine et 84% de la production de tungstène[10]. Pour les terres rares, ressources indispensables à la conception des nouvelles technologies, ce monopole s’élève à 95%[11].

 

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Ici, l’évolution de la production mondiale de terres rares. Petit à petit, depuis la fin des années 1980, la Chine s’est approprié ce marché. © User:BMacZero

Une soif de mainmise à échelle internationale

La Chine s’avère bel et bien être le premier producteur de métaux rares, et Pékin s’attelle à appliquer cette stratégie de monopolisation du marché en dehors de ses frontières. Principal exportateur, Pékin compte bien développer ses importations afin de sécuriser sa production de métaux rares à l’international ; et ce à commencer par ses voisins. Reprenons l’exemple des terres rares. Pékin observe de très près les réserves de terres rares présentes en Corée du Nord, figurant parmi les plus larges du monde. Seul allié régional et principal partenaire commercial de Pyongyang, la Chine est déjà présente dans les co-entreprises minières du pays et des grands groupes chinois y possèdent la plupart des droits d’exploitation. Si les sanctions imposées par les Nations Unies en 2016 en réaction à un essai nucléaire et un tir de missile balistique interdisent à Pyongyang de vendre et de fournir, entre autres, des terres rares, la Chine se prépare déjà à leur levée pour exploiter ces ressources. En effet, selon certaines sources chinoises, la Corée du Nord conférerait des droits miniers sur ses terres rares à la Chine en échange d’investissements chinois dans le développement de l’énergie solaire nord-coréenne. Une mainmise sur les abondantes réserves de terres rares nord-coréennes et leur commercialisation conférerait à l’Empire du Milieu un monopole presque absolu en la matière.

Pékin compte bien développer ses importations afin de sécuriser sa production de métaux rares à l’international.

Certaines entreprises chinoises développent d’ores et déjà leur production de terres rares à l’étranger, à l’image de Shenghe Resources qui a conclu des accords lucratifs avec des entreprises étrangères concernant des projets d’exploitation à venir desdites ressources. La société est notamment l’actionnaire majoritaire de l’entreprise Greenland Minerals and Energy, détenteur du projet Kvanefjeld d’extraction de terres rares dans le sud du Groenland ; l’accord de fourniture conclu par Shenghe Resources à cet effet comprend 100% de la production de la mine[12]. Par ailleurs, l’entreprise chinoise China Nonferrous Metal Mining Group a annoncé avoir signé un mémorandum non contraignant avec la société ISR Capital détentrice du projet Tantalus d’extraction de terres rares à Madagascar, lequel lui permettrait d’acheter 3000 tonnes de terres rares dans les trois ans qui suivront le début de la production sur le sol malgache.

L’Afrique au coeur de la stratégie chinoise

C’est en effet en Afrique, continent riche en ces ressources au cœur de toutes les convoitises, que la Chine étend son emprise sur les métaux rares. Il n’échappera à personne que Pékin a lancé, voilà quelques années, une véritable offensive de charme en Afrique et s’impose comme un partenaire essentiel pour la plupart des États du continent, à tel point que d’aucuns considèrent désormais la Chine comme une puissance africaine[13]. Principal partenaire commercial de bon nombre de ces États, Pékin leur confère également une importante aide au développement économique et profite actuellement de la crise du Covid-19 pour renforcer son ancrage sur le continent, revêtant pour ce faire un habit de sauveur. L’objectif sous-jacent de Pékin est ici de contrôler les métaux rares d’Afrique et sa stratégie porte ses fruits : la Chine et ses capitaux sont accueillis à bras ouverts sur le continent tandis que les entreprises chinoises s’accaparent la production de leurs métaux rares, avec l’approbation – voire la bénédiction – des gouvernements africains. À titre d’exemple, comme l’atteste Guillaume Pitron, « l’ancien président angolais, José Eduardo dos Santos, a fait des terres rares une priorité de son développement minier afin de satisfaire les besoins de Pékin »[14]. En Tanzanie, en signant un accord avec l’entreprise australienne Strandline Resources, le groupe chinois Hainan Wensheng a acheté la totalité des ressources de zirconium et de monazite qui seront produites dans la mine tanzanienne de Fungoni. En République démocratique du Congo, la Chine a mis la main sur les gisements de cobalt du pays, investissant en contrepartie dans les infrastructures congolaises[15]. En effet, l’une des manœuvres de l’Empire du Milieu est le recours aux package deal, ces accords permettant, en échange du financement d’infrastructures, une prise de participation dans un projet minier[16].

Pékin, « faiseur de marché »

Les exemples cités ne forment pas une liste exhaustive des États dans lesquels investit la Chine : en Afrique du Sud, en Zambie ou encore au Zimbabwe, Pékin met en œuvre sa stratégie de contrôle des métaux rares à l’échelle africaine ; tandis qu’au Canada, en Bolivie, au Vietnam ou encore au Kirghizistan, Pékin s’emploie à mettre à exécution son dessein de monopolisation des métaux rares à l’échelle internationale. La domination chinoise sur la production des métaux rares s’opère bien tant sur son territoire qu’à l’extérieur de ses frontières, confortant l’ambition qu’a Pékin d’occuper un rôle de premier plan dans la transition énergétique et numérique. Pour Guillaume Pitron, la Chine « n’est pas seulement devenue un acteur des marchés des métaux rares ; elle s’est bel et bien muée en un faiseur de ces marchés »[17]. Ce monopole lui confère, outre cette conquête du marché, un considérable avantage diplomatique et géopolitique sur la scène internationale tant les métaux rares nous sont aujourd’hui indispensables. Dans le cadre de la compétition opposant les États-Unis à la Chine, l’empire chinois des métaux rares pourrait bien faire pencher la balance en faveur de Pékin.

 

 

[1] RIFKIN Jérémy, Le New Deal vert mondial, Les Liens Qui Libèrent, 16 octobre 2019, 304p.

[2] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 10 janvier 2018, 296p.

[3] BRGM, « Les terres rares », 10 janvier 2017. Disponible au lien suivant : https://www.brgm.fr/sites/default/files/dossier-actu_terres-rares.pdf

[4] VESAKI Kristin, « China’s Control of Rare Earths Metal », entretien de The Pacific Energy Summit, The National Bureau of Asian Research, 13 août 2019. Disponible au lien suivant :  https://www.nbr.org/publication/chinas-control-of-rare-earth-metals/

[5] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[6] PITRON Guillaume, « Métaux rares : la face cachée de la transition énergétique », Conférence TEDx Talks, Lille, 14 avril 2018. Lien vers la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=LVWUDLBYb-Q

[7] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[8] TSE Pui-Kwan, « China’s rare-earth industry : U.S. Geological Survey », Open-File Report 2011–1042, USGS, 2011, 11p. Disponible au lien suivant : https://pubs.usgs.gov/of/2011/1042/of2011-1042.pdf

[9] Idem.

[10] Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative à la liste 2017 des matières premières critiques pour l’UE, Commission européenne, Bruxelles, 13 septembre 2017.

[11] Idem.

[12] SEAMAN John, « La Chine et les terres rares. Son rôle critique dans la nouvelle économie », in Notes de l’Ifri, Ifri, janvier 2019. Disponible au lien suivant : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/seaman_chine_terres_rares_2019.pdf

[13] LAGARGUE François, « La Chine, une puissance africaine », in Perspectives chinoises, n°90, juillet-août 2005. Disponible au lien suivant : https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/900

[14] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.

[15] MOLINTAS Dominique Trual, « Impact of Globalization on Rare Earth : China’s co-optive conquest of Colongese coltan », in MPRA Munich Personal RePec Archive, 16 janvier 2013. Disponible au lien suivant : https://mpra.ub.uni-muenchen.de/96264/1/MPRA_paper_96264.pdf

[16] CHAPONNIERE Jean-Raphaël, « Chine-Afrique : enjeux de l’ajustement chinois pour les pays miniers », in Afrique contemporaine, n°248, 2013/4, 2013, pp.89 à 105. Disponible au lien suivant : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2013-4-page-89.htm

[17] PITRON Guillaume, La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, op. cit.