Primaire populaire : le culte de l’Union suprême

Manifestation de militants de la primaire populaire devant la mairie de Saint-Etienne le 11 décembre 2021. © Hervé Agnoux

Fondée en mars 2021 par les militants Samuel Grzybowski et Mathilde Imer, la primaire populaire semble être devenue depuis peu le centre de toutes les attentions. Récemment soutenue par Anne Hidalgo et Christiane Taubira, l’initiative vise à désigner un unique candidat de gauche pour la présidentielle de 2022. L’entreprise cristallise à n’en pas douter les espérances de nombreux militants de gauche souhaitant tourner la page de l’éreintant quinquennat Macron. Pour autant, cette démarche est-elle souhaitable ?

Si la primaire populaire a connu récemment une large médiatisation, plusieurs phases se sont déjà succédé afin de constituer la liste finale des dix candidats qui s’affronteront en janvier prochain. Pendant cinq semaines, les organisateurs de la primaire ont rencontré les responsables de différents partis politiques afin de définir le « socle commun ». Le vainqueur de l’initiative devra s’engager à respecter ce lot de dix mesures s’il parvient à l’Elysée en 2022. Est venu ensuite le temps des soutiens. Chaque membre inscrit sur la plateforme a pu parrainer les personnalités politiques qu’il pensait les plus à même de représenter la gauche en 2022. De ces processus ont émergé cinq hommes et cinq femmes qui peuvent aujourd’hui espérer gagner la primaire populaire, dont les votes finaux se tiendront du 27 au 30 janvier 2022. Si certains, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou de Yannick Jadot, ont décidé de ne pas participer à la primaire populaire, il sera néanmoins possible de voter pour eux car ces derniers sont officiellement candidats à l’élection présidentielle. Il semble à première vue douteux de conserver la candidature de personnes ayant refusé de participer à un scrutin. L’Union réclamant de sacrifier quelques principes, les organisateurs de la primaire populaire ont pourtant fait fi de cette réserve.

Une primaire populaire dénuée de légitimité ?

L’initiative recueille actuellement le soutien de près de 300 000 personnes, qui pourront toutes voter à la primaire. Beaucoup s’enthousiasment de ce succès et comparent ce nombre aux 122 670 électeurs ayant participé à la primaire d’Europe Ecologie les Verts (EELV) ou aux 139 742 adhérents Les Républicains (LR) ayant pris part au congrès du parti. S’il est en effet tentant de conférer une plus grande légitimité à la primaire populaire du fait de son nombre élevé de participants, il convient de garder une certaine prudence. En effet, les personnes ayant voté à la primaire écologiste ou au congrès LR n’ont pas eu simplement à donner leurs e-mails et leurs coordonnées. Ces derniers ont dû s’acquitter d’une contribution de 2€ (EELV) ou de cotisations au parti (LR). Difficile donc, de conférer à l’une des initiatives une plus grande légitimité.

Il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire.

De même, il y a cinq ans, la primaire « de la Belle alliance populaire » organisée par le PS et ses alliés avait réuni un peu plus de deux millions de votants, tandis que celle de la droite atteignait les quatre millions. Or, ces chiffres importants n’ont pas empêché ces deux familles politiques de se diviser, comme l’ont rappelé les défections des candidats Bruno Le Maire et Manuel Valls en faveur d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon dispose aujourd’hui du soutien de près de 270 000 personnes ayant elles aussi simplement donné leurs coordonnées et leur adresse mail. Ainsi, il est inévitable qu’une confrontation de légitimité se pose lors de la publication des résultats de la primaire populaire. Il y a en effet fort à parier qu’aucun des sept candidats en lice – trois des dix candidats ont renoncé à se présenter – ne recueillera plus de 270 000 votes.

Le mythe de la bataille des egos

Dans une arène politique marquée par une personnification accrue, il est souvent tentant d’attribuer aux egos et aux personnalités prononcées des leaders politiques la responsabilité de l’échec de l’union de la gauche. Untel sera moqué pour son appétence à orchestrer ses colères, taxé de populiste ou de démagogue, tandis qu’un autre sera accusé de ne penser qu’à sa carrière, ou de préserver sa dignité. À partir de ce postulat, il est ensuite assez simple de suivre le fil directeur qui sous-tend l’organisation de la primaire populaire.

Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

La vision simpliste des organisateurs de la primaire populaire suppose une « gauche plurielle » quémandée, réclamée, par le peuple entier. Les responsables de l’organisation rappellent à qui veut l’entendre que 70% des électeurs de gauche souhaitent un candidat unique. Pourtant, cette symbiose inéluctable serait entravée par l’action intéressée d’acteurs politiques aux egos surdimensionnés. C’est là, précisément, que réside la justification de la primaire populaire. Supposée au-dessus des partis politiques, elle a l’ambition de dynamiter ce « mur des egos » mortifère. Faute de quoi, le pays tombera assurément dans les bras de l’extrême droite.

Il est parfois tentant d’installer sa pensée dans le creux d’un rêve éveillé, comme pour se protéger d’une réalité difficile à affronter. Si l’exercice est répété de manière irrégulière, presque exceptionnelle, il peut même être salvateur et servir de source d’espoir quand les temps sont sombres. Pour autant, certains semblent avoir réussi avec brio le numéro d’équilibriste consistant à organiser une primaire tout en restant continuellement dans une réalité parallèle. Le « mur des egos » n’est qu’une fable et il serait opportun de comprendre les obstacles profonds qui viennent réellement entraver l’union de la gauche.

Il n’existe a priori aucune raison de penser que le résultat de la primaire populaire dirigera vers son vainqueur toutes les voix des électeurs se considérant de gauche. Les citoyens n’étant par principe pas de vulgaires pions. Une attitude salutaire aurait consisté à observer les différences sociologiques qui composent et différencient inévitablement chaque camp politique. Une rapide attention jetée aux sondages d’opinion montre que les électeurs de Mélenchon porteraient en deuxième choix leur vote sur Jadot, tandis que les électeurs de Jadot et d’Hidalgo reporteraient davantage leurs voix sur Macron que sur Mélenchon. Rien ne garantit donc au candidat gagnant de la primaire qu’il puisse bénéficier du report de vote de tous les autres électeurs de gauche. La majorité de ces personnes n’aura d’ailleurs pas participé à la primaire ; très peu se sentiront donc contraints par son résultat.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées.

De manière plus globale, c’est tous les désaccords politiques qui sont gommés. On veut faire croire que la gauche pourrait, moyennant quelques maigres changements de programmes, être unie. Pourtant, des divergences réelles, fondamentales, existent au sein des camps politiques. Personne n’a ainsi semblé s’alarmer du fait que rien, ou presque, ne rassemble les programmes de politiques de Mélenchon ou de Jadot en matière de politique étrangère, que la question européenne est adressée de manière totalement différente en fonction des partis, ou que la question nucléaire marginalise EELV et la France Insoumise (FI) du reste de la gauche.

Finalement, c’est là que réside tout le paradoxe de cette initiative : la primaire populaire aura focalisé principalement l’attention médiatique sur des personnalités plutôt que sur le terrain des idées. Partant pourtant du postulat que les egos des leaders de gauche entravaient toute union, cette entreprise n’a servi que de tremplin médiatique à des personnalités en perte de vitesse tout en permettant l’émergence de nouveaux candidats.

L’illusion du consensus

C’est bien là, sur le terrain des idées, que le bât blesse. Le socle commun, brandi comme étendard d’un programme ayant la capacité d’unir tous les fronts, a été défini en seulement cinq semaines, et ne rassemble que dix mesures que chacun peut interpréter à sa guise. Le reste de la campagne a été très pauvre en débats et en propositions politiques concrètes. Si beaucoup se réjouissent de voir Christiane Taubira rejoindre l’aventure de la primaire, très peu se sont intéressés à son projet politique. D’aucuns chantent les louanges d’une femme racisée capable, selon eux, d’accéder à l’Elysée sans s’interroger sur ses prises de positions passées et son programme présent. Qui s’est inquiété, ou tout au moins a émis des réserves, quant aux propositions défendues par Taubira lors de sa candidature à la présidentielle de 2002 ? Son soutien indéfectible à l’Union Européenne, au régime présidentialiste, à la baisse des impôts sur les plus aisés ou à la retraite par capitalisation a-t-il seulement préoccupé les militants ?

La primaire populaire apparaît ainsi comme une énième initiative de la gauche moralisatrice pour arriver au pouvoir, ou du moins pour dynamiser des campagnes en perte de vitesse. Cette gauche ne lisse pas volontairement les divergences radicales qui séparent les candidats, elle ne les voit tout simplement pas. Pour elle, tous les candidats de gauche partagent peu ou prou les mêmes mesures sociétales – au diable les questions sociales et économiques ! – et en conclut que l’Union est une réalité proche, inéluctable. Alors, une certaine gauche appelle et crie à l’Union. Elle ne le fait pas pour défendre un projet, mais avant tout pour ne pas laisser Macron gagner une seconde fois ; pour que l’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir.

Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Pourtant, un camp politique devient un bloc inerte, incapable d’attirer à lui de nouvelles personnes, s’il refuse de s’engager dans des débats prétendument stériles au nom de la protection d’une unité fantasmagorique. Cette gauche est condamnée à ne faire que peu de remous dans l’histoire puisqu’elle n’existe que pour revendiquer être contre un autre camp plutôt que d’être pour un projet. Aucune alternative concrète n’émergera de la primaire populaire puisque la célébration de la vertu individuelle dans une démarche pacifiée, consensualiste, sera louée au détriment d’une approche agonistique salutaire.

Yannick Jadot : une écologie sans colonne vertébrale ?

© Greenbox

On l’aura compris : Yannick Jadot n’a rien d’un radical. Il tient à représenter une « écologie de gouvernement » susceptible de rassembler un large électorat. On peut comprendre que face au désastre climatique, la nécessité d’unir différents milieux sociaux en faveur d’une politique écologiste le conduise à tenir un discours modéré. On comprend moins que face à ce même désastre climatique, Europe-Écologie les Verts (EELV) ne dispose d’aucun agenda sérieux de rupture avec le mode de production et de consommation dominant. Refus de la planification étatique, absence de plan pour faire décroître les activités économiques polluantes, adhésion sans réserve aux institutions de l’Union européenne, alignement géopolitique sur l’Allemagne – pourtant fer de lance du libre-échangisme en Europe… Les incohérences du programme porté par Yannick Jadot sont nombreuses.

Vainqueur de la primaire écologiste le 28 septembre dernier, cet ancien directeur de programmes chez Greenpeace jouit d’une certaine légitimité chez ceux qui ont participé à l’exercice ainsi que d’une importante visibilité médiatique. Toutefois, son aura ne s’étend nullement au-delà du camp des Verts et des mouvements voisins. À l’heure où une partie croissante de la population française prend conscience que la préservation de conditions de vie acceptables sur Terre va dépendre de notre capacité à lutter efficacement contre le réchauffement climatique, on serait en droit d’attendre d’un candidat qui souhaite devenir le « président du climat » qu’il profite de cette tendance pour défendre une véritable transformation de l’économie ayant pour but ultime de préserver, voire d’améliorer la qualité de vie de l’ensemble des citoyens.

Ce mot d’ordre-là, qu’il s’agirait bien évidemment de concrétiser en mettant en œuvre une stratégie cohérente, serait parfaitement en mesure de séduire un large électorat. Mais au lieu de cela, M. Jadot se contente de lister « 15 propositions pour une République écologique et sociale », floues pour certaines d’entre elles, stratégiquement douteuses pour d’autres. Il s’appuie sur un « projet pour une République écologique » – concocté par EELV – fort imprécis quand il s’agit de définir les moyens à même d’atteindre les fins. Yannick Jadot n’évoque donc, à l’heure actuelle, qu’un homme politique lambda portant le projet défendu par un parti, et crédité de 8 à 9% des intentions de vote à l’élection présidentielle de 2022.

Monsieur Jadot est critiqué par ses adversaires pour sa volonté affichée de concilier écologie et économie de marché, le flou des mesures de transformation structurelle qu’il défend, ainsi que sa rhétorique consensuelle. De fait, il effectue peu de passages médias sans rendre un hommage appuyé aux « entrepreneurs » qui, « sur les territoires » (ou « le terrain ») luttent « au quotidien contre le changement climatique » avec une « énergie formidable ». Au point que l’on se demande pourquoi, avec tant de « bonnes volontés » l’économie ne s’est pas décarbonée d’elle-même !

Trois décennies de globalisation, d’intégration européenne et de décentralisation ont affaibli les prérogatives souveraines de l’État, indispensables à tout projet de planification écologique ; pourtant, loin de déplorer ce processus, Yannick Jadot en appelle à davantage « d’Europe », de « démocratie à l’échelle internationale » et… « de décentralisation » pour mener à bien cette planification.

S’il pointe bien du doigt les entreprises les plus ouvertement polluantes – souvent réduites à des « lobbies » -, il ne met pas en cause le système économique dominant. Faute d’identifier une cause au désastre environnemental – le régime d’accumulation néolibéral – et de présenter l’État comme un acteur central capable de conduire un changement structurel, il se condamne à une succession de vœux pieux.

L’éléphant dans la pièce

« Rendre la rénovation thermique des logements accessible à tous » (proposition n°1 de son programme), « approvisionner 100% des cantines des écoles, des hôpitaux et des universités et des autres établissements publics avec des produits biologiques, de qualité et locaux » (proposition n°4), « interdire l’importation des produits issus ou contribuant à la destruction des forêts primaires » (proposition n°5), sont des idées salutaires qu’il s’agirait de mettre en oeuvre au plus vite. Cependant, elles ne peuvent remplacer un programme de transformation économique qui s’attacherait à évaluer les besoins et exposer les outils de la transition pour chaque secteur.

Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Project, déclarait il y a peu : « La première nation qui saura bâtir un plan cohérent pour sortir du pétrole aura gagné l’avenir » [1]. M. Jadot prévoit certes la subvention des énergies renouvelables… mais c’est le plan cohérent qui fait défaut. « Entrepreneurs », « territoires », « société civile », « tissu associatif », « citoyennes et citoyens »… on n’en finirait pas d’égrener la liste d’acteurs sur lesquels le candidat compte s’appuyer pour mener à bien la transition écologique. L’absence de l’un d’entre eux fait cruellement défaut : l’État. Ce dernier est pourtant indispensable pour mener un changement structurel d’ampleur. Seul l’État peut impulser une mutation du mode de production et conduire la France vers un nouveau paradigme économique.

Comme l’a déjà souligné Laure Després, professeure émérite de sciences économiques à l’Université de Nantes, sous la présidence du Général de Gaulle « la planification indicative à la Française a fait l’objet d’un réel consensus national […]. Le but était d’orienter les investissements des entreprises publiques et privées vers les secteurs prioritaires pour la croissance » [2]. Au vu des évolutions observées depuis les Trente glorieuses, l’enjeu est précisément de créer un nouveau consensus national autour d’un nouveau mode de production qui prenne acte de la finitude des ressources et du désastre climatique. La finalité la planification écologique serait ainsi d’orienter les investissements vers les secteurs prioritaires, non pour tendre vers une croissance maximale mais pour mener à bien la transition énergétique.

L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan, rappellent à juste titre que cela demande un contrôle public du crédit et de l’investissement qui défasse l’immense pouvoir que les créanciers et investisseurs privés ont accumulé depuis les années 1980 [3]. Une idée qui n’a rien d’utopique puisque ce contrôle existait en France dans les années 1950-1960. Le dispositif alors en place, nommé « circuit du trésor », conduisait les institutions publiques, les entreprises publiques ainsi que de nombreux ménages à déposer leurs avoirs monétaires au Trésor public, ce qui permettait à l’État de financer ses dépenses [4].

NDLR : lire sur LVSL l’article de Cédric Durand : « La bifurcation écologique n’est pas un dîner de gala »

Une fois libérés de l’emprise des marchés de capitaux, il conviendrait d’organiser l’action à différents niveaux afin d’éviter une centralisation trop importante susceptible de menacer la dimension démocratique du plan. Mme Després, qu’il convient de citer assez longuement, a bien précisé en quoi consistait une planification multiniveau : « Les grandes orientations du Plan national sont discutées à l’occasion des campagnes électorales, votées par le Parlement et s’imposent à tous. La manière de les atteindre localement compte tenu des caractéristiques écologiques et sociales du territoire est laissée à l’appréciation des collectivités territoriales. Cependant, la région doit élaborer son propre plan en tenant compte des projets élaborés au niveau local et inversement, de même les niveaux national et régional doivent coopérer : des négociations sont donc indispensables pour adopter une démarche globale qui couvre l’ensemble des investissements réalisés par les différentes instances de la puissance publique ainsi que ceux qu’elles peuvent influencer sur leur territoire » [5].

Cette manière de procéder accompagnerait la relocalisation et le protectionnisme nécessaires à la reprise de contrôle de notre appareil productif. Précisons que la France serait dans l’obligation d’entamer un rapport de force avec les institutions européennes qui ne pourraient accepter de telles entorses aux règles de « concurrence libre et non faussée » sanctuarisées dans les traités de l’Union européenne. Il lui faudrait alors chercher le soutien du maximum d’États membres possibles, à savoir ceux qui seraient prêt à s’engager à leur tour dans une véritable planification écologique.

Si l’on veut que l’écologie soit autre chose qu’une succession de propos convenus, il est primordial de poser comme objectif décroissance de larges pans de notre économie, à savoir ceux qui contribuent à satisfaire ou créer des besoins jugés artificiels

Le candidat écologiste a choisi d’aller en sens inverse en prônant une « Union » avec l’Allemagne (proposition n°15), qui défend avec la plus grande ferveur l’ordre néolibéral actuel. Militer quotidiennement pour un « protectionnisme vert » tout en cherchant à renforcer ses liens avec un système de pouvoir structurellement attaché au libre-échange relève à tout le moins de la contradiction.

En cela, l’eurodéputé prend le risque de ruiner sa crédibilité auprès de quiconque ne lui est par encore acquis. La France ne peut faire l’économie d’un rapport de force avec l’Union européenne et l’Allemagne, et d’une affirmation claire des intérêts qu’elle tient à ne pas sacrifier si elle souhaite reprendre son destin en main. Si Monsieur Jadot défend verbalement la « planification écologique », il déclarait en 2016 qu’elle « ne [marcherait] que dans un cadre européen ». Trois décennies de globalisation, d’intégration européenne et de décentralisation ont affaibli les prérogatives souveraines de l’État, indispensables à tout projet de planification écologique ; pourtant, loin de déplorer ce processus, Yannick Jadot en appelait à davantage « d’Europe », de « démocratie à l’échelle internationale » et… « de décentralisation » pour mener à bien cette planification.

Aussi, il ignore que « la reconquête de nos souverainetés alimentaire, sanitaire, énergétique, numérique, industrielle » qu’il entend amorcer – à raison – ne pourra pas se faire « dans une Europe (sous-entendu, une Union européenne) enfin fière d’être un continent social ». Il est fondamental de rappeler que la Commission européenne et la Banque centrale européenne ont fait pression de manière répétée sur les États membres les moins « disciplinés » afin qu’ils diminuent les coûts de leur système de protection sociale, ce qui a mécaniquement porté atteinte à leur capacité à protéger l’ensemble des citoyens contre les risques de la vie (maladie, chômage…). Si l’éclatement de la pandémie de COVID-19 a mené à la suspension de certaines normes de discipline budgétaire – notamment celles du Pacte de stabilité et de croissance –, il n’est pas prévu que cela s’inscrive dans la durée. En 2009, François Denord et Antoine Schwartz publiaient déjà un livre intitulé L’Europe sociale n’aura pas lieu. La décennie qui a suivi a indéniablement confirmé leur analyse, et il n’y a aucune raison de penser que la tendance va s’inverser.

Enfin, s’il propose de « conditionner 100% des aides publiques aux entreprises au respect du climat, du progrès social et de l’égalité entre les femmes et les hommes » (proposition n°3), il est fort dommage que le candidat écologiste n’ait pas songé à préciser les normes à respecter. Dans le projet pour la République écologique, on peut lire que les aides seront mises en place « dans le cadre d’accords d’entreprise ou de branche pour les PME, fixant les progrès à atteindre en matière climatique et sociale ». Or, l’ère néolibérale que nous traversons actuellement se caractérise par une très nette domination du capital sur le travail. Sans normalisation imposée par la puissance publique, il est certain qu’une grande part des entreprises, à commencer par les multinationales, ne va pas réellement agir pour décarboner ses activités. Il existe donc un risque important qu’en l’absence d’une telle prise d’initiative étatique, les entreprises en question passent à travers les mailles du filet par de simples opérations d’écoblanchiment (greenwashing) et autres chartes incantatoires. La planification, en plus de remédier à cela, orienterait de manière claire les investissements qui doivent accompagner la transition énergétique, donnant ainsi la visibilité nécessaire aux entreprises.

L’épineuse question de la croissance

Aux impensés de Monsieur Jadot concernant la mutation de nos modes de production, répondent ceux qui ont trait à la mutation de nos modes de consommation.

Si l’on veut que l’écologie soit autre chose qu’une succession de propos convenus, il est primordial de poser comme objectif décroissance de larges pans de notre économie, à savoir ceux qui contribuent à satisfaire ou créer des besoins jugés artificiels – assortie d’un développement des secteurs peu carbonés et socialement utiles tels que l’agroécologie, le service à la personne ou la réparation d’objets. Une telle perspective implique de rompre avec le régime d’accumulation dominant – caractérisé par une financiarisation et une globalisation sans précédent du capital, et indexé sur la croissance des industries polluantes

Contrairement à une idée répandue, la décroissance de nombreux pans dominants de notre économie n’est aucunement incompatible avec la création d’emplois si elle s’accompagne d’un plan structuré de décarbonation de l’économie et du développement organisé des secteurs – répondant à des besoins jugés plus importants réels – où les travailleurs manquent. En effet, il est tout à fait possible de fixer un quota d’importation de téléviseurs et d’objets connectés, de faire dégonfler progressivement les grandes surfaces et d’interdire la création de nouveaux centres commerciaux tout en créant une garantie à l’emploi. Cette dernière correspondrait au financement de l’emploi en dernier ressort par l’État qui recruterait massivement pour mettre en œuvre la décarbonation ainsi que pour renforcer les secteurs que le plan viserait à élargir.

Logiquement, elle serait financée en partie grâce à la cessation du versement de la quasi-totalité des allocations chômages (qui ont représenté 35,4 milliards d’euros en 2019). Sur les cinq candidats à la primaire écologiste de septembre, une seule a mis en avant de manière assumée le terme de décroissance : il s’agit de Delphine Batho. La députée fait certes désormais partie de l’équipe de campagne de M. Jadot, mais la décroissance ne tient aucune pas de place dans les discours de ce dernier, qui réduit cette question à un simple « débat théorique » [6].

Si la pertinence du terme de décroissance peut être débattue, le coup de pied dans la fourmilière de la candidate était bienvenu. En effet, comme l’explique notamment Jean-Marc Jancovici, polytechnicien et président du Shift Project, le fonctionnement des machines sur lesquelles repose notre économie dépend en grande partie des ressources fossiles dont les réserves se contractent au fur et à mesure que nous les extrayons. D’après un graphique en courbe que M. Jancovici a réalisé à partir de données publiées par British Petroleum (BP), le dernier pic d’approvisionnement pétrolier des États membres de l’UE et de la Norvège a été atteint en 2006. Entre cette année et 2018, l’approvisionnement en pétrole a globalement baissé de 14% malgré une légère remontée au début de la dernière décennie due au boom du pétrole de roche mère (communément appelé pétrole de schiste) aux États-Unis.

Néanmoins, les sociétés spécialisées dans l’extraction de ce type d’hydrocarbure sont structurellement déficitaires, ce qui rend très incertain l’avenir de la production [7]. Il semblerait à tout le moins audacieux d’exclure que cette diminution de la quantité de ressources énergétiques disponibles n’ait pas pour implications une chute du PIB…

Si M. Jancovici analyse très peu les fondements purement économiques de la croissance pour se focaliser essentiellement sur ses fondements énergétiques, on ne saurait balayer d’un revers de main sa conclusion, tant elle trace les contours d’un avenir qui ne semble pas improbable : nous avons le choix entre une décroissance choisie et une décroissance subie. La première option consisterait à diminuer drastiquement, voire à stopper les investissements dans les secteurs qui visent à satisfaire des besoins jugés artificiels (5G, robotique, intelligence artificielle…) responsables d’une bonne partie des émissions de gaz à effet de serre, et à les réorienter vers ceux permettant de remplir des besoins jugés primordiaux (agriculture, textile, logement, sans parler des activités culturelles…) tout en cherchant les décarboner le plus possible. La seconde impliquerait des conflits dus à l’écart de plus en plus important entre la demande de ressources naturelles et l’offre disponible. Elle adviendrait d’ailleurs dans un monde où la qualité de vie aurait déjà sensiblement baissé par endroits (épisodes caniculaires répétés, manque de végétation…).

Il est fort dommage que Monsieur Jadot n’ait pas songé à prendre en compte ces contraintes. Celui pour qui l’écologie est « un projet d’émancipation », « un projet de liberté individuelle et collective » a omis d’inclure le consumérisme et les besoins artificiels comme facteurs d’aliénation. Si l’écologie est un projet de société, autant assumer les changements radicaux à porter si l’on ne tient pas à connaître une dégradation marquée de notre qualité de vie dans les décennies à venir. 

Notes :

[1] Cédric Garrofé, « Matthieu AUZANNEAU : “La première nation qui bâtira un plan cohérent pour sortir du pétrole aura gagné” », Le Temps, 22 septembre 2021.

[2] Laure Després, « Une planification écologique et sociale : un impératif ! », Actuel Marx, 2019/1.

[3] Cédric Durant et Razmig Keucheyan, « L’heure de la planification écologique », Le Monde diplomatique, mai 2020.

[4] Benjamin Lemoine, « Refaire de la dette une chose publique », Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, 27 juillet 2016.

[5] Laure Després, art. cit.

[6] La Décroissance, n° 182, Lyon, septembre 2021

[7] Matthieu Auzanneau, « L’inexorable déclin du pétrole. L’Union européenne, première victime de la pénurie ? », Futuribles, 2021/4

Tribune : L’unité de la gauche est-elle un mirage ? Par Philippe Légé

http://www.laprovence.com/actu/en-direct/4618347/melenchon-si-hamon-avait-retire-sa-candidature-il-serait-premier-ministre.html
Capture France 2

Philippe Légé est enseignant-chercheur en économie à l’université de Picardie Jules Verne. Il aborde, dans cette tribune, la question de l’unité de la gauche, posée presque tous les jours depuis la victoire de Benoit Hamon aux primaires de la BAP.

L’échec de la politique de F. Hollande était très prévisible. La volonté de N. Sarkozy de revenir dans le jeu électoral aussi. Mais plusieurs évènements de la fin du quinquennat l’étaient beaucoup moins : les attentats, l’ampleur des divisions au PS autour de la déchéance de nationalité et du projet de loi Travail, la victoire de F. Fillon aux primaires et les révélations sur ses affaires, le renoncement de F. Hollande à sa propre succession, le succès d’opinion de la candidature Macron et le soutien médiatique dont elle bénéficie, etc. Malgré le caractère mouvant de la situation politique depuis environ un an, voici quelques éléments de réflexion afin d’essayer d’y voir plus clair.

La catastrophe sociale

La situation sociale est exécrable. Fin 2016, le taux de chômage au sens du BIT était au même niveau que fin 2012 lorsque François Hollande promettait « l’inversion de la courbe du chômage ». On compte notamment 1,2 millions de chômeurs de longue durée. Beaucoup d’électeurs de Hollande sont en colère du fait du renoncement à de nombreuses promesses : renégocier le traité européen, museler la finance, attribuer le droit de vote aux étrangers pour les élections locales, fermer la centrale de Fessenheim avant la fin 2016, etc. Il y eut aussi quelques surprises ahurissantes : la loi Travail imposée à coups de 49-3, un « pacte de responsabilité » qui coûtera cette année la bagatelle de 41 milliards d’euros, etc. Même dans le monde enseignant, où le PS jouait pourtant sur du velours après les 66 000 suppressions de postes effectuées par Sarkozy, le gouvernement a réussi l’exploit de devenir impopulaire.

Les conséquences électorales

Durant le quinquennat, le PS a perdu toutes les élections intermédiaires et par voie de conséquence les deux tiers de ses élus ! La droite et surtout le FN ont progressé. Aux européennes de 2014, le FN est même arrivé en tête en obtenant 25,18% des suffrages (contre seulement 6,47% en 2009).

On sait donc depuis des mois que le second tour des Présidentielles sera très marqué par la droitisation et la déception induites par la politique du gouvernement. Aujourd’hui, les intentions de vote pour Benoit Hamon parmi les fonctionnaires sont deux fois plus faibles que celles pour François Hollande en 2012 parmi ces mêmes fonctionnaires[1]. En outre, le FN mène une campagne très habile et sa promesse de « Remettre la France en ordre » rencontre un écho favorable dans les classes populaires. En dépit des trois affaires judiciaires la concernant, Marine Le Pen peut même « Au nom du peuple » gagner les voix de nombre d’électeurs dégoûtés par la corruption de Cahuzac ou l’emploi fictif de Mme Fillon. Rappelons que cinq jours avant le « coup de tonnerre du 21 avril 2002 », il paraissait « assez peu vraisemblable » à Lionel Jospin de se retrouver derrière Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, avec 27% d’intentions de vote, le FN est assuré d’être présent au second tour de l’élection présidentielle.

La responsabilité du gouvernement socialiste

Cette situation est souvent présentée de façon déformée. Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui est responsable de la catastrophe actuelle mais le gouvernement socialiste et, indirectement, tous ceux qui ne s’opposent pas à la politique économique déflationniste mise en place en Europe. Fin juin 2012, on pouvait déjà constater que le discours du Bourget semblait « bien loin », que le soutien populaire risquait « de rapidement faire défaut au pouvoir en place » et qu’il était « urgent de construire une opposition de gauche à l’austérité, sans quoi l’extrême-droite se nourrira des fruits de la désillusion »[2]. La construction d’un front d’opposition de gauche s’est heurtée à l’échec du Front de Gauche et au sectarisme de l’extrême-gauche. Ceci étant dit, la question est de savoir ce qu’il faut faire à présent.

L’unité électorale de la dernière heure ?

Beaucoup ont cru que la victoire de B. Hamon rendait possible de conjurer la catastrophe au dernier moment. On pouvait certes rêver d’une unité de l’aile gauche du PS et de l’ex Front de Gauche sur la base d’une critique du bilan de Hollande et d’un projet de rupture… mais il fallait bien admettre dès le départ que c’était une entreprise désespérée. En outre, l’échec de cette tentative d’unité ne résulte pas de la mauvaise volonté des uns ou des autres. Dans un message diffusé sur les réseaux sociaux, l’écrivain Denis Robert estime que lorsque « le FN emportera la présidentielle » et une centaine de sièges à l’Assemblée, « nous le devrons à ces deux coqs qui font passer leurs intérêts avant les nôtres ». C’est d’abord exonérer le gouvernement qui mène une politique désespérante et laisse le chômage à un niveau extrêmement élevé. Et c’est ensuite faire de la question des alliances politiques une question d’ego, de personnes. Alors même que ni Mélenchon ni Hamon n’avaient vraiment la possibilité de réaliser cette alliance.

Le nœud du problème

Supposons que Hamon n’ait pas sa part de responsabilité dans cette situation catastrophique (c’est une première fiction) et que, comme lui a indiqué Mélenchon dans sa lettre, nous lui fassions « de bon cœur crédit de [sa] bonne foi » (deuxième fiction). Admettons donc les mains blanches et les bonnes intentions : la situation catastrophique demeure, tant sur le plan social que celui du rapport de force électoral gauche-droite. La question est alors : Hamon peut-il contribuer à y remédier ? Comme lui écrit Mélenchon, il est « légitime et honnête que nous te demandions des garanties politiques précises sur ton engagement à rompre avec le quinquennat et son bilan ». C’est la moindre des choses. Par honnêteté vis-à-vis de ses électeurs, Mélenchon ne peut pas faire abstraction de cette question. Mais Hamon peut difficilement y répondre positivement parce qu’il est prisonnier de l’appareil du PS.

Dès lors, même en admettant que le programme de Hamon soit un bon programme (c’est une troisième fiction[3]) à partir duquel on puisse négocier un compromis programmatique, il reste une difficulté de taille, sans doute insurmontable. La possibilité qu’un tel compromis soit effectivement mis en œuvre ne se résume pas à la volonté, ou à l’ampleur des divergences idéologiques, entre deux individus. En dépit de son régime très présidentiel, la France est une démocratie parlementaire. Pour gouverner il faut une majorité au Parlement. Or, tant que Hamon ne remet pas en cause la composition très droitière des candidats PS aux législatives, toutes ses promesses seront mensongères : comment peut-il prétendre appliquer un programme idéologiquement proche de Mélenchon avec des députés comme Valls ? El Khomri ? etc. Ce ne sont pas des cas isolés : celles et ceux qui ont soutenu la politique de Manuel Valls jusqu’au bout forment la grande majorité des candidatures retenues par le PS. Dans ces conditions, qui votera les lois d’un programme commun Hamon-Mélenchon ? En outre, avec de tels candidats aux législatives, la fiction consistant à exonérer le candidat Hamon de la responsabilité du bilan ne tient plus. Ses futurs parlementaires sont majoritairement ceux qui revendiquent le bilan positif du quinquennat, ceux qui ne reconnaissent pas la catastrophe. Et son équipe de campagne est le fruit de compromis internes.

Le recyclage des vallsistes

L’équipe de campagne de Hamon ne comprend pas seulement des « frondeurs » et des personnalités de la gauche ou du centre du PS. Certains droitiers se sont certes ralliés à Macron, comme Gérard Collomb, François de Rugy (qui avait pourtant promis le contraire afin de pouvoir participer à la primaire du PS !) et Christophe Caresche. Mais ce n’est pas tous leur cas. Véronique Massonneau, qui était la directrice de campagne de François de Rugy, a annoncé qu’elle « continuera à travailler » avec ce dernier mais qu’elle soutient désormais Benoit Hamon. Les vallsistes Dominique Raimbourg, Elsa Di Méo, André Viola et Luc Carvounas ont intégré l’équipe de campagne de Hamon. Carvounas, bras droit de Valls, est ainsi chargé de « chapeauter les parlementaires ». Pour mémoire, en janvier 2013 il comparait le PCF et le FN[4]. Deux mois plus tard, Carvounas insultait Jean-Luc Mélenchon en le qualifiant de « petit Robespierre de mauvaise facture » qui « éructe » des propos « violents et outranciers contre le président de la République »[5].

Après avoir insulté la jeunesse rassemblée par Nuit Debout « qui est un peu le miroir d’une autre jeunesse plus réactionnaire qui s’était rassemblée pour la manif pour tous »[6], Carvounas déclarait pendant les grèves de 2016 que la CGT est « une forme de caste gauchisée » et que « bien sûr ce sont des privilégiés »[7]. C’est classique : quiconque lutte contre les injustices est qualifié par la droite de réactionnaire ou de privilégié. Mais prétendre opposer au « populisme » de Mélenchon une « gauche » accueillant de telles pratiques est… pour le moins problématique ! Luc Carvounas (qui est membre des instances fédérales du PS depuis l’âge de 25 ans) ajoutait que Philippe Martinez (qui a travaillé en usine avant de devenir secrétaire général de la Fédération CGT des travailleurs de la métallurgie à l’âge de 47 ans) est un « permanent politique ». Et durant l’été 2016, Carvounas organisait la fronde… pour le cumul des mandats : « Après les parlementaires de droite, au tour de quelques sénateurs de gauche de s’attaquer à la loi interdisant le cumul des mandats. […] Si ces élus assurent ne pas vouloir totalement mettre à bas l’interdiction du cumul des mandats, cette initiative venant d’élus qui s’étaient déjà opposé à ce texte lors de son examen ne laisse aucun doute sur leur intention »[8]. Pourquoi Benoit Hamon intègre-t-il un tel profil dans son équipe ?

Le succès de Hamon, symptôme de la crise du PS

La primaire peut permettre de gagner en popularité mais elle n’est pas une procédure démocratique. On peut comprendre celles et ceux qui sont allés voter pour « dégager Valls ». Mais il ne faut pas tirer du résultat l’idée que Hamon est majoritaire dans le PS. Il a gagné avec un apport important de voix extérieures au parti. Même Philippe Marlière est obligé, dans son plaidoyer pour une alliance de « la gauche de gauche » avec B. Hamon, de reconnaître que ce dernier est « minoritaire pour le moment dans l’appareil du parti »[9]. « Pour le moment » : oui, comme pour toute chose. Mais il est vain de croire que cela puisse changer avant les élections. Bon connaisseur du Parti Socialiste, dont il fut militant, P. Marlière reconnaît d’ailleurs que les marges de manœuvres de Hamon sont très limitées lorsqu’il explique que l’argument de Mélenchon concernant les candidatures aux législatives « est plus recevable que le précédent à ceci près qu’il est très théorique. La question de la désélection de candidat-es s’est posée à Jeremy Corbyn, et il s’est heurté à un mur. Quand on est politiquement minoritaire dans un parti, il est quasi-impossible de procéder à ce type de « nettoyage » car Hamon serait rapidement débarqué par un putsch interne ».

C’est exact, si ce n’est que l’argument « très théorique » débouche sur un enseignement bien concret : la seule solution pour l’unité serait que Hamon prenne le risque de faire éclater le PS, devenant ainsi celui qui dénoue les contradictions au sein de son parti. Il n’a pas fait ce choix difficile (ou « quasi-impossible ») qui impliquait beaucoup de départs vers Macron et supposait en outre l’organisation d’un Congrès. Ce n’est pas très surprenant : le succès de la candidature Hamon est davantage le symptôme de la crise interne au PS que le résultat d’une victoire politique.

La « gauche » est électoralement minoritaire

Philippe Marlière a sans doute raison de penser que la relative faiblesse interne de Hamon conduira ce dernier à suivre une stratégie politique consistant à convaincre le cœur de l’appareil d’accepter un certain gauchissement de son discours : « Mieux vaut tenter de convaincre le ventre-mou du parti de se rallier à une politique qui suscite l’intérêt et le soutien des électeurs de gauche, que de menacer ou sanctionner a priori des élu-es en vertu de leur comportement passé ». Reste à savoir si la « gauche de gauche » préfère épauler Hamon dans cette opération séduction vis-à-vis du ventre-mou du PS – qui a voté tous les budgets d’austérité et toutes les lois régressives – plutôt que de mener à bien la campagne entamée il y a près d’un an par Jean-Luc Mélenchon. On en revient à la question de savoir si cette politique « qui suscite l’intérêt » a des chances d’être effectivement mise en œuvre.

Imaginons à présent que toutes les conditions précédentes soient réunies et que Benoit Hamon parvienne à imposer à son parti le gauchissement de la composition des listes des candidats aux législatives (quatrième fiction). De nombreux candidats de l’aile droite du PS perdent leur investiture au bénéfice de l’ex-Front de Gauche. Quel serait le résultat ? Aux présidentielles, même en cas d’alliance, le total de la gauche est pour l’instant inférieur de quinze points à celui obtenu en 2012. Penser que ces sondages ne donnent aucune indication sur le rapport de force électoral ou penser que la dynamique de l’unité suffirait malgré tout à obtenir une majorité au parlement c’est prendre ses rêves pour des réalités. Les sondages situent « le total Hamon-Jadot-Mélenchon dans une fourchette de 26 à 29% […] la prévisible majorité présidentielle se trouve dans l’incertitude pour les législatives qui suivent. En 2012, il a fallu 42 % au premier tour de la présidentielle pour avoir 40 % à celui des législatives »[10]. Même Hamon le sait : il ne fait pas campagne pour gagner mais pour limiter la casse.

Conclusion

Rêver d’un retour de la gauche plurielle, n’est pas seulement illusoire. C’est aussi oublier que cette expérience a eu lieu il y a 20 ans et qu’elle a fini par la déception et par la disqualification du PS au premier tour de l’élection présidentielle. Il faut construire l’unité autour d’un compromis programmatique progressiste et valable dans le monde d’aujourd’hui. Comme l’explique le ministre-président wallon Paul Magnette, qui fut un fervent fédéraliste mais se définit aujourd’hui comme un « fédéraliste meurtri et un peu désespéré », l’Europe « est en train de se désintégrer. Les gens ne le voient pas encore, mais c’est comme un feu de cheminée : ça a pris, c’est invisible, mais à un moment donné on le verra. Et le Brexit en est le premier symbole »[11]. Jean-Luc Mélenchon prend acte de cette situation : « L’Europe de nos rêves est morte. C’est seulement un marché unique et les peuples sont soumis à la dictature des banques et de la finance. Comment stopper ce cauchemar ? ». Son programme cherche à y répondre. Rien de tel chez Benoit Hamon, dont les promesses ne vaudront rien tant qu’il ne remettra pas en cause les traités européens. C’est d’ailleurs ce que vient d’expliquer Jean-Luc Mélenchon : « il n’est pas possible de régler la différence qui par exemple nous sépare sur la question essentielle de l’Europe ».

Faire abstraction des conditions concrètes est le meilleur moyen de ne rien construire dans la durée. En France, la recomposition des forces politiques est imminente. Or, il existe un choix électoral susceptible d’améliorer les conditions dans lesquelles elle se déroulera et, peut-être, de favoriser le mouvement populaire de transformation sociale. Malgré les limites de sa candidature, notamment dans le domaine des questions internationales, il faut soutenir Mélenchon et, pour les législatives, œuvrer au rassemblement de toutes les forces de gauche indépendantes du PS. Sur les 577 circonscriptions, il n’y a pour l’instant que deux cas dans lesquels l’unité prévaut entre EELV, Ensemble, France Insoumise et le PCF[12]. La priorité n’est-elle pas de multiplier les expériences de ce type et, pour les présidentielles, de convaincre les très nombreux électeurs n’ayant pas encore fait leur choix de voter pour Jean-Luc Mélenchon ?

Philippe Légé

Sources :

[1] Enquête du CEVIPOF publiée le 21/02/17.

[2] https://blogs.mediapart.fr/philippe-lege/blog/010712/le-changement-et-maintenant

[3] Lire les critiques du projet de revenu universel formulées par Jean-Marie Harribey ou David Cayla : http://l-arene-nue.blogspot.fr/2016/05/un-revenu-universel-peut-il-liberer-la.html ; http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2016/06/26/il-faut-choisir-entre-revenu-minimum-et-salaire-minimum/ ; https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-11-automne-2016/dossier-le-travail-en-question-s/article/travail-collectif-valeur-et-revenu-l-impossible-dissociation

[4] « Les relations entre les anciens alliés socialistes et communistes ne cessent de se dégrader. Après les coups d’éclat communistes au Sénat, la parodie de vœux envoyée fin décembre par le PCF à François Hollande n’a pas été appréciée rue de Solférino. “Le FN aurait pu en signer l’esprit !”, s’en étrangle encore Luc Carvounas, secrétaire national du PS aux relations extérieures » Source: http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/01/09/l-unite-de-facade-de-la-gauche-au-pouvoir_1814376_823448.html#iyPdGXJo4KDg3MpE.99

[5] http://lelab.europe1.fr/jean-luc-melenchon-un-petit-robespierre-de-mauvaise-facture-pour-luc-carvounas-7601

[6] http://www.dailymotion.com/video/x47qeuu_luc-carvounas-sur-nuit-debout-les-manifestants-sont-comparables-a-ceux-de-la-manif-pour-tous_tv

[7] http://www.lci.fr/politique/pour-un-senateur-ps-la-cgt-est-une-caste-de-privilegies-et-son-patron-un-permanent-politique-1260032.html

[8] http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2016/08/17/25006-20160817ARTFIG00092-offensive-a-gauche-contre-la-loi-interdisant-le-cumul-des-mandats.php

[9] https://www.contretemps.eu/marliere-vote-hamon-ps-gauche/

[10] http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/les-faux-semblants-de-l-union

[11]http://www.lecho.be/dossier/maastricht/Paul_Magnette_L_Europe_est_en_train_de_se_desintegrer.9859074-8732.art?ckc=1

[12] Ces organisations portent dans la 1ere circonscription de la Somme la candidature de François Ruffin et de sa suppléante Zoé Desbureaux, et dans la 1ere circonscription des Hautes-Alpes celle de Pierre Villard et de sa suppléante Karine Briançon.

Crédits Photo :

Capture France 2 http://www.laprovence.com/actu/en-direct/4618347/melenchon-si-hamon-avait-retire-sa-candidature-il-serait-premier-ministre.html

Accord PS-EELV : et l’écologie dans tout ça ?

Jadot se rallie. Mélenchon et Hamon se quittent bons amis. La séquence des tentatives de construction d’une candidature unique de ce que d’aucun appelle la gauche se referme. L’occasion de revenir sur le contenu de l’accord ayant conduit Jadot à prendre, seul, la décision de se rallier au candidat PS avant que les électeurs écologistes ne soient consultés. Une alliance qu’il refusait catégoriquement il y a quelques mois.  

Un accord ambitieux… sur le papier !

Sur le papier, l’accord est agréablement surprenant. Sur la transition énergétique, l’accord prévoit une sortie du nucléaire en 25 ans avec la fermeture des premières centrales pendant le mandat pour tenir l’objectif d’une réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2025. L’objectif affiché est d’atteindre les 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. Le projet d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure sera arrêté. Des études pour des solutions alternatives seront menées. En attendant, les déchets resteront en sub-surface. L’accord promet aussi d’établir une taxe carbone et la mise en place d’une fiscalité favorable aux tranports propres (le grand retour de l’éco-taxe). L’accord prévoit de coordonner cette transition énergétique par un pilotage national. Ce pilotage national devra mettre en cohérence les politiques publiques et les budgets avec les engagements pris lors de la COP 21. De la planification écologique en somme.

Sur le plan international, l’accord promet de s’opposer au CETA, au TISA et au TAFTA. L’Union Européenne devra lancer un plan de 1000 milliards d’investissements pour se mettre en conformité avec l’accord de Paris sur le climat. Une réorientation des mesures de quantitative easing de la BCE vers la transition énergétique est aussi demandée.

Concernant l’agriculture et la santé, le projet est également ambitieux. On nous promet l’interdiction des pertubateurs endocriniens et des pesticides, et la sortie du diesel d’ici 2025 pour les véhicules légers. Un grenelle de l’agriculture est annoncé. La PAC devra être réformée pour en faire un outil de reconversion des exploitations vers l’agriculture biologique. Le développement intensif du bio dans les cantines accompagnera cette transition. Petite cerise sur le gâteau : une législation protectrice des animaux accompagnera la fin des exploitations d’élevage industriel.

Même dans nos rêves les plus fous, on n’aurait pas imaginé le PS prendre un tel tournant écologiste. Parti productiviste s’il en est, le PS se trouva le plus souvent du côté des lobbys ces 5 dernières années. Face à un tel demi-tour, il convient d’en venir à la raison pour savoir si c’est un tournant sincère ou si l’on assiste au remake écolo du discours du bourget.

Qui rappelle les trahisons du PS…

Car en la matière, il y a un précédent : l’accord entre les socialistes et les Verts en 2012. La comparaison ne plaide pas en faveur du PS. Furent promis et ne furent pas apppliqués : la loi de séparation bancaire, l’interdiction du travail de nuit et des tâches physiques pour les travailleurs de plus de 55 ans (le PS a préféré reculer l’âge de la retraite), le rétablissement de la hiérarchie des normes (coucou la loi El Khomri), la présence des salariés et de leurs représentants dans les instances de décision et de rémunérations des grandes entreprises, le rétablissement du repos dominical (coucou la loi Macron), l’égalité salariale femmes-homme, le passage à 20% de la surface agricole utilisée en bio (6 % aujourd’hui!), une taxe européenne sur les transactions financières de 0,05 %, autoriser la BCE à racheter des emprunts d’États, le salaire minimum européen, la reconnaissance de l’État de Palestine et le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales pour les étrangers résidant en France depuis cinq ans et plus. Et j’en passe ! Lire l’accord de 2011 nous donne d’ailleurs une idée, par contraste, du niveau d’impréparation et de droitisation avec lesquels le PS affronte l’élection de 2017.

Le feuilleton Fessenheim : les preuves du renoncement du PS. Crédits photo : http://www.sortirdunucleaire.org/Accord-PS-EELV-un-renoncement-sous,26168
Le feuilleton Fessenheim : les preuves du renoncement du PS. Crédits photo : http://www.sortirdunucleaire.org/Accord-PS-EELV-un-renoncement-sous,26168

Que vous êtes tatillons ! Le gouvernement n’a-t-il pas oeuvré au service de la COP 21 ? On ne crachera pas sur un accord international signé par tous les pays de la planète ou presque. On ne pourra s’empêcher, cependant, de noter que, si l’accord a pour objectif de maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2 degrés, les contributions des Etats laissent entrevoir une limitation du réchauffement climatique à 3 degrés. La catastrophe ! Avec un Trump qui pourrait retirer la signature américaine du traite et un CETA, soutenu par le gouvernement PS, qui ne mentionne même pas l’accord de Paris et remet en cause les engagements de baisse d’émissions de gaz à effet de serre en faisant exploser les échanges internationaux, les progrès de la COP 21 seront vite caducs. Pour le reste, le bilan du PS en matière d’écologie n’est pas fameux. Aucune centrale nucléaire n’a été fermée pendant le quinquenat, alors que l’accord de 2012 promettait la fermeture de 24 réacteurs d’ici 2025. En matière d’énergies renouvelables, pour ne citer que cet exemple, on n’atteindra pas les 3,5 Gigawatts produits par les éoliennes en mer avant 2025 alors que le grenelle de l’Environnement en prévoyait 6 à l’horizon … 2020. Et la situation ne risque pas de s’arranger : les deux entreprises fabricants des éoliennes off-shores ont été vendues à General Electric et Siemens de sorte que l’on a aucune espèce de contrôle sur la construction des éoliennes off-shores. Cela semble mal parti pour le pilotage national de la transition écologique.

Côté agriculture, ce n’est pas mieux. Il faudra attendre 2018 pour voir les néonicotinoïdes tueurs d’abeille interdits, avec des dérogations jusqu’en 2020 ! La Commission Européenne ne cesse de maneuvrer pour empêcher d’une façon ou d’une autre, les pertubateurs endocriniens d’être interdits. Dernier épisode : le 28 décembre dernier, l’ordonnance qui devait mettre en place le « certificat d’économie de pesticides », qui aurait contraint les vendeurs de pesticides à réduire leurs ventes de 20 % d’ici 2020, a été annulée. Pourtant, « l’usage des pesticides a augmenté notablement de 9.7% en 2014 par rapport au chiffre de l’année précédente. On est très loin de l’objectif du Grenelle de diviser par 2 la consommation en 2018 », note France Nature Environnement.

Et en augure de nouvelles… 

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Capture d’écran Twitter

Un accord non respecté, une mandature anti-écologiste au possible : on se demande bien comment on peut faire confiance au PS pour respecter un tel accord. D’autant que les conditions politiques ne sont pas vraiments réunies. Les investitures données jusqu’à présent par le PS bénéficient majoritairement à des députés “légitimistes” réinvestis. On se demande comment les mêmes qui ont voté une politique anti-écologiste vont pouvoir soutenir une politique de rupture. Inversement, on se demande comment un électeur pourra faire confiance à un député qui, après avoir soutenu la politique de F.Hollande, promettra de soutenir le contraire pendant 5 ans. Quand aux circonscriptions promises, elles sont bien maigres. En 2012, les Verts avaient obtenu le soutien du PS dans 61 circonscriptions. Résultat : 17 députés. Si tant est qu’un deputé EELV offre une plus grande garantie de respect des promesses qu’un député PS, EELV obtient à peine 43 circonscriptions. Évidemment, ceux qui ont negocié l’accord sont récompensés. Au passage, le PS a donné des circonscriptions où se retrouvent des députés soutenant Macron. Pas sûr qu’ils se retirent dans ces conditions.

Enfin, si on y regarde de près, le contenu de l’accord est flou. On nous promet le refus du CETA. Donc le candidat du PS et le parti qui le soutient refuseraient un CETA que leur gouvernement a signé, que le parlement européen a adopté grâce aux députés socio-démocrates européens et qui s’appliquera provisoirement sans qu’aucun pays ne l’ait ratifié ? On peut douter de la parole du PS quand, dans le même temps, son candidat, Benoît Hamon, n’a pas daigné se déplacer à l’Assemblée Nationale lorsque les communistes ont soumis une proposition de loi pour soumettre le CETA au référendum du peuple français. Pire, du fait du désaccord entre les députés socialistes, le groupe PS s’est abstenu. L’EPR de Flamanville, qui ruine EDF, n’est même pas mentionné. Contrairement à l’accord de 2012 qui prévoyait la fermeture de 24 réacteurs d’ici 2025 en commençant par Fessenheim et les sites les plus dangereux, aucun calendrier précis n’est prévu. Fessenheim n’est même pas mentionné ! Pire, on promet la fermeture du nucléaire en 25 ans, soit en 2042. Comme les réacteurs ont une durée de vie de 40 ans, il faudra soit prolonger la durée de vie de certains réacteurs soit lancer l’EPR de Flamanville ! Pour les grands projets inutiles, des conférences de consensus sont prévues. On sait que ce genre de formules creuses cache de grands renoncements. D’ailleurs, on ne promet même pas l’abandon du projet NDDL, juste l’abandon de son site. Le grand plan d’efficacité et de sobriété énergétique ne mentionne aucun objectif chiffré, quand l’accord de 2012 prévoyait la rénovation d’un million de logements par an. De nombreux éléments manquent à l’accord : rien sur l’indépendance de la BCE ni sur les traités européens alors que ceux-ci empêchent les investissements nécessaires à la transition écologique. Hors de question de parler de protectionnisme alors même qu’il est nécessaire pour relocaliser la production. Rien n’est dit sur la libéralisation des services publics non plus.

Malgré les bonnes attentions affichées, il semble bien que cet accord ne soit condamné à n’être qu’un affichage de bonnes attentions. De belles couleuvres en perspectives pour les Verts.

Alliance Hamon – Jadot – Mélenchon : pourquoi il faut tourner le dos au PS

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Primaires_de_la_gauche_-_janvier_2017_-SMdB_(5).JPG
© Benoît Prieur

Hacker la présidentielle. Mettre de côté les enjeux personnels. Présenter une candidature d’union au service de la France. Un projet qui fleure bon le printemps, là où tout est rose, tout est fleuri et merveilleux. L’idée est tentante… Mais cette alliance serait un piège stratégique qui ne ferait que redorer le blason du Parti Socialiste. Cette pétition qui commence à circuler sur les réseaux sociaux est à l’initiative d’un certain nombre de personnalités dont on connaît l’engagement pour un projet de société viable. Cet appel paré de toutes les belles intentions n’en constitue pas moins une grossière erreur de jugement. Et ceux qui, en la partageant, pensent faire preuve du meilleur sens politique, font en réalité le bonheur de tous les barons du système.

Le PS ne mérite aucun pardon

Le résultat du 2nd tour de la primaire est certes une bonne nouvelle. Il marque une étape supplémentaire dans l’effondrement du vieux monde politique. Deux présidents et deux premiers ministres ont été balayés par le piège des primaires. Moins de 15% des électeurs ont participé à celles du PS et de la droite. En faisant confiance aux chiffres surgonflés par M. Cambadélis, tout au plus 2 millions d’électeurs sur 48 potentiels à l’échelle nationale ont participé à la primaire du PS. Et plusieurs milliers sans doute, se sont précipités pour gifler une deuxième fois Manuel Valls. Pas nécessairement pour applaudir Hamon.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. N’oublions pas qu’ Hamon est l’heureux héritier du bilan Hollande. Hamon est le complice de la Loi Travail, de la Loi Macron, auxquelles il s’est opposé bien mollement. Mais il est surtout responsable, alors au gouvernement, du vote du traité budgétaire européen (TSCG) en 2012 et du CICE (40 milliards offerts gracieusement au MEDEF sans contrepartie). Quelle crédibilité possède Benoît Hamon, qui prône aujourd’hui la justice sociale après avoir été membre d’un gouvernement qui l’a niée an bloc ? Il y a quelques jours, on soupçonnait le PS de manipulation des résultats au premier tour des primaires. Peu de votants, 35 000 adhérents tout au plus et un bilan catastrophique. Et soudain, au lendemain de la victoire de Benoît Hamon, un curieux bond dans les sondages, comme pour mieux rappeler au troupeau pour qui il faut voter. Le PS n’est plus qu’une coquille vide et ne mérite pas qu’on oublie son bilan. L’idée d’une convergence sous l’égide d’Hamon est tentante. Mais quelle est sa légitimité après avoir été le fossoyeur des valeurs de la gauche ?

Crédibilité et cohérence zéro 

Impossible de s’allier quand les projets sont trop différents. La pétition entend œuvrer pour un projet écologique, social et économique au service de la France. Il s’agirait de regonfler la voile de la gauche et de faire barrage aux dangers que constituent le néo-libéralisme de Fillon et Macron et la xénophobie de Marine Le Pen. Encore une fois, les électeurs ont la mémoire courte. On se remémore encore le fameux « mon ennemi c’est la finance ! » du brave Hollande. Les déclarations d’intention des candidats ne comptent pas : seules devraient nous intéresser la crédibilité des partis et la cohérence des programmes. Or, de crédibilité et de cohérence, le parti et le programme de Hamon n’en possèdent pas.

Le PS devrait d’abord commencer par résoudre ses propres incohérences en interne. On oublie vite que Myriam El Khomri dans le 18ème et Manuel Valls à Evry  sont candidats aux législatives. Cela signifie que la ministre de la Loi Travail, et le 1er ministre du 49-3 se présentent en promettant – via Hamon – d’abroger la Loi Travail et le 49-3. Sans compter les défections en cours et à venir des ténors du PS qui rejoignent Macron la queue entre les jambes, priant pour sauver leur carrière politique ! Même inconséquence pour le programme politique de Benoît Hamon : l’ex-ministre de l’Education nationale use et abuse de la communication sur un hypothétique « revenu universel » tout en jouant les européistes béats. Mais des revendications écologiques et sociales radicales ne seront pas dissociables d’une interrogation critique vis-à-vis du projet européen. Le programme de Benoît Hamon est strictement inapplicable dans le cadre de l’Union Européenne, fer de lance des politiques néolibérales et bras armé des lobbies pollueurs. Or, de son aveu même, Benoît Hamon ne croit pas à l’idée d’un “rapport de force” avec l’Union Européenne. Quelle crédibilité, dès lors, pour son programme écologique et social ?

Diviser pour régner

L’appel du pied d’Hamon et cette pétition sont un piège. Appeler à une telle convergence à moins de trois mois de l’élection présidentielle peut donner à certains l’impression d’œuvrer pour le meilleur des mondes en dénonçant le « jeu des égos » et la stratégie politicienne. C’est en réalité la manœuvre parfaite pour assurer la pérennité du système. Proposer une alliance sans avoir l’intention de, forcer les autres à la refuser, les dénoncer ensuite. Avec le renfort de la grande presse et de sondages bidonnés, huer les égoïstes et les stratèges. Le deal parfait pour semer le trouble et sauver le parti socialiste ! Classique. On nous a déjà fait le coup. Hamon, en 2012 déjà, déclarait au Figaro en parlant de Hollande : « On lui assure un flanc gauche qui évite que certains électeurs se tournent vers Mélenchon. » A moins que Hamon n’ai été touché ces 2 derniers mois par la grâce divine et la révélation écologiste, il pourrait tenir toujours le même rôle. Le risque, en définitive, à trop appeler à une convergence qui irait dans le même sens qu’en 2012, serait d’ouvrir la voie à un Macron qui siphonne d’ores et déjà des voix de tous les côtés. On apprend ce matin qu’ Hollande manifeste son soutien à Hamon. Au mieux, la preuve d’un bel aveu de filiation. Au pire, la marque de Caïn signé Hollande pour sacrifier définitivement Hamon au profit de Macron. En ce sens, et sans être défaitiste, il faut aussi s’attendre à l’éventualité d’un second tour Macron – Fillon. Dans cette perspective, aucun intérêt stratégique à se compromettre avec un parti dont les cadres abandonnent déjà le navire pour se jeter dans les bras de « monsieur Rothschild ».

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Il s’agit de refuser d’être cette fois les complices d’un PS impardonnable. Yannick Jadot refuse déjà l’idée d’une alliance, souhaitant incarner seul les idées d’ EELV, à moins qu’Hamon ne “s’émancipe du PS“. Plutôt que de s’engouffrer à nouveau dans des manœuvres d’appareil, le défi des électeurs et des candidats sera de se focaliser justement sur un programme radical. Pour redorer le blason de la gauche, engageons-nous pour un projet global de planification écologique, de relocalisation de l’économie, de fin du productivisme et de justice sociale. Le défi est bien celui d’une exigence écologique couplée à une nécessaire justice sociale. Donc ce n’est pas sur un PS compromis qu’il faudra compter ! Si penser que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, alors il apparaît indispensable de laisser le PS mourir pour mieux préparer l’avenir. Aller vers une « démocratie collaborative » implique de ne pas renouveler notre confiance à ceux qui se sont assis à la table du gouvernement. Et si Mélenchon avait les clés en main ? Il ne tient qu’à lui de fédérer pour la gagne, celle de la vraie gauche, sans concéder sur le fond. Appeler à une convergence, sans aucun doute. Mais sans le PS.

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Quels vœux pour 2017 ? Entrer en Décroissance

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Chroniques de l’urgence écologique

         L’an 2017 est là. C’est l’occasion de présenter mes vœux à ceux qui me lisent. Mais aussi d’engager le dialogue sur la Décroissance, en réponse à un précédent article publié sur Le Vent se Lève.

Décroissance : un mot choc pour lutter

         J’aime répéter que l’urgence écologique qui met en péril notre écosystème et notre humanité est le plus grand défi auquel nous devrons faire face. Attentats à répétition, écocides, exploitation des ressources au détriment des peuples autochtones, licenciements, suicides, croissance exponentielle des dividendes et des revenus du capital, réchauffement climatique… Autant d’indicateurs qui appellent à bouleverser notre vision du monde et à changer nos référentiels. S’il est une solution à nos problèmes, celle-ci ne peut être que politique. Mais on ne changera pas la politique sans concevoir une nouvelle éthique qu’Hans Jonas nomme « éthique du futur ». C’est-à-dire une éthique qui veut préserver la possibilité d’un avenir pour l’être humain. Réalisons que « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement et […] économiquement. »1 Admettons que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de penser une alternative concrète et radicale à un système cancéreux. La convergence des crises nous plonge dans un état d’urgence écologique. Et si la réponse à cet état d’urgence était la Décroissance ? Ce mot « Décroissance » suscite beaucoup d’effroi chez les novices. Certains ont pris l’habitude de développer un argumentaire d’opposition considérant que puisque le mot est absurde, nul besoin de s’intéresser aux idées qu’il contient. Ce terme « décroissance » est-il pertinent ? Puisqu’il faut prendre parti, je rejoins ceux qui l’envisagent comme un slogan provocateur qui suscite les passions, plutôt qu’un mot-écran qui empêche le débat. Véritable « mot-obus », « poil à gratter idéologique », il affirme un projet politique à part entière, un mouvement politique. Il s’agit concrètement de s’opposer frontalement au culte de la Croissance et à la religion de l’économie. Il s’agit « de ne pas revenir en arrière vers un pseudo paradis perdu, il s’agit de collectivement bifurquer »2 , de faire un “pas de côté”. Mais comment ?

Décoloniser les imaginaires, changer de logiciel

         Pour les décroissants, le dogme du tout-croissance est à l’origine de la crise multi-dimensionnelle qui nous atteint. Cette crise écologique englobe ainsi un effondrement environnemental (dérèglement climatique, crise de la biodiversité, exploitation des ressources, altération des milieux), une crise sociale (montée des inégalités, crise de la dette et du système financier), une crise politique et démocratique (désaffection et dérive de la démocratie) ainsi qu’une crise atteignant la personne humaine (perte de sens, délitement des liens sociaux). Entrer en décroissance serait donc prendre conscience des ramifications de cette crise écologique et de ses conséquences. C’est opérer une « décolonisation de nos imaginaires » qui aboutirait à la remise en cause du système capitaliste, financier et techno-scientiste. Entrer en décroissance c’est changer de logiciel, se défaire de nos référentiels poussiéreux. La décroissance réside ainsi dans l’élaboration d’un projet politique profondément optimiste : celui d’une vie humaine indissociable de la préservation des écosystèmes. C’est reconnaître une valeur intrinsèque à la nature, lutter contre toute glorification anthropocentriste. A ce titre, notre développement passerait par un réencastrement du social et de l’économie dans une vision écologique globale. La seule voie plausible résiderait ainsi dans la définition de besoins sociaux cohérents avec les limites de la planète, une « auto-limitation » collective au sens de Gorz. La tâche n’est point aisée, rétorquerez-vous. Une première pierre ne serait-elle pas celle d’une profonde transformation de notre système économique et démocratique ? En d’autres termes, prôner une « relocalisation ouverte », une décentralisation radicale qui ancre la dynamique sociale et environnementale au cœur des territoires. La décroissance nous permettrait ainsi de donner un cade conceptuel cohérent à toutes les initiatives de transition. Transports collectifs ou doux (vélo, marche à pied), réorganisation du système alimentaire (permaculture, réduction de l’alimentation carnée). Mais aussi redéfinition de nos besoins énergétiques et abandon des énergies fossiles, monnaies locales, biens communs, etc. En somme, mettre en branle une évolution de nos modes de consommation et de production qui s’inscrirait dans une démondialisation maîtrisée et voulue, une réorganisation à toutes les échelles de notre schéma sociétal.

Quelle transition ? Une responsabilité collective

         Nombre de politiques déclarent aujourd’hui ne plus compter sur la croissance. J’ose espérer que cette apparente prise de conscience ne soit pas pure stratégie électorale. De Benoît Hamon à Yannick Jadot en passant par Jean-Luc Mélenchon, des propositions émergent.3 Mais gare aux leurres ! La décroissance est là pour rappeler qu’il ne s’agit pas de procéder à des ajustements, mais de renverser la table, de construire un nouveau projet. La transition ne peut être qu’écologique, mais tout investissement écologique n’est pas forcément une transition radicale. Ainsi, force est de constater que consommation d’énergie et hausse du PIB sont encore étroitement corrélées à l’échelle mondiale. Ainsi, comme le souligne Fabrice Flipo, « la forte croissance du secteur des énergies renouvelables pourrait bien n’être à ce titre qu’une fausse bonne nouvelle. Cela tient à ce que certains appellent le « cannibalisme énergétique ». La fabrication de renouvelables nécessite de l’énergie. Au-delà d’un certain taux de croissance de ces technologies, celles-ci en consomment plus qu’elles n’en produisent. Dans ces conditions, le déploiement des renouvelables tend donc à entraîner une augmentation de la production de gaz à effet de serre. » 4 En d’autres termes, un virage technologique ne résout pas la question de la surconsommation. La question qui se pose réellement est de savoir comment subvenir à nos besoins sans utiliser davantage de ressources. Cette réponse passe obligatoirement par une réflexion et une redéfinition collectives de notre projet de société. Cet exemple est à l’image de la logique décroissante. Il convient de s’éloigner d’une simple logique de « destruction créatrice » schumpéterienne qui n’est qu’une supplantation linéaire des technologies : du milliard de voitures diesel au milliard de voitures électriques, quel changement ? Il s’agit en conscience de faire un pas de côté, d’envisager la croissance de l’être par la décroissance de l’avoir. En temps d’élections présidentielles et législatives, il revient à chacun de bien peser le poids de ces mots.

        Loin d’être une vision pessimiste, terne et dépassée du monde, la décroissance s’oppose à tout conservatisme aveugle d’un système cancéreux et cancérigène. La décroissance comme mouvement politique et projet sociétal est une écologie politique radicale. Écologique car elle envisage les symptômes et les solutions comme interdépendantes. Politique car elle propose de refonder les bases d’un nouveau monde, de bâtir des référentiels neufs avec enthousiasme. Radicale car nul ne saurait l’accuser de petits arrangements avec le Capitalisme. « Le monde n’est pas complètement asservi. Nous ne sommes pas encore vaincus. Il reste un intervalle, et, depuis cet intervalle, tout est possible. » 5 Que vous souhaiter de mieux pour 2017 que d’entrer en décroissance ? Quel meilleur vœux que celui de refuser toute résignation face à l’état d’urgence ?

Crédit photo : ©kamiel79. L’image est libre de droit. 

1La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.

2Paul Ariès, La décroissance, un mot-obus, La Décroissance, n°26, avril 2005

3Manon Drv, Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne, 19 décembre 2016, LVSL.

4Fabrice Flipo, l’urgence de la décroissance, Le Monde, 9 décembre 2015.

5Yannick Haenel, Les renards pâles, 2013.

Quelle transition écologique ? L’écologie entre en campagne

Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

Chroniques de l’urgence écologique #3

           Le 15 décembre 2016, l’Ecologie et la transition écologique ont fait leur entrée dans la campagne présidentielle. Il était temps, direz-vous ! Dominique Méda et Dominique Bourg, à l’occasion de la sortie de leur ouvrage « Comment mettre en œuvre la transition écologique ? », posaient la même question aux candidats. Les deux intellectuels ont émis avec force et justesse le constat selon lequel l’idéologie du « tout croissance » et l’obsession consommatrice et productiviste comme but économique, ne répondent plus aux besoins humains fondamentaux. Ils nous font courir à notre propre perte. Comment envisagez-vous la transition écologique ? Tout un programme qui permet de faire la lumière sur la viabilité des projets des candidats. Sans aucun doute les échanges les plus instructifs de toute la campagne à venir ! Comme le martèle Jean-Pierre Dupuy, « Il nous faut vivre désormais les yeux fixés sur cet évènement impensable, l’autodestruction de l’humanité, avec l’objectif, non pas de le rendre impossible, ce qui serait contradictoire, mais d’en retarder l’échéance le plus possible. »[1] Personne ne peut plus ignorer les catastrophes écologiques qui s’annoncent et l’ampleur des défis auxquels nous sommes et seront confrontés. Ceux-ci rendent inévitables l’urgence d’une remise en question et un changement radical de système économique et politique. D’une gestion purement utilitariste de l’environnement sans renier le triptyque « croissance – production – consommation », il s’agirait de passer à une vision écologiste qui refonde entièrement le fonctionnement de notre société. Le plus pertinent et censé des candidats serait donc celui ou celle qui s’engagerait dans cette voie, logique non ?

           Il n’y avait finalement pas 9 personnalités politiques en présence. Seulement deux visons du monde et de l’avenir qui s’opposent, et des nuances d’intensité en leur sein. Commençons par les abonnés absents : Emmanuel Macron et Manuel Valls, pas concernés par l’urgence écologique ? Ensuite, si nous saluons le courage de Serge Grouard (représentant de François Fillon), le ton était donné dès l’introduction : « Je vais vous parler d’environnement ». Et non d’écologie donc ? Et la suite sans surprise : refus du principe de précaution, éloge du nucléaire mais quand même quelques petites éoliennes pour faire joli… Les Républicains ont compris qu’il y avait un souci avec l’environnement, bon point, de là à leur en demander davantage… Viennent ensuite ceux que nous appellerons les « opportunistes ». Ceux qui, bien qu’ayant flairé le potentiel de la marque ‘écolo’ ne sont pas vraiment crédibles. Vincent Peillon, tout d’abord, s’est cantonné à une glorification du quinquennat de François Hollande. Dans une logique parfaitement gouvernementale, il s’est évertué à parler de « croissance verte » et de « développement durable ». En parfait « réformiste passionné », il ne faut pas pour lui « que les bobos-écolos fustigent les campagnes qui roulent au diesel ». Oui mais encore ? François de Rugy a martelé que les écologistes doivent abandonner leur rôle de contre-pouvoir pour se placer « au cœur des responsabilités ». Agir au cœur dudit système qu’ils dénoncent donc ? Il a expliqué que la dette et la non-croissance empêchent les investissements écologiques. Pas facile de défendre l’écologie et la majorité tout en étant cohérent ! Arnaud Montebourg, très éloquent, a su montrer son intérêt pour une transition décarbonée. Mais notre œil averti a su déceler un ‘réalisme’ qui fleure bon le nucléaire et la relance économique productiviste. « Il s’agit de faire entrer l’écologie dans chacun des termes de la vie quotidienne, dans l’économie dans son entier ». Intégrer l’écologie dans l’économie, est-ce très écologiste monsieur Montebourg ?

            Trois candidats ont su s’inscrire selon nous dans la perspective réelle de l’écologie. A savoir celle qui revendique d’intégrer l’économie et le social dans l’écologie dans son entier. Celle qui prône de refonder totalement les bases d’un système qui n’est plus viable ni pour l’environnement ni pour l’homme. Nous reconnaitrons tout d’abord la prise de conscience de Benoît Hamon. Citant Habermas, il a pointé du doigt un « problème de légitimité quand le cercle de ceux qui décident ne recouvre pas le cercle de ceux qui subissent ». Il « ne croit plus en un modèle de développement qui se fixe sur la Croissance.” Pour lui, “Il faut changer de paradigme et de modèle de développement. » Cela supposerait donc de repenser notre rapport au travail en intégrant des indicateurs qualitatifs (taux de pauvreté, inégalités, impact de l’activité sur les écosystèmes) autres que le PIB. Mais aussi en sortant du nucléaire et en respectant le principe de précaution. Pour autant, si il a convoqué des choix politiques radicaux, il a protesté contre une brutalité des transformations. Mais la crise écologique nous permet-elle ce luxe ? Yannick Jadot, fidèle à ses idées, a exposé la nécessité d’un changement complet de modèle de société. Il a développé un programme de transition énergétique couplé à une transition démocratique. Evoluant sur son terrain favori, il a martelé que le coût le plus important résidait dans le fait de s’obstiner dans le tout nucléaire, non pas dans le fait d’en sortir. Enfin, Martine Billard, au nom de Jean-Luc Mélenchon, a exposé le programme de la France Insoumise. Dans une perspective écologiste, « l’avenir en commun » implique que l’urgence écologique conditionne toutes les politiques à venir. Constitutionnalisation de la règle verte (c’est-à-dire empêcher de prélever davantage que les capacités de renouvellement des ressources naturelles), planification écologique et démocratique qui encadreraient une relocalisation de l’économie sous le nom de protectionnisme solidaire sont les maîtres mots. Un projet global qui amène à interroger nos besoins autant que nos modes de consommation et de production.

            En tout état de cause, « la terre n’est pas menacée par des gens qui veulent tuer les hommes, mais par des gens qui risquent de le faire en ne pensant que techniquement, […] économiquement et commercialement. Nous sommes donc dans une situation qui correspond à ce que d’un point de vue juridique, on appelle, un ‘état d’urgence’ ».[2] Un état d’urgence qui implique de s’orienter définitivement vers la transition écologique. L’avenir de l’humanité est-il dans nos bulletins de vote ?

 

Crédits photos: Carte postale ancienne éditée par AHK, collection “Paris inondé” : Avenue Daumesnil, Scanné par Claude_villetaneuse. L’image est dans le domaine public. 

[1] D’Ivan Illich aux nanotechnologies, prévenir la catastrophe ? Entretien de Jean-Pierre Dupuy par O. Mongin, M. Padis et N. Lempereur, 2007.

[2] La violence, oui ou non : une discussion nécessaire, Günther Anders, 2014.