Face à l’OTAN et aux réticences allemandes, l’impossible autonomie stratégique européenne

Emmanuel Macron avec le chancellier allemand Olaf Scholz lors d’un sommet de l’OTAN en 2022. © OTAN

Puissance militaire et diplomatique majeure, la France a longtemps défendu avec vigueur son indépendance stratégique, notamment en refusant la Communauté Européenne de Défense en 1954, en sortant du commandement intégré de l’OTAN en 1966 et en s’accrochant au processus de décision à l’unanimité plutôt qu’à la majorité qualifiée [1]. Par la suite, elle a tenté à plusieurs reprises de s’émanciper de la tutelle américaine à travers le « couple franco-allemand » initié par le traité de l’Élysée de 1963 et diverses tentatives de création d’une « Europe de la défense ». Tous ces efforts ont cependant échoué, les autres États membres préférant s’aligner sur les États-Unis en échange de leur parapluie nucléaire. Pour Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, la volonté française d’autonomie stratégique européenne est ainsi vouée à l’échec. Dans son livre France, une diplomatie déboussolée (L’inventaire, 2024), l’ancien ambassadeur de France en Russie, au Brésil, au Sénégal et au consulat général de Jérusalem alerte sur l’impasse de ce projet alors qu’un nouvel élargissement à l’Est se profile. Extraits.

Rares sont les domaines de compétence qui échappent désormais à une sorte de partage avec les institutions européennes (à l’exception, sans doute, de la défense nucléaire). Et ce partage progressif des compétences se fait au sein d’une Europe de plus en plus hétérogène. Les deux élargissements de 1995 (Suède, Finlande, Autriche) et 2004-2007 (pays baltes et tous les ex-satellites de l’URSS plus Malte et Chypre, auxquels s’est ajoutée la Croatie en 2013) ont fait de la politique étrangère de l’Union européenne un ensemble ingérable dont les deux dénominateurs communs sont l’alignement sur les États-Unis et la défense des droits de l’homme dans le monde. 

La rupture de 2003 due à l’intervention américaine en Irak en a été un avertissement brutal. La prise de conscience par la France de son incapacité, malgré l’appui de l’Allemagne, à entraîner les pays de la « nouvelle Europe » dans le refus de la guerre décidée par Washington, a engendré un vrai traumatisme. La pique du président Chirac, jugeant « mal élevés » ces pays qui soutenaient Washington alors qu’ils n’étaient pas encore membres de l’Union européenne, a laissé des traces profondes. En réalité, ces pays avaient pour objectif essentiel d’adhérer à l’OTAN plus qu’à l’Union européenne. Cette priorité de leur politique étrangère s’est maintenue depuis lors, si l’on excepte le moment de panique provoqué par le président Trump qui avait remis en cause, au sommet de l’OTAN de mai 2017, l’engagement de solidarité de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord. Au demeurant, cette alerte a permis de faire plus de progrès en quatre ans sur la voie de l’autonomie stratégique que durant les vingt-cinq années qui avaient précédé (création, en 2021, du Fonds européen de la défense et de la Facilité européenne pour la paix…). 

Le discours du président Macron à la Sorbonne, en septembre 2017, visant à renforcer l’Europe souveraine sans toucher à la question des votes à la majorité qualifiée, n’avait cependant pas reçu de réponse. Le silence allemand, en particulier, était assourdissant. De fait, les effets du retour des Démocrates américains au pouvoir à Washington, avec un Joe Biden beaucoup plus soucieux des intérêts européens, et l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 ont vite regroupé les Européens autour de l’OTAN. 

Les signes du renouveau de cette cohésion atlantique ont été nombreux : adhésion à l’OTAN de deux nouveaux États membres antérieurement neutres (Suède et Finlande) ; coordination de l’aide à l’Ukraine sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne ; achats massifs d’armes américaines qui rééquipent en urgence les armées européennes (chasseurs F35…) ; sanctions coordonnées au G7 sous impulsion américaine (par exemple pour l’embargo sur le gaz et le pétrole russes dont le prix est plafonné).

Mais ce mouvement s’opère au détriment du projet d’autonomie stratégique de l’Europe. La remarquable mobilisation européenne, orchestrée par la présidence française au Sommet de Versailles en mars 2022 après l’invasion de l’Ukraine, a plus été un sous-produit de la solidarité occidentale qu’une manifestation de cohésion européenne. Le premier effet du discours du chancelier Scholz, le 27 février 2022 (discours dit du Zeitenwende ou « changement d’ère »), trois jours après l’invasion de l’Ukraine, a été de consacrer une grande partie des cent milliards d’euros supplémentaires annoncés pour le budget de l’armée allemande à l’achat de F35 et d’hélicoptères lourds américains. De même, le discours d’août 2022 du chancelier à l’université Charles de Prague, s’il se pose en force de proposition pour le renforcement de la « souveraineté européenne » conformément aux préoccupations françaises, poursuit dans la veine traditionnelle de Berlin.

Il fonde la souveraineté à venir d’une Europe bientôt élargie à plus de trente États sur la prise de décision à la majorité qualifiée en politique étrangère. Accessoirement, il cite comme fondement de la politique de défense européenne un projet de défense aérienne qui mentionne de nombreux pays mais non la France, pourtant en pointe dans ce domaine.

Finalement la France, ainsi marginalisée, aurait plus de possibilités de défendre ses intérêts dans une OTAN fonctionnant à l’unanimité… Brouillée avec la majorité des États membres, la France aura du mal à conserver son influence et son statut au sein des institutions européennes. Le discours d’Emmanuel Macron au Forum GLOBSEC Bratislava, le 31 mai 2023, a tenté de réconcilier son pays avec ceux d’Europe centrale au prix d’un engagement accru aux côtés de l’Ukraine et d’un soutien aux nouveaux élargissements.

S’il a cherché à les mobiliser en faveur de l’autonomie stratégique de l’Europe, c’était la seule condition pour qu’ils reçoivent le message, dans un cadre clairement occidental et otanien. Dans son discours aux ambassadeurs d’août 2023, le président français a entériné l’idée d’un nouvel élargissement de l’Union européenne en évoquant les difficultés qu’il présentera et en suggérant plus d’intégration et plusieurs vitesses. Mais la mise en œuvre de ces bons principes risque d’être périlleuse et semée d’obstacles pour notre pays. 

Des progrès ont pourtant été enregistrés dans le cadre des institutions européennes. Si le discours de la Sorbonne du président Macron, en septembre 2017, n’avait pas reçu de réponse directe d’Angela Merkel, la pression de la crise du Covid, celle des positions erratiques de Trump et la prise de conscience des vulnérabilités de l’Union européenne ont conduit à certaines modifications de l’« esprit » des institutions européennes. 

En marge du renforcement de la solidarité atlantique provoqué par l’invasion de l’Ukraine et sous l’impulsion française, des changements importants ont pu être obtenus, facilités par le retrait du Royaume-Uni. La notion de politique industrielle pas plus que celle d’« autonomie stratégique » de l’Europe ne sont désormais taboues ; les dettes sont mises en commun quand c’est nécessaire ; un Plan de relance de 750 milliards d’euros, financé par la dette de l’Union européenne, a été décidé après la crise du Covid (NextGenerationEU). Le recours à certaines protections du marché européen est désormais admis, même s’il s’agit en premier lieu de lutter contre les pratiques commerciales déloyales des exportateurs, de mieux protéger les marchés publics européens en cas de non réciprocité (première réaction contre le Buy American Act de 1933…) et d’uniformiser les conditions de concurrence en matière écologique (taxe carbone aux frontières…).

Si les premières décisions du Fonds européen de défense (FED), créé à l’initiative de la France, ont parfois été contestables et si les projets menés par l’Allemagne, souvent sans la France, risquent d’en être les principaux bénéficiaires, il reste qu’une politique industrielle en matière d’armement commence à voir le jour (le FED est doté de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027). La Commission envisage même, sous la pression française, la création d’un instrument destiné à contrer l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, qui avantage la production sur le territoire des États-Unis. Toutefois, le camp des ultra-libéraux ne rend pas les armes ni ne renonce à ses combats retardateurs, notamment dans le cas de la réaction européenne à l’IRA : certains États membres estiment ainsi que cet avantage que se donnent les Américains est la contrepartie légitime de la protection qu’ils accordent à l’Europe. 

Néanmoins, il est désormais admis que l’Union européenne doit se protéger, encourager et sauvegarder ses industries de pointe, et ne pas ouvrir son marché sans contrepartie. Ces modestes progrès vers l’autonomie stratégique industrielle et technologique restent, certes, dans le cadre des institutions européennes. De nombreux projets de coopération interétatique ont pris corps sans intervention européenne, et une impulsion nouvelle leur sera donnée. Mais cela ne touche qu’indirectement la défense ou la politique étrangère commune. 

Dans ces domaines la France n’a pas vraiment choisi. Elle n’a pas renoncé à une politique étrangère européenne, malgré tous les obstacles institutionnels et les risques pour son statut, notamment la pression pour le vote à la majorité qualifiée et la demande allemande d’un siège permanent européen (et non plus français) au Conseil de sécurité. Mais si elle ne souscrit pas à l’idée de faire régir la politique étrangère par la majorité qualifiée, comme le propose depuis longtemps l’Allemagne, elle ne parvient pas pour autant à approfondir la coopération intergouvernementale et à en faire un embryon d’Europe puissance. La publication, en septembre 2023, du rapport des experts franco-allemands mandatés par les deux pays ne règle pas le problème : il subordonne les adhésions de nouveaux pays à des réformes structurelles parmi lesquelles une nouvelle extension, non décisive, du vote à la majorité qualifiée, sans toucher au cœur de la politique étrangère. 

France, une diplomatie déboussolée, Editions L’inventaire, 2024.

La France se trouve dans une impasse, devant arbitrer entre une Europe théoriquement souveraine mais impuissante et « otanisée », avec vingt-sept États membres, voire peut-être prochainement trente-six, votant à la majorité qualifiée sur des sujets qui touchent aux fondements de la souveraineté française, et une Europe puissance inscrite dans une coopération intergouvernementale plus étroite, à base franco-allemande, comme l’avait voulu le plan Fouchet ou le traité franco-allemand, mais dont l’Allemagne ne veut pas.

Notes :

[1] Procédure de vote au Conseil Européen (organe intergouvernemental représentant les Etats) requérant 55% des Etats-membres représentant 65% de la population européenne pour qu’une décision soit adoptée.

Qui est réellement Ursula von der Leyen ?

Elle est décrite par le magazine Forbes comme la « femme la plus puissante du monde » depuis deux ans. Elle occupe la première place de la catégorie Dreamers du média Politico. Elle bénéficie de portraits tous plus hagiographiques les uns que les autres dans la grande presse. La carrière de la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen est pourtant entachée de nombreux scandales. Intronisée par les conservateurs pour mener un second mandat, elle concentre à elle seule les raisons du rejet populaire des institutions européennes.

Reproduction sociale et scandales politiques

Née dans une grande famille aristocratique, fille de l’ancien fonctionnaire européen et président du Conseil fédéral Allemand Ernst Albrecht, Ursula Von der Leyen fréquente dès l’âge de six ans l’École européenne. Cet établissement (il en existe quatorze dans le continent européen) est réservé aux enfants de fonctionnaires européens, d’institutions intergouvernementales (parmi lesquelles l’OTAN), ou de certaines sociétés privées. Ce privilège lui permet de devenir trilingue (allemand-français-anglais). Elle étudie ensuite les mathématiques, puis les sciences économiques, avant de se rediriger vers des études de médecine, pour passer sa thèse d’exercice – dans laquelle sont relevés pas moins d’un plagiat toutes les deux pages – en 1991.

Encartée depuis 1990 au sein de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, parti libéral-conservateur ayant également abrité son père (en tant que vice-président fédéral), puis l’ex-chancelière Angela Merkel, Ursula Von der Leyen se lance officiellement en politique en 2001, en remportant un mandat d’élue locale dans la région d’Hanovre. Elle est élue députée en 2003 au Landtag de Basse-Saxe. S’ensuivent plusieurs passages dans les ministères fédéraux : Ursula Von der Leyen est nommée en 2005, par Angela Merkel, ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse ; en 2009, ministre fédérale du Travail ; puis, en 2013, ministre fédérale de la Défense, où elle sera la première femme à occuper le poste.

Son passage au ministère de la Défense est marqué par plusieurs scandales : entre accumulation de mauvaises décisions de gestion, procédures contractuelles non respectées et gaspillage d’argent public (plusieurs dizaines de millions d’euros ont été dilapidés sans aucun contrôle pour payer des consultants, conseillers et autres sous-traitants privés), l’image d’Ursula Von der Leyen pâtit de son exercice de la fonction. 

À son départ du ministère, sa popularité est évaluée à moins de 30% (elle est considérée comme la 2ᵉ personne la moins compétente du gouvernement), et sa compétence pour diriger la Commission européenne est appuyée par un tiers de la population. Peu importe, l’enquête parlementaire diligentée par l’opposition a été rendue impossible ; les traces ont toutes été rigoureusement effacées des deux téléphones professionnels de l’ex-ministre de la Défense.

Mais alors, pourquoi proposer une ministre très impopulaire, couverte de nombreuses affaires, à la tête de la Commission européenne ? Ce n’est nul autre qu’Emmanuel Macron, qui propose son nom à la chancelière de l’époque Angela Merkel en juillet 2019, la décrivant comme « l’avion de combat du futur », et saluant « son efficacité, sa capacité à faire ». Tenons-nous le pour dit.

Scandale Pfizer et revirements en chaîne

Élue en 2019 d’une courte majorité (51,7% des voix), Ursula Von der Leyen douche rapidement les espoirs du centre-gauche réformiste, en appliquant quasi-immédiatement une politique dans la continuité de Jean-Claude Juncker. Jusqu’ici, rien d’étonnant. Mais rapidement, une affaire éclate. En avril 2021, en pleine période de crise sanitaire, un article du New York Times révélait des SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne et Albert Bourla, PDG de la société pharmaceutique Pfizer.

Ces messages, échangés pendant plus d’un mois, portaient sur les négociations sur un contrat d’achat de 1,8 milliard de doses du vaccin Pfizer/BioNTech contre le COVID-19. Ces doses se révéleront plus onéreuses que prévu : 19,50€ par vaccin au lieu des 15,50€ prévus. Trois ans plus tard, la situation est toujours bloquée ; Ursula Von der Leyen refuse de divulguer les échanges, malgré les demandes répétées de la médiatrice européenne Émilie O’Reilly. Malgré un surcoût de pas moins de 7,2 milliards d’euros d’argent public…

Ursula Von der Leyen, c’est aussi une idée particulière de la tenue des promesses. Récemment, nous pouvions apprendre qu’elle commençait à revenir sur certaines mesures qu’elle souhaitait mettre en œuvre : le Pacte vert pour l’Europe, qui a pour objectif de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050. Même son de cloche pour l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine, qu’elle défend ardemment depuis l’invasion du pays par la Russie. La perspective d’une réélection (ou d’une éjection) ne se comptant plus qu’en mois, la fait donc gouverner en fonction des différents sondages d’opinion sur les échéances électorales. Et tant pis si l’Europe entière en pâtit. 

Celle qui voulait pourtant faire de l’Europe « le premier continent neutre pour le climat » commence à lentement, méticuleusement, détricoter ce Pacte vert pour l’Europe, qu’elle a pourtant érigé au rang de priorité lors de son premier mandat. À l’instar d’Emmanuel Macron, qui réclame désormais une « pause » dans les politiques climatiques (ont-elles seulement commencé ?), ou du Parti Populaire Européen (dans lequel siègent la CDU, les Républicains, ou encore Forza Italia) qui le fustige, la présidente de la Commission européenne s’accommode sans mal aux jérémiades de ses semblables libéraux-conservateurs.

Reine du dumping social et de la concurrence effrénée

Comme nous l’analysions ici, l’élargissement de l’UE vers l’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est, pose des problèmes majeurs. Outre le soutien légitime au pays agressé, l’intégration de celle-ci au sein de l’UE aurait de lourdes conséquences économiques et géopolitiques. Le détricotage progressif des États-providence européens, ainsi que du droit du travail et des acquis sociaux, risque d’être brutalement accéléré, comme les élargissements de 2004 (entrée de dix pays d’Europe centrale) et 2007 (entrée de la Bulgarie et de la Roumanie) l’ont démontré.

Suivant les « quatre libertés » du marché unique européen – libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes -, les grandes entreprises ont ainsi pu délocaliser à tour de bras leur production vers l’Europe de l’Est, afin de bénéficier d’un coût du travail nettement plus faible. Le salaire minimum est fixé, en Ukraine, à 168€ par mois – un montant bien inférieur aux 400€ des travailleurs bulgares, pour l’heure les plus mal lotis du continent. Et dans un contexte où les régressions sociales (suspensions massives du droit de grève entre autres) ainsi que les attaques contre les syndicats sont légion, et où le président Zelensky continue à mener une politique de séduction des investisseurs occidentaux, on peut prévoir une nouvelle baisse du « coût du travail » ukrainien.

L’entrée de l’Ukraine dans l’UE pourrait également avoir des effets délétères sur le plan agricole. Bénéficiant d’immenses productions de céréales, l’Ukraine a pu être le témoin privilégié du scénario (et de ses conséquences) selon lequel le pays entrerait dans l’UE. Quelques mois après l’entrée de ce système de vente, le prix du blé a ainsi chuté en Hongrie de 31%, et celui du maïs de 28%. Les bénéficiaires d’une telle éventualité sont bien connus. Profitant de la possibilité de recourir aux travailleurs détachés (c’est-à-dire de la main d’œuvre moins chère), les grandes multinationales salivent déjà à l’idée de délocaliser leurs usines encore plus à l’Est.

Fuite en avant militariste

L’élargissement de l’UE vers les pays baltes et l’Europe de l’Est révèle également un alignement de l’Europe sur les positions américaines. Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) Pascal Boniface précise qu’une entrée de l’Ukraine dans l’UE conduira le pays à être « un relais des positions des États-Unis », « estimant qu’il doit tout aux États-Unis et non à l’Europe ». De fait, il n’est pas difficile de voir que les précédentes extensions de l’Union européenne à l’Est ont accru son alignement sur les positions américaines…

Autre sujet qui a valu de nombreuses critiques à Ursula Von der Leyen, la question palestinienne. Se rendant à Tel Aviv en octobre dernier, sans en avertir le Conseil européen (avec qui elle entretient de mauvaises relations), et sans avoir la compétence en matière de politique étrangère, elle exprimait son soutien au « droit d’Israël à se défendre ». Aucune déclaration sur le fait que le droit international devait être respecté ; pire, aucun mot de compassion ni de soutien pour la population de Gaza, sous les bombardements depuis maintenant près de cinq mois. Cette position, pour le moins unilatérale, a été pointée du doigt par de nombreux pays européens (Portugal, Espagne, Luxembourg, Irlande, Belgique…), dont les ministres des Affaires étrangères avaient adopté des positions nettement plus équilibrées. 

Moins commentées, ses bonnes relations avec le régime azéri d’Ilham Aliev soulèvent elles aussi de nombreuses questions. En juillet 2022, elle rencontrait le chef d’État d’Azerbaïdjan à Bakou et signait un accord gazier visant à pallier les pénuries énergétiques de l’Union européenne. Résultat : un affaiblissement conséquent de l’Union européenne, placée de facto en situation de dépendance envers un gouvernement aux aspirations belliqueuses. La présidente de la Commission européenne n’ignorait vraisemblablement pas qu’Ilham Aliev n’avait pas hésité, lors de la guerre des quarante-quatre jours de l’automne 2020 contre l’Arménie, à contourner les conventions internationales en utilisant bombes au phosphore, torture de prisonniers de guerre et l’emploi de mercenaires syriens recrutés dans les mouvements djihadistes. Puis, qu’il a récidivé en septembre 2023, en déclenchant tout bonnement une guerre contre la république auto-proclamée du Haut-Karabagh.

Ursula Von der Leyen, c’est enfin une autre idée de la diplomatie. Après avoir rejeté en bloc toute idée d’un cessez-le-feu, elle juge désormais une guerre à l’échelle européenne « pas impossible » et affirme que « nous devrions [y] être préparés ». Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, abonde dans ce sens et compte « passer en économie de guerre ». Dès 2014, lorsqu’elle était ministre de la Défense, Ursula Von der Leyen défendait une politique étrangère très ferme, envoyant armes et matériel militaires aux forces armées kurdes et irakiennes, rompant ainsi avec la tradition allemande de ne pas exporter de matériel militaire vers une zone en conflit. Et tant pis pour les millions d’euros gaspillés sur les avions de chasse et de transport militaires restés au sol, ainsi que les hélicoptères jamais remis en état de voler. Une fuite en avant militariste qui résonne étrangement avec l’actualité française contemporaine…

Occident : fin de l’hégémonie ? Mélenchon, Ventura, Bulard, Billion

© LHB pour LVSL

Le déclenchement de deux conflits régionaux aux répercussions mondiales, en Ukraine et en Palestine, ont révélé les fractures latentes de l’ordre international. Pour une majorité du monde, l’alignement sur les États-Unis n’est plus une évidence. Ce glissement s’observe également à travers d’autres visages des relations internationales, au-delà des conflits armés : rivalité commerciale, scientifique, industrielle entre la Chine et les États-Unis ; élargissement des BRICS et volonté déclarée de dédollariser les échanges ; dynamiques démographiques contraires entre continents, etc. À l’occasion du la publication du livre de Christophe Ventura et Didier Billion – chercheurs en relations internationales – Désoccidentalisation : repenser l’ordre du monde, Le Vent Se Lève et le département de relations internationales de l’Institut La Boétie ont organisé une conférence intitulée : « La désoccidentalisation du monde est-elle une bonne nouvelle ? ». Sont intervenus les deux co-auteurs du livre ainsi que Martine Bulard, journaliste spécialistes de l’Asie, et Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie.

Retrouvez ci-dessous la captation vidéo de la conférence, et sur notre site les belles feuilles du livre de Christophe Ventura et Didier Billion ainsi qu’un entretien avec Jean-Luc Mélenchon où il est question de ces enjeux internationaux.