Le christianisme de gauche

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Le Pape François lors de son voyage en Corée. ©Jeon Han

Une certaine facilité intellectuelle nous pousse souvent à associer politiquement en France le christianisme et plus particulièrement le catholicisme au conservatisme et à la bourgeoisie de droite, la Manif Pour Tous semblant confirmer cette intuition. Pourtant les idées souvent progressistes du Pape François ont rappelé que l’Eglise a aussi pu être du côté du progrès social et en conflit avec les puissances d’argent.

Le Christianisme social

Jacques Ellul
Jacques Ellul ©Jan van Boeckel

Avant les ouvrages théologiques de Jacques Ellul  qui s’interroge sur des thèmes comme L’Idéologie marxiste chrétienne (1979) et Anarchie et Christianisme (1987), on trouve des moments sociaux au sein même de l’Eglise.

Le christianisme social est tiré d’une lecture sociale du Nouveau Testament que permet par exemple ce verset de Marc (10,25) : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu », la parabole de la pauvre veuve, une certaine interprétation de la charité, et bien d’autres.

Dans son encyclique (les ouvrages rédigés par les papes présentant la position officielle de l’Eglise sur un thème) Rerum Novarum (« les choses nouvelles ») publiée en 1891, le pape Léon XIII, s’il condamne fermement le socialisme athée, explique que « la concentration de l’industrie et du commerce, devenus le partage d’un petit nombre de riches et d’opulents, impose ainsi un joug presque servile à l’infini multitude des prolétaires ».

A sa suite le pape Pie XI déclarera dans son encyclique Quadragesimo anno en 1931, en pleine Grande Dépression, qu’ « à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle ».

Mais c’est vraiment le concile de Vatican II qui confirme le tournant progressiste de l’Eglise sur la question sociale.

Vatican II

En 1962, le pape Jean XXIII, convoque un concile œcuménique, c’est-à-dire une assemblée réunissant tous les évêques et autorités de l’Eglise, qui est resté sous le nom de Vatican II et qui marque la réelle prise de conscience par l’Eglise des questions d’inégalités sociales en lien avec le capitalisme. En 1963 dans « Paix sur la terre » Il propose de promouvoir le respect indépendamment de la nationalité, de l’idéologie ou de la religion, ainsi que de prendre la défense des classes laborieuses.

Mais c’est le pape suivant, Paul VI, qui fera la critique la plus radicale du capitalisme, demandant à l’Eglise d’être du côté des pauvres et des prolétaires. Il est le pape le plus discret sur la critique du marxisme allant jusqu’à déclarer dans Populorum Progressio (« le progrès des peuples »)  que « le bien commun exige parfois l’expropriation ».
Son influence sur les prêtres ouvriers et la théologie de la libération sera très forte.

La Théologie de la Libération

La Théologie de la Libération peut être résumée en une forme de réconciliation entre marxisme et christianisme par la priorité donnée aux pauvres et à la prise de conscience qu’elle n’est pas une fatalité mais le produit de rapports de domination. Elle donne naissance à des mouvements révolutionnaires de guérillas marxistes et chrétiennes à travers toute l’Amérique latine, dans lesquels on put même apercevoir des prêtres en armes. Elle est d’ailleurs, d’Evo Morales à Hugo Chavez en passant par Rafael Correa, une des principales sources d’inspirations pour le progressisme latino-américain.

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Helder Camara en 1981 ©Antonisse, Marcel / Anefo

Une de ses figures est l’évêque brésilien Helder Camara (dont le procès en béatification est par ailleurs en cours) qui déclarait « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue
 »

Les Prêtres Ouvriers

C’est Paul VI qui en 1965 ré-autorise les prêtres ouvriers qui existaient depuis les années 40. Ces prêtres souhaitaient partager la tâche et la vie des travailleurs. Ils prirent régulièrement part à leurs luttes.

En 1983, Georges Séguy, secrétaire général historique de la CGT de 1962 à 1982 décédé en août dernier, déclarait : « ces prêtres-ouvriers qui viennent à la CGT, ce sont des militants comme nous, ils ont le même état d’esprit que nous, ils veulent lutter comme nous, ils veulent prendre des responsabilités comme nous dans la bataille » (1)


Pape François : l’écologie et l’anticapitalisme chrétien

L’élection de Pape François, premier pape latino-américain, redonne une image progressiste à l’Eglise.
Bien que certaines contradictions semblent indépassables avec certains militants de gauche (propos sur la violence religieuse après les attentats de Charlie Hebdo, positions sur l’avortement et la «théorie du genre »…) Pape François a dans son encyclique « Laudato Si’ » pris parfaitement conscience de l’urgence écologique, de son lien avec le système capitaliste, et de la nécessité d’agir vite contre le désastre.

 « Dans la vie, j’ai connu tant de marxistes qui étaient de bonnes personnes » (Pape François)

Dans son exhortation apostolique « La Joie de l’amour » sur l’amour dans la famille, ce n’est pas l’homosexualité qu’il désigne comme principal danger pour la famille mais bien la paupérisation engendrée par la mondialisation et l’absence de fraternité à l’égard des réfugiés fuyant les guerres.

L’utilisation politique du christianisme

Ces rappels historiques permettent de mettre en avant le fait que l’utilisation politique du christianisme n’est pas par essence de droite : si les millions de manifestants de la Manif pour Tous qui se sont mobilisés contre le droit des couples homosexuels à adopter au nom « de l’intérêt de l’enfant » (l’adoption concerne environ 10 000 enfants), s’étaient mobilisés pour les 30 000 enfants SDF, le problème serait déjà réglé. On comprend alors qu’ils ne sont pas conservateurs parce que chrétiens mais se servent du christianisme pour justifier leur conservatisme, et que lorsque l’Eglise va à l’encontre de leurs convictions profondes, comme c’est le cas avec le Pape François, ils n’hésitent pas à la dénigrer. C’est ce qui fait que Marion Maréchal Le Pen se permet de critiquer le pape alors qu’elle veut rapprocher le FN de l’Eglise, quand Jean-Luc Mélenchon, pourtant laïc intransigeant, écrit « Vive Le Pape ».

« (…) Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle (…) »
La rose et le réséda (1943) Louis Aragon

 

(1) Viet-Depaule Nathalie « les prêtres ouvriers, des militants de la CGT (1948-1962)» in Bressol (Elyane), Dreyfus (Michel), Hedde (Joel), Pigenet (Michel) La CGT dans les années 1950 (2015).

Crédits photos :

Jacques Ellul – ©Jan Van Boeckel, ReRun Productions

©Jeon Han

 

La robotisation n’aura pas lieu #2

L’idée que les robots vont remplacer massivement le travail humain fait son chemin. L’auteur essaie de montrer que, si le progrès technique change effectivement le travail en profondeur, nous n’allons pas connaître de sitôt la « fin du travail » et la robotisation généralisée. Ce second article (qui peut être lu séparément du premier) montre pourquoi la robotisation sera beaucoup plus lente que beaucoup ne le pensent. Pour le premier volet, c’est ici.

(suite…)

L’écologie doit être un virage à gauche !

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©Panelfestoon

En quoi l’écologie est-elle nécessairement un virage à gauche ? La question écologique est devenue majeure et incontournable en ce sens qu’elle cristallise les points de rupture entre le vieux monde et celui qui se prépare. L’heure est plus que jamais au combat des valeurs, à la confrontation des idéologies pour débattre du monde que nous souhaitons demain.

Le Capitalisme est un système nocif

La multiplicité des symptômes d’un monde capitaliste en perdition ne fait plus aucun doute. Personne ne peut plus ignorer les catastrophes environnementales, sociales, économiques et politiques qui ont lieu chaque jour, ni celles qui s’annoncent, plus violentes encore. L’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés rend inévitable l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. Nombre de politiciens se sont compromis par leur soutien apporté à des politiques environnementales fades et dévoyées. Cette « croissance verte » a pour objectif déguisé d’absorber toutes velléités révolutionnaires. Les exemples de politiques verdies sans pour autant questionner notre système de production et de consommation se multiplient. La politique environnementale envisagée par la frange libérale s’inscrit ainsi dans cette dynamique d’absorption et d’ écrasement des oppositions. Pour illustrer ce propos, on pourra citer le fait de remettre en cause le principe de précaution, d’exploiter les ressources naturelles et les peuples à des fins de croissance et d’hégémonie économique, de se compromettre au point de subordonner la biodiversité à des ‘priorités’ financières et économiques (Notre-Dame-des-Landes). Ce sont autant de points qui nous rendent insupportable l’idée d’une compatibilité des enjeux environnementaux et sociaux avec l’idéologie capitaliste. De Macron à Fillon en passant par Valls, aucune remise en cause du vieux monde à l’horizon. En somme, « être de gauche c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c’est l’inverse. »[1].

ecologie

La pensée de gauche, histoire de luttes

Le dépassement des clivages gauche-droite et la restructuration de l’échiquier politique français sont devenus des incantations récurrentes sur nombre de plateaux télévisés. Bien plus, cette posture confère à ceux qui s’en réclament des grands airs d’intellectuels avant-gardistes. Mais si nous entendons tout reconstruire, toute réinventer, c’est l’avenir du capitalisme et du libéralisme économique qu’il nous faut remettre en cause. La pensée de gauche, bien que celle-ci héberge historiquement une multiplicité de courants, a été forgée sur l’autel des idéaux d’égalité, de justice sociale et de critique de l’ordre social. Etre de gauche c’est ainsi refuser l’ordre établi des choses, le monde tel qu’il ne va pas, aujourd’hui plus que jamais. Nous sommes au pied du mur. Comme le souligne Razmig Keucheyan « le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle, pour une raison simple : il a les moyens de s’adapter à la crise environnementale.» [2] Au regard de l’ampleur de la crise qui s’ annonce et de la tâche qui nous incombe, il convient de projeter un idéal commun. Et cet idéal commun qui se dessine, c’est celui d’une transition écologique pour permettre aux masses populaires en première ligne de la crise écologique de s’émanciper. La crise écologique globale est la conséquence du système de production capitaliste, et de ses corollaires de croissance et de consommation aveugles. Pour répondre à cette crise qui englobe les injustices sous toutes leurs formes, il faut donc s’engager dans la lutte contre celui-ci. Il faut assumer la radicalité de nos oppositions. Le capitalisme ne s’éteindra pas de lui-même, il faut l’achever.

L’ écologie est un virage à gauche

A entendre certains, l’Ecologie serait ainsi « ni-de-droite-ni-de-gauche ». L’Ecologie s’élèverait au-dessus de tout rapport de force (qu’on profite au passage pour vider habilement de leur substance). Pourtant, la question environnementale est intimement liée à des conséquences sociales. Il est clair qu’à la crise écologique correspondent les inégalités sociales. Les pauvres sont davantage touchés par les catastrophes environnementales. Les ouvriers sont les plus exposés aux pollutions et aux maladies qui y sont liées. Les peuples de l’hémisphère sud sont en première ligne des conséquences géopolitiques de la course aux ressources naturelles. En somme, le droit à un environnement sain est un luxe ! Postuler que l’écologie dépasse le clivage gauche-droite c’est nier de fait les antagonismes économiques et sociaux liés à la question environnementale. Favoriser les combats à l’intersection des enjeux écologiques et sociaux ancre donc profondément l’Ecologie à gauche, celle des luttes. Plus que la préservation des espaces et des espèces, l’écologie est un socle politique qui conditionne les aspirations d’une société, ses projets à long terme, les finalités de son projet démocratique. Ecologie et projet d’émancipation politique et sociale sont ainsi indissociables et constituent les clés d’une alternative concrète. Et quoi d’autre que la pensée de Gauche pour porter ce projet ?

Si l’Ecologie est à gauche, c’est justement parce qu’elle rend le fait de repenser le rapport au capital absolument inévitable. Et c’est bien ce rapport au capital (financier et naturel), structure à l’origine de la dégradation de l’environnement et des inégalités sociales, qui anime les forces vives de la gauche et concentre le fond du problème. L’Ecologie est inévitablement ancrée à gauche parce qu’elle ouvre le champ des possibles politiques. Au sens de vie de la cité, elle exige de réinventer le commun. Elle rend inévitable de redéfinir notre rapport au travail, au temps, aux loisirs, à l’écosystème et aux générations futures. Elle nous pousse à nous libérer en pensée et en actes des fers d’une société où tout est marchandise, où la course au profit et à l’argent sont devenus les fondements de nos existences. L’émancipation comme projet, c’est bien l’essentiel de ce que nous souhaitons.

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Illustration de Pavel Constantin.

[1] Gilles Deleuze, 1988.

[2] R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille, 2014.

Au Dakota, le combat des Sioux, le combat de tous

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Dans une année 2016 noircie par les catastrophes politiques, humanitaires, sociales et environnementales, difficile de trouver quelque-chose à sauver. Pourtant, le 4 décembre, le campement de Standing Rock au Dakota du Nord a fêté une grande victoire : celle des Sioux, contre le projet Dakota Access Pipeline, qui menaçait de défigurer leurs terres et d’empoisonner leur eau. Comme un air de ZAD dans les grandes plaines, de quoi retrouver (un peu) le sourire.

Un sinistre projet

En 2014, la compagnie pétrolière américaine Energy Transfer Partners monte un projet chiffré à 3,7 milliards de dollars, visant à connecter les champs pétrolifères du Dakota du Nord à l’Illinois, en traversant les États de l’Iowa et du Dakota du Sud. Ce projet titanesque, soutenu par de nombreuses banques, dont – cocorico sarcastique – la Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole (source : Food and Water Watch) devait initialement traverser la rivière Missouri à quelques kilomètres de Bismarck, capitale de l’État du Dakota du Nord. Mais, face aux risques de contamination des eaux et d’empoisonnement des 67 000 citoyens de la ville, le tracé de l’oléoduc a été déplacé d’une centaine de kilomètres vers le sud. Pas de bol, le nouveau projet fait passer l’oléoduc à 800 mètres de la réserve Sioux de Standing Rock, où vivent plusieurs milliers de personnes.

Alors, certes, le terrain n’appartient pas à Standing Rock ni aux Natifs Américains, mais bien à l’État. Pour cause, cette parcelle a été volé aux Sioux en 1950. Comme du reste, l’intégralité des deux États du Dakota (le traité de Yankton, en 1858, cède la quasi-totalité des terres dites « amérindiennes » au gouvernement américain), le nom même de Dakota désignant la langue sioux éponyme. Les États-Unis ont ce don et cet humour si particulier qui consistent à désigner leurs États du nom des peuples qu’ils ont massacrés et pillés…

« Que ferait Sitting Bull ? »

On notera le principe de précaution à géométrie variable d’Energy Transfer Partners : l’empoisonnement possible d’un peuple minoritaire soulève à l’évidence moins de préoccupations que lorsqu’il s’agit d’une ville à large majorité blanche. Rien de surprenant, malheureusement, si on jette un œil à l’histoire des Sioux du Dakota, qui ont été spoliés de leur terres, à chaque fois sous prétexte de projets industriels et de la sacro-sainte productivité américaine. De la grande réserve censée avoir été « sanctuarisée » en 1868, il ne reste que peu : entre-temps une mine d’or et deux barrages ont déjà morcelé le territoire et obligé la population à se déplacer.

Empoisonnement des eaux, profanation de cimetières et terres « sacrées » : devant cette négation de leurs droits et cette menace d’un projet reconnu comme dangereux pour la santé publique (en témoigne le refus du premier tracé), les Sioux de Standing Rock se sont organisés. Rejoints par d’autres militants Natifs Américains, venus parfois des États voisins, puis par des militants d’ONG environnementales et de ligues de protection des Droits de l’Homme, le camp de Standing Rock s’est métamorphosé en quelques semaines en Zone à Défendre, face aux bulldozers venus entamer le chantier.

Aux rythmes des chants traditionnels et à l’ombre des banderoles « Que ferait Sitting Bull ? », la cicatrice de la bataille de Little Big Horn toujours ancrée dans les mémoires collectives, c’est toute la conscience Sioux qui a fait corps et qui a résisté, malgré les pressions du gouvernement local. Début septembre, la situation dégénère lorsque des bulldozers commencent à creuser alors qu’une demande de suspension de projet a été formulé. Des manifestations s’organisent, mais des agents privés payés par la compagnie lâchent leurs chiens sur la foule et jettent du gaz lacrymogène, avec le soutien tacite du shérif local qui parlera d’une « réponse proportionnée ».

Dans un système médiatique qui vise à taire la répression, les violences faites aux manifestants n’auraient peut-être jamais été relayées à l’échelle fédérale, si l’actrice Shailene Woodley, qui faisait partie du cortège des manifestants, n’avait pas « tweeté » son arrestation musclée. Le combat de Standing Rock bénéficie aussi du soutien de Leonardo DiCaprio, figure emblématique du Hollywood « green-friendly », de la présidente du Parti Vert Jill Stein, de Bernie Sanders, du mouvement Black Lives Matter et d’une multitude de mouvements de communautés minoritaires à l’étranger, à l’image des Aborigènes d’Australie.

Une bataille, pas la guerre

Le 4 décembre, Standing Rock célèbre sa victoire. Le gouvernement enterre le projet de pipeline, au profit de l’étude de nouveaux tracés. Certains se veulent prudents, créditant ce revirement de situation au dernier geste d’un Barack Obama sur le départ, souhaitant donner des gages aux luttes pour l’environnement, au moment même où le climato-sceptique Donald Trump s’apprête à conquérir la Maison Blanche. D’autres préfèrent célébrer la victoire d’un mouvement social fort, ayant réussi à fédérer au-delà de l’aspect strictement culturel et communautaire des Sioux, à rallier “stars” et anonymes, et à unir la gauche américaine dans une même lutte.

De Standing Rock, il faut retenir plusieurs choses. D’abord, c’est une preuve, s’il en fallait encore, que les grands intérêts capitalistes n’ont que faire de l’humain ni de l’environnement, que pour une poignée de « pétro-dollars » la santé et la dignité de milliers de personnes sont sacrifiables, a fortiori si elles sont Natives. Ensuite, qu’il n’y a pas de recette miracle pour faire valoir ses droits : la résistance, pacifique quand c’est possible, physique lorsque l’oppresseur n’hésite pas à employer de la violence. Enfin, que la communication, qu’on le veuille ou non, est un élément incontournable, peut-être celui qui a manqué à Notre-Dame-Des-Landes en France : tout relais dans l’opinion publique qui vise à la mobiliser, qu’il vienne de Hollywood ou d’ailleurs, est bon à prendre. Combattre isolé c’est garantir sa défaite.

Surtout, il ne faut pas oublier que le combat n’est jamais gagné. A Standing Rock, on garde la tête froide. Le scénario catastrophe s’est réalisé : Trump a été élu. Or, le « President-Elect », qui n’est pas un grand ami de l’environnement, c’est peu de le dire, a soutenu durant la campagne le projet Dakota Acess Pipeline. Et pour cause, la société Trump a des parts dans Energy Transfer Partners. Conflits d’intérêt ? Pensez-donc… Si le cauchemar continue, tout est en place pour que le projet soit relancé après l’investiture de Donald J. Trump, et que Standing Rock doive se dresser, à nouveau, pour conserver ses terres.

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Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

©kamiel79. L’image est libre de droit.

Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

Crédit photo : ©kamiel79. L’image est libre de droit. 

1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Mais qu’est-ce donc que la décroissance ?

©Martouf. Licence : Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication

Théorie d’illuminés ? Proposition de retour à l’âge de pierre ? Réaction antimoderne de hippies ? La décroissance n’est pas encore débarrassée des clichés. Ce concept, qui ne cesse de gagner en popularité à l’heure d’une longue stagnation économique, mérite un éclairage digne de ce nom.

Un concept relativement moderne

 

Bien qu’en germe dans l’esprit d’un certain nombre d’auteurs critiques de la révolution industrielle du XIXème siècle – Murray Bookchin, Pierre Kropotkine, Léon Tolstoï, entre autres -, le concept de décroissance ne s’enracine dans l’espace intellectuel qu’au tournant des années 1970. En effet, c’est en 1970 qu’est publié le rapport Meadows du club de Rome. Celui-ci affirme que l’humanité serait sur une trajectoire d’utilisation des ressources naturelles totalement insoutenable, et bénéficie d’une forte exposition médiatique. Il s’agit d’une première étape dans la constitution de l’écologie politique moderne. Il faut dire néanmoins que certains auteurs s’étaient déjà penchés sur le sujet et jouent aujourd’hui les parents idéologiques du mouvement décroissant. C’est ainsi que le philosophe Jacques Ellul, par sa critique du règne de la technique a inspiré les décroissants. Ou, dans un domaine plus politique, André Gorz, qui a théorisé l’écosocialisme. On pourrait ajouter à ces deux références importantes Cornelius Castoriadis, qui a fortement influencé les décroissants en ce qui concerne le localisme et leur vision de la démocratie.

L’actuel fer de lance de la décroissance est l’économiste Serge Latouche dont les longues vidéos sur le sujet sont disponibles sur Youtube pour quiconque veut en savoir plus. Si l’on devait trouver une formule pout résumer le point de départ de la décroissance on tomberait aisément d’accord sur la suivante « La croissance ne peut être infinie dans un monde fini ». Et, précisément, nous serions arrivés à ce stade du développement quantitatif de la production et de la consommation qui met en danger notre monde fini. Il faudrait, en conséquence, rompre avec notre société consumériste pour aller vers une « société de décroissance ».

Une nouvelle utopie ?

 

Contrairement aux idées reçues, le passage à une société de décroissance n’entrainerait pas nécessairement un recul du PIB – une récession – mais exigerait que nous acceptions la réduction purement quantitative de la production et de la consommation tout en préservant la dimension qualitative de nos modes de vie, afin de nous libérer des nuisances du productivisme : pollution, dégradation de l’alimentation, etc. Et c’est là ou cela devient plus compliqué, car il faut alors s’accorder sur les « besoins essentiels » et il n’est pas aisé de les définir dans nos sociétés hyperconnectées. Du point de vue des théoriciens de la décroissance, cela appelle une forme de révolution éthico-politique où les individus accepteraient une forme d’ascétisme écologique. Mais est-ce possible de demander à des pays qui s’industrialisent de faire leur révolution éthique alors que les pays du Nord usent largement des ressources naturelles depuis plusieurs générations ?

La décroissance et le changement global

 

On objectera aisément à la problématique décroissante le fait que l’épuisement des ressources naturelles est un problème d’ordre global. Il faut néanmoins reconnaître que cette dimension a été prise en compte sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un « internationalisme décroissant ». En effet, les pays du Nord se doivent d’être solidaires vis à vis des pays du sud et il faudrait donc qu’ils acceptent une réduction plus importante de l’utilisation des ressources – de l’ordre de 70% de ce qu’ils utilisent – que les pays du sud qui ont un droit à s’industrialiser. Par ailleurs, la décroissance implique un retour au local, afin de diminuer le « grand déménagement du monde », c’est pourquoi le projet décroissant s’inscrit dans une perspective protectionniste qui favorise la démocratie locale.

Dans l’esprit des théoriciens de la décroissance, il faut partir d’initiatives locales pour arriver ensuite à l’échelon national et enfin au global. On peut néanmoins douter de la possibilité d’une telle montée en généralité du fait des intérêts divergents profonds qui animent les États, et de la lutte d’ores et déjà engagée pour le contrôle des futures ressources clés de la planète. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’intéresser au nombre de conflits liés à l’eau – par exemple entre l’Egypte et le Soudan, entre la Syrie et l’Irak, etc.

Un néo-malthusianisme pessimiste ?

 

Nombre de critiques de la décroissance convergent vers l’idée qu’il s’agirait d’un concept proche du malthusianisme (c’est-à-dire prônant la diminution de la population et dans le cas présent, de l’impact des activités humaines) et qu’il repose sur des hypothèses fondamentalement pessimistes. De l’aveu même des partisans de la décroissance, le progrès technique censé permettre l’augmentation de « l’éco-efficience » – l’efficacité technique de l’utilisation des ressources – est vu comme insuffisant. C’est une des lignes de démarcation importantes avec les théoriciens du développement durable pour lesquels les signaux-prix qui résultent de la raréfaction des ressources sont censés permettre des investissements écologiques qui conduiront à une innovation suffisante pour gagner en éco-efficience. Concrètement, il s’agit de dire que si le pétrole devient trop cher, l’humanité se mettra à innover suffisamment dans les énergies renouvelables pour qu’il n’y ait pas de problème fondamental de développement durable. On voit ici que le marché est censé fournir les « signaux-prix » adéquats alors que la problématique écologique contient un certain nombre d’irréversibilités qu’il n’est pas possible de refléter dans les signaux-prix. Le débat est en tout cas ouvert entre optimistes et pessimistes.

On peut se demander en tout cas si le défaut du concept de décroissance n’est pas, tout simplement, son nom. Car qui veut d’un avenir où on lui promet de décroître ? Aucun homme politique ne s’est jamais fait élire sur un programme qui promet la régression matérielle. Il y a là un réel défi politique pour les adeptes de la décroissance.

Crédits photo : ©Martouf. Licence : Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication

 

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

Effondrement de la biodiversité : les abeilles et la Reine Rouge

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Focus sur l’effondrement de la biodiversité, ses conséquences et sur la nécessité d’instaurer un paradigme écologique qui replace l’Homme au cœur de son environnement.

Du 4 au 17 décembre a lieu la COP Biodiversité au Mexique. Pourtant, rares sont les médias et les politiques de grande envergure à tirer la sonnette d’alarme. Nous avons tous été témoins du grand battage médiatique autour de la COP21 sur le Climat. Étonnamment, la sensibilisation citoyenne sur la biodiversité est moindre comparé à l’ampleur de la catastrophe qui se profile. Tous les voyants sont au rouge [1], et si rien n’est fait, les deux tiers des vertébrés auront disparu d’ici 2020. Une étude, publiée le 7 décembre par cinq ONG de protection de l’environnement, estime que seuls 10% des engagements pris par 101 pays membres de la COP Biodiversité (objectifs d’Aichi, plan stratégique 2011-2020) sont à la hauteur des ambitions initialement fixées. Pour ce qui est de la France, force est de reconnaître tout de même des initiatives. On citera la création accrue d’aires marines protégées et l’interdiction, acquise de haute lutte, des insecticides néonicotinoïdes en agriculture, en partie responsables de l’extinction des abeilles. Pour autant, au regard de l’urgence vitale que constitue la préservation de celles-ci, est-il justifié de devoir attendre 2020 l’interdiction totale de leur usage ? A-t-on une alternative crédible à leur rôle de pollinisatrices ? A quel titre plus vital que celui de la survie de l’homme et de son environnement accorder des dérogations ? Tout le monde aura compris que sans les abeilles, officiellement en voie de disparition, nous pouvons faire une croix sur tout un système, naturel et gratuit, qui nous permet de nous nourrir. Que dire des quotas de tirs de loups, variable d’ajustement française pour soulager les conflits entre chasseurs, éleveurs et associations environnementalistes, alors que l’espèce est menacée et protégée au niveau européen ? De la multiplication des zones marines mortes du fait de l’élévation des températures océaniques, de la pollution et de la surpêche ? Que dire enfin, du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui compte sacrifier des zones humides uniques sur l’hôtel de la modernité et de l’économie ?  Si la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, a signé au nom de la France la « Déclaration de Cancun » qui vise l’intégration de la protection de la biodiversité dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, du tourisme et de la pêche, la réalité fait mentir les promesses. 

Preuve de la considération subsidiaire des politiques pour la question de la biodiversité, l’écologie est pour le moment la grande oubliée de la campagne présidentielle française. [2] Pour preuve, « sur 570 minutes de débat à la primaire de la droite, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! » Pourtant, à en croire le sondage YouGov réalisé en septembre dernier, 74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle. Les seuls rescapés des débats à droite auront été le principe de précaution, pour le fustiger, et le nucléaire, dont on aura de cesse de répéter qu’il est vendu dans un joli papier cadeau par François Fillon et sa clique ordolibérale [3]. Ainsi, si les libéraux prônent le « laisser-faire » quasi-mystique des marchés, les ordolibéraux considèrent que la libre concurrence n’est pas spontanée et que l’Etat doit agir pour l’aider à se développer, en édifiant son cadre juridique, technique et moral [4]. Au diable donc le principe de précaution, obstacle à l’innovation et à l’économie ! Fi des réglementations environnementales (interdictions de certains pesticides, restriction des OGM) qui entravent, soi-disant, le dynamisme de la filière agricole ! Pillons, rasons, polluons, tuons… puisque c’est bon pour la croissance ! Mais l’espoir perdure car la conscience écologique imprègne la jeunesse. Dans une enquête publiée en décembre 2016 et réalisée par Générations Cobayes, 98% des 55 000 jeunes sondés (18-35 ans) répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains. Soit les intentions des candidats de droite ne sont pas à la hauteur des revendications des Français, soit les électeurs de la primaire de la droite et du centre (à savoir une majorité d’hommes, retraités et de CSP+) ne sont pas représentatifs des aspirations réelles de la société française et des générations futures.

Quels sont aujourd’hui, les sujets prioritaires pour le devenir de notre société ? S’alarmer et s’engager pour la biodiversité, c’est comprendre que, sans elle, c’est tout notre système de santé, notre système agricole et notre économie qui s’effondrent. Rien que ça ! Et la plus grande leçon que la nature puisse nous donner, c’est l’équité de son jugement. Que l’on soit au RSA, que l’on paye l’ISF, ou que l’on cherche à ne plus le payer, nous aurons tous une part du gâteau. A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethnique à laquelle on appartient. [5] Pour faire simple, « en période de désastres naturels, les plus affectés sont ceux qui sont le moins bien équipés ! » [6]Préparez-vous à vivre dans un désert ou dans un aquarium, soit que l’on parie davantage sur l’élévation des températures, l’érosion des sols ou la fonte accélérée des glaces ; et le tout sans une once de vie animale et végétale ! Et si nous cessions de cantonner l’écologie aux rubriques « planète » ou « environnement » ? C’est ce que martèle à juste titre La Fabrique Ecologique. Il s’agit de réaliser que c’est une redéfinition globale de la place de l’être humain au cœur de son environnement qui est en jeu. Dans le second tome d’Alice au pays des merveilles, la Reine Rouge annonce : « Ici, voyez-vous, il faut courir le plus vite possible pour rester sur place. » Cette course fatidique est celle que nous vivons : lorsque l’environnement évolue plus vite qu’une espèce vivante ne peut s’y adapter, cette espèce est vouée à s’éteindre [7]. Et quand viendra notre tour, quand les conséquences de l’effondrement de la biodiversité, dont nous sommes responsables, dépasseront notre capacité d’imagination et d’adaptation, ni les abeilles, à jamais disparues, ni les OGM, ni le nucléaire ne nous permettront d’échapper à notre triste sort. Quand la Reine Rouge nous aura coupé la tête, il ne restera qu’un fauteuil vide sur une plage de sable fin.

Crédits photo : ©Sonel. Libre pour usage commercial

[1] Biodiversité : tous les indicateurs sont au rouge, Pierre Le Hir, Le Monde, 7 décembre 2016.

[2] Sur 570 minutes de débat à la primaire, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! We Demain, 1 décembre 2016.

[3] Vous avez dit urgence ? Ecologie, primaire et sparadrap, Manon Dervin, Le vent se lève, 6 décembre 2016.

[4] L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le vieux continent, Pierre Rimber et alii., Le Monde diplomatique, août 2015.

[5] La nature est un champ de bataille, Razmig Keucheyan, Essai d’écologie politique, La Découverte, 2014.

[6] Michèle Bachelet, présidente du Chili en septembre 2014 à New-York.

[7] L’effet de la Reine Rouge, Leigh Van Valen, 1973.

Vous avez dit urgence ? Écologie, primaire et sparadrap

@adege

Ces 6  et 7 décembre, en raison d’un pic de pollution qui s’étend de Paris à Budapest, en passant par Hanovre, le gouvernement français impose la circulation alternée et rend les transports publics gratuits pour la journée. Belle décision direz-vous, mais qui relève davantage d’un sparadrap sur une hémorragie que d’une véritable politique d’adaptation écologique. Si nous voulions vraiment respirer, les transports devraient être gratuits et le nombre de voitures réduit sans attendre de voir poindre la catastrophe. Étrange attitude propre aux hommes que ce « décalage prométhéen » théorisé par Günther Anders, à savoir l’impossibilité pour la conscience humaine d’appréhender et de comprendre toutes les conséquences possibles de notre usage des technologies, brandissant sans relâche et sans recul l’argument de la modernité.

Pics de pollution à répétition, disparition de 58% des espèces animales en 40 ans, Fukushima, conséquences des pesticides sur la santé humaine, artificialisation massive des sols, rupture nette en 2016 du cycle de glaciation hivernale du Pôle Nord et faille de plus de 110 km qui formera à terme un iceberg grand comme l’Etat du Delaware… Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet événement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Tant d’écocides à répétition, et pourtant l’urgence écologique est toujours la grande absente de l’échiquier politique français, de Marine Le Pen à Emmanuel Macron en passant par François Fillon. Les primaires, parlons-en ! Débat de l’entre-deux tours : ils ont parlé fonctionnaires feignants, dette, suppression de l’ISF, chômeurs, terrorisme, famille, identité. Deux heures de débat puis une heure d’ « analyse » sans mentionner les mots clés des enjeux du 21e siècle : Europe, précarité, pauvreté, migrants, tous liés par des questions primordiales d’inégalités, de climat et d’écologie. Sur le terrain, à droite, Wauquiez « fait la chasse aux écolos »[2] en région Auvergne-Rhône-Alpes, confie l’agriculture bio aux productivistes de la FNSEA et l’éducation au développement durable aux seuls chasseurs. Ce qui est en place au niveau régional est déjà catastrophique, ce qui s’annonce à l’échelle nationale, apocalyptique. Penchons-nous sur le programme de François Fillon[3], plébiscité par les électeurs de droite, dont la moitié sont retraités, et par leur seul vote peuvent conditionner l’avenir des générations futures. On y découvre un véritable amour pour la filière nucléaire française, les OGM, le projet symbole de l’anti-écologie qu’est Notre-Dame-Des-Landes et surtout la remise en cause du principe de précaution, partagée avec Emmanuel Macron, vécu comme un abominable obstacle au capitalisme rampant.

Comment expliquer, et tolérer encore, l’omniprésence du débat sur la dimension géopolitique, économique et techno-scientiste de l’énergie comme fondement du modèle de croissance et l’ajournement concomitant de la crise écologique ? Plus précisément, pourquoi vanter encore les mérites de la filière nucléaire et honnir le principe de précaution quand quinze réacteurs (sur 58) sont à l’arrêt et que l’Agence de Sûreté Nucléaire alerte sur les irrégularités du parc français ? Plus que la préservation des espaces et des espèces, l’écologie se doit d’être un socle politique qui conditionne les aspirations d’une société, ses projets à long-terme, les finalités de son projet démocratique. Ainsi, tel que Hans Jonas l’a conçu, la solution à nos problèmes, s’il en est une, ne peut être que politique. Mais l’on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique nommée « éthique du futur », c’est-à-dire l’éthique qui a vocation de préserver la possibilité d’un avenir pour l’homme. Cette éthique ne peut se dispenser d’un principe de précaution qui tend à imposer un temps de réflexion sur nos actes. Comme le dit si juste à propos Günther Anders, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[4]

Cet état d’urgence écologique recouvre les dimensions sociales, économiques, techniques et environnementales d’un système que l’élite politique avec le concours des médias dominants a décidé de passer sous silence. Et F. Lordon[5] d’analyser et dénoncer avec brio l’articulation du « politique post-vérité » et du « journalisme post-politique », ou la misère de la pensée éditorialiste, avec pour symbole le culte du fact-checking et « le spasme de dégoût que suscite immanquablement le mot d’idéologie ». Car le paroxysme de la réalité comme argument choc, la bataille des chiffres de fonctionnaires à limoger, l’obsession monomaniaque pour les « faits » que l’on nous fait croire lavés de toute (mauvaise) intention, tend à voiler le « temps de l’idéologie, c’est-à-dire le temps des choix, le désir d’en finir avec toutes ces absurdes discussions ignorantes de la ‘réalité’ dont il nous est enjoint de comprendre qu’elle ne changera pas. » Amener l’écologie politique sur la table, forcer journalistes et partis politiques traditionnels à laisser la place à ceux qui revendiquent, non pas de négocier des variables d’ajustements internes au système mais d’en changer le cadre par une transition forte, sera assurément la première étape d’une considération de l’urgence écologique qui nous mène à la ruine.

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[1] “D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ?”, entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007 (http://www.esprit.presse.fr/article/dupuy-jean-pierre/d-ivan-illich-aux-nanotechnologies-prevenir-la-catastrophe-entretien-13958)

[2] “Comment Wauquiez fait la chasse au bio et aux écolos”, L’Obs, novembre 2016 (http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20161122.OBS1574/auvergne-rhone-alpes-comment-wauquiez-fait-la-chasse-au-bio-et-aux-ecolos.html)

[3] “Fillon et Juppé : deux programmes contre l’écologie”, Reporterre, 22 novembre 2016 (https://reporterre.net/Fillon-et-Juppe-deux-programmes-contre-l-ecologie)

[4] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

[5] “Politique post-vérité ou journalisme post-politique”, Frédéric Lordon, 22 novembre 2016, Le Monde Diplomatique (http://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-vérite-ou-journalisme-post)

Interview de Mr Mondialisation

On a parlé de mondialisation, de Notre-Dame-des-Landes, de souveraineté, d’engagement politique, des médias dominants et de Donald Trump aussi, avec Mr Mondialisation. Interview à découvrir…

LVSL – Le moins que l’on puisse dire est que vous êtes devenu un média alternatif influent. Vous avez plus d’un million d’abonnés sur Facebook, ce qui vous place devant Libération, par exemple, et fait de vous un concurrent sérieux de la presse mainstream. Comme celui d’autres médis alternatifs, votre succès pose la question du devenir de la presse mainstream, à qui les citoyens font de moins en moins confiance. Le système médiatique traditionnel (c’est-à-dire la presse écrite et financée par de puissants intérêts économiques) a-t-il fait son temps ?

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Mr Mondialisation – Si on regarde l’histoire des médias, on constate que la presse a toujours été en évolution constante mais sur de plus longues périodes. Tout comme l’industrialisation s’est « accaparée » l’outil du travailleur, une poignée de médias ont également gagné peu à peu le contrôle de l’outil de publication des journalistes (le vrai travailleur). Avec Internet, l’outil est rendu aux mains du journaliste qui peut choisir de s’exprimer sans passer par le prisme d’une grande entreprise d’information. C’est exactement le phénomène que nous observons. Le système médiatique traditionnel n’est pas encore révolu, mais il va devoir coexister avec des « maquis » journalistiques libres qui peuvent gagner autant de visibilité qu’ils en ont aujourd’hui. La grande question reste de savoir comment ces journalistes peuvent vivre dans leur activité car aucune aide ne leur est offerte, le système ayant deux décennies de retard sur la réalité.

LVSL – Vous avez commencé votre activité de blogueur en 2004. Depuis douze ans, la question écologique a gagné en importance au sein des discours politiques ; cette année, les grandes puissances se sont réunies à Paris pour signer les accords de la Cop 21 sur le réchauffement climatique. Pensez-vous qu’elle témoigne d’une prise de conscience de l’urgence de la question écologique ? Depuis 2004, constatez-vous plus largement une évolution positive dans la manière dont le monde politique considère la question écologique ?

mr-mondisaltion-billetsMr Mondialisation Je n’ai malheureusement pas le sentiment d’une véritable prise de
conscience du drame écologique dans les discours politiques des partis dominants. La COP21 fut présentée comme un événement historique qui changerait tout. Les précédentes COP également. Dans les faits, toutes les structures de la société continuent de porter la Croissance des productions comme étant le seul objectif louable, et cette « croyance » commune se reporte dans les discours politiques : compétitivité, emplois, développement… Ainsi, quand j’écoute un Fillon, une Le Pen ou un Macron, leur aveuglement (ou cynisme) me frappe. Tous, ou presque, se persuadent qu’ils vont régler nos problèmes environnementaux en conservant le modèle qui en est à la source. Certes, on peut admettre que la question écologique prend une plus grande place dans les discours qu’il y a dix ans, mais surtout sur la forme, et rarement le fond. Et pourtant, voilà déjà trop longtemps que nous n’avons plus le luxe d’attendre.

mr-m-iiiLVSL – On distingue d’ordinaire deux approches de la question écologique : une approche individuelle, selon laquelle chaque citoyen peut, par ses choix individuels (en réduisant sa consommation, en la modifiant…) protéger la planète des menaces qu’elle encourt ; et une approche politique, selon laquelle c’est le changement des structures institutionnelles (politiques et économiques) qui permettra de mettre fin au saccage de la planète. Privilégiez-vous l’une de ces deux approches par rapport à l’autre ?

Mr Mondialisation – Je n’ai jamais aimé les positionnements extrêmes, tout noir ou tout blanc. Je crois sincèrement que ces deux composantes sont complémentaires et qu’il serait impossible d’articuler l’une sans l’autre. Je m’explique : un changement de structure à un niveau politique n’est possible que si une large portion de la population change de comportement de consommation et accepte donc des réformes qui seraient jugées contraignantes par les consommateurs lambdas avides de produits industriels low-cost. Il ne peut y avoir de changement structurel sans une population politiquement engagée. Et par politique, j’entends une véritable citoyenneté « dans la cité » qui s’inscrit autant à travers l’idée que les actions du quotidien. Nous avons été bercés à l’idée qu’il existait un fossé entre politique, institutions et le peuple. C’est ce fossé qu’il faut combler, notamment à travers des outils beaucoup plus démocratiques qu’aujourd’hui. 

Par opposition, les possibilités d’action sur le terrain sont nécessairement limitées par les réglementations qui sont aussi l’effet de la volonté collective. En matière d’urbanisme par exemple, les règles sont très contraignantes pour ceux qui aspirent à l’habitat alternatif. On comprend donc que les approches individuelles et collectives sont imbriquées et ne peuvent être séparées. Les discours clivants qui cherchent à opposer ces deux univers viennent ainsi ralentir le processus démocratique et les possibilités de transition.

LVSL – Vous vous revendiquez volontiers “apartisan”. Cela veut-il dire que vous jugez les partis politiques insuffisants pour régler la question écologique, ou tout simplement incapables et dépassés ?

Mr Mondialisation – Je me revendique « apartisan » et non pas apolitique, c’est à dire que je suis libre de tout mouvement partisan au sens des partis politiques d’un pays déterminé. Et pour cause, Mr Mondialisation touche de nombreux pays francophones. Même si nous avons des idées politiques clairement identifiables, nous voulons garder notre indépendance vis à vis du jeu politicien pour nous focaliser sur les actes et les idées. Ceci ne nous empêchera donc pas de critiquer vivement une figure ou même de suggérer un débat sur une autre figure politique qui partagerait certaines de nos idées.

LVSL – Face aux aspects néfastes de la mondialisation (ultralibéralisme, pollution), deux solutions se profilent ; la première passe par une transformation de la mondialisation ; la seconde prône la reconquête des souverainetés nationales face aux structures supranationales qui propagent la mondialisation (FMI, OMC, Union Européenne…). Vous avez plusieurs fois suggéré votre préférence pour la première option ; la seconde option est-elle pour autant en contradiction avec les valeurs de citoyenneté mondiale et du “penser global, agir local” que vous prônez ?

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Mr Mondialisation – C’est un sujet délicat car les mouvements nationalistes entretiennent volontairement une vision manichéenne radicale du monde pour justifier leur position. Allons dans le concret. Qu’est-ce qui permet à une multinationale d’aller exploiter un travailleur chinois, dans des conditions environnementales dramatiques, pour trois fois rien à l’autre bout du monde pour revendre le fruit de cet esclavagisme moderne au français moyen ? C’est précisément le fait que les réglementations sociales et environnementales sont plus souples en Chine, donc le fruit de leur souveraineté politique, qui permet cette exploitation. Quand certains parlent de fermer les frontières et de cristalliser les différences, ils accentuent au contraire ces hétérogénéités qui font le profit des multinationales. Cette mondialisation n’en est donc pas vraiment une : les gens ne peuvent pas circuler où ils le souhaitent, ils ne bénéficient pas du même salaire, ni des mêmes droits, ni des mêmes protections. La seule mondialisation que le « système » autorise, c’est celle du déplacement des capitaux. Le reste, nos différences légales, permettent l’exploitation des peuples. Ce monde a besoin de solidarité entre les peuples, pas de davantage de division. C’était le sens premier de « l’internationale ». Offrir à chaque humain une chance de vivre dignement où qu’il se trouve. C’est donc un faux débat que de vouloir maintenir ses différences en voguant sur les peurs et les frustrations économiques.

Cependant, si les structures supranationales font le jeu de ces différences pour alimenter le dogme de la Croissance et de l’économie triomphante, il semble évident qu’une volonté de s’en affranchir soit légitime. Alors, comment « le français » peut-il lutter contre l’exploitation d’autres peuples par leurs gouvernements ? Au niveau local, c’est réapprendre à consommer de manière éthique en s’assurant que le producteur/travailleur soit respecté, où qu’il se trouve. À un niveau politique, c’est envisager une forme de protectionnisme solidaire qui pénalise économiquement une importation qui soit socialement et écologiquement insoutenable sur une base rationnelle. Ainsi, pourquoi un petit producteur indépendant de cacao bio respectant une éthique sociale (bons salaires, droits,..) devrait-il être traité de la même manière qu’un géant de l’industrie du cacao exploitant des enfants et responsable de la déforestation ? Si nous étions sur un marché de village, qui voudrait tolérer des producteurs ayant du sang sur les mains à venir vendre sa marchandise moins chère ? Alors pourquoi est-ce si facile de fermer les yeux à l’échelle globale ? En pénalisant ceux qui ne respectent pas les règles des droits de l’Homme et des droits de la Terre, on offre le marché à ceux qui « produisent bien », autant en local qu’ailleurs, et on le ferme à ceux qui refusent de s’adapter. Mais c’est une position nuancée, sans doute complexe à mettre en oeuvre, qui demande du courage politique et surtout une analyse rationnelle des situations, sans possibilité de lobbying.

 

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LVSL – Une étude publiée par l’université de Stanford affirme qu’il est possible de bâtir une économie basée à 100% sur l’énergie renouvelable d’ici cinquante ans. C’est loin d’être la seule. Pourtant, la majorité des partis politiques ne font pas de la transition vers l’énergie renouvelable leur priorité. Quelle en est l’explication d’après vous ?

Mr Mondialisation – L’étude de l’université de Stanford n’est effectivement pas la seule à le démontrer. Oui, les énergies renouvelables sont l’avenir aujourd’hui autant pour des raisons élémentaires d’environnement que d’économie, celles-ci étant chaque année plus abordables et donc compétitives. C’est donc paradoxalement l’appât du gain qui aujourd’hui permet l’évolution de ces énergies. Mais c’est aussi ce même appât du gain qui restreint leur avancée ! Je m’explique. En matière d’énergie, l’argent n’a pas d’odeur. Si dans le domaine du renouvelable on trouve beaucoup d’outsider et de petites structures, les acteurs des énergies fossiles sont des mastodontes bien difficiles à faire bouger. Ils ont un pouvoir de lobbying impressionnant, ils étaient à la COP21 et seront aux prochaines pour négocier avec les gouvernements, ils ont des capitaux colossaux et continuent d’investir dans de nouvelles formes d’extraction du pétrole ou d’autres sources fossiles. Pire, l’industrie fossile continue de recevoir des aides d’Etat colossales (directes ou indirectes). L’ensemble de notre civilisation moderne axée sur l’hyper-consommation repose sur une énergie bon marché et facilement transportable. Il existe ainsi énormément de facteurs qui expliquent pourquoi la transition est lente et difficile. Des événements locaux comme l’opposition citoyenne à un nouvel aéroport, où encore contre la construction d’un oléoduc géant aux Etats-Unis, montre comment, sur le terrain, des gens conscientisés souhaitent la transition dès aujourd’hui. Mais les pouvoirs prennent la défense de la libre entreprise et de la propriété privée des grands détenteurs de capitaux pour justifier et protéger ces projets d’un autre âge.

LVSL – La justice française vient d’autoriser les travaux à continuer sur le site de Notre-Dame des Landes. Que pensez-vous de cette décision?

Mr Mondialisation – Comme je le suggère plus haut, les institutions baignent en plein délirium. La notion de bien être collectif, toute forme de raison environnementale, sont éludées du débat au profit de décisions quasi-mécaniques et froides. Nous vivons le règne du capital à court terme et de la liberté de l’utiliser, même si cette utilisation met en péril la survie des générations futures. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un outil institutionnalisé (et légal) pour mesurer rationnellement l’impact d’une décision de ce type sur la collectivité. Bref, une vision d’avenir bâtie sur des faits.

LVSL – Un commentaire sur l’élection récente de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique ?

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Mr Mondialisation – Est-ce bien nécessaire ? Ce délirium dont nous parlions est autant symbolisé par l’élection de Trump qu’il ne l’aurait été par celle de Clinton. L’un comme l’autre ont une vision commune en matière d’emploi ou de nécessité économique. C’est encore plus pesant aux USA où l’idée de liberté de faire du business est inscrite dans leurs veines. Il n’y a rien à espérer de cette élection. Les candidats avec un réel potentiel de changement ont été éludés du débat et des médias depuis longtemps et la plupart des citoyens n’ont même pas idée de leur existence. Je crains que la France ne fasse bientôt face à la même expérience. Seront placés sous les yeux des électeurs deux principaux candidats jugés « satisfaisants » pour l’intérêt de l’establishment et non celui des français. Je crois que nous arrivons à un point où chacun comprend que c’est la structure même de la démocratie qui doit évoluer aujourd’hui, depuis la manière dont on vote à la représentativité des élus ou encore le poids des lobbies dans le processus démocratique. Les outsiders qui questionnent ces institutions devraient avoir toute notre attention.