Le maréchal Haftar, l’ancien joker américain bientôt maître d’une Libye en cendres

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Depuis l’éclosion de la seconde guerre civile libyenne en 2014, le maréchal Haftar s’est imposé comme l’homme incontournable du pays. Il ne s’agit pas d’un personnage neuf dans le monde politique libyen. Ancien protégé des États-Unis qui comptaient sur lui pour renverser le régime de Muhammar Kadhafi, il est aujourd’hui porté par des forces géopolitiques multiples et contradictoires. Retour sur un personnage au passé trouble dont le rôle aujourd’hui est bien loin du sauveur providentiel qui lui est assigné.

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Un passé trouble

Khalifa Haftar naît le 7 novembre 1943 à Syrte. Il s’agit d’un membre de la tribu des Ferjani, dont le fief se situe dans la région de sa ville natale, et qui est également la région des Gaddhafa, la tribu de Kadhafi. En Libye, l’appartenance tribale est un élément constitutif de l’identité de l’individu et joue très profondément sur les ressentis et les comportements des Libyens. Ainsi, le fait que Kadhafi et Haftar soient issus de deux tribus qui sont implantées dans le même territoire a un impact profond sur les relations entre les deux hommes.

En 1963, Haftar fait la connaissance de Kadhafi au sein de l’armée royale libyenne (le régime en place est alors une monarchie). Très vite, le jeune militaire rejoint le colonel Kadhafi dans son entreprise de renversement de la monarchie : le 1er Septembre 1969, le roi Idris Ier est renversé et Muhammar Kadhafi prend la tête de l’État. Très vite, Haftar gravit les échelons du régime kadhafiste. Il s’illustre durant la guerre du Kippour (opposant Israël à l’Egypte du 6 au 24 Octobre 1973) à la tête d’un contingent de chars libyens. Quelques années plus tard, il est envoyé en Union Soviétique parfaire sa formation militaire.

Finalement, à l’aube des années 80, Haftar devient l’homme de confiance de Kadhafi. Il est le grand ordonnateur des expéditions militaires de Kadhafi au Tchad, alors que son régime maintient une présence dans la bande d’Aozou. Il s’agit d’une portion de territoire de 100km de long à la frontière libyenne revendiquée par le régime kadhafiste. En 1976, Kadhafi envahit la bande et l’annexe. L’armée libyenne y maintient une présence constante.

Cependant, les ambitions kadhafistes d’une hégémonie libyenne sur son flanc sud se heurte aux français, désireux de maintenir leur domination dans leur ancien espace colonial. La force libyenne est rapidement dépassée par les Tchadiens appuyés par les Français et les Américains, et Haftar est fait prisonnier à N’Djamena en Avril 1987. Prisonnier des tchadiens, Haftar renie son ancienne allégeance à Kadhafi, et organise une « force Haftar », appuyée par ses nouveaux alliés tchadiens et occidentaux, dans le but de renverser Kadhafi. En 1990, Haftar sera chassé du Tchad par un Idriss Déby désireux de ne pas trop froisser son puissant voisin du nord.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région. Il est vite extradé aux États-Unis où il réside près de Langley, en Virginie, lieu du siège de la CIA. Il tente bien un coup d’État en 1993 qui avorte rapidement. À partir de là, Haftar n’est plus actif politiquement tandis que les américains le voient comme un joker de réserve prêt à être déployé dès que le moment sera venu.

Le retour d’Haftar

L’éclatement de la guerre civile en 2011 voit le « joker Haftar » revenir dans le jeu libyen avec la bénédiction des Américains. Très vite, il devient l’une des figures emblématiques de la rébellion au niveau militaire. Après la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011, Haftar est à deux doigts de devenir chef d’État-major de l’armée, mais il est bloqué par les islamistes qui y voient les intérêts américains propulsés au plus haut sommet de l’armée. Désavoué par le conseil national de transition (CNT), Haftar se retire de toutes ses fonctions militaires, puis, retourne dans sa maison en Virginie. De 2011 à 2013, il reprend donc son rôle de « joker » au service des américains.

En 2014, Haftar revient dans le jeu politique libyen. Devant l’incapacité de l’État à unifier les groupes armés qui sont issus de la première guerre civile, Haftar se donne pour mission de réaliser cette tâche. Le but est clair : il s’agit de détruire les coalitions islamistes qui contrôlent des pans entiers du territoire libyen. L’objectif est de stopper l’élan d’Al Qaida.

Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

Pour arriver à ses fins, Haftar ne lésine devant aucun moyen, quitte à remettre en question la légalité étatique. Le 14 Février 2014, il annonce le gel provisoire des fonctions du gouvernement et de la constitution. Le 18 Mai, ses forces attaquent le parlement de Tripoli tout en menaçant d’une offensive contre les islamistes de Benghazi. Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

À l’été 2014, la situation libyenne a tout d’un chaos inextricable : le gouvernement national d’accord (GNA à Tripoli), et le gouvernement de l’est à Tobrouk s’affrontent pour la direction de la Libye. C’est le début de la seconde guerre civile libyenne. Le sud voit s’affronter des milices Touaregs et Toubous dans une guerre inconnue mais très sanglante, tandis que le groupe Ansar al Sharia lié à Al Qaida annonce la formation d’un émirat islamique en Cyrénaïque. Cette année voit également l’organisation État islamique (OEI) établir une tête de pont à Derna en Cyrénaïque (est du pays).

Dans cette tourmente, Haftar s’impose comme l’une des figures militaires majeures du pays. Son « armée nationale libyenne » (ANL) supporte le gouvernement de l’est à Tobrouk, qui le lui rend bien : il est promu maréchal en septembre 2016. En théorie, il n’est que le chef militaire de la branche armée du Parlement de Tobrouk, l’ANL. En pratique, il se comporte comme un véritable chef d’État, et devient l’interlocuteur principal des acteurs locaux et des puissances étrangères au niveau diplomatique.

La contribution d’Haftar à la lutte contre le terrorisme est réelle bien que limitée. Il a en effet pacifié la Cyrénaïque en libérant Benghazi de l’emprise des islamistes et des djihadistes. De même, la ville de Derna, bastion d’Al Qaida et berceau du djihadisme libyen, passe sous le contrôle de l’ANL après un siège long et difficile. De la même façon, l’irruption de l’armée d’Haftar à l’hiver dernier dans le grand sud libyen lui a permis de décapiter le commandement d’Al Qaida dans la région dont les membres ne se cachaient pas et étaient connus publiquement. Pour autant, ses succès face à Daesh sont bien plus limités. Si Haftar a vaincu des éléments de Daesh coalisés avec d’autres groupes islamistes à Benghazi, il n’est pas à l’origine de la chute du bastion de terroristes à Syrte en décembre 2016. Ce succès revient aux brigades de Misrata, qui soutiennent le gouvernement d’union nationale de Fayez El Sarraj à Tripoli à l’ouest. Les troupes d’Haftar sont incapables d’évincer Daesh du centre du pays où le groupe a trouvé refuge auprès des tribus locales. Elles se montrent incapables de repousser les raids incessants de l’EI en direction des champs pétroliers depuis 2016, et ne trouvent pas de solutions, aujourd’hui, à une insurrection qui prend de l’ampleur dans le sud du pays. Désormais, les troupes de l’EI n’hésitent pas a attaquer les troupes de l’ANL dans le grand sud libyen au sein de leurs bases.

L’armée nationale libyenne, un colosse au pied d’argile

La grande armée d’Haftar, l’armée nationale libyenne (ANL), qui parait si redoutable sur le papier, ne résiste pas au choc de la réalité. Cette milice qui a bien réussi se base autour d’une composante forte, qui est la tribu d’origine d’Haftar, les Ferjani. Ce sont eux qui trustent la plupart des grands postes au sein de l’ANL, et qui tiennent l’armée au nom d’Haftar. D’emblée, nous nous trouvons devant un premier paradoxe : Haftar n’est pas né dans cette Cyrénaïque qui est le bastion de l’ANL, et apparaît comme un étranger aux yeux de la population. Les acteurs libyens de l’est du pays tolèrent donc la présence d’Haftar, tout en lui reconnaissant sa qualité de héros face à la menace djihadiste. Néanmoins, pour être véritablement ancrée dans l’est du pays, l’ANL doit trouver des figures lcales. Abelsallam al-Hassi, général considéré comme le « bras droit » d’Haftar, en est un bon exemple. Né dans l’est du pays, al Hassi s’est fait connaitre des Occidentaux dès 2011 ou il a officié en tant qu’agent de liaison entre l’armée rebelle et l’OTAN dans le cadre des frappes aériennes de l’alliance sur les positions kadhafistes. Il apparaît comme le successeur plébiscité par les occidentaux comme par la grande majorité de l’ANL.

Pour autant, une telle succession laisserait de côté la tribu d’Haftar, les Ferjani. S’ils occupent aujourd’hui des postes à responsabilité et constituent la tête de l’ANL, l’arrivée d’al Hassi au pouvoir va amener les membres de sa tribu, les Hassa, à revendiquer des postes. Il est peu probable que les Ferjani laissent le pouvoir leur échapper des mains. Ils sont emmenés par les fils du maréchal qui sont officiers dans l’armée, conseillers, ou lobbyistes vers l’étranger, tous, au service du clan familial et de sa tribu. Le grand favori des intérêts de la tribu Ferjani est Aoun Ferjani, conseiller proche du vieux maréchal.

Le maréchal Haftar a 75 ans et sa santé est déclinante. En Avril 2018, il a été hospitalisé à Paris après un accident cardiaque assez grave où il serait tombé dans le coma. La succession est donc clairement une affaire pressante au sein de l’armée nationale libyenne, mais peut déboucher sur des événements catastrophiques.

  • Si le clan d’Haftar, les Ferjani, sécurise la succession, les tribus de l’est emmenées par Al Hassi vont être écartées de la direction de l’armée, et donc se rebeller.
  • Si les Hassa passent, ce seront les Ferjani qui seront dans cette position.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays. Néanmoins, la solution la plus probable serait un compromis momentané, car aucune des deux parties n’a intérêt à faire exploser cette armée. En effet, les tribus du centre du pays autour de la région de Syrte sont encore exposées aux raids de Daesh en provenance du désert libyen. De même, les forces de l’est du pays n’auraient aucun allié pour s’opposer aux makhdalistes, secte salafiste qui prend une importance de plus en plus forte dans la société libyenne.

Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

De même, le maréchal Haftar, s’il est indéniablement populaire en Cyrénaïque, doit composer avec des forces politiques bien définies pour éviter que son règne ne se délite. Les makhdalistes sont un bon exemple. Il s’agit de salafistes qui se sont ralliés à Haftar dans sa guerre contre le djihadisme. Leur ralliement a payé : il s’agit de la seule force salafiste à être véritablement puissante dans la Libye d’Haftar. Les frères musulmans ont été chassés de Cyrénaïque pour trouver refuge à l’ouest dans le gouvernement de Tripoli, tandis qu’Al Qaida et Daesh ont été chassés vers le désert libyen et le sud du pays. Haftar passe donc un accord avec ces salafistes : en échange de la paix sociale, les salafistes ont carte blanche pour développer leur prosélytisme et influer sur le travail législatif. Par exemple, en 2017, une loi a interdit les femmes de moins de 60 ans de prendre l’avion seules. Dans les mosquées, la présence des salafistes est tellement importante que les autres courants de l’islam sont obligés de passer dans la clandestinité. Le soufisme, un courant de l’islam centré sur la mystique, et historiquement très présent en Libye, est ardemment combattu. Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique.

De même, le maréchal Haftar compte dans ses rangs de nombreux kadhafistes. Les kadhafistes sont encore très nombreux dans le pays. Ils soutiennent un pouvoir fort sur le modèle de la Jamahiriya arabe libyenne de Kadhafi, c’est-à-dire une dictature autoritaire et un État capable de maintenir la cohésion tribale du pays tout en excluant les étrangers du jeu politique interne. Les kadhafistes associés à Haftar voient, aujourd’hui, le vieux maréchal comme l’homme le plus à même de remplir ces critères. Il arrive à maintenir la cohésion tribale à l’intérieur de l’armée, domestique temporairement ses éléments salafistes, et joue des rivalités entre les grandes puissances afin de garder une autonomie relative. Pour autant, les kadhafistes n’oublient pas la trahison d’Haftar à l’égard de Kadhafi à la fin des années 1980, ni sa participation militaire au renversement du guide libyen en 2011. Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique. L’autre grande figure des kadhafistes, le fils de l’ancien dictateur, Saif al islam Kadhafi, est traité comme un paria par la société internationale et a peu de chances de revenir sans s’attirer les foudres des occidentaux.

Enfin le maréchal Haftar, en dehors de son bastion de l’est, tient les régions qu’il contrôle grâce à l’argent du pétrole. Ainsi, le pétrole de Cyrénaïque sert à acheter les différentes tribus libyennes du centre, qui laissent les forces d’Haftar passer au travers de leurs territoires. Les tentatives de pénétration d’Haftar dans cet espace ne sont pas nouvelles, mais les tribus se sont révélées être des adversaires trop forts pour le maréchal. Le pétrole permet donc ce que la force lui refuse. Néanmoins, cela n’empêche pas certaines de ces tribus d’abriter les éléments de Daesh qui officient depuis ces mêmes zones.
Le pétrole du centre du pays ainsi sécurisé par les troupes d’Haftar sert à alimenter le second niveau des conquêtes du maréchal, c’est-à-dire le sud du pays. Haftar déboule donc dans un espace libyen déjà fragmenté. Les tribus, milices, et organisations locales sont, pour la plupart, ralliées au maréchal. La résistance à l’armée nationale libyenne est donc faible. Néanmoins, les forces d’Haftar n’occupent que les grands axes routiers. Les Toubous (une ethnie à cheval entre le Tchad et le Niger), à l’est, et les Touaregs, à l’ouest, continuent à jouir d’un espace libre. La conquête, même imparfaite, du sud, permet à Haftar de sécuriser des gisements pétroliers. Ce pétrole, à nouveau, sert à paver les prochaines conquêtes. Les milices qui sont sur la route entre le sud du pays et la Tripolitaine sont à nouveau achetées. L’ANL peut donc déboucher directement au sud de Tripoli sans opposition forte.

Un pouvoir fragile

Néanmoins, la force de l’ANL au niveau économique est à mettre en exergue avec sa faiblesse militaire. Haftar n’a pas réussi à battre totalement les Touaregs et les Toubous. Il ne peut pas empêcher les attaques de Daesh sur ses arrières, dont l’insurrection a pris un coup d’accélérateur dans le grand sud libyen. Enfin, débouchant sur Tripoli, il s’est englué dans une guerre de tranchées qui s’éternise avec le gouvernement de Tripoli. On remarque donc que, dans tous les engagements militaires d’envergure, l’armée nationale libyenne n’est pas le rouleau compresseur que l’on croit.

La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Pour le maréchal Haftar, la situation est donc beaucoup plus fragile qu’il n’apparaît. Les acteurs qui le soutiennent aujourd’hui sont soit achetés, soit partenaires dans le cadre d’un accord, soit soumis faute de mieux. Ses partenaires étrangers (France, Egypte, Russie Arabie saoudite, émirats arabes unis) l’appuient sans réserve, et fournissent au maréchal ce dont il a besoin pour maintenir son armée à flot et parachever la conquête du pays. Si le GNA n’était pas appuyé par l’ONU, la Turquie, le Qatar, l’Italie, l’Algérie et la Tunisie, Haftar serait déjà le grand gagnant de la guerre. Les Etats-Unis maintiennent des contacts avec les deux entités, mais penchent davantage du côté d’Haftar. La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Son pouvoir provient donc de la force théorique de son armée, et de sa manne pétrolière, dont les installations en Cyrénaïque sont protégées par des mercenaires tchétchènes. Néanmoins, son armée est tellement faible que des mercenaires soudanais et tchadiens participent aux combats.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye. Si l’ANL venait à essuyer une défaite, l’armée perdrait son prestige auprès d’acteurs qui n’auraient aucun intérêt à poursuivre une politique de connivence. Daesh a très vite compris les implications politiques de la guerre statique qui se poursuit au sud de Tripoli, en se posant comme le héraut de l’insurrection dans le grand sud libyen. Une poursuite du statu quo va donc probablement voir le grand sud libyen se détacher de l’ANL et retourner à son niveau antérieur : un espace partagé entre les Touaregs, les Toubous, les tribus, les milices, et – fait nouveau -Daesh.

Il y a donc de grandes chances qu’une poursuite des combats sans gagnants fasse perdre à Haftar la majorité des conquêtes qu’il a réalisées depuis l’hiver dernier, et le renvoie dans son bastion de l’est. Le gouvernement de Tripoli et lui-même le savent, ce qui résulte de combats particulièrement durs sur la ligne du front, avec utilisation de blindés, de l’aviation et de l’artillerie. Dans ce maelstrom, les civils et les migrants sont particulièrement touchés.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise. Le maréchal est vieux, et les possibilités d’une guerre interne à l’ANL en cas de décès sont réelles. De même, la question du son rôle politique face aux institutions démocratiques se pose particulièrement. Enfin, l’accaparement des ressources du pays par les occidentaux est un secret de polichinelle, et il apparaît clairement que la Libye d’Haftar verra l’Occident mettre la main sur le pétrole libyen. Enfin, la force de la secte makhdaliste est difficile à contenir et peut devenir hors de contrôle. Bien sûr, dans le grand sud, Haftar n’a pas, et n’aura pas les moyens de faire de cette région autre chose qu’un pays d’occupation. Dans cette optique, Daesh continuera à se développer en l’absence d’État et de futurs pour les habitants de cette région.

Présenté comme un homme providentiel qui pourrait mettre fin à la guerre civile libyenne, Haftar n’en est finalement qu’un facteur d’aggravation.

« Le Venezuela révèle les fractures de l’ordre mondial » – Entretien avec Christophe Ventura

Christophe Ventura © http://www.regards.fr/la-midinale/article/christophe-ventura-la-democratie-bresilienne-ne-fonctionne-plus

La récente tentative de coup d’État militaire de Juan Guaidó contre Nicolas Maduro constitue une étape supplémentaire dans l’escalade des tensions entre l’opposition vénézuélienne et son gouvernement. Celui-ci est en butte à des difficultés économiques considérables aggravées par les sanctions américaines, et à une opposition qui ne cache pas sa volonté de renverser Nicolas Maduro par la force. L’élection de Donald Trump marque le grand retour des États-Unis en Amérique latine, qui entendent faire tomber les gouvernements qui s’opposent à leur hégémonie ; une volonté accentuée par la progression fulgurante de la contre-hégémonie chinoise dans le sous-continent américain. Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS, revient sur ces aspects de la crise vénézuélienne. Entretien réalisé par Pablo Rotelli et Vincent Ortiz, retranscription par Adeline Gros.


LVSL – Depuis que Juan Guaidó s’est auto-proclamé président du Venezuela, ce pays traverse une crise profonde. Les médias français présentent Juan Guaidó comme l’émanation des demandes démocratiques du peuple vénézuélien. De quoi est-il vraiment le nom ?

Christophe Ventura – Juan Guaidó est le nom de la victoire de la ligne la plus radicale au sein de l’opposition vénézuélienne au chavisme. Celle qui est devenue aujourd’hui hégémonique et agissante, et qui peut compter avec le soutien direct, actif et chaque jour plus pressant des Etats-Unis. C’est la ligne théorisée et incarnée initialement par Leopoldo López, fondateur du parti Volonté populaire (Voluntad Popular)  – membre de l’Internationale socialiste -, auquel appartient aussi Juan Guaido. Leopoldo López avait théorisé cette stratégie qu’il a essayé d’imposer depuis 2014, époque des dites « Guarimbas » (barricades), les premiers affrontements de rue violents et meurtriers entre l’opposition et le pouvoir.

Ces derniers sont ceux pour lesquels a été condamné Leopoldo Lopez (considéré par le pouvoir et la justice qui lui est favorable comme l’un des principaux responsables). En résidence surveillée et éliminé de la vie politique depuis, il a été libéré par Juan Guaido et des militaires ralliés à lui lors de la « phase finale de l’Opération liberté » lancée le 30 avril 2019. Ce coup de force politico-mediatico-militaire a échoué dans son objectif affiché – la chute de Nicolas Maduro, ce qui en fait une tentative de coup d’Etat – , mais il a permis de libérer la figure fondatrice de Volonté Populaire, aujourd’hui réfugié dans l’ambassade d’Espagne au Venezuela, et de lancer une nouvelle vague de mobilisations contre le gouvernement sous la lumière médiatique internationale.

La ligne théorisée par Leopoldo Lopez et mise en œuvre, dans un contexte de radicalisation de la crise vénézuélienne et d’intervention des Etats-Unis et de plusieurs pays latino-américains, est une ligne de confrontation, de refus de toute forme de compromis et de régulation des conflits avec Nicolas Maduro et le chavisme par le biais de la négociation politique. Cette ligne pose la destitution de Maduro – considéré illégitime depuis sa première élection en 2013 et « usurpateur » depuis celle de 2018 –  comme condition préalable à toute solution aux problèmes du Venezuela – économiques ou sociaux –, étant donné que le pouvoir chaviste est rendu responsable des problèmes économiques et sociaux. Cette ligne est devenue dominante depuis l’élection de l’Assemblée nationale fin 2015. Elle a trouvé alors un premier nom : la salida [la « sortie » en espagnol], qui consistait à faire « sortir » le gouvernement par tous les moyens.

C’est une stratégie basée sur un triptyque : la guerre institutionnelle, la mobilisation de rue (en assumant la violence comme moyen de lutte), l’appel à des soutiens internationaux pour faire tomber le gouvernement.

La guerre institutionnelle d’abord : utilisation de tous les moyens à disposition dans le cadre d’une interprétation radicale de la Constitution et des pouvoirs de l’assemblée pour destituer le président.

La mobilisation de rue : il s’agit d’organiser la confrontation, y compris violente, contre le pouvoir d’Etat au nom de la restauration de la démocratie. Aujourd’hui, cette option connaît un crescendo, avec un appel clair à la rébellion militaire contre le pouvoir constitutionnel.

Cette dimension permet de justifier et d’organiser le troisième niveau : la construction d’une alliance internationale et l’appel à des appuis internationaux visant à faire tomber le gouvernement. Cette option connaît son acmé avec Juan Guaidó : il a obtenu le soutien entier des Etats-Unis – ces derniers, après des mois d’enlisement, le poussent même à aller jusqu’au bout de sa stratégie, au risque d’une guerre civile qui viendrait alors certainement justifier une forme d’intervention plus directement militaire- , la pleine reconnaissance diplomatique, et bénéficie d’une aide financière – puisque les États-Unis bloquent les actifs vénézuéliens pour financer le gouvernement parallèle qu’il cherche à animer.

La montée en puissance de cette ligne au sein de l’opposition a pu se développer à mesure que s’est radicalisée la polarisation entre elle et le chavisme et que s’est, du coup, altéré le cadre démocratique et l’Etat de droit. L’intransigeance entre les deux camps et les échecs des tentatives de dialogue l’ont favorisé.

La situation actuelle est porteuse des plus grands dangers pour le pays. Seul un dialogue minimal entre les deux parties – aujourd’hui deux pays s’affrontent sur le même territoire – pourrait créer les conditions d’une solution politique et pacifique. C’est à cela que devrait s’atteler toutes les énergies, dans le chavisme, l’opposition et à l’extérieur.

LVSL – Selon les chavistes, la situation économique catastrophique du Venezuela est le produit d’une ingérence en provenance des Etats-Unis d’Amérique et d’une « guerre économique ». Selon les médias occidentaux, elle est le signe de la faillite idéologique du chavisme – et du « socialisme ». Qu’en est-il ?

Christophe Ventura – Je ne veux pas faire une réponse de jésuite, mais on trouve un peu de tout cela en même temps. Le sabotage économique est une réalité, ainsi que la «guerre économique », et il est vrai aussi que le pouvoir chaviste a mené de mauvaises politiques économiques qui ont précipité la situation actuelle. Il faut prendre en compte une conjonction de facteurs, et en première instance la conjonction entre un facteur externe – la crise mondiale de 2008 et ses effets – et une situation interne déjà fragile. Les conséquences de la crise économique mondiale ont frappé le Venezuela au moment de la transition entre Chávez et Maduro, transition difficile, dans un contexte où l’opposition lançait son premier assaut contre Nicolas Maduro. Et où ce dernier se refusait, tandis qu’il venait d’être élu avec peu de marge face à Henrique Capriles ( 2013), de réduire les politiques sociales du chavisme.

Equation compliquée…Il faut reprendre ces événements de manière chronologique pour bien en saisir le sens. Nicolas Maduro a été élu en 2013 avec 50,6% des voix : c’est un score relativement faible par rapport à l’hégémonie historique du chavisme. L’opposition considère alors qu’elle peut en finir cette fois-ci avec le chavisme au pouvoir.  Une partie d’entre elle – dont Volonté Populaire – ne reconnaît pas sa victoire. Nicolas Maduro n’est pas Hugo Chavez pense-t-elle. Elle le juge en position de faiblesse et c’est à ce moment que s’impose la ligne Leopoldo Lopez, même si son parti n’est pas le parti majoritaire au sein de l’opposition. Sa ligne intransigeante et de confrontation finira par l’emporter sur ceux, comme Capriles, qui pensaient qu’il fallait toujours combattre le chavisme dans le cadre légal et les urnes.

L’opposition avait en tête un facteur essentiel. Au-delà de la « tarte à la crème » « Maduro n’est pas Chavez », elle savait surtout que le nouveau président n’avait pas la légitimité naturelle de Chavez au sein de l’armée, par définition. Maduro, au départ, était considéré par cette dernière comme un modéré ; il était vu comme le représentant de l’aile la moins radicale du chavisme, parce qu’il avait eu sous Chávez le rôle du négociateur, du conciliateur entre l’opposition et le gouvernement. C’est un rôle qu’on lui a attribué en raison de sa formation d’ancien syndicaliste et de ses talents de négociateurs – Maduro n’a certes pas la vision historique qu’avait Chávez, mais c’est un tacticien habile, doué pour les affaires politiques, la gestion des rapports de forces et l’identification des faiblesses de ses adversaires. Maduro a donc été en quelque sorte testé par les militaires lorsqu’il a pris le pouvoir. Il s’est donc retrouvé au pouvoir, élu avec une marge très faible, pris en tenaille entre une opposition qui a tout de suite multiplié les provocations et une armée qui attendait une réponse ferme de sa part pour savoir si elle pouvait lui faire confiance.

À cela s’ajoute la situation économique à laquelle il n’était pas préparé et à laquelle il ne s’attendait pas. Et qu’il n’a pas su gérer. Quand l’opposition est passée à l’attaque, a déclenché des confrontations de rue qui ont causé plusieurs morts, les chavistes les plus durs voulaient que Maduro ait la main encore plus dure. Diosdado Cabello [ex-président de l’Assemblée nationale et représentant de l’aile la plus radicale du chavisme] a pu publiquement déclarer, pour s’en indigner, que le Venezuela était le seul pays au monde où une opposition armée qui appelait au renversement du pouvoir constitutionnel pouvait opérer en toute impunité sans être réprimée par ledit pouvoir.

C’est dans ce contexte extrêmement tendu que se met en place le scénario économique. Il faut prendre en compte la déflagration que constitue l’effondrement pétrolier de 2014, où la demande chute brutalement, et le cours du baril de 70%. En réponse à cette situation, le gouvernement, pour faire face à l’effondrement des ressources de l’État, a fait tourner la planche à billets, jusqu’à l’excès. Et il n’a pas voulu toucher au système de contrôle des changes. C’est ici que des erreurs ont été commises.  Au Venezuela, il n’y a que la Banque Centrale qui ait accès au dollar et c’est elle qui le donne à ceux (entreprises, importateurs, opérateurs économiques publics et privés, etc.) qui en ont besoin. Avec la crise, un marché parallèle – il existait avant mais dans des proportions bien moins importantes – de la monnaie hypertrophié s’est peu à peu mis en place sur lequel des fortunes en dollars se sont bâties en quelques minutes. C’est ici que se trouve les plus importants foyers de corruption – corruption qui touche l’administration, des fonctionnaires, mais aussi le secteur privé et l’opposition… La conjugaison de tous ces facteurs a mené à l’hyperinflation que connaît actuellement le Venezuela.

Il faut, dans ce cadre, prendre en compte le fait que Nicolas Maduro ne voulait pas être le président qui allait rompre avec les engagements de Chávez. Il s’est toujours refusé à mettre en place la politique préconisée par le FMI. Il l’a fait, mais à quel prix ? Le gouvernement de Nicolas Maduro peut se targuer d’un certain nombre de réussites sociales, comme la mise en place d’un plan de distribution massive de logements. Mais l’économie a subi des dommages profonds et structurels et la population a vécu une baisse considérable, historique, de son niveau de vie.

Les années 2013-2015 sont déterminantes dans la chute libre (même si des signaux existaient avant – manque d’investissements dans la société pétrolière PDVSA par exemple). Pour comprendre l’intensification de la crise économique vécue par le Venezuela, il faut aussi prendre la mesure de l’impact des sanctions imposées par les Etats-Unis. Les premières, décidées par Barack Obama, sont prises dès 2015. Commence alors l’étranglement commercial et financier du Venezuela, qui est aujourd’hui très avancé avec, cette fois-ci, les sanctions mises en place par Donald Trump, notamment en 2017, 2018 et 2019. Ces sanctions mettent le Venezuela dans l’incapacité de renégocier sa dette, de se financer sur les marchés internationaux. Il ne peut plus importer grand-chose, une entreprise, une personne privée, un Etat ne peut plus opérer de transactions financières avec l’Etat vénézuélien, la Banque centrale, la société pétrolière PDVSA si cela passe par un tuyau financier américain (une banque, un fonds, un assureur, etc.). Le marché américain se ferme au pétrole vénézuélien (environ 40% des exportations du pays sont concernées). L’impact sur les revenus du Venezuela est considérable. Le département du Trésor américain gèle les avoirs et bloque les actifs vénézuéliens pour financer l’autorité légitime du pays selon Washington, Juan Guaido. Les Etats-Unis demandent à leurs alliés dans la région et en Europe de faire de même. Selon une étude[1] précise réalisée par les économistes Mark Weisbrot et Jeffrey Sachs, une des sommités de la discipline économique mondiale, 40 000 personnes seraient mortes en 2017 et 2018 des conséquences de ces sanctions au Venezuela. Ils considèrent que 300 000 autres risquent de connaître le même sort aujourd’hui. Sur les premiers mois de l’année 2019 en cours, les sanctions américaines ont eu pour effet de faire baisser la production pétrolière vénézuélienne de près de 37 % et il est prévu qu’elles réduisent de près de 68% les revenus du pays liés à ses exportations pétrolières par rapport à la déjà difficile année 2018. Un cataclysme qui se traduit par autant de pénuries, d’impossibilités d’importer ce dont le pays a urgemment besoin, etc. Dans ces conditions, la relance de l’économie vénézuélienne est impossible, qui que soit celui qui préside le pays. Ces sanctions ont aggravé les problèmes, jusqu’à les rendre insoutenables. Une grille de lecture manichéenne ne convient absolument pas lorsqu’il s’agit de comprendre les problèmes du Venezuela.

LVSL – Le Venezuela de Maduro risque-t-il de devenir un contre-exemple dystopique brandi pour décrédibiliser toute alternative au néolibéralisme, de la même manière que le Venezuela de Chávez avait constitué un pôle d’attractivité idéologique ?

Christophe Ventura – Bien sûr. C’est l’une des matrices idéologiques de l’offensive que Trump lance contre le « socialisme » en Amérique latine : il faut en finir avec le symbole d’un gouvernement réfractaire qui réactive un anti-impérialisme mobilisateur dans la région. Comme il pense que Maduro est démonétisé, il estime que l’heure est venue pour cette offensive, qui se double d’un vieux fond anti-communiste – il faut en finir avec ce gouvernement qui proclame une alternative à l’ordre néolibéral international.  C’est un facteur idéologique – ce n’est pas le seul – qui justifie un discours aussi radical contre le Venezuela. Et derrière le Venezuela, Cuba, qui est l’autre cible de Washington. L’administration Trump associe les deux pays. Dans son discours, Cuba intervient au Venezuela et accompagne un pouvoir illégitime et anti-démocratique avec ses conseillers militaires et ses différents services présents sur place. Ce faisant, Cuba est responsable de l’altération du cadre démocratique au Venezuela. En retour, ce dernier finance Cuba et lui permet de tenir économiquement avec son pétrole. Il faut donc en faire tomber un pour faire tomber l’autre. Donald Trump voudrait être celui qui mettra fin à la révolution cubaine – l’irréductible adversaire – et aux « régimes socialistes » sur le continent américain. Et si possible, pour sa prochaine candidature à l’élection de 2020 tandis que son bilan sur les dossiers internationaux prioritaires n’a pas été couronné de succès (Corée, Syrie, Afghanistan, Mexique). Donald Trump considère que la victoire est plus facile et possible au Venezuela, un peu comme Bush père avec le Panama en 1989.

LVSL – Certains ont pu lire que le conflit vénézuélien comme le terrain de jeu entre la Chine et les États-Unis, qui possèdent tous deux des intérêts au Venezuela. Plus largement, la Chine investit très massivement en Amérique Latine depuis deux décennies, rachète des entreprises, implante des capitaux, etc., jusqu’à faire concurrence aux États-Unis en la matière. Le sous-continent américain est-il en passe de devenir un gigantesque jeu d’échecs entre la Chine et les États-Unis ?

Chrisophe Ventura – Il y a manifestement un parfum de Guerre Froide qui imprègne l’Amérique Latine. Elle est indéniablement devenue l’enjeu d’un rapport de forces entre les États-Unis et la Chine. Il suffit de lire les documents du Département d’État américain – qui évoque le « défi hégémonique » que pose la Chine aux États-Unis dans la région – pour s’en convaincre.

Bien sûr, dans le cas du Venezuela, même si le pays a continué d’exporter la majorité de son pétrole aux Etats-Unis  – malgré tout – jusqu’à aujourd’hui, il a significativement diversifié ses partenariats aux Russes et aux Chinois ces dernières années. Juan Guaidó incarne aussi pour les États-Unis la promesse d’un retour du Venezuela à la maison mère, à la situation qui prévalait avant le chavisme. Il s’agit de mettre les Russes et les Chinois dehors. Ajoutons à cela que le Venezuela constitue la première ou la deuxième réserve d’or mondiale, et la quatrième de gaz : il s’agit d’une zone que les Américains ne peuvent pas se permettre de perdre.

Le Venezuela est donc un champ polarisé par ces rapports de forces géopolitiques, dont les enjeux sont multiples. Le Venezuela est par exemple le seul pays d’Amérique Latine qui offre son territoire à la force aérienne nucléaire russe. Les Russes ne veulent pas s’installer au Venezuela – nous ne sommes pas en 1962 ! –, mais ils ont relancé un programme d’aviation nucléaire long-courrier, qu’ils avaient perdu depuis l’effondrement de l’URSS, et ont un accord bien compris avec le Venezuela. Les Russes se retrouvent de nouveau en possession d’avions qui ont la capacité stratégique de faire le tour du monde, de voler partout équipés et de lancer des bombes nucléaires – l’Amérique latine étant le passage obligé pour faire la jointure entre l’Atlantique et le Pacifique, le Venezuela est le pays qui a offert aux Russes une escale technique pour leurs avions. Les Américains, bien sûr, y sont hostiles, et comptent sur Guaidó pour mettre un terme à cette situation.

Les Américains restent ceux qui gardent le haut du pavé en Amérique latine. Il suffit  de regarder les chiffres du commerce : la Chine a certes multiplié par 22 ses flux commerciaux avec la région en 10 ans, ce qui représente entre 270 et 300 milliards de dollars ; mais pour les États-Unis, c’est encore entre 800 et 900 milliards de dollars. Il n’en reste pas moins que les Chinois sont aujourd’hui les premiers investisseurs en Amérique latine, en lieu et place des États-Unis. Les Américains veulent donc revenir en force. Ils restent les maîtres en Amérique latine, mais leur hégémonie se fissure.

La crise vénézuélienne est devenue un fait géopolitique international, elle cristallise des fractures au niveau de la « communauté internationale » entre les Occidentaux et les autres. Elle révèle l’état de désagrégation lente du système international et de ses recompositions incertaines et volatiles. Toutes les divisions internationales s’expriment sur le Venezuela. On retrouve la fracture la plus évidente entre la « famille occidentale » – un concept que je rejette – et le bloc Russie/Chine/Inde/anciens non-alignés. Des failles apparaissent au sein du système onusien : le secrétaire général reconnaît Maduro et rejette la stratégie du « regime change », tandis que le conseil de sécurité de l’ONU ne parvient à dégager aucun consensus sur la situation au Venezuela. Des fractures apparaissent de la même manière dans ce que l’on peut appeler le « sous-impérialisme européen » : les Italiens, les Roumains et les Grecs ne reconnaissent pas la présidence de Juan Guaido au nom du respect de la non-ingérence dans les affaires internes d’un pays, tandis que les autres sont alignés sur la position de Washington, moins l’engagement possible en faveur d’une intervention militaire.

Emmanuel Macron a pris une position en rupture avec la tradition diplomatique française. En reconnaissant Juan Guaido, il instaure une nouvelle pratique : la France reconnaît désormais des gouvernements et non plus des États. Cette décision entérine l’ère du relativisme en géopolitique – un processus qui avait débuté avec l’engagement de Nicolas Sarkozy dans la guerre en Libye aux côtés de l’OTAN. On reconnaît donc tel ou tel gouvernement en fonction des intérêts du moment, qui sont très fluctuants. Quels sont les intérêts de la France au Venezuela ? Il y a peu d’intérêts matériels . L’intérêt pour Emmanuel Macron est plutôt à rechercher du côté politique, du côté de la politique intérieure pour commencer. Il s’agit de renforcer une ligne de clivage interne au débat politique en France, celle qui l’oppose à Jean-Luc Mélenchon. En résumé, « votez pour Mélenchon et vous aurez Maduro » est le crédo. L’intérêt de Macron, c’est aussi de tenter de tisser un minimum de solidarité avec  Trump pour un coût modeste sur un dossier secondaire pour la France alors que les divergences se multiplient sur nombre de dossiers de première importance ( Iran, Climat, commerce, etc.).

Relativisme géopolitique, décomposition des principes de l’ordre international, recompositions incertaines et volatiles en fonction d’intérêts à court terme : le Venezuela révèle ces fractures de l’ordre mondial. On trouve bien sûr des récurrences, des acteurs structurés de longue date – l’Empire, le sous-Empire, les intérêts chinois et russes… -, qui donnent à cette crise une colonne vertébrale. Mais tout cela est brinquebalant. Cette décomposition est le premier acte d’une recomposition dont on ne connaît pas l’issue, ni l’ordre duquel elle va accoucher. 

LVSL – Dans cette polarisation croissante du sous-continent américain entre les intérêts des Etats-Unis et de la Chine, l’élection de Bolsonaro, candidat résolument pro-américain, peut-elle être vue comme un pion avancé par les États-Unis, qui permettrait de contre-balancer l’influence de la Chine dans la région ? D’un autre côté, l’agenda ultralibéral de Bolsonaro ne risque-t-il pas au contraire de favoriser les investissements chinois au Brésil, malgré ses diatribes anti-chinoises ?

Christophe Ventura – Sur le plan géopolitique, Bolsonaro est l’expression du réalignement d’une partie des élites brésiliennes sur les États-Unis. Il faut cependant prendre en compte que ce réalignement est mal vu par une partie de l’armée, qui n’y est pas favorable, pas plus qu’à la vente d’Embraer aux Etats-Unis, champion aéronautique et militaire brésilien, ou à l’implantation d’une base militaire américaine au Brésil. Soucieux de leur souveraineté, ils ne veulent pas d’une soumission militaire ou géopolitique du Brésil aux États-Unis, ni d’une crise migratoire vénézuélienne encore plus explosive que ne manquerait pas de produire une guerre civile ou une intervention militaire. Tout le monde a le cas syrien en tête.  Le vice-président brésilien Hamilton Mourão a récemment fait une déclaration raisonnable, affirmant que le Brésil ne soutiendrait pas une intervention militaire au Venezuela. On assiste donc à une dynamique de temporisation au Brésil, qui est en partie le fait des militaires.

Bolsonaro critique la Chine, mais il y a de fortes chances que rien ne change. Il montre à Trump sa disponibilité, son souhait de mieux servir les intérêts des Etats-Unis, mais en parallèle, il a récemment reçu une délégation d’entrepreneurs chinois et se rendra à Pékin au mois d’août. Sur les rapports avec la Chine, le Brésil ne peut pas revenir en arrière. 30% de son commerce extérieur est assuré par l’Empire du milieu. L’élection de Bolsonaro représente donc une inflexion pro-américaine certaine et assumée de la politique étrangère brésilienne – il faudrait ici développer l’influence croisée des églises évangéliques américaines et brésiliennes par exemple -, mais les Brésiliens ne pourront pas rompre leurs relations avec la Chine. Le premier partenaire commercial du Brésil ne sont plus les États-Unis, mais la Chine. 

LVSL – Peut-on penser que l’élection d’AMLO au Mexique va induire des modifications dans cette configuration? 

Christophe Ventura – Cette élection est une expérience à contre-courant des logiques et des dynamiques à l’oeuvre dans la région. L’élection d’AMLO est d’abord le signe de la volonté d’une restauration démocratique au Mexique et de la souveraineté du pays dans les affaires régionales. Le Mexique est actuellement le seul acteur de poids régional qui souhaite proposer une voie alternative mais étroite au scénario du conflit au Venezuela. C’est le pays qui s’oppose à la ligne de « regime change » prônée par Washington, ce qui n’est pas rien quand on sait les relations complexes entre les deux voisins et l’agressivité de Donald Trump sur la question du mur.

LVSL – Le Mexique ne risque-t-il pas de se retrouver rapidement isolée dans cette marée néolibérale qui frappe le continent ? Plus largement, comment analysez-vous les perspectives des mouvements « progressistes », qui sont marginalisés depuis plusieurs années ? Les gouvernements néolibéraux autoritaires sont-ils en train de créer les conditions d’impossibilité du retour de leurs adversaires au pouvoir ?

Christophe Ventura – Ce serait une lecture trop rapide que d’estimer que nous assistons à une « fin du cycle progressiste » en Amérique latine. C’est d’abord une vague de dégagisme et un phénomène d’alternance plus large qui touche l’Amérique Latine. Partout, ce sont les « sortants » qui sont sanctionnés. Il se trouve que 80 % des pays latino-américains ayant été, lors de l’apogée du « cycle progressiste », dirigés par des gouvernements « de gauche » – ou « nationaux-populaires » -, c’est bien la gauche qui est la plus touchée. Elle sort indéniablement fatiguée d’un cycle politique d’une incroyable durée. Elle paie les effets du pouvoir, c’est-à-dire l’usure ; elle a parfois perdu le contact avec les mouvements sociaux et ses bases populaires, prise par la gestion du pouvoir et de l’appareil d’Etat, les campagnes électorales permanentes, touchée par les phénomènes de corruption qui se sont développés dans des sociétés qu’elle a contribué à enrichir à tous les niveaux.  Elle n’a gouverné que dans des pays structurellement périphériques, subalternes dans l’ordre international, et n’a pas changé leur position dans cet ordre. Pouvait-elle même le faire, dans le cadre d’une « démocratie libérale » ? Elle a pu modifier un certain nombre de structures politiques, de réalités sociales, agir sur la répartition des revenus, mais il lui a été beaucoup plus difficile de s’attaquer à la répartition des richesses en tant que telles et aux structures économiques dans ce cadre de « démocratie libérale ». Le seul pays à l’avoir tenté, c’est le Venezuela. Et il s’est retrouvé confronté à un phénomène attendu : une véritable lutte de classes – et derrière, le risque d’une guerre civile.

Mais ces phénomènes et l’alternance concernent aussi la « droite » : on l’a vu au Pérou (chute du président élu pour cause de corruption), en Colombie – où la gauche a atteint un score d’une puissance inédite lors de l’élection présidentielle– et au Mexique. Au Chili, el Frente amplio a fait un score historique aux élections : jamais depuis Allende on n’avait vu une gauche « radicale » aussi forte au Chili.

Cette année verra se tenir des élections cruciales en Argentine, en Bolivie, en Uruguay, au Guatemala et au Panama. En Argentine, l’avenir de Mauricio Macri – le symbole du retour d’une droite libérale au pouvoir en Amérique du Sud en 2015- est loin d’être assuré. La situation économique et sociale de la troisième puissance latino-américaine est bien plus mauvaise que lorsque Cristina Kirchner a quitté le pouvoir. Les recettes libérales qui devaient relancer le pays après douze ans de gouvernements redistributif ont échoué, et le pays, de nouveau lourdement et durablement endetté, est le deuxième en récession dans la région (avec le Venezuela).

L’avenir est ouvert en Amérique latine.

 

Notes :

[1] Economic Sanctions as Collective Punishment: The Case of Venezuela, rédigé par Mark Weisbrot et Jeffrey Sachs, en avril 2019, pour le Center for Economic and Policy Research. Disponible en ligne.

Gustavo Petro : « La mafia colombienne est en mesure de dicter ses lois »

Gustavo Petro à Bruxelles © Marcella Via pour Le Vent Se Lève

Ancien guérilléro, Gustavo Petro a été élu président de Colombie. Il dénonce depuis des années la collusion entre le pouvoir politique, les narcotrafiquants et les milices paramilitaires, elles-mêmes organiquement liées aux élites agraires du pays. Porteur d’un agenda résolument écologiste, il souhaite initier une transition vers un modèle post-extractiviste. Économiste de formation, il se montre fortement critique des politiques libérales et libre-échangistes imposées au pays depuis plusieurs décennies. Les obstacles qui l’attendent sont innombrables. Les élites colombiennes possèdent en effet de nombreux liens avec les groupes armés du pays, mais aussi avec les États-Unis. En 2018 nous l’avions rencontré à Bruxelles, au Parlement européen. Vincent Ortiz, Lilith Verstrynge et Denis Rogatyuk l’ont interrogé. Entretien retranscrit et traduit par Maxime Penazzo et Guillaume Etchenique.

Le Vent Se Lève – Vous dénoncez la dimension para-politique de l’État colombien. Qu’entendez-vous par là ?

Gustavo Petro – Cela fait quarante ans qu’un processus entremêle peu à peu le narcotrafic et le pouvoir politique. C’est à partir des routes d’exportation, du cannabis hier et de la cocaïne aujourd’hui, que se sont formées les conditions d’un contrôle social, qui place aujourd’hui des pans entiers du territoire colombien sous l’emprise du narcotrafic.

Cette construction sociale repose sur un régime totalitaire, de terreur absolue, qui subordonne la société aux besoins logistiques de l’exportation de cocaïne, conduite par les narcotrafiquants. Avec ce contrôle sur la population, ils se sont peu à peu rendu compte qu’ils pouvaient prendre le contrôle de la terre, des richesses régionales et du pouvoir politique local. Avec le temps, cette mainmise sur le pouvoir local leur a permis de contrôler le pouvoir national et diverses branches des pouvoirs publics.

C’est par ces mécanismes que s’est bâti ce que j’appelle le pouvoir mafieux en Colombie. La force de la mafia colombienne, c’est qu’elle a un pouvoir politique et un contrôle sur l’État. La fragmentation de l’État et de la société constituent une caractéristique fondamentale de la politique colombienne. La mafia colombienne est ainsi en mesure de dicter ses lois, dans le sens de ses intérêts. Ce processus a été rendu possible grâce et au moyen de la violence.

NDLR : Pour une analyse des liens entre groupes paramilitaires, pouvoir politique et propriété des terres, lire sur LVSL l’article de Gillian Maghmud : « Le réarmement des FARC et la revanche de l’extrême droite paramilitaire » et celui de Keïsha Corantin : « En Colombie les accaparements violents blanchis par le marché »

Cette guerre idéologique qui remonte à la Guerre froide, a permis la construction du climat de violence nécessaire à l’ascension de la mafia au pouvoir. C’est ce qui se rejoue aujourd’hui. C’est la mafia et ses appuis politiques qui font campagne pour l’échec de la paix, afin que la violence persiste. Car c’est dans ce climat violent qu’ils gagnent, qu’ils continuent à concentrer les richesses du pays et qu’ils continuent à vendre de la cocaïne au monde entier.

LVSL – Quelles sont les implications et caractéristiques du conflit colombien ? On a accusé les États-Unis d’utiliser la guerre civile comme prétexte pour s’ingérer dans la politique colombienne. Dans quelle mesure la présence militaire des États-Unis dans le pays menace-t-elle sa souveraineté ? 

GP – Aujourd’hui, la présence militaire directe n’est pas indispensable. En effet le moindre porte-avions, satellite ou drone permet d’exercer un contrôle militaire sans besoin d’avoir des soldats sur place.

NDLR : Pour une analyse de l’impact de la présence militaire américaine sur le sol colombien, lire sur LVSL l’article de Jhair Arturo Hernandez : « La Colombie, éternelle tête de pont des États-Unis en Amérique du Sud »

Ce qui a été déterminant est que, sous l’influence de la politique de guerre contre la drogue menée par les États-Unis, nous avons construit une politique diplomatique alignée sur celle de Washington. Le pouvoir d’influence des États-Unis en Colombie est immense en raison de cette guerre contre les drogues.

Le message envoyé par Hugo Chávez était dangereux pour l’oligarchie colombienne car il a lutté contre la concentration des richesses. Cependant, le modèle chaviste de redistribution pétrolière était insoutenable. La vraie révolution au Venezuela aurait consisté à sortir le pays du pétrole, non à le maintenir dans la dépendance vis-à-vis de l’or noir.

Mais la guerre contre les drogues (c’est-à-dire leur interdiction et la lutte militaire contre les narcotrafiquants), n’a pas résolu les problèmes de consommation aux États-Unis. Aujourd’hui, plus de 60.000 morts annuelles par overdose sont dues à des drogues de synthèse provenant de laboratoires et non d’Amérique Latine.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Gustavo-Petro-800x535.png.

Et la guerre contre la drogue n’a pas non plus tari l’offre. Le volume de stupéfiants qui sort du territoire colombien n’a pas diminué, voire a augmenté, depuis le début de cette guerre. C’est dire à quel point ces politiques sont inefficaces ! Elles ont cependant été très efficaces pour constituer un bloc de nations dépendant de la politique internationale des États-Unis…

LVSL – Quels sont obstacles auxquels font face les progressistes colombiens en matière de normalisation politique ? Quelles sont les stratégies qui permettront aux progressistes de s’éloigner de cette image de guérilleros marxistes ou de cinquième colonne chaviste ?

Je pense que le progressisme latino-américain, à commencer par le progressisme colombien que je dirige, doit définir un nouvel agenda propre à l’ensemble du continent américain. Nous avons laissé passer une chance dans de nombreux pays où nous avions pourtant remporté les élections, dans le sens où nous n’avons pas eu l’ambition de changer en profondeur le modèle économique latino-américain.

Il ne nous faut pas répéter la grave erreur commise il y a plus de 200 ans lorsque nous avons mimé les formes démocratiques européennes et nord-américaine sans importer la démocratie. Nous avons constitué des Républiques qui n’étaient pas démocratiques, dans la mesure où elles s’appuyaient sur les structures oligarchiques issues du monde féodal et même l’esclavage. C’est pourtant cette erreur qui se répète lorsque les progressistes qui prennent le pouvoir perpétuent le modèle économique venu du système colonial, qui vise à exporter ce qui peut facilement être extrait du sous-sol, c’est-à-dire principalement des matières premières et des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel.

NDLR : Pour une analyse des contraintes internationales qui pèsent sur les gouvernements latino-américains cherchant à initier une transition énergétique, lire sur LVSL l’article de Matthieu le Quang : « Rompre avec l’extractivisme : la quadrature du cercle ? », celui de Pablo Rotelli : « L’éternelle malédiction des ressources naturelles en Amérique latine » et d’Andréz Arauz : « Triage monétaire : comment la pandémie révèle les fractures nord-sud »

Grâce aux prix élevés, ce modèle a permis une forme de prospérité et de progrès de la justice sociale, grâce à la redistribution des rentes de l’extraction. Mais ces prix fluctuent, et l’effondrement des cours entraîne des crises insoutenables qui remettent en cause ce modèle économique et rendent indispensable la définition d’un nouvel agenda – que j’appelle le nouvel agenda progressiste. C’est celui d’une Amérique Latine qui construit sa richesse, non sur la base de l’extraction de combustibles fossiles mais sur la réflexion et la connaissance.

LVSL – Pour quelles raisons les relations entre la Colombie et le Venezuela sont-elles devenues plus tendues suite à l’arrivée de Chávez au pouvoir ? Quel regard portez-vous sur le chavisme et l’héritage de Hugo Chávez ?

GP – Chávez a effrayé l’oligarchie colombienne du fait des politiques qu’il a menées au Venezuela. En effet, la redistribution des richesses pétrolières mise en place dans le pays est antinomique avec le modèle colombien de concentration des richesses sans redistribution. Le message envoyé par Chávez était dangereux pour l’oligarchie colombienne.

Cependant, le modèle chaviste qui s’appuie sur la redistribution de la rente pétrolière était insoutenable. La vraie révolution au Venezuela aurait consisté à sortir le pays du pétrole, non à le maintenir dans la dépendance vis-à-vis de l’or noir.

Le charbon et le pétrole, respectivement exportés par la Colombie et le Venezuela, sont, comme vous le savez, utilisés par le grand capital comme source énergétique et provoquent le changement climatique, mettant ainsi en danger d’extinction toute la vie sur terre. Il ne peut donc exister de révolution qui pérenniserait ce modèle.

La révolution consiste à dépasser le modèle du charbon et du pétrole. Cela est aussi vrai pour la Colombie que pour le Venezuela et absolument nécessaire au niveau mondial. Ce sont de nouvelles technologies, cultures, et relations sociales qui doivent être recherchées au niveau local et mondial pour construire une économie post-pétrole. La question reste entière de savoir si cela se fera avec ou contre le capitalisme, et je n’ai pas encore de réponse.

Ce sont la pertinence et la nécessité de définir un agenda de sortie du carbone, qui peuvent régénérer les contenus des programmes progressistes latino-américain et mondiaux. À l’heure actuelle le changement est nécessaire si nous souhaitons vivre. La politique de la vie comme je l’appelle, cette politique basée sur les conditions nécessaires à la reproduction de la vie sur la planète, est la politique progressiste.

Vénézuéla : quand Trump et Macron apportent leur soutien à vingt ans de stratégie putschiste

Emmanuel Macron et Donald Trump © RFI

Depuis que le président de l’Assemblée nationale Juan Guaidó s’est autoproclamé Président du Vénézuéla, le gouvernement des États-Unis multiplie les mesures de rétorsion financière et les menaces d’intervention militaire à l’égard de Nicolás Maduro. Si le gouvernement vénézuélien porte indéniablement une part de responsabilité dans la crise que traverse le pays, il est impossible de comprendre la situation actuelle sans prendre en considération le rôle de l’opposition. Usant de tous les moyens, celle-ci a régulièrement tenté de renverser les gouvernements de Hugo Chávez (1999-2013) et de Nicolás Maduro (élu Président en 2013) depuis deux décennies. En reconnaissant Juan Guaidó comme représentant légitime du Vénézuéla, Donald Trump, Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro donnent leur aval à la stratégie putschiste de l’opposition vénézuélienne, qui n’a jamais supporté d’être écartée du pouvoir. Il s’agit d’une dimension de la crise vénézuélienne passée sous silence par les grands médias français, qui se font la caisse de résonance du point de vue de l’administration Trump.


Le soutien apporté par Donald Trump à Juan Guaidó est-il réellement motivé par des considérations démocratiques ? La question peut prêter à sourire lorsqu’on prend en compte le nombre de régimes autoritaires soutenus par les États-Unis d’Amérique dans le Sud du continent. L’amiral Craig S. Faller, à la tête du commandement Sud des Etats-Unis, s’est chargé de lever toute ambiguïté s’il était encore besoin : « deux solutions sont envisageables pour le Vénézuéla : soit on fait sortir Maduro comme Noriega, soit on le fait sortir comme Marcos ». L’officier américain faisait référence à Manuel Noriega, homme d’État panaméen renversé en 1989 par une invasion américaine qui a causé la mort de plus de 3,000 civils et installé le Panama sous la tutelle militaire des États-Unis.

Une opposition putschiste, soutenue par les États-Unis, dans un climat de guerre civile

John Bolton, conseiller en sécurité nationale de Donald Trump, déclarait à Fox News il y a quelques jours : « nous discutons en ce moment avec les grandes entreprises américaines qui sont installées au Vénézuéla. Nous cherchons à atteindre le même objectif (…) cela ferait bien avancer les choses si nous parvenions à faire en sorte que les entreprises américaines puissent investir au Vénézuéla et exploiter ses ressources naturelles ». Que le Vénézuéla, premier pays au monde en termes de réserves pétrolières, suscite la convoitise des entreprises multinationales, n’a rien de vraiment étonnant. Comme le rappelle John Bolton, le gouvernement américain agit en loyal défenseur de leurs intérêts en Amérique latine.

Depuis le début de la crise, Donald Trump joue la carte de la tension. Il a récemment multiplié les mesures de rétorsion économiques et financières à l’égard du Vénézuéla, approfondissant celles qui avaient été mises en place par Barack Obama. Le gouvernement américain frappe d’illégalité les transactions financières avec le Vénézuéla, ce qui interdit notamment au pays de refinancer sa dette auprès des banques américaines. Il est rejoint en cela par l’Angleterre, qui retient dans ses coffres forts l’équivalent de 1.2 milliard de dollars d’or qui appartiennent au Vénézuéla.

Le néoconservateur Elliott Abrams a récemment été nommé représentant spécial des États-Unis pour le Vénézuéla par Donald Trump. Elliot Abrams n’est pas tout à fait un inconnu en Amérique latine. Il a été assistant au Secrétariat d’État dans les années 80, où il a joué un rôle clef dans le soutien des États-Unis au gouvernement autoritaire du Salvador et aux « contras » du Nicaragua (responsables, au bas mot, du massacre de milliers de civils). Plus récemment, toujours en poste à la Maison Blanche, il aurait donné son aval au coup d’État contre le Président Vénézuélien Hugo Chávez en 2002, selon une enquête du Guardian. Le risque d’une guerre civile suite à l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme Président de la République du Vénézuéla, avec ou sans intervention étrangère, est donc réel. Pablo Bustinduy, député de Podemos, déclarait la semaine dernière au Congrès : « La seule sortie pacifique et démocratique à la crise doit passer par la négociation et le dialogue politique entre les partis, comme l’ont déjà demandé l’Uruguay, le Mexique, l’ONU et le Vatican. C’est la seule position légitime, légale et acceptable ». Un appel qui semble désespéré, à l’heure où plus d’une douzaine de chefs d’État américains (ce qui inclut Donald Trump, Justin Trudeau et Jair Bolsonaro), ainsi que le gouvernement français et le Parlement Européen ont d’ores et déjà reconnu Juan Guaidó comme représentant légitime du Vénézuéla.

Les médias français présentent le paysage politique vénézuélien comme partagé entre un gouvernement à l’autoritarisme croissant et une opposition démocratique. Le caractère putschiste d’une partie importante de l’opposition vénézuélienne n’est pourtant plus à démontrer. Depuis l’élection de Hugo Chávez en 1999, elle n’a pas accepté de reconnaître la légitimité du pouvoir issu des urnes, ni la Constitution vénézuélienne approuvée par des millions de citoyens à l’issue d’un référendum. Elle a ainsi organisé un coup d’État en 2002, qui avait pour but de démettre Hugo Chávez du pouvoir, mais qui a fini par échouer au bout de 48 heures. Leopoldo López, l’une des personnalités les plus médiatisées de l’opposition, considéré par la presse française comme une figure de proue de la lutte pour la démocratie, déclarait lors de ce coup d’État : « quels sont les scénarios possibles pour le Vénézuéla ? Ou bien nous avons un coup d’État rapide et sec, ou bien on accueille favorablement notre proposition (que Chávez démissionne). Il n’y a pas d’autre moyen de résoudre les obstacles auxquels le Vénézuéla fait face aujourd’hui ». De la même manière, Juan Guaidó, considéré en Occident comme un parangon de vertu démocratique depuis qu’il s’est auto-proclamé Président du Vénézuéla, menaçait ce jeudi Nicolás Maduro d’une invasion nord-américaine : « l’intervention militaire est un élément dans le rapport de force qui est présent sur la table (…) Nous exercerons toute pression qui sera nécessaire ». Le même Guaidó a également ouvertement appelé les forces armées à se soulever contre le gouvernement.

Sans même prendre en compte le caractère anti-démocratique de l’opposition vénézuélienne, il n’est pas inutile de rappeler quel est le bilan de son action politique au pouvoir, avant l’élection de Hugo Chávez. Accion Democrática et Copei, deux des principaux partis de la MUD (Mesa de Unidad Democrática – la principale structure d’opposition au gouvernement actuel), et qui se sont partagés le pouvoir de manière arbitraire pendant 40 ans avant la victoire de Chávez, traînent derrière eux une large histoire de corruption et de répression. Le Président Carlos Andrés Pérez, en particulier, laisse un souvenir peu glorieux au Vénézuéla. Il a abandonné le pouvoir en 1993 pour avoir été jugé coupable de malversation sur des montants équivalents à 17 millions de dollars. Avant cela, il a impulsé un processus de conversion du Vénézuéla au néolibéralisme sous l’égide du FMI – avec en particulier la libéralisation des prix ainsi que la privatisation des services publics et des entreprises d’État. La crise sociale engendrée par ses politiques économiques a déclenché de nombreuses protestations, réprimées avec la plus grande brutalité. L’une d’entre elles, connue sous le nom de « Caracazo », s’est soldée par la mort d’au moins 400 manifestants et de milliers de « disparus », victimes de la répression armée. Henry Ramos, dirigeant du parti au pouvoir durant le Caracazo, a été élu président de l’Assemblée nationale en 2016 (contrôlée par l’opposition) ; il est devenu l’un des principaux dénonciateurs des violations des Droits de l’Homme perpétrées par le gouvernement de Nicolás Maduro. Comme tant d’autres, son indignation semble être à géométrie variable, et sa mémoire pour le moins sélective…

En 1995, le Vénézuéla était miné par une profonde crise sociale ; le taux de pauvreté dépassait 66%, et l’inflation 100% en 1996. L’opposition vénézuélienne concentre actuellement ses efforts sur l’éviction de Nicolás Maduro, et passe soigneusement sous silence son piètre bilan en matière économique et sociale. Elle critique le Président actuel pour la recrudescence de la pauvreté que l’on observe au Vénézuéla ces dernières années, mais ferme les yeux sur le fait que les mesures néolibérales qu’elle préconise risquent d’accroître considérablement la pauvreté et les inégalités, comme par le passé.

Longtemps décrédibilisée en raison de ce bilan peu enviable, l’opposition vénézuélienne remporte finalement les élections législatives de 2015. Mais le Tribunal Suprême de Justice, constitué d’une majorité chaviste – et proche du gouvernement de Nicolás Maduro -, a réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale à néant. Depuis cette défaite, Nicolás Maduro gouverne en contournant systématiquement l’Assemblée nationale et favorise l’émergence d’un pouvoir législatif parallèle, à échelle des Communes vénézuéliennes. Il favorise ainsi l’éclatement des centres de pouvoir vénézuéliens et la superposition des strates institutionnelles. Contrairement à la vision qu’en donnent les médias occidentaux, le Vénézuéla n’est pas gouverné de manière verticale par un Etat unifié ; au contraire, il est régi par un mille-feuille administratif et institutionnel, dans lequel coexistent plusieurs polices et plusieurs centres d’autorité. L’absence d’un Etat centralisé est un facteur d’aggravation de la conflictualité, dans un pays polarisé par des tensions sociales extrêmes et un climat de lutte à mort entre “chavistes” et “anti-chavistes”. L’armée, placée sous l’autorité du gouvernement, passe pour l’une des forces sociales les plus loyales à Nicolás Maduro – la carrière d’officier de Hugo Chávez n’y est pas pour rien. Néanmoins, elle n’est pas toujours imperméable aux tentations putschistes encouragées par les Etats-Unis et l’opposition ; Nicolás Maduro ne cesse d’augmenter le salaire des soldats et des hauts-gradés pour conjurer le spectre d’un coup d’Etat militaire. Le risque d’une guerre civile aux conséquences humaines incalculables n’est donc pas à sous-estimer. Combien de temps le respect de la légalité empêchera-t-il encore les Communes contrôlées par les “chavistes” et les régions aux mains de l’opposition, les officiers loyalistes et les fractions putschistes de l’armée, les “milices bolivariennes” mises en place par l’Etat et la police acquise à l’opposition, de plonger dans l’affrontement ouvert ?

C’est dans ce contexte de guerre civile larvée, de conflictualité politique incandescente et de morcellement de l’État vénézuélien que Juan Guaidó s’est autoproclamé Président du Vénézuéla. Il bénéficie du bilan économique alarmant de Nicolás Maduro, qui a laissé croître l’inflation au point que seul le Zimbabwe peut se prévaloir d’une instabilité des prix plus importante.

Aux origines de la crise vénézuélienne : “guerre économique” des oligarques, incompétence du pouvoir chaviste ou contraintes internationales structurelles ?

Parmi toutes les économies latino-américaines en faillite au cours de ces dernières décennies, aucune n’a été autant médiatisée que celle du Vénézuéla. Et pour cause : les enjeux idéologiques sont de taille. Il suffit qu’un candidat à l’autre bout du monde exprime un soupçon de soutien envers les avancées sociales du chavisme pour que la carte “crise au Vénézuéla” soit jouée à son encontre lors de tous ses débats postérieurs.

La crise économique au Vénézuéla est tantôt présentée – par les mêmes qui passent sous silence le caractère néolibéral de la crise des subprimes – comme la preuve irréfutable que l’application du “socialisme” est vouée à l’échec, et plus largement que toute contestation du dogme néolibéral mène à la catastrophe. Bien sûr, disparaissent du paysage médiatique comme par enchantement la crise de la dette des années 1980 en Amérique latine, l’hyperinflation en Argentine sous le gouvernement d’Alfonsín (1983-1989), en Équateur à la fin des années 90, la crise mexicaine de 1994, celle de l’Argentine – encore – en 2001, ou celle de l’Uruguay en 2002. Ces crises régionales ont un aspect commun : elles se produisent invariablement sous des gouvernements néolibéraux. C’est que les économies latino-américaines sont structurellement propices à ce genre de crises, qu’elles soient régies par un pouvoir “socialiste” ou néolibéral.

S’il fallait se défaire des préjugés idéologiques qui embourbent le débat autour du Vénézuéla, on pourrait y voir sans trop de détours la faillite d’une économie capitaliste périphérique, soumise à des contraintes structurelles dues à sa place dans la division internationale du travail, héritée de son passé colonial, qui fait de ce pays un mono-exportateur de pétrole à l’économie bien fragile. Une fois ces données prises en compte, il est aisé de comprendre les crises monétaires qui en découlent.

Supposons que la France soit un pays qui n’exporte qu’un bien primaire, très demandé dans le monde mais dont les cours varient fortement. Comment ferait la France pour développer une industrie ? Elle devrait en premier lieu protéger ce secteur à l’état embryonnaire et le subventionner avec les entrées de capitaux qui proviennent de ses exportations. Si le cours du bien exporté chute rapidement, la protection du secteur industriel naissant et peu compétitif disparaît, et celui-ci se retrouve exposé à la concurrence internationale qui finit par le détruire et par appauvrir le pays. Ce phénomène se produit généralement dans des pays riches en matières premières, qui ont développé une monoculture au fil des siècles – ce qui explique en partie qu’il s’agisse très souvent de pays pauvres.

Il faut prendre en compte le fait que les pays exportateurs de matières premières sont généralement soumis, hors périodes exceptionnelles, à la dégradation des termes de l’échange. En effet, du fait de l’augmentation globale du niveau de vie de la population, les prix des biens de capitaux produits par les pays centraux ont tendance à augmenter plus rapidement que ceux des biens primaires, exportés par les pays périphériques. Par conséquent, les pays producteurs de biens primaires, étant donné que le prix relatif de ces derniers a tendance à diminuer, sont contraints d’exporter davantage pour pouvoir maintenir leur pouvoir d’achat – ce qui accroît ainsi leur dépendance auxdits biens primaires. Les limites sont évidentes : même si leurs capacités productives étaient illimitées, le reste du monde ne leur adresse pas une demande infinie et le marché serait rapidement saturé. Cela tend à produire un creusement du déficit de la balance commerciale : la valeur des exportations n’arrive pas à compenser la valeur des importations. Se produit alors généralement le phénomène suivant : la demande de devises pour payer les importations devient supérieure à la demande de monnaie nationale pour payer les exportations, et cette dernière se déprécie.

Dans ce cas de figure, les importations mesurées en monnaie nationale se renchérissent, ce qui exerce une première pression à la hausse sur les prix nationaux. Les aspects psychologiques de l’inflation entrent alors en jeu : si les agents remarquent que leur pouvoir d’achat diminue avec l’inflation, alors ils auront tendance à vouloir se procurer des devises. La demande de ces dernières augmente et le processus de dépréciation s’approfondit. Ce même raisonnement s’applique aux investisseurs. Ces derniers ont intérêt à se défaire des titres nationaux car l’inflation ronge leur rentabilité et à s’en procurer d’autres, libellés en monnaie étrangère. Une nouvelle fois, la demande de devises étrangères s’accroît, au détriment de celle de monnaie nationale – et ce cercle vicieux est sans fin.

Remplaçons la France par le pays périphérique, celui-ci par le Vénézuéla, on comprendra le choc qu’a provoqué la chute brutale du cours du pétrole à partir de 2014 pour une quasi-monoculture pétrolière.

Bien sûr, cet environnement difficile n’exonère par le PSUV de ses responsabilités. Les contraintes structurelles étant ce qu’elles sont, il revenait justement au mouvement chaviste de les prendre en compte et de changer la donne – c’est le point de vue d’une partie grandissante du PSUV, qui reproche à la gestion de Nicolás Maduro, voire à celle de Hugo Chávez, d’avoir aggravé les contraintes internationales qui pesaient sur le Vénézuéla. Avec une population de plus de trente millions d’habitants, pourquoi ne pas avoir plus fortement misé sur le marché intérieur, et ne pas avoir cherché à diversifier l’économie vénézuélienne pour amoindrir sa dépendance au pétrole ? Quoique soumis aux règles impitoyables des échanges internationaux, le Vénézuéla des premières années chavistes a vu fondre son taux de pauvreté. Ces résultats ont eu tendance à masquer le manque d’investissement dans la matrice productive, qui sont devenus criants lors des épisodes de pénurie – complaisamment médiatisés par les mêmes médias occidentaux qui passent sous silence l’ampleur des famines africaines. Après vingt ans de chavisme, le Vénézuéla est aujourd’hui aussi dépendant à l’égard du pétrole qu’il l’était en 1999 – un comble, protestent certains chavistes critiques, pour un mouvement qui prétendait émanciper le Vénézuéla de son statut de pays exportateur de matières premières !

Une analyse rigoureuse des causes de la crise vénézuélienne ne saurait donc se satisfaire d’aucune grille de lecture monodéterministe. Si la place qu’occupe le Vénézuéla dans la division internationale du travail constitue un élément structurant, l’inaction du pouvoir chaviste à cet égard n’est pas un facteur négligeable – pas plus que la gestion de la crise par Nicolás Maduro, dont il n’est pas difficile de voir que certaines mesures ont contribué à provoquer l’hyperinflation qui ravage actuellement le Vénézuéla. Quant à la “guerre économique” dénoncée par Nicolás Maduro depuis 2013, que mènent selon lui les grands propriétaires vénézuéliens contre le gouvernement en organisant la pénurie, il est aujourd’hui établi qu’elle n’a rien d’un mythe [cet article de Valentine Delbos compile un certain nombre d’éléments qui établissent la véracité de cette guerre économique]. Que les dirigeants des multinationales souhaitent se débarrasser d’un gouvernement qui a l’affront de s’attaquer à leurs privilèges n’a au demeurant rien de très surprenant ; nombre de chavistes regrettent que Nicolás Maduro verse dans la surenchère rhétorique à l’égard des manoeuvres occultes de “la bourgeoisie” et de “l’Empire”, plutôt que de mettre en place des réformes de structure destinées à combattre la pénurie. Certains prônent par exemple la mise en place de compagnies de distribution nationales, contrôlées par l’État, qui pourraient garantir un minimum de bien-être à la population…

Il apparaît donc très peu rigoureux de faire de la crise vénézuélienne actuelle la conséquence de “l’application du socialisme”. Considérer que le Vénézuéla vit sous une économie “socialiste” frôle l’abus de langage, pour un pays dont l’oligopole de distribution de marchandises est détenu par une poignée de richissimes acteurs privés ! Si les politiques économiques mises en place par Maduro expliquent en partie la crise actuelle, il est difficile d’y déceler les traces d’un socialisme exacerbé, bien au contraire. Loin d’exercer un contrôle stalinien des moyens de production, le PSUV a dû composer autant avec les intérêts croisés d’une bourgeoisie pétrolière et négociante qu’avec les créanciers nationaux et internationaux. Les concessions faites à ces secteurs, que ce soit sur le plan de la politique monétaire, qui a permis une importante fuite de capitaux, ou sur celui de la gestion de la dette, rigoureusement orthodoxe, se rapprochent plutôt des politiques menées par Mauricio Macri en Argentine !

Vers une intervention militaire ou une guerre civile au Vénézuéla ?

Un tel risque aurait été impensable il y a quelques années. On peine à comprendre le caractère dramatique des enjeux actuels si on ne prend pas en compte l’évolution du contexte latino-américain dans son ensemble. L’élection de Hugo Chávez en 1999 a inauguré un nouveau cycle politique en Amérique latine, que l’on qualifie généralement de « progressiste » ou de « post-néolibéral », au cours duquel une série de présidents critiques du néolibéralisme ont été portés au pouvoir : Inácio Lula da Silva au Brésil (2002), Néstor Kirchner en Argentine (2003), Evo Morales en Bolivie (2006), Daniel Ortega au Nicaragua (2007), Rafael Correa en Equateur (2007)… Quels que soient les divergences idéologiques de ces gouvernements « progressistes », tous s’accordaient sur le fait qu’ils devaient oeuvrer à protéger mutuellement leur souveraineté et mettre en place une coopération régionale renforcée. C’est ainsi que le sommet des Amériques de 2015, au cours duquel les chefs d’État de toute l’Amérique se sont réunis, fut une épreuve d’humiliation diplomatique pour Barack Obama ; le Président américain venait d’édicter une série de sanctions contre le Vénézuéla, et l’Amérique latine fit bloc contre lui.

Quatre ans plus tard, au plus fort de la crise déclenchée par Juan Guaidó, il ne se trouve plus que cinq gouvernements latino-américains pour afficher leur soutien à Nicolás Maduro : Cuba – l’indéfectible allié -, la Bolivie, le Nicaragua, l’Uruguay, ainsi que le Mexique, dirigé par le Président nouvellement élu Andrés Manuel López Obrador (« AMLO »). L’Argentine, le Brésil ou l’Équateur, alliés géopolitiques fondamentaux du Vénézuéla pendant des années, sont aujourd’hui alignés sur le positionnement géopolitique de Donald Trump. La menace d’une intervention militaire ou d’un coup d’État de l’opposition vénézuélienne sanctionné par les autres pays, impensable il y a cinq ans, semble chaque jour moins éloignée. La médiatisation de la crise en Amérique du Nord et en Europe, qui relaie sans recul critique le point de vue de l’opposition vénézuélienne et conditionne l’opinion occidentale à l’acceptation d’une telle éventualité, ne fait que l’accroître.

Par Gillian Maghmud et Pablo Rotelli.

Énergies renouvelables : le Portugal montre la voie à l’aube d’une pénurie pétrolière

Alors que la France prend du retard sur son plan de transition énergétique, le Portugal a vécu à plus de 100% d’énergies renouvelables durant le mois de mars. Une différence de trajectoire frappante qui fait émerger encore un peu plus l’incohérence du gouvernement Macron par rapport à sa communication en matière d’écologie… et fait mentir les lobbyistes du « nucléaire indépassable ». Ce constat survient au moment où l’Agence Internationale de l’Énergie évoque un déclin de la production pétrolière pour 2020. Nous nous sommes rendus à Madère pour enquêter. Quel est donc le secret lusitanien pour une transition énergétique réussie ?


Au mois de mars 2018, le Portugal a produit 103,6% d’énergies renouvelables. Ce record fut permis par les très bonnes conditions météorologiques : du vent pour les éoliennes et des pluies pour les barrages. Cela ne veut pas dire que le pays s’est complètement passé d’énergies fossiles sur cette

Bilan de production électrique portugaise, mars 2018 – Redes Energéticas Nacionais

période, à cause de l’intermittence des renouvelables. 60% du temps, la production de ces dernières excédait la consommation.  Le reste du temps, il a fallu compléter avec des centrales thermiques, d’où la composition du bilan ci-contre. Mais ce qu’il faut en retenir, c’est que l’ancienne Lusitanie possède une puissance renouvelable potentiellement  supérieure à ses besoins. En toute logique, si

l’État décidait par exemple de multiplier et diversifier ces installations (par exemple avec plus de solaire), le pays aurait suffisamment de marge pour se passer totalement des fossiles.

Avec le Danemark, l’Islande et la Norvège, le Portugal rejoint le club des pays ayant une puissance installée renouvelable supérieure à leurs besoins. En moyenne, le pays en produit déjà 55,5% (2016) et vise les 100% en 2040. Les objectifs européens, fixés initialement à 35% pour 2030 par le Parlement Européen, ont été revus à la baisse par le Conseil des ministres : 27%. La France est déjà en retard sur cet objectif : la production actuelle est de 15,2% et atteindre les 20% en 2020, comme annoncé lors de la COP21, semble désormais compliqué.

Alors pourquoi ces écarts entre France et Portugal ? Traduisent-ils une différence de potentiel physique ? Où s’agit-il, comme souvent, d’une différence de volonté politique ? À Madère, petite île portugaise au large du Maroc, la transition énergétique va bon train.  Rui Rebelo, président de la compagnie publique Electricidade da Madeira, nous explique sa démarche et ses difficultés. Il nous a reçu au siège de l’entreprise, à Funchal, capitale régionale et ville originelle du célèbre footballeur Cristiano Ronaldo.

 

Madère, une petite île aux grandes ambitions

 

« Pendant la crise de 2007-2008, les pays dépendants des importations pétrolières ont davantage subi la crise que les autres, en raison de l’augmentation des prix des hydrocarbures ». Partant de ce constat, M. Rebelo continue. À cette époque, l’île comptait « seulement » 15% d’énergies renouvelables (EnR) dans son mix énergétique (des petites centrales hydrauliques de montagne). Elle payait cher le fonctionnement des centrales thermiques, d’autant que les mesures de rigueur budgétaire imposées par Bruxelles au Portugal ont touché sévèrement son économie. Le déclic fut donc essentiellement une question financière.

Les éoliennes du plateau de Calheta, Madère

Aujourd’hui, la part des EnR est montée à 30% en moyenne annuelle, avec des pics à 62% pendant certains mois. L’hydraulique et l’éolien en produisent, à parts égales, 73%. La transition de Madère est déjà planifiée sur 15 ans et les budgets sont là. Le grand barrage de Calheta, sur les hauteurs de l’île, est quasiment terminé. Il devrait porter de 30 à 39% la part des EnR dans le mix électrique. Cet ouvrage permettra aussi de stocker de l’énergie, sous forme d’eau. En effet, quand la production éolienne sera supérieure aux besoins, l’eau sera repompée dans le barrage. Elle sera moulinée ensuite, pour répondre aux besoins.

Ce principe a été développé localement par Mario Jardim Fernandes, un ingénieur désormais administrateur de l’Electricidade da Madeira. En 2007, il est récompensé par la Commission Européenne pour la centrale de Soccordios, dans laquelle il a installé un dispositif innovant pour mouliner et repomper l’eau d’un barrage avec le même tuyau.

Grâce aux barrages réversibles, non seulement l’eau est mieux gérée, mais l’énergie est stockée pour des durées parfois assez longues (d’un jour sur l’autre pour les petits barrages, d’un mois sur l’autre pour les grands). En France, une telle gestion d’ensemble du réseau pourrait être mise à mal par la privatisation de l’hydroélectrique.

Schéma d’une centrale réversible, Nick Davis, Power electric news

Ensuite, des centrales solaires seront installées pour porter à 50% ce taux en 2022.  Pour ne pas dégrader le paysage et ne pas décourager le tourisme (activité principale de l’île : 1 million de touristes par an, pour une population de 270 000 habitants, 20% du PIB), le choix s’est porté sur une dizaine de petites centrales éparses (5-7MW). Ce choix garantit aussi une certaine résilience par rapport à la météo sur une ile caractérisée par ses microclimats. Une ou deux grandes centrales auraient certes couté moins cher, mais auraient suscité de la « non-acceptation sociale » et fait peser le risque d’être intégralement masqué par les nuages. Pour passer à 70% d’EnR en 2030, des travaux d’études pour l’installation de géothermie vont débuter.

En parallèle de ces plans de développement, des efforts sont réalisés quant à l’efficacité énergétique (isolation, lutte contre le gaspillage…). Cependant, c’est bien la problématique du stockage qui fait l’objet d’efforts particuliers. Sans cela, il est inutile de multiplier les unités de production. En plus du stockage sous forme d’eau dans les barrages, des batteries classiques sont en cours d’installation à Funchal pour une capacité de stockage de 20 MW en 2020 (soit 4,5% de la consommation de l’ile).

Mais il ne faut pas confondre consommation d’énergie et consommation d’électricité. « 50% de l’énergie consommée sur l’ile l’est par le transport (carburants). C’est pourquoi nous voulons permettre un essor rapide des véhicules électriques ». Paradoxalement, une multiplication des voitures électriques signifie plus de consommation d’électricité, mais selon M. Rebelo,  c’est justement une opportunité.  La batterie d’une voiture électrique pourrait représenter un moyen de stockage, au sein d’un « smart grid » (réseau intelligent). Elle pourrait être rechargée la nuit, lorsque personne ne consomme, et en fournir aux heures de pointe si elle n’est pas utilisée. Le constructeur Renault est d’ailleurs très engagé sur le dossier et aimerait faire de Madère une vitrine verte.

Ce foisonnement de projets en inspire d’autres. Dans le but de favoriser l’économie circulaire et de réduire les émissions de CO2 issues de la centrale thermique de l’ile voisine de Porto Santo, un projet pionnier a vu le jour en 2018. Il s’agit d’un système visant à dévier les fumées riches en CO2 vers des bassins où sont cultivées des algues alimentaires à haute valeur ajoutée. 60 tonnes de CO2 sont ainsi captées chaque année.

L’exemple de Madère est intéressant à plusieurs titres. Il montre qu’une politique volontariste et bien planifiée de sortie des énergies carbonées porte ses fruits. De plus, la topographie de l’île se retrouve dans beaucoup de territoires côtiers en Europe. Les solutions techniques qui y sont appliquées sont donc en partie « démocratisables ». Le Portugal dans son ensemble, bien plus vaste et géographiquement diversifié que Madère, fait mentir ceux qui avanceraient qu’un pays comme la France n’a pas assez de potentiel renouvelable. Dès lors, nous pouvons être assurés, encore une fois, que la transition énergétique n’est largement qu’une question de volonté politique.

 

A échelle mondiale, la part des EnR augmente lentement, le prix du pétrole très rapidement…

 

Volonté politique n’est d’ailleurs pas forcément le terme le plus adéquat. Une volonté « stratégique » conviendrait mieux dans une période où le prix du pétrole augmente. L’embargo sur la production iranienne, voulu par les États-Unis, et encouragé par plusieurs membres de l’OPEP, a déjà des répercussions sur le prix du baril. Mi-mai, il dépassait les 80$, soit +40% en un an.

La demande globale d’énergie a augmenté de 2,1% en 2018, plus de deux fois la moyenne des cinq précédentes années (+0,9%/an). Cette augmentation a été satisfaite à 72% par les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) contre un quart pour les énergies renouvelables. La demande mondiale de pétrole devrait augmenter de 1,5 million de barils (mb) par rapport à 2017, soit une hausse de 1,5%  (le monde consomme 98 millions de barils par jours). L’Iran exporte 2,1 mb/j, dont plus de 1,5 mb/j en Asie. Les analystes estiment entre 0,15 mb/j et 0,5 mb/j le recul probable des exportations iraniennes d’ici fin 2018. Cela peut sembler peu, mais c’est suffisant pour déstabiliser le marché.

La géopolitique n’explique cependant pas le plus important : la fin des réserves géologiques. Le pic de production pétrolière conventionnelle a été atteint en 2005. C’est désormais le pétrole non conventionnel (huiles de schiste et sables bitumineux) qui permet de satisfaire la demande en plus.

Chaque année, 2 millions de barils ne sont plus produits pour cause de fermeture de puits vides. Résultat : avec une demande annuelle moyenne en hausse de 1 mb/j, il faut chaque année produire 3 millions de barils supplémentaires. À ce rythme-là, c’est l’équivalent de la production de l’Arabie saoudite (premier producteur mondial avec 11,5 mb/j) qu’il faut trouver en plus tous les 3-4 ans. L’augmentation de la demande est fournie à 80% par les États-Unis qui se sont récemment mis à produire massivement du pétrole de schiste. Mais pour combien de temps encore ? Le pétrole de schiste se trouve dans des petites poches qui s’épuisent très rapidement, ce qui veut dire qu’il faut toujours construire de nouveaux puits, ce qui coûte cher et pollue beaucoup. Il est donc fort probable que cette production effrénée connaisse quelques ralentissements.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, le pic de production totale (tous types de pétroles) aura lieu dans 2 ans… en 2020. Dès lors, les prix devraient flamber rapidement, handicapant lourdement les pays n’ayant pas opéré leur transition énergétique.

Au niveau mondial, la production électrique issue d’énergies renouvelables a grimpé en 2017 de 6,3% (36% pour l’éolien, 27% pour le solaire photovoltaïque, 22% pour l’hydraulique, 12% pour les « bioénergies »…) À eux seuls, les États-Unis et la Chine ont représenté 50% de cette augmentation, devant l’Union européenne (8%), l’Inde et le Japon (6% chacun).

L’Europe et la France accusent donc un retard certain par rapport aux autres nations. Ni la COP21 ni le « On planet Summit » ne semble produire d’effets accélérateurs. C’est la faillite d’une vision libérale de la transition écologique. Au pays d’Areva, la main invisible du marché attend encore un saut technologique qui permettrait aux EnR de devenir un investissement à 15% de rendement par trimestre. À ce rythme-là, nous ne sommes pas près de rester sous la barre de 2 degrés.

 

© photo de couverture : NASA

“Le Canada doit réduire sa dépendance au pétrole” – Entretien avec Alexandre Boulerice

Alexandre Boulerice (45 ans) est un syndicaliste, journaliste et homme politique canadien. Il est militant du Nouveau Parti Démocratique (NPD). Député fédéral de la circonscription de Rosemont-La Petite Patrie depuis 2011, il est également porte-parole du NPD sur les questions d’environnement.

LVSL – En 2015, Justin Trudeau a fait campagne sur un programme plutôt progressiste. Quelle est l’analyse du Nouveau Parti Démocratique (NPD) sur le bilan à mi-mandat de Justin Trudeau ?

Alexandre Boulerice – Le gouvernement Trudeau est un gouvernement des apparences, un gouvernement que je qualifierais de la tromperie et de l’hypocrisie. Il est beaucoup plus difficile à démasquer que le gouvernement conservateur précédent de Stephen Harper, qui était clairement favorable aux pipelines, aux entreprises privées, contre les services publics et contre les syndicats. Monsieur Trudeau a fait campagne avec un vernis social-démocrate, certains de ses propos sont assez justes et semblent être du côté des travailleurs, des classes moyennes, des plus démunis, etc. Mais lorsqu’on regarde les actions, soit elles ne suivent pas, soit elles sont complètement contradictoires avec les promesses de campagne.

La réforme du mode de scrutin est une des premières grandes promesses brisées du mandat. Justin Trudeau avait promis que l’année 2015 serait la dernière élection avec le mode de scrutin injuste que nous connaissons : uninominal majoritaire à un tour. Il a organisé de grandes consultations publiques. Finalement, il a dit qu’il n’y avait pas de consensus ; ce qui était tout à fait faux. Il a dit aussi qu’il allait faire la “lutte à l’évasion fiscale”. Le NPD a présenté une motion au Parlement invitant à prendre des mesures sérieuses contre les paradis fiscaux. Les libéraux ont voté pour, mais par la suite ils ont signé deux conventions avec des paradis fiscaux, dont les îles Cook.  

Troisième et dernier exemple, l’environnement. Quand Trudeau et les libéraux ont été élus, ils prétendaient mettre fin aux “années noires du pétrole sale” de Harper, et quitter peu à peu l’extraction de combustibles fossiles. Ils disaient vouloir faire la transition énergétique, signer les accords de Paris, développer la nouvelle économie, etc.  Et ce dont on se rend compte en réalité, c’est qu’il conservent les mêmes cibles de réduction de l’effet de serre que le gouvernement Harper, le même plan de marche.

Et qu’en plus de cela, ils ont décidé de racheter avec de l’argent public un pipeline dans l’Ouest Canadien (entre l’Alberta et la Colombie-Britannique) appartenant à Kinder Morgan. A l’origine, la compagnie Kinder Morgan voulait multiplier par trois les capacités de transport du pétrole de l’Alberta, qui est un pétrole extrêmement dangereux, à base de bitume brut. Il y a eu beaucoup de contestations du gouvernement de Colombie-Britannique, des Premières Nations, des environnementalistes, etc. Entretemps, Kinder Morgan a renoncé au projet. Le gouvernement fédéral a décidé de racheter l’oléoduc à Kinder Morgan pour 4,5 milliards de dollars, ce qui donne un taux de profit pour Kinder Morgan de 637%.

LVSL –  A l’acquisition du pipeline s’ajoutait le coût des travaux…

Alexandre Boulerice – Exact. Kinder Morgan a estimé le coût des travaux à 7,4 milliards de dollars. Donc, on parle d’à peu près 12 milliards de dollars au minimum d’argent public. Et l’objectif c’est d’être capable de revendre ce pipeline tout neuf à l’entreprise privée. Le NPD a pris position contre ce projet. C’est un projet qui crée très peu d’emplois (300 à 400 emplois par an). Il augmente nos émissions de gaz à effet de serre. Il est extrêmement dangereux pour les côtes de Colombie Britannique. Le bitume, contrairement à d’autres genres de pétrole, tombe dans le fond en cas de déversement dans l’eau. Il ne flotte pas. Donc on ne sait pas comment le ramasser. Et en plus de cela, la demande mondiale de pétrole va commencer à diminuer, dans les prochaines années, parce que tous les investissements dans les différentes énergies renouvelables vont faire en sorte que cela va être de moins en moins en demande. Et le premier pétrole qui va être abandonné par les marchés, c’est celui qui coûte le plus cher à produire. Et c’est celui-là.

LVSL – Dans la presse française, Justin Trudeau est souvent comparé au Président Macron. Ils sont qualifiés de “deux jumeaux de la politique”, et sont tous deux “confrontés à un hiatus entre la communication et l’action politique”. Est-ce un constat que vous partagez ?

Alexandre Boulerice – En termes de comparaison, c’est sûr que dans la génération, dans le style, dans la capacité à communiquer, il y a des ressemblances entre les deux. J’ai l’impression que Monsieur Macron a voulu rassembler des gens de gauche, des gens du centre et des gens de droite. J’imagine que les gens de gauche doivent être particulièrement déçus d’avoir cru en Macron. S’agissant du droit du travail, il a une position sociale-libérale voire néolibérale, et qui n’est pas tellement favorable à la classe ouvrière. Ici, c’est un peu la même chose. Monsieur Trudeau a posé quelques gestes, au départ, pour rassurer les grands syndicats. Mais, par la suite, les mandats de négociation avec la fonction publique fédérale n’ont pas été modifiés par rapport au gouvernement Harper. Il continue dans la même veine de rapports difficiles avec les organisations de la fonction publique fédérale. Mais quand même, Monsieur Macron et Monsieur Trudeau ne sont pas dans la provocation comme Monsieur Trump.

“Monsieur Trudeau bénéficie de l’effet de contraste avec Monsieur Trump.  C’est-à-dire, qu’il a l’air beaucoup plus posé et raisonnable que le président américain. Cet effet de comparaison est bon pour lui. Vous, vous avez toute une panoplie de leaders en Europe. Nous, il y a juste le Président américain, qui est notre voisin, et qui sert d’épouvantail.”

Monsieur Trudeau bénéficie de l’effet de contraste avec Monsieur Trump. C’est-à-dire, qu’il a l’air beaucoup plus posé et raisonnable que le président américain. Cet effet de comparaison est bon pour lui. Vous, vous avez toute une panoplie de leaders en Europe. Nous, il y a juste le Président américain, qui est notre voisin, et qui sert d’épouvantail.

LVSL – Les élections fédérales de 2015, ont provoqué un certain nombre de remises en cause au sein du NPD : la destitution de votre chef de parti (Thomas Mulcair) en 2016 et des modifications de la ligne politique lors du congrès de 2018 en particulier. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement dans votre orientation politique ?

Alexandre Boulerice – Je pense qu’on est revenu un peu plus à ce qu’était le Nouveau Parti Démocratique des années de Jack Layton (NDLR : le chef précédent du NPD). On a voulu être extrêmement rassurants en 2015. On était aux portes du pouvoir. Donc on avait une plateforme très raisonnable, qui manquait d’audace. Le mode de scrutin actuel ne nous a pas aidés aussi, avec l’effet du “vote stratégique”.  Au début de la campagne, les sondages nous étaient favorables, et en fin de campagne, c’était le parti de Monsieur Trudeau qui était en avance. Il a mené une campagne plus sociale-démocrate, plus keynésienne que nous, qui avions promis l’équilibre budgétaire. Monsieur Trudeau, au contraire, n’avait pas peur de promettre une politique de relance ; ce qu’on n’avait pas osé faire, et qu’on aurait dû faire, dans l’objectif de susciter une reprise de la croissance et des créations d’emplois.

Alexandre Boulerice et Jagmeet Singh, nouveau Chef du NPD

Nous avons élu un nouveau leader, Jagmeet Singh, qui représente une nouvelle génération, qui est le premier leader, fils d’immigré, issu d’une minorité visible de l’histoire du Canada.

Du point de vue programmatique, nous sommes sur une nouvelle dynamique. Nous voulons mettre en l’avant trois piliers : l’environnement, la lutte contre les inégalités et la démocratie. Entre autres, avec un nouveau mode de scrutin, mais également en favorisant d’autres formes de mise en commun, notamment l’économie sociale et les coopératives. Parce que cela fait partie de notre histoire et de nos valeurs, de sortir de la dichotomie entre entreprises publiques et entreprises privées.

LVSL – Quel regard portez-vous sur la campagne et le programme de Bernie Sanders et de son mouvement “Our Revolution” ?

Alexandre Boulerice – On voit cela d’un oeil favorable et inspirant. Une des choses qui est remarquable avec la jeune génération, aux Etats-Unis, mais aussi dans une certaine mesure au Québec et au Canada, c’est cette espèce de décrispation sur l’utilisation du mot “socialiste”. On dirait que les nouvelles générations n’ont pas de craintes à utiliser un mot comme le “socialisme”, pour définir leur projet politique ; celui d’une économie beaucoup plus égalitaire, redistributive, participative et démocratique. Et je pense que c’est ce qu’on voit avec l’élection de toutes ces jeunes femmes dans les primaires démocrates, qui mettent dehors les vieux bonzes centristes. Je pense que c’est une espèce d’appétit et de désir d’une société plus juste. Et je suis content que notre nouveau chef Jagmeet voit également cela d’un oeil favorable.

LVSL – Vous parliez de la question de l’environnement et de l’extraction pétrolière. Quelles sont les propositions du NPD pour sortir de la dépendance au pétrole, pour mettre en oeuvre la transition énergétique ? Sachant que vous êtes porte-parole du NPD sur l’environnement.

Alexandre Boulerice – Je suis effectivement porte-parole du NPD sur l’environnement, mais je ne vais pas être capable d’être extrêmement précis sur ce sujet là, car c’est justement une de mes tâches de l’automne prochain que d’élaborer ce plan de transition énergétique, qu’on appelle ici “plan de transition juste”.  C’est un plan sur lequel beaucoup de groupes environnementalistes et de syndicats réfléchissent déjà. Je participe à différents colloques, à différents congrès.

Evidemment, nous avons des pistes qu’il va falloir explorer davantage et détailler, mais nous souhaitons élaborer une plateforme de transition énergétique robuste, crédible et ambitieuse pour l’élection de 2019. Nous nous engagerons probablement en faveur d’un moratoire sur l’extraction de sables bitumineux. Je pense que c’est incontournable. On ne peut pas diminuer nos émissions de gaz à effet de serre tout en continuant à augmenter l’extraction de ce pétrole qui est extrêmement polluant. Ensuite, il va falloir mettre en place des investissements publics pour soutenir la création d’emplois dans les énergies renouvelables et l’utilisation de ces énergies. Par exemple, en Californie, toutes les nouvelles maisons doivent être équipées de panneaux solaires. Est ce qu’ici au Canada, les panneaux solaires sont la meilleure solution ? Je ne sais pas. Mais c’est le genre de mesure qui pourrait aider les gens dans leur maison, dans leur coopérative d’habitation, ou dans leur HLM, à accéder aux énergies renouvelables.

Troisième chose qui est très importante, c’est la formation de la main d’oeuvre. Il va falloir démontrer aux travailleurs des secteurs gaziers et pétroliers de l’Alberta qu’il y a des débouchés d’emplois réalistes dans le secteur des énergies renouvelables. Il faudra accompagner ces travailleurs, les payer durant cette reconversion personnelle.

“Et puis, j’ai fini par comprendre que quand on dénonce les sables bitumineux, si on le fait sans nuances, sans parler en faveur des travailleurs, ces gens-là se sentent attaqués personnellement. Parce que c’est pas juste leur gagne-pain, c’est aussi leur identité.” 

Et puis, j’ai fini par comprendre que quand on dénonce les sables bitumineux, si on le fait sans nuances, sans parler en faveur des travailleurs, ces gens-là se sentent attaqués personnellement. Parce que c’est pas juste leur gagne-pain, c’est aussi leur identité. Il faut leur dire, “C’est pas contre vous. On n’est pas contre votre famille et puis contre votre emploi. C’est juste qu’on va vous accompagner pour être capables de passer à autre chose.”

Il y a une grosse résistance des travailleurs en Alberta. C’est également un sujet épineux du point de vue politique : le gouvernement de l’Alberta actuel est un gouvernement NPD, le gouvernement de Colombie-Britannique est un gouvernement NPD. Et ils s’affrontent sur le sujet du pipeline Kinder Morgan, parce qu’ils n’ont pas du tout la même perspective. Et au départ, nous [NDLR : La direction nationale du NPD] étions dans une situation inconfortable. Nous considérions que les deux provinces faisaient leur travail, qu’elles défendaient leurs intérêts. A la fin, nous avons pris le parti de la Colombie-Britannique, pour des raisons de respect des peuples Autochtones, des citoyens et de l’environnement. C’était la meilleure position à prendre.

LVSL – Trump a décidé de soumettre les productions étrangères d’aluminium et d’acier (dont celles du Canada) à des mesures protectionnistes. Dans le même temps, l’Italie a annoncé récemment qu’elle se refusait à ratifier le CETA. Est-ce qu’il n’y aurait pas là une fenêtre d’opportunité pour remettre en cause, d’un point de vue progressiste, les traités de libre-échange ? Autrement dit, doit-on laisser aux néo-conservateurs le monopole de la critique du libre-échange ?

Alexandre Boulerice – Le NPD a traditionnellement été extrêmement critique au sujet des traités de libre-échange. Nous sommes en faveur du “fair trade” et non pas du “free trade”. Parce que la liberté économique, quand on est de droite ou néolibéral, c’est la liberté de s’enrichir sans aucune limite, et puis la liberté pour les travailleurs de crever de faim s’ils ne sont pas assez productifs. 

Le NPD a toujours été opposé aux clauses permettant aux multinationales de poursuivre les gouvernements devant les tribunaux d’arbitrage parce que c’est un affront à la souveraineté nationale. Ces traités deviennent des chartes des droits des “grandes corporations” [NDLR : terme désignant les multinationales] et non pas des citoyens et des travailleurs.

J’ai rencontré récemment une délégation de membres du Congrès des USA, et nous faisions le constat commun que le meilleur moyen de protéger l’emploi des travailleurs Américains et Canadiens, c’est d’augmenter les salaires au Mexique. Et la gauche canadienne et la gauche américaine sont très critiques du gouvernement mexicain précédent, qui n’a pas augmenté le salaire minimum. Ils ont fait en sorte que leur “cheap labor” continue à être une force d’attraction pour les délocalisations des entreprises Canadiennes et Américaines. Le meilleur moyen de garder de bons emplois ici, c’est que les emplois deviennent meilleurs au Mexique. Cela fait partie des promesses de campagne d’AMLO. Ce serait une bonne nouvelle pour les Mexicains, mais ce serait aussi une bonne nouvelle pour nous.

Deuxièmement, quand on regarde du côté de l’Europe, quand on regarde le “filet social”, la protection des travailleurs, les services publics, les règles sur l’environnement, ce qui existe en Europe est soit équivalent soit supérieur à ce que l’on connait au Canada. Donc ça devrait être naturel d’avoir des accords commerciaux avec les pays Européens, puisqu’il y a moins de chances d’avoir du dumping social, de l’utilisation de “cheap labor” ou de lois environnementales complaisantes. Malheureusement, les gouvernements n’ont pas réussi à négocier un CETA qui respecte la démocratie et les peuples. C’est une occasion manquée. Mais peut-être que là, il y a une occasion que l’on pourrait saisir, si les débats continuent au sein de l’Union européenne, pour amender le CETA. Pour l’amender ! Parce que d’un point de vue Québécois ou Canadien, on est coincés avec notre géant américain comme presque seul marché d’exportation : 90% de nos exportations vont aux Etats-Unis. Alors, une des options serait de réduire notre dépendance au commerce américain et de diversifier nos échanges commerciaux. Et l’Europe devrait être à la tête de cette liste-là. C’est un peu dommage qu’avec le CETA, on ait manqué cette occasion. 

“Quant aux mesures protectionnistes décidées par Monsieur Trump sur l’aluminium et l’acier, elles sont tout simplement irrationnelles, contre-productives, pour les Américains comme pour les Canadiens ; mais Monsieur Trump ne fait pas de la rationalité sa vertu principale.”

Quant aux mesures protectionnistes décidées par Monsieur Trump sur l’aluminium et l’acier, elles sont tout simplement irrationnelles, contre-productives, pour les Américains comme pour les Canadiens ; mais Monsieur Trump ne fait pas de la rationalité sa vertu principale. Parfois, il est convaincu de quelque chose, et veut punir les gens. Que ce soit les Mexicains avec le mur ou les Canadiens avec notre “système de gestion de l’offre”, qui protège les producteurs de lait, de volaille et d’oeufs [NDLR : ce système est basé sur des quotas de production, des prix garantis et des droits de douane protégeant le marché intérieur du Canada]. Monsieur Trump est très fâché contre ce système  qui garantit des revenus à nos fermiers, et qui limite l’accès des productions Américaines au Québec et au Canada. C’est un bon système, mais il a décidé de l’attaquer, alors que cela ne le prive pas de grand-chose, en fait.

LVSL – Est ce que le NPD, dans le cadre de ces accords commerciaux, serait prêt à défendre le principe de souveraineté alimentaire ?

Alexandre Boulerice – Oui, absolument. Par exemple, le système de gestion de l’offre qui existe au Canada est conçu dans cette logique-là. Le Canada a mis en place ce système dans le but d’occuper le territoire. C’est-à-dire qu’on ne veut pas d’une agriculture industrielle massive, qui serait concentrée dans quelques petits endroits. Toutes les régions du Québec doivent disposer de leur propre production locale et régionale. Qu’elle soit vendue principalement ici également, pour éviter qu’on soit dépendants. J’aime beaucoup les kiwis, mais c’est un petit peu absurde de faire venir des fruits de l’autre bout de la planète. 1) C’est très polluant, 2) on pourrait peut-être avoir des fruits en serre ici, qui seraient bons pour la santé, mais qui créent des emplois ici et qui feraient en sorte qu’il y aurait moins de transports autour de la planète.

LVSL – Vous parliez des élections, il y aura un certain nombre d’échéances électorales qui vont être étroitement imbriquées. Comment les appréhendez-vous ?

Alexandre Boulerice – Les USA ont leurs élections de mi-mandat cet automne. Les élections provinciales au Québec auront lieu également en automne. Le Parti Libéral du Québec risque de perdre les élections, au profit d’un parti de la droite conservatrice, la Coalition Avenir Québec. On vient d’avoir des élections en Ontario où les libéraux ont perdu. Le NPD a gagné 20 députés, mais c’est la droite conservatrice de Monsieur Ford qui l’a emporté. Au printemps prochain, la droite a également de bonnes chances de revenir au pouvoir en Alberta. Donc d’ici les élections fédérales de l’automne 2019 au Canada, il y a plusieurs élections intermédiaires au Canada et à l’étranger qui vont redéfinir la carte dans laquelle on va devoir évoluer et élaborer nos stratégies.

Entretien réalisé par Sebastien Polveche pour LVSL

Musées et géants pétroliers : un mécénat qui interroge

« Marée noire au pied de la Victoire de Samothrace », action du collectif « Libérons le Louvre » au Musée du Louvre le 5 mars 2017, Photographie © Libérons le Louvre, https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/

En fin de matinée ce lundi 12 mars 2018, des « art-activistes » vêtus de noir ont investi l’une des salles les plus fréquentées du Musée du Louvre : les militants ont dénoncé le partenariat de l’institution avec Total, avant de s’effondrer devant Le Radeau de la méduse et d’y rester allongés deux heures durant, tandis que le public était évacué1. Cette performance du collectif « Libérons le Louvre » intervient une semaine après l’inauguration de l’exposition des « trésors » du Louvre au Musée national de Téhéran2, en partie financée par Total… qui a signé il y a quelques mois un accord avec le gouvernement iranien pour l’exploitation du gisement de South Pars3. Des interrelations qui interrogent, et l’occasion de revenir sur deux décennies d’actions contre le mécénat pétrolier au sein des musées.


De la fortune des Rockefeller à l’origine du MoMA aux mécènes pétroliers des années 2000

Bien que sa révélation et sa contestation soient récentes, la relation entre l’industrie du pétrole et les institutions muséales ne date pas des années 2000, mais remonte à l’essor du marché de cette énergie fossile dès le début du XXe siècle. Le premier musée d’art moderne, et sans doute le plus célèbre, doit même sa création à la fortune, à la collection et à la volonté d’une famille enrichie grâce au pétrole : inauguré en 1929, le Museum of Modern Art4 (MoMA) de New York a ainsi été fondé par Abby Aldrich Rockefeller (et deux de ses amies), épouse du fils de John D. Rockefeller, homme le plus riche du monde grâce à sa Standard Oil Company. Si le site internet actuel du Moma cite « Mrs John D. Rockefeller Jr. », il se contente de la présenter en quelques mots comme « mécène des arts influente et progressiste5 », sans questionner ni l’origine de sa fortune, ni les motivations de ce geste. Or, s’inscrivant certes dans une tradition américaine de philanthropie culturelle depuis Carnegie, cette générosité n’est peut-être pas absolument gratuite et désintéressée. Est-ce un hasard si John D. Rockefeller Jr. crée la Fondation Rockefeller suite à divers scandales de corruption et de concurrence déloyale qui touchent la Standard Oil de son père6, suite aussi à une répression meurtrière de grévistes… ? Financer un musée n’est-il pas une façon d’embellir et de « racheter » une image par ailleurs entachée, d’obtenir une légitimation, une impunité et une reconnaissance sociale, par le biais d’une action louable visible au service de l’art et de la culture ?

Cette question pourrait aujourd’hui être posée face à la floraison de fondations privées de grands hommes d’affaires, à commencer par la Fondation Vuitton de Bernard Arnault… mais elle prend un relief tout particulier dans le cas d’industries pétrolières finançant des institutions muséales prestigieuses, dans un contexte de prise de conscience environnementale et de remise en cause des énergies fossiles. Depuis une dizaine d’années, une mobilisation grandissante venue d’Angleterre dénonce ces partenariats peu éthiques sous une forme singulière : l’art-activisme, soit des actions militantes qui s’inspirent des médiums de l’art contemporain et interviennent au sein même des espaces muséaux.

Les art-activistes de “libérons le Louvre” devant le Radeau de la Méduse, lundi 12 mars 2018. © Libérons le Louvre https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/

Des actions militantes pionnières : la naissance du mouvement Art Not Oil

Le débat, ou plutôt le combat, a été lancé dès le début des années 2000 par l’organisation britannique Rising Tide, créée à l’occasion de la COP6 de La Haye7 afin de mener des actions concrètes contre le réchauffement climatique, militant pour une transition écologique et surtout la fin de l’exploitation des énergies fossiles8. C’est dans ce cadre qu’émerge en 2004 le collectif Art Not Oil9: en réaction au mécénat du Portrait Award de la National Portrait Gallery par BP, le London Rising Tide ne se contente pas de déployer une banderole devant le musée, mais propose une exposition alternative « Greenwash or Us : the 1st Annual Exhibition of Resistance to Big Oil and the Corporate Hijacking of the Art», renouvelée en 2005 puis 2006 sous la forme d’une exposition dite « Art Not Oil » itinérante en Angleterre10. Le collectif participe en outre au concours du Portrait Award, y soumettant des œuvres provocatrices tel un portrait de Saddam Hussein, friend of BP11. En 2007-2008, le London Rising Tide s’attaque au Wildlife Photographer of the Year Award organisé par le Natural History Museum et sponsorisé par Shell : à des visites théâtralisées déguisés en animaux s’ajoute une campagne visuelle très virulente intitulée « Shell’s Wild Lie12 », qui dénonce l’aberrant mécénat de la compagnie pétrolière alors même que celle-ci a ravagé la faune et la flore du delta du Niger, et est accusée de complicité dans l’exécution du militant écologiste local Ken Saro-Wiwa13.

Ces actions pionnières du Rising Tide et de Art Not Oil, encore peu médiatisées, présentent déjà les traits qui caractérisent par la suite les mouvements de lutte contre l’argent du pétrole dans les musées : par le biais d’un art-activisme allant de l’affiche à l’œuvre d’art, de l’installation à la performance, il s’agit de pointer du doigt un soutien incongru, hypocrite et intéressé de la part de compagnies pétrolières avant tout motivées par un blanchiment – un greenwashing – de leur image et de leur argent. Si le but premier est d’alerter le grand public par des manifestations « chocs », l’objectif à terme est d’obtenir l’abandon de ces partenariats qui compromettent l’intégrité et l’impartialité des institutions muséales, finalement « achetées » et instrumentalisées comme caution par l’industrie du pétrole. Objectif atteint pour le Rising Tide puisqu’à l’issue de deux années de campagne, le Natural History Museum ne renouvelle pas le mécénat de Shell14.

Liberate Tate, six années d’art-activisme contre le mécénat de British Petroleum

Cette première victoire encourage Art Not Oil à poursuivre son combat en direction d’autres institutions culturelles, d’autant plus déterminé suite à la catastrophique marée noire causée en 2010 par BP dans le Golfe du Mexique15. Se forme alors un groupe spécifique issu d’Art Not Oil nommé Liberate Tate, qui va entreprendre six années de « creative disobedience against Tate until it drops its oil company funding16 » – en l’occurrence BP, mécène de la Tate depuis 1990.

« Licence to Spill », performance de Liberate Tate contre le mécénat de BP à la Tate Britain, 2010. © Liberate Tate,http://www.liberatetate.org.uk

Entre 2010 et 2016, Liberate Tate réalise à la Tate Modern et à la Tate Britain une quinzaine de performances de plus en plus médiatisées17. Photographiées, filmées et documentées sur leur site internet18, ces performances « to free art from oil » se revendiquent comme à la fois militantes et artistiques. Anonymes, le plus souvent vêtus et voilés de noir, entre une dizaine et une centaine de performeurs investissent le parvis, le hall d’entrée voire les salles du musée pour y délivrer un message explicite, plus transgressif et percutant qu’un tract : lancer de ballons noirs auxquels pendent des oiseaux et poissons morts19 ; bidons de pétrole estampillés BP déversés sur le parvis, et pluie de plumes qui s’y engluent20 ; dessin au sol d’un tournesol (logo de BP) avec des tubes de peinture au pétrole21 ; cérémonie pseudo-religieuse d’exorcisation de BP22; pétrole déversé goutte-à-goutte sur un corps nu recroquevillé23 ; bloc de glace apporté sur un brancard24; pale d’éolienne introduite dans le grand hall25 ; décompte à haute voix de l’évolution du taux de CO2 dans l’atmosphère au fil des siècles, et donc au fil des salles de la Tate Britain26 ; ou encore tatouage sur son propre corps de ce même taux selon son année de naissance27, inscrit définitivement sur la peau comme les dégâts écologiques le sont définitivement sur la planète.

Ces performances sont autant de réponses au directeur de la Tate Nicholas Serota, qui affirme : « The fact that BP had one major incident in 2010 does not mean we should not be taking support from them. […] You don’t abandon your friends because they have a temporary difficulty » tout en prétendant par ailleurs que « sustainability is a prime consideration throughout Tate’s work28 », justifiée par ses réductions de consommation d’énergie. Liberate Tate pointe l’incohérence du discours, soulignant l’antagonisme fondamental entre l’éthique de l’institution muséale et son « amitié » avec une firme coupable de crimes contre la planète et l’humanité, dont la Tate se rend de fait complice :

An oil spill is one thing. Destruction of entire ecosystems, massive human rights abuses and millions of deaths from climate change is another thing altogether. BP’s ‘difficulty’ is not temporary; it is fundamental. BP is a climate criminal – pushing our civilization to the brink of destruction in pursuit of profit. [… ] BP and the Tate should not be friends. It is long past time for the Tate to abandon BP and renounce its complicity in their crimes29.”

Tate liberated, une victoire qui fait tache d’huile

Face aux pressions de cette campagne militante à l’écho médiatique croissant, la Tate finit par accepter de révéler, en 2015, la somme du mécénat de BP : 224 000 £ par an entre 1990 et 2006. Somme que déverse Liberate Tate dans l’escalier de la Tate Britain30 en billets « Bank of Tate » avec le sigle de BP couronnant le bâtiment de la Tate Modern, et les visages de Lord John Browne (ex-dirigeant de BP et président du board of trustees de la Tate) et Nicholas Serota (directeur de la Tate). Tant de petites coupures d’un argent sale – noir de pétrole – ainsi jetées puisque finalement ne valant rien : pour un budget de fonctionnement total de 92 millions de livres31, la contribution de BP s’avère bien maigre, loin de légitimer l’omniprésence du logo de l’entreprise sur les murs, et loin d’être indispensable financièrement. La victoire est proche pour Liberate Tate, qui obtient enfin en mars 2016 l’annonce officielle de la rupture du partenariat entre BP et la Tate. Le retentissement est international : du New York Times au Monde, les plus grands quotidiens étrangers se joignent au Guardian pour diffuser la nouvelle32 de cette « libération » de la Tate, qui fait tache d’huile.

Ce n’est cependant qu’une bataille gagnée sur tant d’autres encore à mener : le combat de Liberate Tate se poursuit en Angleterre à travers d’autres mouvements issus d’Art Not Oil, en particulier la troupe BP or not BP? née en 2012 et très active en 2015-2016 avec des actions similaires au British Museum, à la National Gallery et au Science Museum33. À la gênante légitimation sociale octroyée par ces mécénats s’ajoute le risque d’influences, de pressions voire d’intrusions des entreprises pétrolières au sein des discours et des choix muséaux, des acquisitions aux expositions, détournés au service de leurs propres intérêts. Ainsi en 2015, le mécénat de Shell au Science Museum est suspendu après la citation dans The Guardian d’un mail de Shell demandant explicitement de ne pas « susciter de débat susceptible de nuire à leurs activités », au sein d’une exposition consacrée au réchauffement climatique34 ! Suite à la révélation par Art Not Oil de documents similaires concernant notamment le British Museum, la Museums Association lance une enquête à partir de 201635 pour violation du « code of ethics for museums36 ».

Action collective internationale au Musée du Louvre à l’occasion de la COP 21 en décembre 2015, © Libérons le Louvre, https://france.zerofossile.org/louvre/

Au-delà des frontières britanniques : de Liberate Tate à « Libérons le Louvre »

Depuis deux ans, le terrain d’action d’Art Not Oil s’étend aussi au-delà des frontières britanniques, s’unissant à d’autres organisations. La première initiative internationale37 a lieu fin 2015, à l’occasion de la COP21 à Paris, où elle prend pour cible le musée le plus visité du monde, le Musée du Louvre – qui bénéficie d’un mécénat de la compagnie pétrolière italienne Eni, mais surtout de la Fondation Total depuis 200038. Le 9 décembre 2015, plus d’une centaine de personnes se rassemblent devant la Pyramide et forment une barricade de parapluies noirs où l’on peut lire « Fossil Free Culture », tandis qu’un petit groupe d’ « art-activistes » déverse sous la Pyramide une substance semblable à du pétrole et y marche pieds nus, laissant leurs empreintes noires sur le marbre du musée39. Dix d’entre eux sont arrêtés40.

Cette action provoque en France une prise de conscience face à cette présence discrète, et peut-être un peu taboue, de géants pétroliers au sein des musées publics. Et pas n’importe lesquels : est-ce un hasard si Total finance au Louvre des expositions sur l’Égypte41 ou l’Arabie42, de même que la galerie des Arts de l’Islam43, ou encore le Musée du Quai Branly44 et l’Institut du Monde Arabe ? Sous couvert de « faire rayonner les grandes cultures du monde » dont elle se prétend « ambassadrice45 », la compagnie ne sert-elle pas ses propres intérêts économiques et géopolitiques, en s’impliquant stratégiquement dans la valorisation de territoires où elle est implantée pour ses activités pétrolières46 ? En outre, si les institutions publiques ont de plus en plus besoin de recourir aux subventions privées pour pallier un désengagement croissant de l’État, il est paradoxal de constater que les mécènes bénéficient en retour d’intéressantes déductions fiscales, compensées par l’État47… Enfin, alors que les producteurs d’armes et de tabac sont exclus d’office des mécénats « autorisés », est-il cohérent de tolérer en revanche l’or noir, et même de le célébrer comme « mécène exceptionnel48 », dans un musée qui conserve un patrimoine multimillénaire précisément mis en danger par l’exploitation des énergies fossiles ?

« Marée noire au pied de la Victoire de Samothrace », action du collectif « Libérons le Louvre » au Musée du Louvre le 5 mars 2017, Photographie © Libérons le Louvre, https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/

Soulevant ces paradoxes, et encouragé par la victoire de Liberate Tate, émerge début 2017 le collectif français « Libérons le Louvre49 », inscrit dans le programme « Zéro Fossile » de l’ONG 350.org50. Suite à la pétition lancée en janvier51, le collectif a multiplié ses actions tout au long de l’année 2017, sur le modèle de l’art-activisme de Liberate Tate : le 5 mars, une vingtaine de personnes vêtues de noir déposent leurs châles sous la Victoire de Samothrace, formant une marée noire symbolique sur les marches de l’escalier menant à la galerie d’Apollon et aux Arts de l’Islam sponsorisés par Total52 ; le 11 mai, un petit groupe chorégraphie un vol d’étourneaux dans la Cour Marly et y dépose des oiseaux noirs en origami53 ; le 21 mai, un pique-nique en noir est organisé aux Tuileries pour la Nuit des Musées54 ; pour les Journées du Patrimoine, une marée noire envahit les bassins qui entourent la pyramide55. Enfin, ce lundi 12 mars 2018, les art-activistes toujours en noir se sont allongés devant Le Radeau de la Méduse, bloquant l’une des salles les plus fréquentées du musée durant deux heures56. Bien que pour l’heure l’ampleur et la visibilité du mouvement restent limitées, et certainement entravées par le plan vigipirate et le tarif d’entrée57, ces performances bénéficient d’un écho médiatique significatif avec, outre un grand nombre de relais en ligne58, des articles notamment dans Le Monde59 et Libération60.

« Vol d’étourneaux », action du collectif « Libérons le Louvre » au Musée du Louvre, en Cour Marly, le 11 mai 2017, © Libérons le Louvre, https://gofossilfree.org/fr/vol-detourneaux-au-louvre/

En conclusion

Des premières initiatives d’Art Not Oil en 2004 jusqu’à Liberate Tate et désormais Libérons le Louvre, la lutte contre le pétrole au musée s’est déployée ces dix dernières années à travers des collectifs d’activistes recourant aux pratiques artistiques les plus contemporaines pour dénoncer in situ l’incompatibilité fondamentale des relations entre institutions muséales et entreprises pétrolières. À travers la performance, l’installation, le happening, le body-art, ces militants allient le geste à la parole dans des actions ponctuelles mais frappantes, où la couleur et substance noire est au centre – noir du pétrole, mais aussi de la menace, de la mort et du deuil. Leur efficacité tient à leur cohérence formelle immédiatement porteuse de sens, avec un message finalement plus percutant qu’une simple banderole, et à leur fort impact médiatique, via nombre de vidéos et photographies relayées en ligne. Face à des flux financiers incernables pour servir les intérêts peu transparents de quelques-uns, cette implication collective, concrète et humaine au sein même du lieu muséal rend ainsi visible et matérielle la réalité taboue des mécènes pétroliers, seulement présents à travers leurs logos sur marbre blanc.

Total parmi « Les grands mécènes du Musée du Louvre », gravés dans le marbre sous la Pyramide, Photographie © Maïlys Liautard 13 décembre 2018

Loin d’être simpliste, l’argumentation considère toute la complexité de ces interrelations, et met en lumière leur dissymétrie : contre une croyance candide en la générosité philanthrope et gratuite des grands groupes pétroliers, les militants montrent que ces derniers ont en fait bien plus à « gagner » que le musée dans cet échange de services. Certes, le musée reçoit une aide financière, qui vient compenser une baisse des subventions publiques, mais son montant – peu élevé dans le cas de la Tate, pour l’heure inconnu pour le Louvre – justifie-t-il réellement toutes les contreparties ? S’associer à ces industries, les présenter comme « mécènes exceptionnels » œuvrant pour « un monde plus beau, plus juste, plus responsable61 », graver leurs noms sur les murs d’une institution culturelle prestigieuse internationalement renommée et visitée, revient à banaliser et même légitimer leurs activités62 en acceptant de cautionner un discours hypocrite : n’est-il pas aberrant que le lieu par excellence de préservation et de valorisation d’un patrimoine de l’humanité affiche son soutien63 à des entreprises qui par ailleurs menacent ce patrimoine naturel et culturel64 ? La compagnie pétrolière y gagne non seulement une « bonne conscience » mais une reconnaissance sociale et même une vitrine de promotion, embellissant son image, tandis qu’elle en retire des avantages fiscaux voire un soft-power au service de ses propres intérêts stratégiques, géopolitiques et économiques – avec un risque d’influences et de pressions65 subies par l’institution…

Autant de tensions problématiques qui questionnent les missions culturelles, éthiques et sociales du musée, plus encore lorsqu’il s’agit d’une institution publique dans un contexte de prise de conscience environnementale accrue. Pour l’heure, le directeur du Louvre a répondu aux sollicitations par une fin de non-recevoir, arguant d’un « soutien financier décisif » de Total pour « un nombre important de dispositifs, de projets et de programmes majeurs », et ce « sans intervenir dans les choix artistiques du musée66 », refusant toutefois de communiquer le montant du mécénat. Mais suite aux victoires remportées au Natural History Museum, au Science Museum puis à la Tate, les art-activistes sont confiants et déterminés : là aussi, « S’il le faut nous reviendrons pendant six ans67 », affirme Libérons le Louvre. Affaires à suivre…

Clip animé réalisé par Libérons le Louvre, © Libérons le Louvre, https://france.zerofossile.org/louvre/

Par Maïlys Liautard.

Sources et prolongements :

Sites institutionnels :

Site des collectifs activistes :

et Page Facebook : https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/

Articles de presse en ligne, par ordre chronologique de parution :

« Art collective Liberate Tate uses Arctic ice to protest at gallery’s BP sponsorship », Independent, 16 janvier 2012, http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/news/art-collective-liberate-tate-uses-arctic-ice-to-protest-at-gallerys-bp-sponsorship-6290448.html

« Protesters take 16-metre wind turbine blade to Tate Modern », The Guardian, 7 juillet 2012, https://www.theguardian.com/artanddesign/2012/jul/07/protesters-turbine-blade-tate-modern

« Tate and oil : does the art world need to come clean about sponsorship ? », The Guardian, 8 octobre 2014, https://www.theguardian.com/culture/2014/oct/08/tate-bp-sponsorship-arts-funding

« Shell sought to influence direction of Science Museum climate programme », The Guardian, 31 mai 2015 : https://www.theguardian.com/business/2015/may/31/shell-sought-influence-direction-science-museum-climate-programme

« Activists arrested in Louvre oil protests », The Guardian, 9 décembre 2015 : https://www.theguardian.com/environment/2015/dec/09/activists-arrested-in-louvre-oil-protests

« BP to end Tate sponsorship after 26 years », The Guardian, 11 mars 2016 : https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/mar/11/bp-to-end-tate-sponsorship-climate-protests

« BP to End Sponsorshi of Tate Museums », New York Times, 11 mars 2016 : https://www.nytimes.com/2016/03/12/business/energy-environment/bp-to-end-sponsorship-of-tate-museums.html

« Liberate Tate’s six-year campaign to end BP’s art gallery sponsorship – in pictures », The Guardian, 19 mars 2016 : https://www.theguardian.com/environment/gallery/2016/mar/19/liberate-tates-six-year-campaign-to-end-bps-art-gallery-sponsorship-in-pictures

« L’argent du pétrole fait tâche dans les musées », article du Monde le 22 mars 2016 : http://www.lemonde.fr/arts/article/2016/03/22/l-argent-du-petrole-fait-tache-dans-les-musees_4888049_1655012.html

« Museums face ethics investication over influence of sponsor BP », The Guardian, 29 avril 2016 : https://www.theguardian.com/culture/2016/apr/29/museums-ethics-investigation-influence-sponsor-bp-british-museum

Jade Lindgaard, « Le musée du Louvre appelé à « se libérer » de l’argent du pétrole », Mediapart, 13 janvier 2017 : https://www.mediapart.fr/journal/economie/130117/le-musee-du-louvre-appele-se-liberer-de-l-argent-du-petrole

Olivier Petitjean, « Le Louvre et les grands musées sont-ils sous l’influence de l’industrie pétrolière », Observatoire des multinationales, 13 janvier 2017 : https://multinationales.org/Les-Louvre-et-les-grands-musees-sous-l-influence-de-l-industrie-petroliere

Marina Fabre, « Energies fossiles : le Louvre appelé à boycotter Total », article sur novethic.fr, 16 janvier 2017 : http://www.novethic.fr/empreinte-terre/climat/isr-rse/energies-fossiles-le-louvre-appele-a-boycotter-total-144251.html

Caroline Châtelet, « Energies fossiles : contre l’art Total au Louvre », article sur regards.fr, 17 janvier 2017 : http://www.regards.fr/web/article/energies-fossiles-contre-l-art-total-au-louvre

Zhifan Liu, « Climat : « Marée noire » Au Louvre pour dénoncer le mécénat de Total », Libération, 5 mars 2017 : http://www.liberation.fr/planete/2017/03/05/climat-maree-noire-au-louvre-pour-denoncer-le-mecenat-de-total_1553428

Clémence Dubois, « Le mécène Total n’a pas sa place dans les galeries du Louvre », Huffington Post, 26 mai 2017 : http://www.huffingtonpost.fr/clemence-dubois/le-mecene-total-na-pas-sa-place-dans-les-galeries-du-louvre_a_22110943/

Olivier Petitjean, « En Iran, le Louvre se fait à nouveau le VRP des multinationales françaises », Observatoire des multinationales, 7 mars 2018 : http://multinationales.org/En-Iran-le-Louvre-se-fait-a-nouveau-le-VRP-des-multinationales-francaises

« Des militants écologistes au Louvre pour protester contre le mécène total », Le Monde, 12 mars 2018 : http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/03/12/des-militants-ecologistes-au-louvre-pour-protester-contre-le-mecene-total_5269683_3244.html

Liberate Tate, Platform, Art Not Oil, Not If but When: Culture Beyond Oil, 2011, en ligne : http://platformlondon.org/2011/11/27/read-online-now-not-if-but-when-culture-beyond-oil/

1 Vidéo de l’action en live et en ligne sur le Facebook « Libérons le Louvre » : https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/ et sur le site du collectif : https://france.zerofossile.org/louvre/ . Voir également l’article « Des militants écologistes au Louvre pour protester contre le mécène total », Le Monde, 12 mars 2018 : http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/03/12/des-militants-ecologistes-au-louvre-pour-protester-contre-le-mecene-total_5269683_3244.html
2 « Le Musée du Louvre à Téhéran, Trésors des collections nationales françaises », inaugurée le 5 mars 2018. Voir « Le Louvre s’expose et séduit à Téhéran », Le Parisien, 9 mars 2018 : http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/le-louvre-s-expose-et-seduit-a-teheran-09-03-2018-7599519.php
3 Olivier Petitjean, « En Iran, le Louvre se fait à nouveau le VRP des multinationales françaises », Observatoire des multinationales, 7 mars 2018 : http://multinationales.org/En-Iran-le-Louvre-se-fait-a-nouveau-le-VRP-des-multinationales-francaises
4 Voir le site du MOMA, onglet History : https://www.moma.org/about/who-we-are/moma-history
5 « progressive and influential patrons of the arts », ibid.
6 Voir par exemple une caricature de l’époque représentant la Standard Oil comme une pieuvre tentaculaire : “The Monster Monopoly”, American Cartoon, 1884, attacking John D. Rockefeller’s Standard Oil Company, https://www.granger.com/wmpix/car/tru/0009488-STANDARD-OIL-CARTOON-Monster-Monopoly-American-cartoon-1884-attacking-John-D-Rockefellers-Standard-Oil-Company.jpg . Quelques décennies plus tard, au bout de l’un des tentacules aurait pu être ajouté le MoMA. Voir également le dessin d’Ad Reinhardt, « How to look at Modern Art in America », https://hyperallergic.com/98063/how-to-look-at-ad-reinhardts-cartoons/ , qui en 1946 pointe les liens entre l’art et le “business”, et en particulier le pétrole (“oil”). Sur ce sujet, se reporter au séminaire « Art et civilisation du pétrole » dispensé entre 2015 et 2017 par Béatrice Joyeux-Prunel à l’École normale supérieure : http://www.dhta.ens.fr/spip.php?article390
7 Sixième Conférence des Parties de la convention des Nations Unies sur les changements climatiques, qui eut lieu en novembre 2000 à La Haye.
8 D’après le site de Rising Tide : https://risingtide.org.uk/
11 ibid.
12 Voir les Visites théâtralisées et les affiches de la campagne « Shell’s Wild Lie », par le collectif Art Not Oil, contre le mécénat de Shell pour le Wild Life Photographer of the Year du Natural History Museum en 2007-2008, sur le site d’Art Not Oil : http://www.artnotoil.org.uk/artwork/album-shells-wild-lie/43

13 Ken Saro-Wiwa était un écrivain et producteur nigérian, militant écologiste leader de campagnes non-violentes pour la défense du peuple Ogoni et contre les dégâts écologiques commis par les compagnies pétrolières, en particulier Shell, dans le delta du Niger. Quelques mois après la réception du Prix Nobel alternatif en 1994, il est arrêté par le gouvernement nigérian, et suite à un procès dénoncé par les organisations internationales de défense des droits de l’homme, il est condamné à la pendaison en 1995. Shell est accusé de complicité dans cette exécution, et préfèrera verser 15 millions de dollars à la justice américaine pour régler le litige et éviter le procès. Voir l’article du Figaro du 9 juin 2009, « Militants tués au Nigeria : Shell paie pour éviter le procès » : http://www.lefigaro.fr/international/2009/06/09/01003-20090609ARTFIG00534-militants-tues-au-nigeria-shell-paie-pour-eviter-le-proces-.php . Voir le site du Goldman Prize pour l’environnement décerné à Ken Saro-Wiwa en 1995 : http://www.goldmanprize.org/recipient/ken-saro-wiwa/

14 D’après l’histoire d’Art Not Oil sur leur site, ibid. 
15 Voir l’article de L’Obs du 25 février 2013, « BP : la marée noire du Golfe du Mexique en 15 chiffres » : https://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20130225.OBS9971/bp-la-maree-noire-du-golfe-du-mexique-en-15-chiffres.html. Voir également l’article du Monde du 4 septembre 2014, « BP accusée de « grave négligence » pour la marée noire de 2010 » : http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/09/04/bp-accusee-de-grave-negligence-pour-la-maree-noire-de-2010_4482348_3244.html (extrait : « Selon le jugement, la catastrophe écologique est le résultat d’une faute délibérée de BP, d’une conduite imprudente, et de décisions fondées sur le profit »).
16 Site de Liberate Tate : http://www.liberatetate.org.uk/about/

17 Par exemple dans The Guardian, the Independent… entre autres : « Art collective Liberate Tate uses Arctic ice to protest at gallery’s BP sponsorship », article de l’Independent du 16 janvier 2012, http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/news/art-collective-liberate-tate-uses-arctic-ice-to-protest-at-gallerys-bp-sponsorship-6290448.html« Protesters take 16-metre wind turbine blade to Tate Modern », article du Guardian le 7 juillet 2012, https://www.theguardian.com/artanddesign/2012/jul/07/protesters-turbine-blade-tate-modern« Tate and oil : does the art world need to come clean about sponsorship ? », article du Guardian le 8 octobre 2014, https://www.theguardian.com/culture/2014/oct/08/tate-bp-sponsorship-arts-funding

18 Site de Liberate Tate : http://www.liberatetate.org.uk/about/ On y trouve toutes les photographies des performances réalisées par Liberate Tate à partir de 2010.

19 « Dead in the Water », Tate Modern, 2010, http://www.liberatetate.org.uk/performances/dead-in-the-water-2010/

20 « Licence to Spill », Tate Britain, 2010, http://www.liberatetate.org.uk/performances/licence-to-spill-june-2010/

21 « Sunflower », Tate Modern, 2010, http://www.liberatetate.org.uk/performances/sunflower-september-2010/

22 « Exorcism of BP », Tate Modern, 2011, http://www.liberatetate.org.uk/performances/the-exorcism-of-bp-july-2011/

23 « Human Cost », Tate Britain, 2011, http://www.liberatetate.org.uk/performances/human-cost-april-2011/

24 « Floe Piece », Tate Modern, 2012, http://www.liberatetate.org.uk/performances/floe-piece/

25 « The Gift », Tate Modern, 2012, http://www.liberatetate.org.uk/performances/the-gift/

26 « Parts per million », Tate Britain, 2013, http://www.liberatetate.org.uk/performances/parts-per-million-november-2013/

27 « Birthmark », Tate Britain, 2015, http://www.liberatetate.org.uk/birthmark/

28 D’après http://www.liberatetate.org.uk/performances/sunflower-september-2010/ . Et « Art collective Liberate Tate uses Arctic ice to protest at gallery’s BP sponsorship », article de l’Independent du 16 janvier 2012, op.cit.

29 D’après http://www.liberatetate.org.uk/performances/sunflower-september-2010/

30 « The Reveal », Tate Britain, 2015, http://www.liberatetate.org.uk/performances/the-reveal/
31 Caroline Châtelet, « Energies fossiles : contre l’art Total au Louvre », article sur regards.fr, 17 janvier 2017 : http://www.regards.fr/web/article/energies-fossiles-contre-l-art-total-au-louvre
32 « BP to end Tate sponsorship after 26 years », article du Guardian le 11 mars 2016 : https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/mar/11/bp-to-end-tate-sponsorship-climate-protests« Liberate Tate’s six-year campaign to end BP’s art gallery sponsorship – in pictures », article du Guardian le 19 mars 2016 : https://www.theguardian.com/environment/gallery/2016/mar/19/liberate-tates-six-year-campaign-to-end-bps-art-gallery-sponsorship-in-pictures« BP to End Sponsorshi of Tate Museums », article du New York Times le 11 mars 2016 : https://www.nytimes.com/2016/03/12/business/energy-environment/bp-to-end-sponsorship-of-tate-museums.html« L’argent du pétrole fait tâche dans les musées », article du Monde le 22 mars 2016 : http://www.lemonde.fr/arts/article/2016/03/22/l-argent-du-petrole-fait-tache-dans-les-musees_4888049_1655012.html
33 Mais également lors de pièces de théâtres et de concerts sponsorisés par Shell au Royal Festival Hall et au National Theatre. Voir le site de Bp or not BP ? : https://bp-or-not-bp.org/.
34 la « Atmosphere, Exploring Climate Science gallery », voir l’article du Guardian du 31 mai 2015, « Shell sought to influence direction of Science Museum climate programme » : https://www.theguardian.com/business/2015/may/31/shell-sought-influence-direction-science-museum-climate-programme
35 insistance de BP pour inclure une œuvre particulière au British Museum lors d’une exposition sur l’art aborigène, alors que la compagnie négociait pour le Great Australian Bight project, voir le Guardian du 29 avril 2016, « Museums face ethics investication over influence of sponsor BP » : https://www.theguardian.com/culture/2016/apr/29/museums-ethics-investigation-influence-sponsor-bp-british-museum
36 Code of Ethics for Museums, sur le site de la Museums Association : https://www.museumsassociation.org/ethics/code-of-ethics
37 Organisations venues essentiellement d’Angleterre (Art Not Oil¸BP or Not BP ?, G.U.L.F., Liberate Tate, Shell Out Sounds, Science Unstained, Platform London…) mais aussi des Etats Unis (Occupy Museums, Not An Alternative…) ou de Norvège (Stopp Oljesponssing av Norsk Kulturliv). Voir le site d’Art Not Oil : http://www.artnotoil.org.uk/blog/100s-take-part-protest-performance-louvre-museum-over-oil-sponsorship
39 Voir le site d’Art Not Oil : http://www.artnotoil.org.uk/blog/big-oil-out-culture-paris-climate-summit : Oil giants Total and Eni both sponsor the Louvre, in an attempt to divert attention from their relentless fossil fuel extraction and human rights abuses around the world. These two companies should not be allowed to ‘artwash’ their public image by basking in the rosy glow of France’s most prestigious art gallery.
40 « Activists arrested in Louvre oil protests », article du Guardian du 9 décembre 2015 : https://www.theguardian.com/environment/2015/dec/09/activists-arrested-in-louvre-oil-protests
41 Exposition « Les Portes du Ciel, visions du monde dans l’Égypte ancienne »  en 2009, voir le site de Total : https://www.total.com/fr/medias/actualite/communiques/20090305-fondation-total-mecene-exposition-portes-ciel
42 Exposition « Routes d’Arabie – Archéologie et histoire du royaume d’Arabie saoudite » en 2010, voir le site du Louvre : http://www.louvre.fr/expositions/routes-darabie-archeologie-et-histoire-du-royaume-darabie-saoudite
43 « En remerciement de son mécénat, le musée du Louvre a octroyé à Total le statut exclusif d’ « entreprise fondatrice du département des Arts de l’Islam ». Deux plaques, apposées dans le nouveau département, mentionneront l’action de l’entreprise et son nom sera gravé dans le hall Napoléon parmi les mécènes exceptionnels. » Extrait du site du Ministère de la Culture, à propos du nouveau département des Arts de l’Islam : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/mecenat-islam.html.
44 « Créée en 1992, la Fondation d’entreprise Total s’est donné pour mission de contribuer à l’harmonie sociale […] en préparant un monde meilleur. Elle intervient ainsi dans quatre domaines : la culture et le patrimoine, la solidarité, la santé et la biodiversité marine. Dans tous ses champs d’activité, la Fondation Total privilégie les partenariats de long terme, cherche à explorer de nouveaux chemins pour construire dans la confiance un monde plus beau, plus juste, plus sûr. » « Pour un monde plus beau, la Fondation Total s’attache à faire rayonner les cultures […]Grand mécène du musée du quai Branly – Jacques Chirac depuis 2009, la Fondation Total soutient régulièrement ses expositions, et notamment “L’Afrique des routes” et “Les Forêts Natales, Arts de l’Afrique équatoriale atlantique” en 2017 ». En toutes lettres sur le site du musée du Quai Branly : http://www.quaibranly.fr/fr/soutenir/vous-etes-une/entreprise-fondation/merci-a-ceux-qui-nous-soutiennent/fondation-dentreprise-total/
45 « Afrique ou Asie, Orient ou Occident… La Fondation Total contribue à la création de liens entre les civilisations. Sa présence sur tous les continents renforce sa volonté d’agir en « ambassadrice » des cultures du monde, qu’elle valorise et célèbre ». Hypocrisie ? Selon le site de la Fondation Total : http://fondation.total/fr/missions/faire-rayonner-les-cultures-et-le-patrimoine
46 Caroline Châtelet, « Energies fossiles : contre l’art Total au Louvre », article sur regards.fr, 17 janvier 2017 : http://www.regards.fr/web/article/energies-fossiles-contre-l-art-total-au-louvre : au moment de l’exposition “Routes d’Arabie” en 2010 au Louvre mettant en valeur le patrimoine historique et artistique de l’Arabie saoudite, Total et Aramco (financeurs de l’exposition) finalisaient leur projet de construction d’une raffinerie géante à Jubail.
47 Loi sur le mécénat de 2003, d’après l’article de C. Châtelet, op.cit.
48 Voir le site du Louvre, onglet « Mécènes Exceptionnels », où l’on retrouve le même propos que sur le site du Musée du Quai Branly au sujet de la Fondation Total : http://www.louvre.fr/meceneentreprises/mecenes-exceptionnels
49 Voir le site de « Libérons le Louvre » : https://gofossilfree.org/fr/louvre/
50 mouvement international de lutte pour le désinvestissement des énergies fossiles. Le nom même de l’organisation se réfère aux 350 ppm (parties par million) de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, taux maximal à ne pas dépasser afin de limiter le réchauffement climatique… taux qui s’élève aujourd’hui à plus de 400 ppm (chiffre atteint en 2014). Voir https://350.org/science/ et https://gofossilfree.org/fr/a-propos/.
51 Voir la pétition sur https://gofossilfree.org/fr/appel-louvre/ , reprise par Mediapart, le 13 janvier 2017 : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/130117/sortons-les-combustibles-fossiles-du-louvre
52 « Marée noire au pied de la Victoire de Samothrace », 5 mars 2017, https://gofossilfree.org/fr/maree-noire-au-pied-de-la-victoire-de-samothrace/
53 « Vol d’étourneaux », Cour Marly, 11 mai 2017 , https://gofossilfree.org/fr/vol-detourneaux-au-louvre/
54 Pique-nique « Total en Plein Jour » pour la Nuit des Musées, 21 mai 2017 , https://gofossilfree.org/fr/nuit-des-musees-total-en-plein-jour/
55 Une « Marée noire sponsorisée par Total » autour de la Pyramide pour les Journées du Patrimoine 2017 , https://gofossilfree.org/fr/louvre/
56 Vidéo de l’action en live et en ligne sur le Facebook « Libérons le Louvre » : https://www.facebook.com/LiberonsleLouvre/
57 À la différence de la gratuité des musées britanniques, et à l’absence de contrôle à l’entrée du moins jusqu’en 2016, le Musée du Louvre présente des entraves supplémentaires pour ce type d’actions.
58 Voir par exemple sur 350.org/fr, sur regards.fr, sur novethic.fr : cf. sources et prolongements.
59 « L’or noir mécène obscène », article du Monde du 26 janvier 2017 : http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2017/01/26/l-or-noir-mecene-obscene_5069261_4497271.html« Des militants écologistes au Louvre pour protester contre le mécène total », Le Monde, 12 mars 2018 : http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/03/12/des-militants-ecologistes-au-louvre-pour-protester-contre-le-mecene-total_5269683_3244.html
60 Zhifan Liu, « Climat : « Marée noire » Au Louvre pour dénoncer le mécénat de Total », article dans Libération, 5 mars 2017 : http://www.liberation.fr/planete/2017/03/05/climat-maree-noire-au-louvre-pour-denoncer-le-mecenat-de-total_1553428
61 Voir le site du Louvre, onglet « Mécènes exceptionnels », op.cit.
62 Caroline Châtelet, op.cit. : «  À travers toutes ses actions de mécénat, rappelle 350.org, l’entreprise acquiert une légitimité et une image vertueuse : derrière ces partenariats et avec l’omniprésence des logos de l’entreprise sur les campagnes de communication, c’est une banalisation de sa présence et une valorisation de ses activités qui s’opèrent. »
63 ibid. citation de Nicolas Haeringer coordinateur de 350.org en France : « mettre en évidence que certes, Total soutient le Louvre, mais que le Louvre soutient Total et rend service à cette entreprise. C’est cela qui pose problème ».
64 Marina Fabre, « Energies fossiles : le Louvre appelé à boycotter Total », article sur novethic.fr, 16 janvier 2017 : http://www.novethic.fr/empreinte-terre/climat/isr-rse/energies-fossiles-le-louvre-appele-a-boycotter-total-144251.html. Citation de Nicolas Haeringer : « Il n’est plus acceptable, d’un point de vue éthique, d’entretenir des liens avec l’industrie fossile. […] La mission des musées est de préserver le patrimoine. Il n’y a aucun sens à s’associer avec des entreprises qui le détruisent, qui détruisent le climat et des communautés entières via ses activités. » Citation également de Clémence Dubois, chargée de la campagne Zero Fossile : « Total s’achète ici une image verte, une image d’entreprise responsable ».
65 ibid. Pour Isabelle Frémeaux, co-initiatrice de la campagne Liberate Tate, ces partenariats engagent de toute façon « un processus d’autocensure de la part des musées [qui] filtrent au préalable ce qui pourraient déplaire à leurs mécènes ».
66 Jean-Luc Martinez cité dans Zhifan Liu, op.cit. et Marina Fabre, op.cit.
67 Nicolas Haeringer cité dans Zhifan Liu, op.cit. 

“Le Venezuela est pris dans une guerre institutionnelle” – Entretien avec Christophe Ventura

Maduro rend hommage à Chavez

Christophe Ventura est chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Il est notamment l’auteur de L’éveil d’un continent. Géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe, aux éditions Armand Colin. Nous abordons avec lui dans cet entretien  la crise vénézuélienne dans ses multiples facettes. Au programme : conflits de légitimité entre le chavisme et ses opposants, élévation du degré de violence politique, difficultés économiques et poids de l’histoire coloniale, implication des acteurs régionaux, nature de la révolution bolivarienne et du chavisme. 

LVSL : Quelle est la situation au Venezuela après l’élection de l’Assemblée nationale constituante le 30 juillet ?

Cette élection a ouvert un nouveau moment politique complexe et imprévisible qui redistribue, sans les annuler, les dynamiques de tension et de confrontation.  D’un côté, il correspond à l’arrêt, pour le moment, des grandes mobilisations de masse organisées par l’opposition. Ce faisant, le niveau de violence a largement diminué et il faut s’en féliciter. C’est un acquis. La Table de l’unité démocratique (MUD en espagnol) – la coalition d’opposition –  entre dans une période de révision stratégique qui va mettre sous tension son unité construite jusque-là autour d’un seul objectif : le changement de régime.

Certaines de ses composantes, notamment Action démocratique (AD), ont fait le constat que quatre mois de mobilisations acharnées n’avaient pas suffi à gagner le pays profond et l’armée, et que le chavisme restait puissant et remobilisé dans la dernière période. Leur adversaire est toujours là, et il est incontournable. Dans ces conditions, tandis que le risque d’une rupture est proche, que celui de ne plus pouvoir contrôler les formes de radicalisation –  impopulaires –  de ses propres troupes est un défi périlleux pour l’opposition, ses principales forces cherchent une nouvelle approche.

C’est ainsi, et ce point est capital, qu’elles ont annoncé, surprenant les observateurs, accepter de participer aux élections régionales (23 Etats sont en jeu) que le gouvernement a décidé pour sa part d’anticiper. Elles auront lieu en octobre et non plus en décembre et doivent précéder la présidentielle de 2018 annoncée par Nicolas Maduro. La MUD pense être en position de l’emporter en ne faisant plus du changement de gouvernement l’objectif préalable et exclusif à tout autre programme. Elle va chercher à axer sa stratégie autour des questions d’urgences économiques et sociales, ainsi que sur le thème de la « bonne gouvernance » du pays pour tenter d’emporter l’adhésion qui lui manque auprès des classes populaires notamment.

“Le gouvernement a lui aussi besoin de calmer le jeu de l’affrontement le plus virulent pour s’attaquer à la question économique”

Pourquoi le gouvernement a-t-il avancé ces élections ? Il fait face à la pression internationale, à la montée, lui aussi, d’une aile dure dans le chavisme qui veut en découdre. De ce point de vue, peut-être que chacun des protagonistes comprend son intérêt commun et ponctuel sur ce point face au risque de non-retour possible. Le gouvernement a lui aussi besoin de calmer le jeu de l’affrontement le plus virulent pour s’attaquer à la question économique.

Pour autant, ce qui peut apparaître comme un apaisement apparent et une bonne nouvelle pour le pays – le fait qu’opposition et gouvernement acceptent pour la première fois de revenir sur le terrain politique et reprennent le chemin d’un affrontement pacifique dans le cadre des institutions électorales en place, ces dernières étant de fait reconnues par l’opposition – masque de lourdes incertitudes. En réalité, rien n’est réglé.

L’autre bilan de l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC), c’est qu’est entérinée dans le pays l’existence d’un double système de légitimité et de pouvoir. L’Assemblée nationale (AN) ne reconnaît pas l’élection de l’ANC et mobilise le soutien de plusieurs capitales régionales et internationales. Son président, Julio Borges, n’a pas accepté de participer à une réunion convoquée par l’ANC qui visait à travailler sur la « cohabitation et la coordination » des deux institutions. Le 18 août, l’ANC a décidé d’assumer des « fonctions législatives spécifiques pour lesquelles elle est constitutionnellement habilitée ».

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NICOLAS MADURO | par ©AgenciaAndes

Ainsi, le Venezuela se retrouve dans une situation probablement inconnue dans le reste du monde. Une « guerre institutionnelle » où chacun tient sa tranchée, des pouvoirs législatifs qui émanent de deux assemblées rivales, des élections capitales auxquelles vont participer tous les protagonistes et dont la préparation s’accélère. Le paysage politique du Venezuela a rarement été aussi compliqué. Son avenir, aussi incertain.

Deux éléments peuvent être ajoutés pour « pimenter » la situation. L’un des principaux dirigeants de l’opposition, Henrique Capriles Radonski, relance la revendication de l’organisation d’un référendum révocatoire contre Nicolás Maduro avant les élections régionales. Ce faisant, il semble manifester son désaccord avec la nouvelle orientation qui se dessine chez certains de ses partenaires au sein de la MUD sur le thème « il faut préalablement obtenir le changement de gouvernement pour changer la situation du pays ». Le président vénézuélien annonce quant à lui souhaiter que la Communauté des Etats latino-américains et caribéens (Celac) organise un sommet consacré à la situation de son pays et s’engage dans un processus d’accompagnement d’un dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition.

LVSL : En France, on présente souvent la crise au Venezuela sous l’angle des violences qui y sont commises, violences implicitement attribuées aux chavistes et à Nicolas Maduro. Qu’en est-il réellement, ce niveau de violence est-il inédit ? Le gouvernement donne-t-il des ordres répressifs aux forces de maintien de l’ordre ? Quel rôle joue l’opposition dans ces violences ?

 Il convient de contextualiser ce thème de la violence –  dont les victimes se comptent chez les chavistes, les opposants, les forces de l’ordre, la population[1] -, et de l’inscrire dans une analyse plus large. De quoi est-elle le nom ? Le pays vit depuis 2013, c’est-à-dire depuis le décès d’Hugo Chavez (5 mars) et l’élection de Nicolas Maduro (14 avril), dans une situation singulière. Ce dernier a été élu avec une mince avance sur Henrique Capriles Radonski (50,75 % des suffrages) dans un contexte d’accélération de la crise économique et sociale dans le pays. Le soir même des résultats, l’opposition n’a pas reconnu la victoire pourtant indiscutable de Nicolás Maduro. Elle a immédiatement développé une stratégie de la tension basée sur des actions à la fois politiques, institutionnelles, médiatiques, de désobéissance civile, puis très vite, insurrectionnelles et violentes pour obtenir la « sortie »  du président et de son gouvernement (la « salida », le nom de la  stratégie est donné en 2014). Cette stratégie assumait d’emblée sa part d’extra-légalité.

Dans la foulée de cette élection présidentielle, de premiers affrontements ont causé la mort d’une dizaine de personnes. Le camp des radicaux au sein de l’opposition (dont les principaux dirigeants sont Leopoldo López, Antonio Ledezma et María Corina Machado) s’est ensuite renforcé après la nouvelle défaite électorale de la MUD lors des élections municipales et régionales de décembre 2013. La coalition rêvait d’en faire un plébiscite national anti-Maduro. A partir de là, s’est accélérée la dynamique qui a conduit au tragique printemps/été 2017. En fait, tout commence dès 2013, puis s’accélère avec la vague des « Guarimbas » (les barricades) organisées en 2014 par l’opposition (43 morts et plus de 800 blessés). Elles ont constitué une sorte de « répétition générale » de 2017.

La nette victoire de l’opposition en 2015 aux élections législatives (imputable, une nouvelle fois, à la détérioration économique et sociale, à la forte mobilisation de l’électorat de la MUD et à l’importante abstention de l’électorat chaviste mécontent) est venue conforter la ligne dure de la MUD. Sa direction considère qu’il existe maintenant une fenêtre d’opportunité pour faire tomber Maduro, fragilisé. Et au-delà de Maduro, pour chasser totalement le chavisme de l’Etat. Dialoguer ou cohabiter n’est plus le sujet. Il faut un changement de régime. Pour ce faire, il s’agit de réactiver et de généraliser l’esprit « guarimbero », de s’appuyer sur un pilier du pouvoir étatique conquis (l’assemblée) qui affirme par ailleurs ne plus reconnaître les autres pouvoirs de l’Etat et de répéter la seule perspective possible : sortir le président Maduro « dans les six mois » par tous les moyens. Programme qui n’était pas celui pour lequel l’opposition a été élue.

L’année 2016 a conforté et exacerbé les dynamiques d’affrontement à l’œuvre. Quelle est la part du gouvernement dans ces dynamiques ? Sa gestion de la crise économique et sociale est le premier facteur d’accumulation d’un large mécontentement contre lui dans la société. Il faudrait ici questionner les choix et non-choix gouvernementaux (par exemple sur la question de la politique de change) et le thème de la « guerre économique ».

L’insécurité et la corruption (qui est un mal endémique de la société vénézuélienne) constituent deux autres motifs de mécontentement. Mécontentement sur lequel l’opposition a pu surfer. Sur le plan politique, le gouvernement a, à partir de l’après « guarimbas » surtout, rendu coup pour coup. Et en a asséné d’autres lui-même (référendum révocatoire, durcissement répressif, remise en cause de décisions de l’assemblée, etc.). Nicolás Maduro a envoyé son message : il ne quittera pas le pouvoir avant le terme de son mandat.

Chaviste ou pas, ce gouvernement a rappelé une loi implacable du pouvoir. Ceux qui détiennent le pouvoir d’Etat utilisent tous les pouvoirs de l’appareil d’Etat. C’est ce qui a été fait à mesure que la radicalisation du conflit s’intensifiait. Dans un contexte de combustion politique généralisée, cela a nourri l’amplification de la crise. Ainsi, les violences au Venezuela sont le nom d’une incapacité des protagonistes à régler leurs antagonismes dans le cadre d’une médiation « normale » des institutions en place. C’est pourquoi le pays a pu devenir le théâtre d’une « guerre institutionnelle », qui a elle-même fait partie du développement progressif d’une « guerre civile de basse intensité ».

“Les violences au Venezuela sont le nom d’une incapacité des protagonistes à régler leurs antagonismes dans le cadre d’une médiation « normale » des institutions en place.”

En fait, sous l’effet de l’ensemble des tensions économiques, sociales, politiques, géopolitiques et médiatiques qu’il a subi – le traitement médiatique international du conflit doit être interrogé car il attise aussi cette crise –  le Venezuela est devenu, ces derniers mois, une « démocratie distordue », dans laquelle les principes fonctionnels de la démocratie libérale se sont déformés sous l’effet de torsions jusqu’à atteindre des points de rupture, toujours partiels et ponctuels jusqu’à présent.

LVSL : Pouvez-vous revenir sur la composition des forces qui sont aujourd’hui opposées à Maduro ? Quel est donc leur appui dans la population ? 

Il y a deux sortes d’opposition, qui ne sont pas liées. La MUD est une coalition d’une trentaine d’organisations qui vont des sociaux-démocrates jusqu’à la droite dure. Son noyau est constitué par trois forces : Action démocratique (AD, classée sociale-démocrate), COPEI (démocrate-chrétien) – dont les cadres ont significativement contribué à la construction du parti de Henrique Capriles « Primero Justicia » et qui conserve un appareil propre -, « Voluntad Popular » (classé centre-gauche, affilié à l’Internationale socialiste et qui constitue en fait le secteur le plus radicalisé en pointe dans la stratégie insurrectionnelle. Ce sont ses dirigeants qui ont théorisé la stratégie de « salida »). Il faudrait ajouter un autre parti issu d’AD, « Un Nuevo Tiempo » (également affilié à l’Internationale socialiste).

AD et COPEI sont en fait les deux partis qui ont dirigé sans partage le pays entre 1958 et 1998. C’est sur les ruines de leur bilan que Hugo Chávez a initié la Révolution bolivarienne. Décrédibilisés, leurs dirigeants et membres ont dû se reconvertir dans les nouvelles forces politiques d’opposition des années 2000, aux niveaux local, régional et national. La MUD a jusqu’à présent eu comme point de ralliement la chute du gouvernement actuel. Elle mobilise l’essentiel des classes moyennes urbaines, les classes supérieures et l’oligarchie du pays. Elle organisera des primaires en septembre pour désigner ses candidats aux élections régionales annoncées en octobre.

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Henrique Capriles et Julio Borges

Il existe également une opposition de gauche au gouvernement, qui puise dans le chavisme, en la personne de la procureure générale Luisa Ortega qui a désormais quitté le pays pour la Colombie ou de l’intellectuel Edgardo Lander. On retrouve aussi une opposition à l’extrême-gauche, qui a toujours été critique de la Révolution bolivarienne. Cette opposition, qui critique ce qu’elle considère être une dérive autoritaire du président Maduro et une trahison de l’esprit et de la lettre de la Constitution de 1999, exerce un certain magistère et dispose d’une influence intellectuelle, mais ne dispose pas – ou très peu – de bases sociales.

LVSL : Si les chavistes ont réussi à redistribuer la rentre pétrolière afin d’améliorer la situation des plus pauvres, cette politique est arrivée à ses limites au moment de la baisse des prix du pétrole. Pourquoi les gouvernements chavistes successifs se sont-ils trouvés incapables de moderniser l’appareil productif du pays afin de le rendre moins dépendant de la rente pétrolière ? Y-a-t-il eu une volonté de modernisation qui se serait fracassée sur la fameuse « maladie hollandaise », ou est-ce qu’il s’agit d’un enjeu qui n’a pas suffisamment été pris au sérieux ?

Épineuse question. Le Venezuela est dépendant du pétrole depuis toujours. C’est plus d’un siècle de culture et d’organisation économiques qui est sur la table. Il s’agit aussi d’un pays du Sud, riche mais lacéré par la pauvreté de sa population, semi-périphérique dans le système international de production et d’échanges, dépendant depuis toujours des capitaux et de la technologie de l’étranger, notamment des pays du Nord – qui ont toujours tout fait pour ne pas la lui transférer. Un pays auquel est assignée une place – une fonction – dans l’ordre économique et géopolitique mondial : celle de fournir la matière première nécessaire au système économique et aux besoins des pays riches. Comme tous les pays du Sud (ou du tiers-monde comme on disait avant), il sert également de marché secondaire pour l’écoulement des productions manufacturées mondiales et de marché du travail où la main d’œuvre est peu chère et peu protégée. N’oublions pas cette dimension. Les puissances dominantes ne veulent pas d’un autre Venezuela.

Pour résumer, le Venezuela est un pays qui est le fruit de l’histoire coloniale et dont les structures économiques, productives, sociales et étatiques sont façonnées par cette caractéristique. L’Etat vénézuélien n’a rien à voir avec ce que les européens connaissent. C’est un Etat inachevé, encore absent il y a quelques années de pans entiers du territoire, encastré dans ces structures semi-coloniales, de dépendance et d’influence étrangère hégémonique. Un Etat dont la souveraineté a toujours été relative, pour ne pas dire fictive.

Voilà de quoi nous parlons. La Révolution bolivarienne a posé l’affirmation que le temps était venu de gagner cette souveraineté pour construire une nation refondée et indépendante. La question du modèle de développement a toujours, dans ce cadre, fait partie des préoccupations du chavisme. Chávez parlait de « l’excrément du diable » pour définir le pétrole. Mais sa priorité assumée a d’abord été d’éponger la dette sociale de l’Etat envers la population et notamment envers les plus pauvres. Pour ce faire, et là s’est nichée une contradiction difficilement surmontable, il a fallu s’appuyer sur le système existant pour le réorienter vers les besoins de la société (et non plus vers l’oligarchie locale et les multinationales, d’abord américaines). Ce faisant, cette dynamique empêchait de facto une mutation du système productif. Des tentatives de diversification, nombreuses, ont bien eu lieu, dans l’agriculture, la pétrochimie, l’assemblage industriel. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur. Manque de culture productive dans un pays d’importation (il est bien plus profitable pour un entrepreneur de se lancer dans l’import/export que dans une filière industrielle nouvelle), manque de cadres, de compétences et de technologies dans l’industrie, mais également dans l’Etat – certainement ce qui a été le plus nuisible pour le chavisme et qu’il n’a pas su mettre en place -, conception et mise en place de politiques publiques aléatoires ou erratiques (problème lié au point précédent), les causes sont nombreuses et interconnectées.

“Hugo Chávez parlait de « l’excrément du diable » pour définir le pétrole. Mais sa priorité assumée a d’abord été d’éponger la dette sociale de l’Etat envers la population et notamment envers les plus pauvres”

Par exemple, le Venezuela a également payé un « tribut géopolitique » pour ses engagements. Ayant largement, avec le Brésil et l’Argentine, contribué à mettre en échec en 2005 le projet de Zone de libre-échange des Amériques (Alca en espagnol) promu par les Etats-Unis dans les années 1990 et 2000, le pays a dépensé sans compter pour offrir une alternative économique coopérative dans la région et s’assurer, ce faisant, les moyens d’une politique de puissance et d’influence en Amérique latine et au-delà. Là aussi, il faut comprendre la « diplomatie pétrolière » vénézuélienne dans cette perspective. Remplir cette fonction et obtenir ce statut était déterminant pour la Révolution bolivarienne, y compris pour se consolider à l’intérieur. Le pays a également aidé plusieurs pays à éponger leurs dettes souveraines vis-à-vis des bailleurs internationaux.

Bien sûr, tout cela dans un contexte de polarisation et de conflit politique et social permanent à l’intérieur. Contexte marqué par les offensives répétées et puissantes de l’opposition politique et de ses relais internationaux, du secteur privé local – que le gouvernement a pourtant laissé prospérer et avec lequel il a même pu trouver des compromis mutuellement avantageux dans la gestion économique -, de l’appareil médiatique, etc. La Révolution bolivarienne nous rappelle que disposer du pouvoir d’Etat (surtout dans ce cas-là), ce n’est pas avoir tous les pouvoirs, y compris pour faire. Le pouvoir d’Etat est un pouvoir, mais il en existe bien d’autres puissants dans la société qui se mobilisent toujours contre les gouvernements transformateurs, ou desquels de tels gouvernements ne peuvent s’affranchir par décret dans un cadre démocratique.

En fait, le chavisme qui est convoqué aujourd’hui au « tribunal de l’histoire » est celui de la période post-coup d’Etat (2002) et grève pétrolière menée par l’opposition (2003) qui a conduit le pays au bord de l’effondrement économique. 2004/5-2011/2 sont les 6-8 années où la question de savoir si le chavisme pouvait faire tout cela, transformer l’appareil productif, etc. se pose réellement.

Je crois que nous en avons peut-être trop demandé à cette expérience. Modifier des structures productives dans ce type de pays et de configuration, surtout dans le cadre d’une démocratie (hyper)élective (le pays a connu un rendez-vous électoral d’envergure presque tous les ans) où une partie de la société et vos adversaires organisés ne veulent pas de transformations, semble difficilement réalisable, en si peu d’années si j’ose dire. Le gouvernement actuel conserve pourtant bien cet objectif et affirme vouloir mener une « révolution productive » au Venezuela, sortir à terme du modèle rentier.

LVSL : Le Venezuela semble en état de guerre civile larvée depuis des décennies. Certains observateurs pointent le rôle des États-Unis dans la région, Récemment, Donald Trump est allé jusqu’à évoquer l’éventualité d’une intervention militaire pour résoudre la crise vénézuélienne. Quelle est la responsabilité des États-Unis dans la situation actuelle et la désorganisation économique ? N’est-ce pas un épouvantail commode pour les chavistes ?

Les relations entre les deux pays sont en réalité complexes et contradictoires. Le Venezuela est en partie baigné de culture américaine (le sport, la culture de consommation, l’industrie culturelle, etc.). Les élites du pays voyagent en permanence aux Etats-Unis, notamment à Miami. Il est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis (pour la partie de cet hydrocarbure qu’importe la première puissance mondiale) après l’Arabie saoudite et le Canada. On estime qu’il assure environ 10 % des importations de pétrole des Etats-Unis. Malgré tout le passif entre Washington et Caracas, cela n’a jamais été remis en cause. Le Venezuela assure l’activité de nombreuses entreprises américaines de la filière pétrolière.

“Donald Trump souhaite donner des gages à la droite de son parti, farouchement anti-Maduro, pour attirer ses bonnes grâces dans les dossiers intérieurs sur lesquels il est tant en délicatesse.”

Une bonne partie de la dette du pays est également détenue par des banques américaines. De ce point de vue, la situation vénézuélienne divise Washington. Il y a les propos de Trump, ses sanctions et celles d’Obama, il y a les intérêts des entreprises et des banques américaines, il y a les lobbys anti-vénézuélien et anti-cubain du Parti républicain et des Démocrates, etc. D’une manière générale, il est clair que les Etats-Unis ont toujours soutenu l’opposition, de multiples et concrètes manières. Elle garantit pour eux la continuité de ce qu’ils veulent pour ce pays, comme nous le décrivions plus haut. Aujourd’hui, l’opposition dispose de soutiens et de relais à Washington. Donald Trump utilise d’abord le dossier vénézuélien à des fins intérieures. Il souhaite donner des gages à la droite de son parti, farouchement anti-Maduro, pour attirer ses bonnes grâces dans les dossiers intérieurs sur lesquels il est tant en délicatesse.

Mais ses propos sur la possibilité « d’une option militaire » constituent un élément nouveau. Ce n’est pas la perspective la plus probable mais le fait qu’il l’évoque est préoccupant et réveille le refoulé impérial nord-américain dans la région. Pour le moment, Trump n’a réussi qu’à faire l’unanimité contre lui en Amérique latine ! Même les pays les plus virulents contre le Venezuela (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Pérou) rejettent catégoriquement ses propos et l’idée d’une intervention militaire dans ce pays. Ses déclarations redonnent des marges de manœuvre à Nicolas Maduro et mobilisent les secteurs chavistes. Elles affaiblissent l’opposition qui ne peut les assumer directement.

Durant sa récente tournée latino-américaine (Argentine, Chili, Colombie, Panama), le vice-président Mike Pence a légèrement nuancé la position en expliquant que les Etats-Unis ne « pouvaient pas rester des observateurs » de la situation et qu’ils emploieraient « tous leurs moyens économiques et diplomatiques » pour œuvrer « à la restauration de la démocratie » au Venezuela, considéré comme une « dictature ». Tout en signant le retour des Etats-Unis dans les affaires de la région, il a dû entendre l’opposition clairement exprimée de ses hôtes à toute forme d’intervention.

LVSL : Nicolas Maduro peut-il compter sur des alliés dans la région et, plus généralement, sur la scène internationale ? A l’inverse, quels sont aujourd’hui ses principaux adversaires ?

Le Venezuela cristallise les oppositions au sein d’une « communauté internationale » qui n’existe pas. Les Etats-Unis et l’Union européenne (notamment sous l’impulsion de l’Espagne et de la Grande-Bretagne, aussi de l’Allemagne) sont frontalement opposés aux autorités de Caracas. La Russie et la Chine soutiennent Nicolás Maduro et la légitimité du gouvernement en place. C’est aussi le cas de l’Inde, de l’Afrique du Sud, de l’Egypte ou de l’Iran.

Au niveau latino-américain, le pays incarne la ligne de fracture entre les pays libéraux et ceux issu du cycle progressiste. L’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Mexique, le Pérou sont les plus engagés contre. Il faut rajouter le Chili, signataire de la Déclaration de Lima dans laquelle onze pays (dont le Canada) ont affirmé ne pas reconnaître l’élection de l’Assemblée nationale constituante et soutenir l’Assemblée nationale. Pour sa part, l’Uruguay (membre du Mercosur) ne l’a pas signée.

Mais il y a eu une autre Déclaration en parallèle. Celle des pays de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) qui rassemble, outre le Venezuela, la Bolivie, Cuba, l’Equateur, le Nicaragua et des pays caribéens. Ces pays soutiennent Caracas, rejettent les sanctions américaines et toute tentative d’ingérence étrangère dans le pays.

LVSL : On a du mal à voir comment le Venezuela pourrait se sortir de la crise autrement que par une remontée brutale des prix du pétrole. Celle-ci semble tout à fait improbable aujourd’hui. Dès lors, existe-t-il un scénario crédible de sortie de crise ? La constituante convoquée par Maduro n’est-elle pas de nature à radicaliser les clivages et à encourager l’opposition putschiste dans sa tentative insurrectionnelle ? Plus encore, le gouvernement chaviste est-il condamné à tomber ?

La seule manière d’aller vers la sortie de crise est que le peuple vénézuélien tranche par les urnes. Mais pour cela, il faut réunir des conditions. Il faut que les violences cessent durablement, que l’opposition et les chavistes s’affrontent dans le cadre d’élections. A l’occasion des régionales d’octobre, mais par la suite également. Pour qu’une normalisation du conflit puisse voir le jour, il faut aussi que l’Etat de droit revienne à sa normalité, que l’opposition soit une opposition loyale, qu’un accord soit trouvé qui garantisse la sécurité judiciaire et physique des chavistes et des opposants. Sans quoi, aucune élection ne pourra se tenir en confiance.

Il reste beaucoup à faire mais le fait que chacun accepte de participer aux prochaines élections indique que des points de contacts et de discussions – mêmes informels – existent. Les choses sont fragiles et il y a beaucoup d’inconnues. Quels rapports entre l’Assemblée nationale et l’Assemblée constituante ? Quelles seront les décisions de cette dernière ? Quel est son projet ? Quel régime politique va-t-elle proposer ? Comment continuera de se positionner l’armée ?

Crédits : wikimédia commons
Hugo Chavez en visite au Brésil en 2011. Photo: Roberto Stuckert Filho/PR.

LVSL : Est-il possible de définir de façon résumée le chavisme et le madurisme ?

Le chavisme est un phénomène historique de long terme. Il est à la fois sociologique, idéologique et politique. Par certains aspects, il pourrait être le deuxième péronisme sud-américain. Sur le plan sociologique, il représente les secteurs populaires majoritaires du Venezuela. Sur le plan politique, il incarne leur surgissement et leur implication dans les affaires publiques et l’Etat, alliées à l’armée. Qui veut comprendre le chavisme d’un point de vue théorique doit s’intéresser au concept d’« union civilo-militaire » (cívicomilitar en espagnol) qui scelle une alliance entre les deux entités et un engagement de l’armée en faveur de la défense du peuple et de sa souveraineté, ce qui prend un sens particulier dans l’histoire latino-américaine où les forces militaires ont si longtemps été associées aux coups d’Etats et aux dictatures.

Le chavisme vivra certainement plusieurs vies et prendra diverses formes dans le futur. Le chavisme originel fondé par Hugo Chávez semble prendre fin. Sur le plan idéologique, le chavisme est l’église qui accueille toutes les traditions transformatrices du pays (républicaines, nationales, socialistes, révolutionnaires, de la théologie de la libération, des droits des minorités, etc.). C’est pourquoi il est d’ailleurs réducteur de penser le chavisme comme « la gauche ». La gauche en est un courant, celui vers lequel a de plus en plus tendu Chávez au gré des événements, des possibilités et des confrontations, mais le chavisme est d’abord l’affirmation de la nation vénézuélienne, de son indépendance et de sa souveraineté. La Révolution bolivarienne se donnait comme objectif l’établissement d’une véritable République[2].

Il sera toujours très difficile de gouverner contre le chavisme, comme c’est le cas en Argentine avec le péronisme. Peut-être que des secteurs de l’opposition chercheront un jour à construire des alliances avec lui.

Il est trop tôt pour « théoriser » le madurisme et ses évolutions possibles, mais il est la forme que prend aujourd’hui le chavisme gouvernemental et politique évoluant dans des conditions qui ne sont plus celles qui ont présidé à forger l’identité originelle et l’expansion hégémonique de la Révolution bolivarienne. Son noyau dirigeant gouvernemental actuel est issu de la tradition de la gauche révolutionnaire des années 1970 et 1980 qui a rejoint le « Pôle patriotique » de Chávez durant la conquête de 1998 et participé aux différents gouvernements chavistes depuis. Son alliance avec l’armée a été jusqu’à présent forte. Les contours de cette dernière détermineront significativement le futur et les possibles.

Propos recueillis par Lenny Benbara et Vincent Dain.

[1] Maurice Lemoine, “Au Venezuela, la fable des manifestations pacifiques”, Mémoire des luttes, 15 juin 2017 (http://www.medelu.org/Au-Venezuela-la-fable-des)

[2] Sur toutes ces questions, lire Hugo Chávez, Ignacio Ramonet, Ma première vie. Conversations avec Ignacio Ramonet, Editions Galilée, Paris, 2015.

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http://www.bbc.com/news/world-latin-america-20664349

Au Dakota, le combat des Sioux, le combat de tous

©Fibonacci Blue. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)

Dans une année 2016 noircie par les catastrophes politiques, humanitaires, sociales et environnementales, difficile de trouver quelque-chose à sauver. Pourtant, le 4 décembre, le campement de Standing Rock au Dakota du Nord a fêté une grande victoire : celle des Sioux, contre le projet Dakota Access Pipeline, qui menaçait de défigurer leurs terres et d’empoisonner leur eau. Comme un air de ZAD dans les grandes plaines, de quoi retrouver (un peu) le sourire.

Un sinistre projet

En 2014, la compagnie pétrolière américaine Energy Transfer Partners monte un projet chiffré à 3,7 milliards de dollars, visant à connecter les champs pétrolifères du Dakota du Nord à l’Illinois, en traversant les États de l’Iowa et du Dakota du Sud. Ce projet titanesque, soutenu par de nombreuses banques, dont – cocorico sarcastique – la Société Générale, BNP Paribas et le Crédit Agricole (source : Food and Water Watch) devait initialement traverser la rivière Missouri à quelques kilomètres de Bismarck, capitale de l’État du Dakota du Nord. Mais, face aux risques de contamination des eaux et d’empoisonnement des 67 000 citoyens de la ville, le tracé de l’oléoduc a été déplacé d’une centaine de kilomètres vers le sud. Pas de bol, le nouveau projet fait passer l’oléoduc à 800 mètres de la réserve Sioux de Standing Rock, où vivent plusieurs milliers de personnes.

Alors, certes, le terrain n’appartient pas à Standing Rock ni aux Natifs Américains, mais bien à l’État. Pour cause, cette parcelle a été volé aux Sioux en 1950. Comme du reste, l’intégralité des deux États du Dakota (le traité de Yankton, en 1858, cède la quasi-totalité des terres dites « amérindiennes » au gouvernement américain), le nom même de Dakota désignant la langue sioux éponyme. Les États-Unis ont ce don et cet humour si particulier qui consistent à désigner leurs États du nom des peuples qu’ils ont massacrés et pillés…

« Que ferait Sitting Bull ? »

On notera le principe de précaution à géométrie variable d’Energy Transfer Partners : l’empoisonnement possible d’un peuple minoritaire soulève à l’évidence moins de préoccupations que lorsqu’il s’agit d’une ville à large majorité blanche. Rien de surprenant, malheureusement, si on jette un œil à l’histoire des Sioux du Dakota, qui ont été spoliés de leur terres, à chaque fois sous prétexte de projets industriels et de la sacro-sainte productivité américaine. De la grande réserve censée avoir été « sanctuarisée » en 1868, il ne reste que peu : entre-temps une mine d’or et deux barrages ont déjà morcelé le territoire et obligé la population à se déplacer.

Empoisonnement des eaux, profanation de cimetières et terres « sacrées » : devant cette négation de leurs droits et cette menace d’un projet reconnu comme dangereux pour la santé publique (en témoigne le refus du premier tracé), les Sioux de Standing Rock se sont organisés. Rejoints par d’autres militants Natifs Américains, venus parfois des États voisins, puis par des militants d’ONG environnementales et de ligues de protection des Droits de l’Homme, le camp de Standing Rock s’est métamorphosé en quelques semaines en Zone à Défendre, face aux bulldozers venus entamer le chantier.

Aux rythmes des chants traditionnels et à l’ombre des banderoles « Que ferait Sitting Bull ? », la cicatrice de la bataille de Little Big Horn toujours ancrée dans les mémoires collectives, c’est toute la conscience Sioux qui a fait corps et qui a résisté, malgré les pressions du gouvernement local. Début septembre, la situation dégénère lorsque des bulldozers commencent à creuser alors qu’une demande de suspension de projet a été formulé. Des manifestations s’organisent, mais des agents privés payés par la compagnie lâchent leurs chiens sur la foule et jettent du gaz lacrymogène, avec le soutien tacite du shérif local qui parlera d’une « réponse proportionnée ».

Dans un système médiatique qui vise à taire la répression, les violences faites aux manifestants n’auraient peut-être jamais été relayées à l’échelle fédérale, si l’actrice Shailene Woodley, qui faisait partie du cortège des manifestants, n’avait pas « tweeté » son arrestation musclée. Le combat de Standing Rock bénéficie aussi du soutien de Leonardo DiCaprio, figure emblématique du Hollywood « green-friendly », de la présidente du Parti Vert Jill Stein, de Bernie Sanders, du mouvement Black Lives Matter et d’une multitude de mouvements de communautés minoritaires à l’étranger, à l’image des Aborigènes d’Australie.

Une bataille, pas la guerre

Le 4 décembre, Standing Rock célèbre sa victoire. Le gouvernement enterre le projet de pipeline, au profit de l’étude de nouveaux tracés. Certains se veulent prudents, créditant ce revirement de situation au dernier geste d’un Barack Obama sur le départ, souhaitant donner des gages aux luttes pour l’environnement, au moment même où le climato-sceptique Donald Trump s’apprête à conquérir la Maison Blanche. D’autres préfèrent célébrer la victoire d’un mouvement social fort, ayant réussi à fédérer au-delà de l’aspect strictement culturel et communautaire des Sioux, à rallier “stars” et anonymes, et à unir la gauche américaine dans une même lutte.

De Standing Rock, il faut retenir plusieurs choses. D’abord, c’est une preuve, s’il en fallait encore, que les grands intérêts capitalistes n’ont que faire de l’humain ni de l’environnement, que pour une poignée de « pétro-dollars » la santé et la dignité de milliers de personnes sont sacrifiables, a fortiori si elles sont Natives. Ensuite, qu’il n’y a pas de recette miracle pour faire valoir ses droits : la résistance, pacifique quand c’est possible, physique lorsque l’oppresseur n’hésite pas à employer de la violence. Enfin, que la communication, qu’on le veuille ou non, est un élément incontournable, peut-être celui qui a manqué à Notre-Dame-Des-Landes en France : tout relais dans l’opinion publique qui vise à la mobiliser, qu’il vienne de Hollywood ou d’ailleurs, est bon à prendre. Combattre isolé c’est garantir sa défaite.

Surtout, il ne faut pas oublier que le combat n’est jamais gagné. A Standing Rock, on garde la tête froide. Le scénario catastrophe s’est réalisé : Trump a été élu. Or, le « President-Elect », qui n’est pas un grand ami de l’environnement, c’est peu de le dire, a soutenu durant la campagne le projet Dakota Acess Pipeline. Et pour cause, la société Trump a des parts dans Energy Transfer Partners. Conflits d’intérêt ? Pensez-donc… Si le cauchemar continue, tout est en place pour que le projet soit relancé après l’investiture de Donald J. Trump, et que Standing Rock doive se dresser, à nouveau, pour conserver ses terres.

Crédits photo : ©Fibonacci Blue. Licence : Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0)